La semaine passée a été placée sous le signe de la découverte des lieux, avec une telle variété j’ai mis du temps à prendre mes marques mais je crois qu’à présent ça va mieux. Je me suis fait aux longs couleurs qui bercent la demeure et aux nombreuses pièces pas forcément toutes utiles. A défaut de servir quelque chose on peut néanmoins perdre un peu de temps à s’aventurer dans certains d’elles et c’est déjà pas mal. Dans une telle aventure, enfermés vingt-quatre heures les uns sur les autres, il y a toujours un petit moment dans la journée où, malgré tout ce que vous voudrez faire, vous vous ennuierez de pied ferme. Voilà pourquoi j’ai gardé quelques pièces à visiter sous le coude et c’est pour cette raison que je me retrouve à visiter le musée à cette heure tardive de la soirée. J’aurais pu le faire un peu plus tôt mais puisque l’insomnie me guète, j’en profite. Je me suis retrouvé face à un dilemme de choix, agir comme un petit con et me retourner dans le lit jusqu’à ce que Paloma soit réveillé par mon bordel ou alors l’abandonner pour me balader dans la maison… J’ai fait mon choix et je le regretterais presque, il n’y a vraiment rien à faire dans cette pièce pour quelqu’un qui, à mon image, n’en a strictement rien à foutre des gadgets de Cupidon.

Il est presque deux heures du matin. Le nid est plus silencieux que jamais, la plupart des candidats ayant abdiqués et sombrés dans les bras de Morphée. Mais pas lui. Ce n’est pas qu’il n’est pas fatigué – il l’est – c’est simplement qu’il ne souhaite pas s’endormir. Alors il erre sans but précis dans le nid, même s’il sait que cette nuit il n’y coupera pas et que le sommeil finira forcément par le rattraper. Il espère juste que ce soit le plus tard possible. Il passe dans un des couloirs du rez-de-chaussée quand il aperçoit de la lumière dans une des pièces. Il replace le musée à cet endroit-là. Il doute que quelqu’un soit présent ici compte tenu de l’heure, mais il prend cette lumière pour un signe. Il n’a jamais visité le musée et il s’ennuie, il n’a aucune raison pour faire demi-tour. Peut-être qu’il y aura quelque chose d’intéressant dans cette pièce, qui sait, il a cru comprendre qu’une vitrine était réservée à la divulgation d’indices. Il pousse finalement la porte, et constate qu’il s’est trompé depuis le départ, un courageux est toujours debout à cette heure-ci. « Salut. » Il dit en entrant dans la pièce pour signifier sa présence, avant de s’approcher du candidat qui, quand il découvre son visage, lui est encore inconnu. Il reporte par la suite son attention sur les vitrines et ce qui s’y trouve, puisque c’est pour cela qu’il est venu ici en premier lieu. Mais il faut admettre qu’il n’y a rien de bien intéressant. « C’est moche. » Il balance, le plus naturellement du monde, alors que ses prunelles se posent non pas sur une statue mais sur un tableau à la gloire de l’angelot, de style rococo, kitch à souhait. S’il avait su, il ne serait pas venu.  

Je ne suis pas du tout fana des musées et c’est surement dommage. Je voyage énormément, je change de ville à peu près toutes les semaines et j’ai eu de formidables occasions d’un point de vue culturel mais je n’y ai jamais prêté attention plus que cela. A quoi bon courir les musées quand l’art vous parait parfois aussi… Hors de portée ! Je crois que c’est la parfaite expression pour décrire ce que j’éprouve devant un tableau, je ne comprends pas toujours les petites formalités qui sont censées faire tilt dans la tête de chacun lorsqu’il découvre une toile pour la première fois. Je n’ai peut-être pas le sens de l’analyse, pas assez d’imagination mais j’aime l’art concret, voilà pourquoi je suis passionné de musique, que ce soit lié au chant ou à la danse. Cette pièce ne fait donc naturellement pas exception à la règle, je dirais même que ce « musée » est encore plus rasoir que ceux qu’il m’a été donné de visiter avec ma famille à quelques reprises ces dernières années. Peut-être qu’à une autre heure de la journée mon opinion changera mais je ne pense honnêtement pas que ce soit possible. La porte grince, je ne suis donc pas le dernier guignol éveillé à cette heure-là. « Salut. » La voix est assurée, très naturelle, pleine de testostérone. Je suppose donc que c’est un homme, mes yeux quittent les bibelots qui se trouvent sur le présentoir devant moi, tous à l’effigie de Cupidon qui a décidément un égo surdimensionné, pour jeter un petit coup d’œil à la personne qui vient de me rejoindre. Définitivement un homme dont j’ignore l’identité. « Hey, insomnie ? » C’est le scénario le plus probable, qui resterait debout volontairement sans aucun but précis sinon ? Il approche et s’arrête à ma gauche, il observe longuement un tableau avant de lâcher, le plus naturellement du monde. « C’est moche. » Je ricane, hochant la tête de haut en bas. « Immonde serait encore plus adapté ! » Je marque une pause pour reprendre ma respiration et à nouveau regarder le tableau. « Moi c’est Jaheim by the way ! »

Il interprète la lumière dans la pièce comme étant un signe pour lui de s’y rendre, mais grave erreur, il n’est pas seul puisqu’un courageux ne dort toujours pas à cette heure-ci. Mais qu’importe, il n’est pas forcément obligé de faire la conversation, il peut tout simplement porter son attention sur le musée, mais … force de constater que les nonante pourcents des œuvres sont absolument ignobles. Ou magnifiques et c’est lui qui a un réfractaire à la vraie beauté. Ça ne l’étonnerait pas, l’art, la beauté, c’est pas vraiment son truc, il a bien visité quelques musées – et il continue d’en visiter – mais ce n’est pas pour autant que c’est une passion. Plus un passe-temps plutôt que de rester enfermer dans une énième chambre d’hôtel à se maudire encore et encore. Il prend tout de même la peine de saluer son camarade, c’est la moindre des choses et puis ainsi, ce dernier sait qu’il n’est désormais plus seul – même s’il faudrait être sourd ou bien trop absorbé par les œuvres pour ne pas avoir entendu son arrivée. Le candidat finit par lui poser une question et il se contente de hausser les épaules avant de se décider à répondre. « On peut dire ça. » Il rétorque. Il ne s’agit pas vraiment d’insomnie, plus d’un désir volontaire de ne pas fermer l’œil, mais ça, son camarade n’a pas à le savoir. « Et toi ? » Il lui retourne la question, sait-on jamais si c’est habituel chez son camarade, et qu’il deviendra peut-être son repère en cas de nuits agitées, c’est toujours bon à savoir, s’il devient plus bavard par la suite et plus enclin à partager son ennui avec d’autres. Il ne prête pas plus longtemps attention à son camarade, ses pupilles se posent sur un tableau absolument moche, remarque qu’il ne manque pas de dire à voix haut. Il faudrait plutôt dire ‘’je n’aime pas’’ que ‘’c’est moche’’, mais soit, il a loupé certains cours de politesse. Immonde serait plus adapté selon son camarade, mais pour Alistair, c’est du pareil au même. L’autre type finit par se présenter comme étant Jaheim. « Alistair. » Il ne tarde pas à dire. Puisque son camarade s’est présenté, il suppose qu’il doit faire de même sans que Jaheim en ait pour autant émis la demande, non ? Et puis, c’est un peu le sujet de base ces deux dernières semaines, les uns se présentent aux autres, prénom, lieu d’origine, âge, tout le blabla habituel, alors il ne fait que suivre la tendance. « C’est original comme prénom, Jaheim. » Il se calque sur la prononciation de son camarade pour ne pas faire d’erreur, il n’a jamais entendu ce prénom auparavant et il espère donc qu’il ne s’est pas trompé dans la façon de le prononcer. Il a l’impression d’être Andreja, ce n’est pas une sensation très agréable. Il est tout disposé à ce que son camarade lui en dise plus sur son prénom malgré sa phrase qui ressemble plus à une réflexion à voix haute qu’à une réelle question, mais les questions, ce n’est pas vraiment sa spécialité.

Je pensais être le seul candidat encore debout à cette heure-là, la faute à un sommeil que je ne parviens pas vraiment à trouver mais je me suis vraisemblablement trompé. Un autre candidat, Alistair, est également éveillé et il vient tout juste de me rejoindre dans cette pièce un peu spéciale. Je ne suis déjà pas forcément doué pour trouver des sujets de conversation au départ alors je vous laisse imaginer à une heure aussi tardive la difficulté que j’éprouve. En parlant de la nuit, je crois bien que j’ai trouvé mon sujet de conversation, je lui demande s’il est éveillé à cause d’une quelconque insomnie, faute de trouver autre chose à dire. « On peut dire ça. » J’acquiesce d’un hochement de tête pour montrer que j’ai écouté sa réponse tout en continuant d’observer les tableaux et autres objets qui font de cet endroit un musée à l’honneur de Cupidon. « Et toi ? » Je lui ferais bien remarquer que si ce n’était pas le cas je ne me serais pas pointé ici mais ce serait un peu trop agressif et je n’ai pas envie de laisser mes nerfs parler pour moi. « Hélas oui, et le pire c’est que je suis fatigué. » Que je lui fais remarquer, je crois que c’est le pire, j’ai envie de dormir mais je n’y arrive pas… Cherchez l’erreur ! Puisque nous sommes tous les deux ici pour un petit moment j’opte pour une présentation digne de ce nom, bon, je ne lui donne que mon prénom mais bon, pas besoin de lui raconter ma vie non plus… Il risque de s’ennuyer assez vite sinon. « Alistair. » Je n’arrêterais jamais d’être surpris par l’originalité des prénoms des autres candidats. La plupart ont des prénoms qui ne courent pas les rues. « C’est original comme prénom, Jaheim. » Je souris et je quitte du regard cet horrible tableau pour me concentrer sur mon camarade. « Il parait que c’est un prénom oriental… Ma mère l’a surtout choisi parce qu’elle a lu un roman pendant sa grossesse avec un personnage qui s’appelait Jaheim… Alistair c’est très original aussi, ça vient d’où ? »