w/ palomaJe ne peux pas me contenter d'exister. Je dois vivre. Je dois commencer à vivre. Je le réalise, petit à petit. J'approche de la trentaine et j'ai l'impression d'être un tas de chair amorphe, sans but, sans passion, sans rien. Je suis dénué d'intérêt, ma vie est dénuée de sens. Je ne veux pas ''vivre'' ainsi. Je veux profiter de ce que la vie m'offre et me met à disposition. Il m'arrive parfois d'avoir ces moments inspirés, ces moments où je veux plus que ce que j'ai obtenu de la vie. Mais ces moments ne durent jamais longtemps. C'est difficile de tenir une telle promesse, de garder le cap quant à une telle envie lorsque le chemin à parcourir semble si long et sinueux. Ici, je n'ai rien de mieux à faire que d'essayer. Essayer. Il paraît que c'est toujours mieux que rien. Ainsi, je suis parti pour essayer. Pour faire quelque chose de ma vie. Pour faire bouger les choses. Pour sortir de ma petite zone de confort. Pour cela, je choisis de trouver Paloma afin de lui proposer de m'accompagner. C'est dit de manière maladroite, comme à mon habitude, mais j'ai au moins pris le risque de lui demander. Je ne sais pas si elle vient de bon cœur, mais elle vient. Elle ne doit rien avoir de mieux à faire. Je ne dis pas grand chose jusqu'à être arrivés à l'extérieur. Je m'arrête dans ma marche au niveau de la terrasse, me tourne vers la brune. "Tu préfères qu'on se balade dans la forêt ou sur la plage ou euh...?" Ou autre ? Peu importe. Ce n'est pas important. Ce qui l'est, c'est de faire quelque chose, de s'occuper. Et de vivre un petit peu.

Paloma lit. Alanguie sur les coussins, elle dévore les mots, les déguste et les savoure. Elle n'est pas très concentrée, elle préfère laisser les lettres danser devant ses yeux, venir percuter sa peau et chanter leur douce mélopée à ses oreilles. Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon pêché, mon âme Les mots résonnent au rythme de l'aventure sulfureuse et interdite de Lolita, Dolly, Dolores, Lo, Lola ou peu importe comment un narrateur éperdu d'amour et fou de désir - ou serait-ce l'inverse ? - la nomme. Paloma n'est pas fascinée par les femmes enfants, les nymphettes, c'est un personnage qui lui inspire plus d'antipathie qu'autre chose mais en dépit de tout ça, ce livre lui parle. Elle frémit, elle frissonne, elle sent une fièvre grimper en elle en même temps que celle d'Humbert l'accable. C'est la force des mots, de la poésie, de l'art. Lolita est un ouvrage terrible mais terriblement bien écrit. Les mots coulent sur la peau, attisent un incendie dans les entrailles et ne relâche jamais sa prise avant la toute dernière, le tout dernier mot, le point final. Plongée dans un livre qu'elle connait par coeur, Paloma n'a pas besoin de réfléchir ; elle en connaît des passages entiers, par coeur. Elle lit, elle vibre, mais elle n'est pas coupée du monde. Elle perçoit l'arrivée de Noah et elle pose sur lui un regard léger, aussi vif et insaisissable qu'un papillon qui l'effleurerait pour mieux s'envoler. Il s'avance vers elle et un miracle se produit. Noah, Noah qui lui paraît si timide, parfois passif, lui propose de faire quelque chose en sa compagnie. Et Lolita a beau agir sur elle comme une gourmandise littéraire, Paloma n'a pas besoin de réfléchir un quart de seconde pour se relever et le suivre, abandonnant là son ouvrage. Il ne parle pas, alors elle en fait autant. La brune n'est pas une grande bavarde, elle économise ses mots et préfère écouter ceux des autres, par envie de les comprendre, de les connaître, de mieux les aimer peut-être. Et puis, arrivés à l'extérieur, Noah s'arrête tout net et Paloma rive sur lui un regard curieux. Un sourire malin effleure ses lèvres pulpeuses et elle répond, évasive, un peu lointaine et pourtant bien présente. « Où tu veux » que fuse sa voix cendrée, conciliante. L'essentiel c'est que Noah entreprenne quelque chose qu'il lui plaise. Paloma est flattée qu'il l'ait choisie, elle, pour l'accompagner alors le reste lui importe peu. Qu'il fasse quelque chose, peu importe ce que c'est, peu importe son ressenti à elle, elle suivra. Elle pressent que ce n'est pas le lieu dont elle se rappellera mais plutôt ce qui arrivera, une fois là-bas. « Surprends-moi... » glisse-t-elle finalement, sans le quitter de ses prunelles brillantes. A vrai dire, l'objectif est déjà atteint : Noah est là, ne la fuit pas et mieux encore, a décidé qu'ils feraient quelque chose. Elle est déjà surprise.

Je ne sais pas où je veux aller. Je ne sais pas ce que je veux faire. Ce qui est agaçant, je dois l'admettre. L'envie de faire quelque chose est bien là, tout comme l'envie de se sentir vivant, de vivre, mais que faire pour cela ? Certes, avoir de la compagnie est déjà un point positif. Je crois. Je n'en sais rien et je n'ai pas envie d'y penser. Paloma ne m'aide pas tellement plus quant à l'endroit où aller. Le choix m'appartient. Elle va même jusqu'à me dire de la surprendre. Là, elle m'en demande trop, de toute évidence. Je ne suis pas imprévisible, je n'ai pas la prétention de penser l'être. "Tu m'en demandes beaucoup" je souffle en un léger sourire en coin. Je doute de réussir à la surprendre. Je ne pense pas qu'elle soit du genre facilement surprise ou impressionnable et autant dire que je n'ai pas matière à provoquer quoi que ce soit de la sorte chez elle. Je suis banal, chiant. Et je déteste ça, surtout maintenant. Puisque je n'ai aucune idée de ce qu'on pourrait faire. Je songe simplement à rester ici, à y traîner. Je n'ai pas de meilleures idées. Je suis comme un soufflé, je retombe vite. J'en soupire. "Il y a quelque chose que tu as toujours voulu faire sans avoir le temps ou les circonstances pour ?" j'ose ensuite lui demander en glissant mes mains dans les poches de mon pantalon. Je sais que l'idée devrait venir de moi, mais je ne suis pas quelqu'un de très créatif. Peut-être qu'elle parviendrait à m'aiguiller, à m'inspirer. C'est bien ce qu'elle doit réussir à faire pour certaines personnes. Je suis persuadé que si. Alors qu'elle m'inspire. Je pense que, quelque part, c'est peut-être aussi pour ça que j'ai décidé de me l'approprier. Je ne pense pas qu'elle soit du genre à couper les gens dans leur élan lorsqu'ils souhaitent faire quelque chose.

Elle répond à son sourire, par un autre. Un sourire malin, un peu amusé, une esquisse qui semble savoir un secret que Noah ignore et qu'il pourrait partager s'il s'épanouissait un peu plus sur les lèvres pulpeuses de Paloma. Et puis finalement, ça y'est. Il fleurit, s'estompe et la bouche de l'espagnole s'entrouvre pour y laisser rouler quelques mots comme des perles. « Oui, parce que je suis déjà surprise en fait » souligne-t-elle d'une voix basse, complice, alors que des yeux rieurs viennent caresser les prunelles de Noah. Il n'a rien besoin de faire pour la surprendre, c'est fait. Alors s'il ne sait pas où aller, quoi faire, elle l'aiguillera, c'est pas un souci. Paloma n'est pas compliquée, tout lui va, surtout la nature et elle sait que n'importe quelle aventure impromptue la comblera. Elle ignore s'il en sera de même mais c'est son idée alors elle le pense quand même assez ouvert. Dans l'attente, ils restent là, tous les deux, plantés sur la terrasse, sans bouger. Noah enfonce ses bras dans ses poches et Paloma coule sur sa silhouette un regard en biais, attendri. Elle ne veut pas le brusquer, c'est pas son but, alors elle reste là, petite poupée docile, à attendre qu'il esquisse quelques pas, qu'importe la direction, qu'importe qu'il ait seulement une direction, en fait. Et le moins qu'on puisse dire c'est que sa question la désarçonne. Ce genre d'interrogations impromptues, intrusives, plus profondes que les vulgaires banalités qu'on s'échange toute la journée c'est sa façon de procéder, à elle. Pour apprendre à connaître les gens qui l'entourent, pour les entendre se dévoiler et ainsi pouvoir les apprécier davantage, les aider, les comprendre. Peu importe, les sentiments qui l'assaillent dans ces moments-là sont toujours très positifs. Paloma repose ses yeux de biche sur le visage de Noah, ils coulent sur lui comme une caresse alors qu'une moue perplexe naît délicatement sur ses lèvres. La vérité, c'est qu'elle en sait rien. Elle sent bien que ça doit avoir un rapport avec leur future promenade et c'est la raison pour laquelle toutes ses réponses lui paraissent parfaitement à côté d'la plaque. Dans le doute, elle s'élance, sans réfléchir, sa voix cendrée un peu timorée par l'exercice. « Ecrire un livre, avoir un enfant... mais je doute que ça t'aide dans ton entreprise » lâche-t-elle sincèrement, un maigre sourire aux lèvres. Elle dit vrai, Paloma. Elle aimerait bien écrire un livre, une histoire sans histoire, quelque chose qui se sublime les sentiments et les ressentis plutôt que l'action, elle aimerait que ça soit joli et poétique, triste et tragique. Elle voudrait l'écrire avec son coeur, avec son âme, avec ses tripes et son sang mais doute avoir le talent et surtout l'énergie nécessaire. Quant à l'enfant... Elle a toujours voulu en avoir un. Elle aimerait un bébé, mais malheureusement c'est pas à l'ordre du jour. Antoine est mort et jamais la discussion ne s'est glissée sur ce terrain-là, ce qui fait qu'elle ignore même s'il en aurait voulu, avec elle. Après tout, il en avait déjà... Le silence les enveloppe dans une bulle de douceur et Paloma la perce en reprenant ses esprits. Elle coule délicatement son bras sous celui de Noah sans savoir si ce geste ne va pas le braquer et entreprend quelques pas. Juste pour marcher, sans destination, sans but. Elle lui laisse le cap libre. « Et toi, tu poursuis aussi un objectif inatteignable ? » C'est pas la question de Noah, c'est la sienne, une autre, un peu différente.