+ ANDREJA

Il fallait bien avouer que je n'étais pas particulièrement doué lorsqu'il s'agissait de m'exprimer à l'oral. Après quelques -grosses- tasses de café peut-être, oui, mais naturellement, ça n'était pas franchement un de mes points forts, la causette. Enfin, j'avais tout de même réussi à me débrouiller, puisque j'étais finalement ressorti de cet entretien en vie. Oui, oui, miraculeux, vous l'avez dit. Note numéro cinq ; ne jamais porter de blanc lorsque l'on est certain de transpirer de tous ses pores. Parce que c'était littéralement ce qui était arrivé, oui, j'avais la nette impression d'être un remake ambulant des chûtes du Niagara. Bon, d'accord, j'exagérais peut-être un peu, mais vous aviez compris le message. Cela dit, maintenant que tout était terminé, je me sentais comme qui dirait bien mieux, oui, comme si on venait de m'enlever le mont blanc des épaules, et par là je ne vous parlais pas de cette délicieuse crème qui était bannie à tout jamais de mon régime alimentaire, hm. Note numéro six ; faire un maximum de sport entre aujourd'hui et le premier prime, on est jamais trop prévoyant. Toujours est-il que j'étais tout de même plutôt embêté par tout cette histoire, parce que si certes, j'avais l'habitude de paniquer à la moindre occasion -bon, je ne me prétendais pas dans alerte à Malibu non plus, je savais me tenir- je n'étais pas franchement habitué à être jugé par d'autres personnes de la sorte. Il faut dire que mon auditoire habituel avait beaucoup moins la classe que le présentateur et autres membres de la production, qu'on se le dise. Ils étaient plus vieux. Légèrement plus vieux. D'une cinquantaine d'années (...) ou plus. Enfin, enfin, c'était terminé maintenant, je pouvais reprendre mes esprits, pousser un long soupir, me détendre sur un de ces affreux canapés et ne plus penser à rien. Rien, ce mot ne m'avait jamais semblé aussi agréable. Le néant absolu, intergalactique, oui, ça me plaisait. Je m'étais donc servi un café -plus par habitude que par nécessité, surtout lorsque l'on savait que ça n'aidait pas franchement à se détendre- (...) bouillant, le café évidemment. Et puis j'étais parti avec un sourire qui en disait bien long sur mes pensées d'un coup bien plus joviales qu'il y avait de ça une petite heure. Sauf que voilà, le drame avait fini par ralentir. Laissez-moi vous passer la scène au ralenti. Un beau brun -oui, c'est moi le beau brun, si je ne le dis pas, personne ne le fera- marchait tel un gladiateur sortant triomphant de l'arène, tête haute, dignité retrouvée lorsque soudain, un obstacle imprévisible et insoupçonné se dressa devant lui -une malheureuse table basse- ! Déstabilisé, le puissant gladiateur -c'est encore moi- fut terrassé sur le coup et mordit la poussière avec une grande classe. Dans un dernier effort, il réussit cependant à jeter son épée -ou sa tasse- sur le torse de la bête la plus proche avant de lâcher son dernier soupir. (...) C'était la version romancée. (...) Maintenant si je dois réellement vous raconter ce qui s'est passé, eh bien... Je marchais, je me suis pris le pied sur la table, et, en poussant un cri absolument affolé -et affolant- j'avais échappé ma tasse sur la chemise du premier malheureux qui s'était approché de moi. En l'occurrence un grand blond à la peau mâte et aux biceps de la taille d'une Lindsay Lohan ayant abusé des croissants au déjeuner. Clairement pas la meilleure cible. Et en plus, ça devait être bouillant, hm. « Oh non (...) non, non, non, je suis désolé, mon dieu ! » Je sais, c'est mal de le prendre comme excuse celui là, mais quand je suis désespéré, il n'y a bien que lui pour ne pas se foutre de ma tronche. « C'est rien ça, euh... ça se lave le café. » ou presque (?). Je fermais finalement les yeux, grimaçant quelque peu en acceptant finalement la sentence. « Vas y, tu peux y aller, je bougerai pas. » Oui, allez, vas-y, tu dois avoir envie de me frapper, alors c'est le moment ou jamais. « Mais pas trop fort non plus, hm ? » Précisais-je finalement en ouvrant un oeil pour en juger de sa réaction.

Il s'ennuyait de nouveau à mourir. Il avait vraiment tout essayé depuis son casting terminé, pour tenter de faire passer le temps plus vite. Les activités proposées par la production allaient bien deux minutes, mais malgré cela ils finissaient tous un peu par tourner en rond, et maintenant qu'il avait usé l'excuse de la pause clope et gaspillé toute sa petite monnaie en cochonneries dans le distributeur automatique, il tournait de nouveau en rond en se demandant quel intérêt on pouvait bien avoir à tous les garder enfermés ainsi ... A moins qu'il ne s'agisse d'un test, un moyen de voir déjà à plus petite échelle lesquels se faisait au fait d'être entourés d'inconnus et lesquels ne s'y faisaient pas. Sur le principe Andreja ne se préoccupait pas vraiment du nombre de personnes qui pouvaient se trouver là, et en dehors de la période tombola durant laquelle tout le monde semblait plus ou moins se marcher dessus, il n'avait pas de souci particulier à ce niveau ... Simplement bon dieu, ce qu'il s'ennuyait. Tellement qu'il serait prêt à accepter pratiquement n'importe quel moyen de s'occuper, n'importe quel évènement susceptible de le divertir au moins quelques instants ... Du moins le croyait-il. Parce que "n'importe quoi" c'était surtout une expression, et que lorsqu'une tasse de café était venue s'abattre directement sur le tee-shirt à peine sec de sa mésaventure du midi, tout ce qui lui avait échappé c'était un « Sranje ! Oprezni ! » franc tandis que le type en face de lui se rattrapait à la table devant lui ... Non mais, comment est-ce qu'il avait fait pour ne pas remarquer une table, déjà ? Une TABLE, c'était quand même voyant, non ? « Oh non (...) non, non, non, je suis désolé, mon dieu ! » Ah bah ça oui, Andreja l'espérait bien qu'il était un peu désolé, il venait de l'ébouillanter à moitié en plus de dégueulasser une seconde fois son tee-shirt. Mais au moins il s'était excusé, lui, contrairement au bouffon de ce midi. « C'est rien ça, euh ... ça se lave le café. » Ah, et c'était donc ainsi qu'il comptait se dédouaner de sa maladresse, en lui assurant que la tâche partirait au lavage ? Mais il n'en avait rien à foutre Andreja, en réalité. Ce tee-shirt était déjà barbouillé de soda, et ce malgré ses efforts pour tenter d'en venir à bout dans la salle d'eau et à l'aide de savon normalement réservé pour se laver les mains. « Ah. Et toi compte laver, pour ça ? » D'un air probablement un peu plus inquiétant qu'il ne le voulait en réalité il avait posé les yeux sur le coupable de la maladresse, lequel avait dégluti lentement avant de capituler « Vas y, tu peux y aller, je bougerai pas. » Hein, pardon ? « Mais pas trop fort non plus, hm ? » Pas trop fort ? Non mais, sincèrement, le type était persuadé qu'Andreja allait juste lui mettre son poing dans la gueule et passer son chemin en estimant qu'ainsi ils auraient remis les compteurs à zéro ? Mais il sortait d'où, ce mec ? « Je pas vouloir te frapper. » s'était-il alors contenté de répondre en levant les yeux au ciel, pour finalement ajouter d'un ton un peu moins blasé, mais pas moins dubitatif « Tu me prendre pour un sauvage ? » Quoi, parce qu'il donnait l'impression à certain d'être un débile sous prétexte qu'il avait l'air de s'exprimer comme tel, cela faisait forcément de lui un homme des cavernes ? Un sourire narquois sur le visage il s'était même payé le luxe de rajouter « Si j'avais vouloir te frapper, toi n'auras pas eu le temps de ... de voir arriver. » Oui non, c'était même certain, s'il avait voulu lui péter la gueule il n'aurait pas laissé à monsieur maladresse le temps de s'y préparer. Vieux réflexes, vieilles habitudes. Fort heureusement pour lui Andreja savait réagir avec autre chose que ses réflexes, justement.

Et voilà, encore une fois, c'était la boulette de trop. Je commençais à me connaitre pourtant, je savais que ça n'était pas raisonnable de prendre autant de danger dans une pièce comme celle ci. Parce que oui, j'étais une véritable catastrophe ambulante, et oui, je le savais pertinemment. Alors certes, c'était peut-être se chercher des problèmes que de tenter la malchance, mais que voulez-vous, j'avais bien souvent tendance à me dire qu'une chose comme celle ci ne pouvait pas m'arriver si je me concentrais sur le fait de la tenir le plus loin possible de moi. Sauf que, ayant la capacité de concentration avoisinant approximativement celle d'une mouche, il était évident que j'allais finir par oublier tout ce qui se trouvait autour de moi. Et là, pour le coup, ça n'avait pas manqué puisque le pauvre bonhomme que j'aurais pu facilement confondre avec un Tarzan des temps modernes venait de se manger ma tasse de café brûlant en plein sur son tee shirt. Ça... Ça n'était pas ma faute ! Et puis quelle idée de mettre une table par ici, n'importe quoi hein, sérieusement, les gens ils cherchaient vraiment à me faire faire des bêtises. Oui bon, j'avais beau essayer de me trouver mentalement toutes les excuses du monde, ça n'avait pas empêché au blondinet de jurer agressivement dans une langue que je ne connaissais pas. C'est fou, mais lorsque les mots m'étaient inconnus, j'avais toujours l'impression qu'ils étaient bien plus violents qu'ils ne devaient probablement l'être. C'était peut-être l'effet "homme muscle" qui intensifiait le tout, mais là tout de suite, il ne me donnait plus trop envie de m'inventer d'excuses, hm. J'essayais pourtant de me concentrer sur ses paroles, mais je crois que j'étais passablement entrain de m'évanouir et ce sans m'en rendre compte, puisque je ne comprenais qu'un mot sur deux de ce qu'il me disait. Ça n'allait vraiment, vraiment pas bien si mon cerveau en venait à faire sauter certains mots de mon interlocuteur, tss. Je me retenais donc de lui demander de répéter, principalement parce que son ton n'était pas franchement des plus accueillant, et qu'il devait être à deux doigts de m'en mettre une. D'ailleurs, c'était ce que je m'étais dit oui, et comme je savais que ce moment allait forcément arriver un jour ou l'autre dans une aventure comme celle ci, j'avais choisi aujourd'hui. Donc voilà, j'étais prêt, il pouvait me déboiter la mâchoire (...) enfin pas trop non plus. Sauf que lui pas vouloir frapper. Moi prendre lui pour sauvage ? « Non, toi être civilisé, mais moi être catastrophe, et toi ébouillanté, donc moi punching-ball. » Et le pire dans tout ça, c'est que je n'avais même pas réalisé que je venais de parler comme lui. Bon dieu, non mais n'importe quoi. Ah et puis finalement il m'avait dit que s'il avait voulu me frapper, je ne l'aurais pas vu arriver. « Oui enfin, ça ne sert à rien de te vanter non plus. » me vexais-je presque. Parce que oui, j'étais maladroit, donc il avait clairement l'avantage sur moi, chose qui n'était pas franchement juste. Finalement, je plissais les yeux, posant ceux ci sur son tee shirt sans pour autant réellement le regarder, me rappelant surtout de ce qu'il venait de dire. « Frange... Oprasmi. T'as de drôles d'insultes tout de même. » secouant la tête, je remarquais finalement la couleur du tee shirt du jeune homme avant d'ajouter « Eh, c'est que je l'aurais presque arrangé en fait. » Parce qu'on ne pouvait pas dire que sa couleur d'origine donnait particulièrement envie. « (...) Motus et bouche cousue, j'ai compris oui. » Inutile de le provoquer plus, si je tenais à ma vie.