♦ Pour Lasérian

Allongé sur une chaise longue avec pour seul habit ce short de bain que j'avais revêtu vu le magnifique temps que nous avions ici. Lunettes de soleil sur le nez, je me reposais et profitais du soleil comme j'en avais si peu l'occasion. J'étais seul et c'était bien la première fois que cela m'arrivait dans le jeu. Je soupirais. J'étais si bien que je n'entendis pas arriver l'un des candidats jusqu'à ce que j'ouvre les yeux et que je l'observe pensif en face de moi. Je baissais mes lunettes de soleil sur mon nez et interpellait le jeune homme. « Ne cherches pas plus loin, tu n'arriveras jamais à attraper ses noix de coco. Je pourrais te laisser faire et venir à ton aide une fois que tu aurais compris ton infériorité mais j'ai décidé de te faire une fleur et de m'éviter une fatigue inutile en t'avouant que tu ne pourras les avoir. » Humour ou non ? Telle étaient la question. Je ne voulais pas m'entourer de personnes qui n'en valait pas la peine alors que je m'étais un certain point à me faire une idée rapide des autres candidats à ma façon.

Regardant le jeune homme debout devant moi avec mes lunettes de soleil sur le bout de nez, je restais silencieux après mes premières paroles. Je lui laissais le temps de répondre, histoire de ne pas être trop rapide et d'en apprendre plus à son sujet pour me faire une idée de la personne qu'il était. Je le suivais du regard lorsqu'il s'installa sur une chaise longue. Je repositionnais mes lunettes à leur place et reposer ma tête afin de voir le magnifique ciel bleu que l'île pouvait nous offrir. « Je n'ai pas briser tes espoirs, je t'ai simplement sauvé d'un espoir irréalisable. Nuance... » Après quelques secondes de silence, je portais mes yeux azurés vers mon interlocuteur. « Je ne suis pas un accro à la noix de coco, non plus. D'où mon premier commentaire. » Je m'asseyais alors sur le rebord de ma chaise longue. « C'est quoi déjà ton prénom ? Un petit rappel ne me ferait pas de mal. A moins que tu ne veuilles que je te surnomme Cocoman... »

Je fus rassuré par ses mots. Au moins ne m’obligerait-il jamais à manger une noix de coco, et m’accompagnerait-il dans mon dégoût si cela venait à l’idée de Cupidon de nous imposer un défi du genre : avaler le plus de noix de coco possible en un laps de temps record. Ce qui serait parfaitement stupide il fallait bien l’avouer, mais je me méfiais des illuminations qui pouvaient traverser le cerveau miniature d’un bébé en couche culotte muni d’un arc. J’enfonçai un peu plus mes pieds dans l’herbe, histoire de m’imprégner du peu de fraîcheur qui pouvait y demeurer, sans grand succès. « Lasérian. Mais si tu ne retiens que cocoman je ne t’en tiendrais pas rigueur. » J’esquissai un demi-sourire en reportant mon regard sur sa silhouette. Il avait un peu bronzé, un peu rougi aussi, par endroit. Si j’avais été lui je n’aurais pas mis une paire de lunettes, j’avais toujours la chance d’avoir une superbe marque blanche ridicule autour des yeux. « J’ai toujours eu du mal à retenir les prénoms, par exemple j’aurais tendance à t’appeler Channel, mais j’imagine bien que je me suis trompé de marque. A moins que tes parents aient eu un mauvais sens de l’humour … » Je priai intérieurement pour que ce ne soit pas son véritable patronyme. Retournant à l’observation de l’arbre et de ses fruits, je ne pus m’empêcher d’ajouter. « Tu vois ce trou dans la noix de coco de droite ? » demandai-je en pointant une grosse chose poilue suspendue au dessus de nos têtes. « Tu crois qu’ils seraient capables d’y avoir planqué une caméra ? » Ces derniers temps j’étais obsédé par les endroits où celles-ci pouvaient être dissimulées. Certaines étaient évidentes, d’autres beaucoup moins. Et je n’ignorais pas à quel point les gens de la télévision pouvaient être vicieux.

Assis sur une chaise longue, j'observais mon interlocuteur qui était juste en face de moi. « Lasérian. Cocoman. On pourrait presque y voir une ressemblance... » Un léger rictus se dessina sur mes lèvres alors que je sentais les yeux de ce jeune homme sur moi. Qu'il me regarde, j'aimais ce genre de comportement. Cependant, je ne pus m'empêcher de grimacer en entendant ce pseudo prénom "Channel". « C'est Hermès, mon petit. Et pour information, ce n'est pas seulement une marque de luxe. C'est le prénom d'un Dieu grec. Mais bien évidement, ça passe au second plan... » Je préférais ne pas m'aventurer sur une pente bien trop glissante pour cette première semaine. Les jeunes d'aujourd'hui, franchement : tout dans le look et rien dans la tête. C'était désespérant. Il changea alors de sujet. Je ne dis rien et acceptais sans rien ajouter la nouvelle direction de la conversation. Je soupirais. « Caméra ou non, je m'en fou royalement. Que Cupidon me filme s'il le veut, ça me sort par les oreilles. Je savais à quoi m'attendre en rentrant ici et je n'ai aucune honte à me montrer devant des milliers de personnes. Alors une caméra dans une noix de coco n'est qu'un détail dont je ne vois pas l'utilité. » Je regardais la noix en question, avant d'ajouter. « Mais oui, peut-être qu'il y en a une. On ne sait jamais ce qu'il pourrait faire pour nous suivre 24h/24. »

Ah ah … ouais non en fait pas du tout. Ca rimait juste. Personnellement je trouvais que Hermès et Herpès se ressemblaient davantage, mais je me gardai bien de le signaler. Au doux son de son prénom je pris l’air de celui qui venait d’avoir une illumination. Je l’avais en effet surnommé le messager tout à l’heure sans vraiment faire attention, et maintenant je comprenais mieux pourquoi. De toute évidence il semblait irrité par ma méprise, ce qui m’amusa sans qu’aucun signe extérieur ne vienne trahir mon état d’esprit. Manquerait plus qu’il s’aperçoive que l’agacer ça me faisait jubiler. C’était un beau prénom en fait, dommage qu’une marque de sac se le soit accaparé. Ceci dit ses parents auraient mieux fait de le nommer Narcisse, il n’y aurait eu aucune confusion et ils auraient été relativement visionnaires. J’aurais pu jouer les idiots et lui affirmer que j’ignorais ce fait, après tout se glisser dans la peau de celui que l’on n’est pas, c’était sans doute utile pour arriver jusqu’à la victoire. Passant le balai sur cette évidence, je décidai de laisser parler cette petite fierté qui n’aimait pas qu’on me prenne pour un abruti, puisque c’était la qualité que je détestais le plus chez les autres. « Hermès, ou Mercure chez les romains. Dieu du commerce et messager des Dieux à ses heures perdues. Fils de Zeus et Maïa, père de Pan, Hermaphrodite, sûrement Eros et Priape, et je passe sur sa descendance aussi effrayante que celle de tous les Dieux. » Je lui épargnai son rôle dans la guerre de Troie, son sanctuaire en Crête –où j’aurais bien rêvé d’aller d’ailleurs-, et toute son histoire que je connaissais en diagonale. J’avais lu tout un tas de bouquins sur la mythologie, et sur des centaines d’autres thèmes encore. « La société de consommation l’a emporté sur la culture grecque, j’en suis navré. » Je le gratifiai d’un haussement d’épaule accompagné d’un sourire faussement désolé. Je ne retirai aucune fierté d’avoir énoncé la place d’Hermès dans son arbre généalogique, en fait je le regrettai presque. C’est clair, j’aurais du jouer les cons ça aurait pu avoir son avantage. D’ailleurs je soupçonnai certains candidats de le faire, sinon c’était bien plus grave que ce que je croyais. Au mot noix de coco mon expression se déforma à nouveau. Mouais, c’était évident que se faire filmer, lui, ça l’arrangeait plus qu’autre chose. « J’étais sûr que ça me dérangerait pas non plus. » Pourtant à chaque fois que j’avais besoin de me gratter à un endroit légèrement inapproprié, qu’un filet de dentifrice coulait le long de mon menton, que je me retrouvai devant les machines de la salle de sport avec mon short rouge trop petit, j’avais la sensation qu’on en ferait un gros plan et que je perdrai dix point dans l’estime des téléspectateurs. « Parfois je les oublie complètement, d’autres fois j’ai l’impression qu'à ma prochaine candidature pour un job on me collera une photo de moi en train de me curer le nez en me fixant avec un regard plein de reproches. » C'était une façon de parler, mais il avait sans doute compris ce qui me tarabustait. Bien sûr j’aurais du réfléchir avant d’entrer dans l’émission, aux répercussions négatives. Mais ce n’était pas comme si j’avais eu beaucoup le choix.

Alors que je l'avais informé de l'origine de mon prénom, je fus supris de constater que la jeunesse d'aujourd'hui avait encore un peu de culture générale dans un coin de leur cerveau. Certes, ne faisons pas une généralité avec pour seul exemple Lasérian mais c'était déjà plus que je ne le croyais jusque là. « Tu peux l'être. Je n'aime pas être comparé une vulgaire marque, même de luxe. » J'étais sincère et même si j'avais pris un ton assez stricte et sérieux, je ne lui en voulais pas pour autant. Je retirais alors entièrement mes lunettes de soleil de mon visage puisque l'un des palmiers me cachait des rayons du soleil. Je rigolais en écoutant Cocoman. « C'est une façon de voir les choses. Et puis, je ne suis pas à un scandale près. Qu'il me filme, j'en ai rien à foutre. Je ne vais pas m'arrêter de vivre à cause d'une ou plusieurs caméras ! Tu savais pourtant ce qui t'attendait en rentrant ici, non ? Je ne vois pas pourquoi tu te plaindrais... »

Etais-je un homme à scandale ? Indéniablement. J'avais eu mon lot de surprises et d'extravagance au long de ma vie et surtout depuis mes 22 ans que j'en étais plus à un près. Encore aujourd'hui, je pourrais en créer un à tout moment en révélant quelques parties de ma vie passée. Mais encore une fois, je préférais me dévoiler au compte goutte et seulement aux personnes qui le mériterait à moins que je ne veuille remettre quelqu'un à sa place. Pour seul réponse, Lasérian aurait un regard neutre, impassible, presque froid. Le silence était une arme redoutable dans ce cas là. Je me levais finalement de la chaise longue pour parcourir quelques mètres sur l'herbe fraîche tout en écoutant d'une petite oreille la réponse de mon interlocuteur. « C'est bien encore un p'tit jeune qui parle... » Je soupirais. « Assumer, tu n'y avais jamais pensé ? » Je n'étais pas du genre à me dégonfler et encore moins à fuir. j'assumais tout ce que je faisais en bien et surtout en mal. Je me présentais comme je suis et si mes propos, mon comportement ou autre chose ne plaisait pas à une quelconque personne insignifiante pour moi qu'il aille tout de même se faire voir !