Il a arrêté de compter les cigarettes après la quatrième. Il espère que la production a prévu un budget pour les gros fumeurs comme lui, car il risque fortement d’avoir besoin de plus d’un paquet par jour, au rythme où vont les choses. La cigarette, c’est la seule drogue qu’il s’autorise, et il en abuse plus que de raison. Il aurait peut-être du profiter de cette émission pour essayer d’arrêter, mais force de constater que ça n’aurait pas été possible, puisque dès qu’il se sent angoissé, mal à l’aise ou ennuyé, il se jette sur son paquet. Et en ce jeudi soir, ce sont les deux premières options qui sont les causes de sa consommation excessive de cigarettes. Il y a une troisième cause indirecte qui se nomme Zelda, puisque c’est peu après être rentré de plein fouet dans la candidate qu’il s’est précipité sur son balcon comme si sa vie en dépendait, pour se remettre de ses émotions. Il sait que ses réactions peuvent paraître excessives, mais il a ses raisons et il s’en tient à celles-ci. Peut-être que dans plusieurs semaines – s’il a la malchance ou la chance, ça dépend de son humeur – d’être encore là, il se sentira bien plus en confiance avec les autres que cette semaine, et les contacts physiques ne le dérangeront plus, ou moins. Mais pour l’instant, il n’en est pas encore là, il est encore au stade de fumer pour détresser. Et le balcon lui apporte une certaine tranquillité en plus d’un air frais plus que bienvenu. Une tranquillité qui n’est que temporaire, à nouveau, puisqu’une autre personne – un garçon cette fois-ci – ne tarde pas à faire irruption sur le balcon. Et il ne tarde pas non plus à tenir un discours sans queue ni tête, du moins du point de vue d’Alistair. Il tourne la tête en sa direction quand le candidat entre dans son champ de vision, et il l’observe sans que son visage trahisse la moindre émotion. Il lui fait quoi là ? C’est un discours digne des témoins de Jéhovah, Alistair pensait ne pas forcément être à sa place ici, mais il la mérite toujours plus qu’un membre d’une secte. Et puis, finalement, il comprend où le candidat veut en venir. Il sait qu’il ne respire pas la joie de vivre, mais ça, il ne l’avait pas vu venir. Le candidat semble comprendre son erreur. « Non. » Il peut enfin placer une fois que le candidat a pris l’initiative de se taire quelques instants. Pour approuver ses dires, il se décale légèrement avant de secouer sa cigarette, histoire de lui faire comprendre que s’il compte en finir avec quelque chose, c’est avec ses poumons et non pas avec sa vie. De ce côté-là, son camarade a quelques années de retard s’il tenait vraiment à jouer au héros en l’empêchant de porter atteinte à sa vie. « Pas cette fois. » Qu’il ajoute, par humour noir, afin de faire flipper son camarade. « La falaise serait plus radicale. » Il renchérit, mais il regrette presque instantanément en réalisant que celui-ci risque de se reconvertir en psychologue de pacotille. « Mais c’est gentil. » De se préoccuper de lui, selon la logique ça rentre facilement dans la catégorie ‘’actes de gentillesse’’. Il reporte son attention sur l’horizon, pour montrer à son camarade qu’il n’est plus intéressé par lui, peut-être qu’avec un peu de chance il n’aura pas l’envie de se lancer dans une séance de psychanalyse.

La pause cigarette en toute tranquillité n’est que de courte durée. Enfin, il a tout de même eu le temps d’en fumer plusieurs, là, accoudé contre la barrière, avant qu’un type sorti de chez les fous l’interrompe avec un discours qui ne lui semble pas avoir le moindre sens, jusqu’à ce que le candidat développe un peu plus le fond de sa pensée. Alistair ne sait pas réellement comment réagir face à ça. Il aurait bien éclaté de rire s’il était du genre à rire, mais il se contente d’observer son camarade, sceptique mais sans trahir la moindre émotion. Il sait qu’il ne respire pas la bonne humeur, mais de là à vouloir sauter de ce balcon… Et puis, comme il le fait remarquer par la suite à son camarade, la falaise serait nettement plus radicale que ce balcon qui se tient, à vue de nez, une petite dizaine de mètres du sol. D’autant plus qu’en bas se trouve un peu de verdure, et que si Alistair comptait réellement sauter, il finirait probablement dans les buissons. Quoi que, avec sa chance légendaire, la gravité ferait volontairement éviter ceux-ci au jeune homme. Le balcon n’est donc pas une idée pour mettre fin à ce jour, mais Alistair s’en fiche un peu, puisqu’il ne compte pas le faire, justement. Ceci dit, s’il avait vraiment eu des idées morbides, il n’aurait pas pensé aux caméras. Tant pis pour ceux qui observent la scène à travers leur écran, ce n’est pas cela qui l’aurait retenu. Enfin, inutile d’y penser plus longtemps, le sujet semble être clos dès l’instant où le psychanalyste en herbe réalise sa méprise. Alistair précise tout de même que le geste est gentil – du moins il semble – pour ne pas humilier plus le candidat et puis parce que même s’il ne trouve pas forcément cela admirable, ça part d’une bonne intention, sûrement. « J’ai compris, oui. » Il n’a pas besoin d’en dire plus, c’est plutôt clair comme de l’eau de roche ce qu’il a compris, il suffit de repenser à ses paroles dignes des meilleurs négociateurs de prise d’otage. Quoi qu’il en soit, son camarade ne cherchait pas à être gentil. Ah, c’est à ranger dans la catégorie acte égoïste un tel geste ? « Je vois. » Il dit simplement, en fronçant légèrement les sourcils. « Intéressant. » Il murmure ensuite pour lui. Intéressant oui, car la seconde partie de sa phrase n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Il est gentil. Bien. Un peu trop. Parfait. C’est toujours bon à retenir. Parce que gentil, Alistair ne l’est pas. Son camarade lui avoue ensuite qu’il s’en est sincèrement fait pour lui. « Merci… ? » Il est un peu sceptique, il ne sait pas vraiment quoi lui dire ni comment réagir, puisque jusqu’ici on ne lui a jamais fait le coup de vouloir l’arrêter dans une tentative de suicide qui n’en était finalement pas une. « Il ne faut pas. » S’en faire pour lui, mais il suppose que le candidat qu’il a face à lui fait partie de la catégorie des intelligents malgré sa gentillesse visiblement débordante, et qu’il parviendra à comprendre où veut en venir Alistair. « Je ne compte pas mettre fin à mes jours. » Il ajoute, plus clairement, histoire d’être assuré que le candidat ne lui refera pas un coup pareil, car il s’en passerait volontiers. « C’est quoi votre prénom ? » Il le vouvoie également, ça le dérange pas, mais il apprécierait de pouvoir mettre un nom sur ce visage et pas forcément le surnommer le sauveur un peu trop naïf.

Il est trop gentil ; ce n’est pas une information négligeable. Surtout pas tombée dans l’oreille de quelqu’un comme Alistair, qui n’a plus vraiment de scrupules à utiliser les autres à son profit s’il le peut. Ce n’est pas pour autant qu’il le fait à chaque fois, ça dépend généralement de son humeur du moment. Mais même s’il n’aime pas côtoyer les autres, il parvient toujours à faire une exception quand il s’agit de s’en servir à son avantage. Alors malheureusement pour le candidat, il va noter ce détail quelque part dans son esprit. Peut-être qu’il connaîtra la même destinée qu’Adnan, ou peut-être qu’il aura un peu plus de chance. Il se contente de hocher la tête quand son camarade semble curieux quant à sa réponse. Oui, c’est intéressant, mais il ne compte pas lui dire les idées qui lui trottent déjà en tête. Il le remercie sans vraiment savoir si ses paroles méritent vraiment des remerciements, mais il parait que c’est adapté quand quelqu’un s’en fait pour vous. Visiblement, c’est un comportement commun chez le candidat. « C’est une bonne chose. » Il dit simplement en haussant les épaules. Lui s’en fiche pas mal des autres, mais il admet qu’il en faut, des gens comme son camarade. Peut-être que si lui avait eu la chance d’avoir quelqu’un qui s’était soucié de lui durant une certaine période de sa vie, il ne serait pas aussi renfermé qu’il l’est aujourd’hui. Il tourne à nouveau la tête vers son camarade pour capter un court instant son regard quand il s’excuse à nouveau. « En effet. » Et encore, un fou, c’est déjà bien gentil comme terme. « Je ne vous en tiens pas rigueur. » Qu’il ajoute tout de même, pour que son interlocuteur cesse de se morfondre, il a l’air un peu paniqué alors qu’il ne s’agit que d’une simple maladresse qui peut arriver à tout le monde. Enfin, Alistair ne se serait pas arrêté s’il s’était retrouvé face à quelqu’un qui comptait sauter, mais bien d’autres l’auraient fait. Il n’a pas de raison de lui en vouloir pour quoi que ce soit, même si cet événement va lui rester en mémoire un certain temps. Ce serait mentir que de dire qu’il n’est pas surpris par le fait que le candidat le vouvoie. À vue de nez, ils ont le même âge, il n’y a pas de donc de hiérarchie naturelle imposée entre eux. Mais pour autant, ça ne le dérange pas, il préfère même ça à la façon dont certains candidats lui ont déjà parlé, comme s’ils étaient amis depuis des années. Il n’aime pas être trop familier avec les autres, avec le vouvoiement lui convient très bien. Son ‘’sauveur’’ se prénomme donc Mallaury. Il a d’ailleurs une façon bien particulière d’aider Alistair à retenir son prénom. « ‘’Le cinglé’’ ça me va aussi. » Maintenant qu’il l’a proposé, ça ne sert à rien qu’il l’appelle par son prénom, après tout. Enfin, Alistair n’est pas fan de surnoms – il n’y a qu’à voir comment il réagit à celui que Taylor lui donne – il n’y a pas de raison pour qu’il fasse au candidat ce qu’il n’aime pas ce qu’on lui fasse. Mallaury est du genre timide – un peu trop – et c’est typiquement ce genre qu’Alistair aime parfois emmerder. Parfois, parce qu’il s’agit pour lui de se défouler sur les autres d’une façon … ‘’douce’’, mais qu’il n’est pas toujours en colère contre le reste du monde et que dans ces moment-là, il n’a aucune prédisposition à provoquer ceux qui l’entourent. « Alistair. » Il prononce entre deux bouffées de cigarette avant d’essayer de faire un train d’humour en ajoutant « Ou le suicidaire du balcon. » C’est comme il préfère. Enfin non, ce sera Alistair un point c’est tout, mais rien ne l’empêche de ‘’rire’’ de l’événement qui s’est passé il y a quelques minutes plus tôt. « Malheureusement, mon silence s’achète. » Il déclare par la suite, quand le candidat souhaite s’assurer qu’il ne compte pas parler de ce qu’il vient de se passé tout autour de lui. À vrai dire, l’idée ne lui a pas effleuré l’esprit pour la simple et bonne raison qu’il ne voit pas pourquoi il s’amuserait à répéter cela, et surtout, il est certain que ça n’intéressera personne – ce qui serait logique. « Faites vos offres. » Il voit Mallaury un peu comme un Adnan, le genre trop bon, trop con. Et ça leur fait pas forcément de mal d’être un peu secoué, du moins Alistair ne va pas se gêner. Et bien évidemment qu’il n’attend rien du candidat, mais puisqu’il a révélé quelques instants plus tôt être gentil, il est plutôt curieux de savoir ce qu’il pourrait lui offrir en échange de son silence même si cela ne veut pas forcément dire qu’il compte en profiter. C’est avant tout pour se faire une idée de la réaction du candidat.  

Il hausse simplement les épaules quand son camarade le remercie pour sa tolérance. Selon Alistair, ce n’est pas vraiment faire preuve de tolérance bien qu’un tel malentendu pourrait arriver à tout le monde, c’est simplement qu’il ne voit pas l’intérêt de soudainement se mettre à détester son camarade pour une raison aussi futile que cela. Enfin… Ce n’est jamais agréable d’être pris pour un suicidaire, mais il peut comprendre que le type ait fait le rapprochement, cela fait quelques années qu’on lui fait des reproches sur sa joie de vivre si bien exprimée, alors ce n’est que la suite logique de ces critiques. Il ne lui en tient pas rigueur parce qu’il n’est plus du genre à se vexer pour un rien, même s’il donne parfois l’impression inverse. Il apprend par la suite que son prénom est Mallaury. Sauf qu’Alistair a plutôt retenu la seconde partie de sa phrase où il se nomme lui-même le cinglé du balcon. Drôle de moyen pour l’aider à faire le lien, parce que même avec cette petite aide, ce n’est pas dit qu’il retienne le prénom de son camarade. Le cinglé, par contre, c’est déjà plus aisé de s’en souvenir. Il lui fait la remarque et son camarade ne bronche même pas, alors que clairement, il y a bien meilleur surnom que le cinglé. Mais soit, pour l’instant Alistair s’en tiendra à Mallaury malgré ce qu’il a pu laisser penser. Il lui révèle également son prénom, ajoutant qu’il  peut aussi l’appeler le suicidaire du balcon – même si en réalité il n’est pas vraiment volontaire pour hériter d’un tel surnom – mais son camarade va s’en tenir à Alistair. Ce qui provoquerait presque un sourire à ce dernier, puisqu’il est quelque peu lassé d’entendre Taylor le surnommer Ali à longueur de journée, si Mallaury veut utiliser son prénom en entier et pas l’affubler d’un quelconque surnom  - que ce soit Ali ou le suicidaire du balcon – ce n’est que plus apprécié. Et puis, compte tenu du caractère plutôt facile du garçon, pour ce qu’il en a vu, il n’aura qu’à le recadrer s’il se permet un peu trop de liberté. Quant au fait de garder ce petit malentendu secret, ce n’est pas encore sûr, tout dépendra de ce que Mallaury est prêt à offrir à Alistair. Ce n’est pas qu’il est vraiment intéressé à en faire son servant pour qu’il répare son erreur, mais il lui semble que son camarade a un caractère de bonne poire et, autant prouver ses dires grâce à ce petit test. Bien évidemment, il ne bronche pas, bien qu’il n’ait rien de particulier à lui proposer. Bonne poire et indécis, combo parfait pour se faire manger tout cru dans une aventure comme celle-ci.  « J’en prends note. » Il le prévient. Autant qu’il le sache dès aujourd’hui pour qu’il puisse se préparer psychologiquement, même s’il ne compte pas lui demander de se rouler dans la boue à plusieurs reprises comme il l’a demandé à Adnan. « C’est très handicapant d’être aussi gentil. » Il a failli laisser échapper stupide, mais il se doute que ça ne sera pas forcément bien vu de la part de Mallaury. Il ne lui pose pas non plus une question, c’est une information clair et net dont il se doute car si Alistair n’est pas connu pour sa gentillesse, fut un temps où il l’était, peut-être pas au même niveau que son camarade, mais il l’était. « Ça ne vous ai jamais venu à l’esprit de changer cela ? » Il demande, plus intéressé par cette réponse qu’il ne le pensait. À le voir, il a l’air pas mal coincé et mal dans sa peau – quoi qu’Alistair est mal placé pour émettre un quelconque jugement sur cela – il y a une raison quand même non ? Cela sonne comme une critique de la bouche d’Alistair, mais ça n’en est pas une. Il ajoute par la suite qu’il est un piètre négociateur. Ça, on ne s’en serait pas douté.  « En effet. J’espère que ce n’est pas votre métier. » Car sinon, les otages qui comptent sur lui pour leur survie peuvent d’ores et déjà rédiger leur lettre d’adieu. Il n’a cependant pas fait cette remarque uniquement pour enfoncer le clou quant au manque de capacité de son camarade à négocier, mais aussi pour lui demander – de façon détournée – quel métier il exerce dans la vie. Reste à savoir s’il aura compris où Alistair veut en venir, mais si ce n’est pas le cas, celui-ci arrivera quand même à survivre dans cette information capitale.