miles from where you are
ft. Jasmine & Maxence

Ce matin je m'étais réveillé avec la même envie que la dernière fois, à savoir une irrépressible envie de m'empiffrer de loukoums. Oui, j'avais des envies comme ça parfois, fallait pas chercher. La dernière fois j'avais demandé à Ulysse de résoudre mon problème, c'était un peu la solution de facilité mais pour ma défense en tant que pâtissier il était véritablement l'homme de la situation. Mais j'allais pas non plus le déranger à chaque fois, surtout qu'il m'avait déjà fait un dessert au chocolat la semaine passée et sans que je ne demande rien, alors je n'avais pas envie qu'il s'imagine que je profitais de lui ... Après tout lui aussi était en vacances, il n'avait sans doute pas envie de passer ses journées dans la cuisine du coup. De toute façon je n'avais pas véritablement besoin de lui, j'avais joué les ignares la dernière fois pour qu'il les fasse à ma place mais j'étais totalement capable de faire des loukoums moi-même, j'avais passé assez de temps au Moyen-Orient pour avoir appris au moins ça. Entre autres choses. Et l'avantage c'est que ça m'avait occupé une petite heure, ce qui n'était pas négligeable quand on avait autant de temps à disposition pour tourner en rond ... Ouais, je commençais vraiment à me sentir comme un poisson dans un bocal, sur cette îlot. Bref, toujours est-il que j'avais terminé, fier de moi mais déçu de devoir attendre jusqu'à demain pour y goûter, parce que c'était quand même la partie intéressante. Pour l'heure j'avais de la vaisselle à faire, ô joie, et laissant la plaque de loukoums sur le plan de travail en attendant qu'elle refroidisse j'avais retroussé les manches de ma chemise, au moment où Jasmine avait débarqué dans la cuisine visiblement à la recherche de quelque chose. « Elles sont là, au dessus du frigo. » Du menton j'avais désigné l'endroit en question, et les lunettes de soleil qui y étaient posées. Je supposais que c'était les siennes, puisqu'elle semblait chercher un truc et que je les avais trouvées là, traînant sur le plan de travail quand j'étais arrivé. J'avais préféré les changer de place pour ne pas les salir. Ouvrant le robinet d'eau chaude pour remplir l'évier j'étais retourné à ma vaisselle, observant la jeune femme du coin de l’œil. « Tu viens d'où, en Inde ? » Oui je sais, ça sortait de nul part mais bon, c'était pas comme si elle et moi avions souvent l'occasion de discuter. Et ce n'était pas non plus comme si cette question me tenait éveillé la nuit, simplement je me demandais, simple curiosité de ma part. Déjà que je tenais qu'elle venait d'Inde de je ne sais plus qui.

Dans la mesure du possible j'essayais de ne plus trop laisser trainer mes affaires ici et là, preuve en était que j'avais passé toute la journée de mercredi à courir après une de mes vestes sans me souvenir où je l'avais laissée la dernière fois ; Et puis dans une cuisine c'était toujours délicat, entre les aliments qui tâchaient, le siphon de l'évier toujours prêt à avaler un bijou et la maladresse de certains candidats qui semblaient hériter de deux mains gauches dès qu'ils mettaient les pieds dans cette pièce, mieux valait ne pas laisser traîner ce à quoi on tenait. Raison pour laquelle j'avais mis les lunettes de soleil en hauteur, histoire de ne pas risquer de les abîmer tandis que je m'affairais sur mes loukoums. Après la corvée de vaisselle il allait falloir que je me trouve un truc à manger, ça m'avait donné faim ... Faut dire que, quelle idée de préparer un truc qui avait besoin de roupiller toute une nuit au frigo, aussi. Pour l'heure j'en étais donc à l'étape vaisselle, et quand j'avais vu Jasmine débarquer dans la cuisine j'en avais conclu sans vraiment me poser de questions qu'elle venait récupérer ses lunettes, que je lui avais donc indiqué automatiquement « En fait je cherche une bague. » Ah. Pourtant elle ne s'était pas gênée pour s'emparer de la paire de lunettes et la mettre sur son nez ; Bon, le ou la propriétaire s'arrangerait avec Jasmine, hein. Pour ce qui était d'une bague en revanche je n'en avais pas vue, et m'arrêtant au beau milieu de ma vaisselle j'avais observé l'eau un instant d'un air interdit ... J'espérais que la bague en question n'était pas au fond de l'évier. « Ah la voilà. » Pfiou. Je préférais ça, je préférais ne pas imaginer ce qui se serait passée si la bague était vraiment passée dans le siphon. D'autant plus que pour ce que je venais d'entrapercevoir du bijou quand Jasmine avant remis la main dessus, c'était le genre qui devait coûter plusieurs mois de mon salaire de reporter, hm. Et d'un seul coup, je ne sais pas trop comment, voilà que je l'avais questionnée sur l'endroit d'où elle venait. Comme ça, sans raison particulière, juste de la curiosité. « Je suis née à Jaipur. » J'avais fait un léger signe de tête, en guise de réponse. Je me demandais bien comment on passait de Jaipur à Hollywood, à vrai dire ; Quoi que je ne savais même pas si elle vivait à Hollywood, c'était juste une supposition, c'était là que vivaient toutes les starlettes, non ? « T'es déjà allé en Inde ? » Je l'avais quittée des yeux un instant, coupant l'eau au robinet et attrapant un torchon pour essuyer la vaisselle, avant de reporter mon attention sur Jasmine « Pas au Rajahstan, mais au sud un peu, oui. » J'avais marqué une pause, l'air pensif. En fait je me souvenais même très bien quand c'était, bien que cela remonte à quelques années maintenant. « Mais pas longtemps, c'était une escale avant de descendre sur le Sri Lanka. » Mais "vraie" destination, et là en revanche j'y étais resté plusieurs semaines. Ouvrant les placards j'avais entrepris d'y ranger le peu de vaisselle que j'avais sortit pour cuisiner, ne restait que la cuillère en bois, je ne savais pas où elle allait ... Bon, alors elle resterait là, posée dans un coin. Le rangement façon Maxence. « Je peux te demander comment on passe de Jaipur à gagner un Grammy à Los Angeles ? » Oui ça aussi je le savais, qu'elle en avait gagné un. Ne me demandez pas comment, mais j'avais retenu cette information.

Elle avait l'air d'avoir l’œil qui pétillait à l'évocation de son pays d'origine, elle devait donc y être attachée. En tout cas si je n'avais pas entendu ça au détour d'une conversation je n'aurais sans doute pas su qu'elle venait d'Inde. Ce n'était pas vraiment écrit sur sa figure et ça ne se voyait pas comme ça, en un coup d’œil ... C'était un peu comme Ulysse et moi, avec nos têtes de blonds, y'avait pas vraiment écrit italien sur notre front. « Si t'as l'occasion d'y passer plus de temps qu'une escale, fais le. » J'avais esquissé un léger sourire, acquiesçant d'un signe de tête, l'air pensif. Je n'avais jamais eu l'occasion de retourner dans cette région après mon reportage au Sri Lanka, mais si l'occasion m'en avait été donnée probablement que j'aurais hésité entre sauter dans le premier avion, et freiner des quatre fers ... et quelque part c'était peut-être mieux ainsi. De toute façon je crois que quelque soit le pays j'espérais toujours dans un coin de ma tête ne jamais y retourner. Parce que l'essence même de mon métier impliquait qu'un pays n'aille pas bien, si je me retrouvais à devoir y aller, et ce n'était pas quelque chose que l'on pouvait souhaiter, qu'un pays soit en guerre. « J'y songerais, la prochaine fois que je cherche une destination de vacances. » Oui voilà, de vacances, c'était mieux. Mais bon, je voyais ça avec mon point de vue de français, d'européen, je supposais que puisqu'elle venait de là-bas l'Inde ne sonnait pas vraiment comme une destination de vacances pour Jasmine, à moins qu'elle n'y soit pas retournée depuis longtemps ... Je n'en savais rien à vrai dire, j'en étais encore à me demander comment on passait du continent indien aux paillettes d'Hollywood. « La rencontre d'une vie. » Ça semblait sérieux, comme formulation. « J'ai rencontré la bonne personne, c'est mon agent/manager/producteur. » Elle avait souri, et du coup moi aussi. Même si en vérité cela ne répondait pas vraiment à ma question et qu'elle devait bien le savoir ; Mais je n'avais pas l'intention d'insister. J'étais curieux, mais y'avait tout de même des limites. Du coup j'avais simplement demandé « Et tu retournes chez toi quand même, de temps en temps ? T'as jamais eu le mal du pays ? » Curiosité, encore. Mais j'étais assez admiratif des gens qui réussissaient à quitter l'endroit où ils étaient nés pour aller vivre ailleurs, qui plus est sur un autre continent. Personnellement je savais qu'à moins d'y être forcé je n'en serais pas capable ; Ma montagne elle ne cassait peut-être pas des briques aux yeux de certains, mais c'était chez moi, ça serait toujours chez moi. Je voyageais beaucoup, ça compensait. Attrapant la plaque de loukoums sur le plan de travail après avoir vérifié que le mélange ne fumait plus et avait assez refroidi, j'avais ouvert le frigo afin de trouver un endroit où caser ça, tandis que Jasmine me demandait d'un ton que je trouvais tout à coup suspicieux « C'est vrai que t'es là pour le travail ? J'ai entendu dire que tu faisais un reportage ou je ne sais quoi ... » J'avais pris mon temps dans le frigo, un léger rictus s'étirant sur mon visage tandis que j'écoutais sa question. Elle ne devait pas beaucoup les aimer, les journalistes, de manière générale. Et probablement aussi qu'elle mettait toutes les professions journalistiques dans le même panier ... Alors que personnellement, j'estimais avoir autant de points communs avec un paparazzo qu'avec un batracien, hein. « Pourquoi, tu as peur de ce que je pourrais raconter si c'est le cas ? » C'était l'impression qu'elle donnait en tout cas, mais soit, c'était compréhensible. Surtout pour elle qui devait avoir l'habitude de se faire tailler un costard par les magazines à la moindre occasion ; Et dieu sait que quand on cherchait des occasions on finissait toujours par en trouver. Refermant le frigo après y avoir déposé les loukoums et pris la carafe d'eau fraîche, je m'étais retourné vers Jasmine, reprenant un air plus sérieux « C'est vrai, oui. Même si c'est pas du tout le type de trucs que je fais d'habitude ... J'ai six mois sans terrain à tuer, je crois que mon rédacteur cherchait une excuse pour ne pas m'avoir dans les pattes au moins quelques semaines. » Faut dire que j'étais le premier à reconnaitre que j'avais tendance à devenir relou quand j'étais frustré, et j'étais frustré quand je ne pouvais pas faire mon travail, donc ... « Mais tu peux dormir sur tes deux oreilles, je suis pas venu là pour tailler les candidats à ma sortie. » Des fois que ce soit ce qu'elle s'imaginait. Posant la carafe sur la table j'avais ouvert un des placards pour en sortir un verre, et interrogé Jasmine du regard pour savoir si elle en voulait un aussi.