shortcut home
ft. Tilda & Andreja


C'était la seule pièce du nid dans laquelle il n'avait pas osé rentrer jusqu'à présent. La salle de musique. Il ne saurait pas trop dire pourquoi, c'était difficile à expliquer, mais il avait une sorte de pressentiment étrange lorsqu'il s'approchait de la porte, comme une espèce d'appréhension, presque de timidité. Et de la même façon il ne savait donc pas trop ce qui était différent aujourd'hui par rapport aux autres jours, et pourquoi il avait subitement trouvé à la fois le courage et l'envie de pousser la porte de la salle de musique et de mettre les pieds à l'intérieur. Il y régnait une ambiance étrange, pas pesante mais pas totalement légère non plus ... Du moins c'était son ressenti à lui. Ses yeux parcourant les étagères débordantes de CD, puis les instruments de musiques semblant attendre là sagement que quelqu'un les sorte de leur silence, il était resté ainsi un bon moment, debout au milieu de la pièce, sans trop savoir quoi faire. Alors qu'en réalité il savait très bien, il n'osait simplement pas. Déglutissant un instant il avait tout de même fini par se remettre en mouvement, parcourant les quelques pas qui le séparait encore du piano sur lequel ses yeux s'étaient posés. Il n'avait pas posé les doigts sur un piano depuis son départ de Bosnie, depuis même avant cela encore. Depuis leur dernière réunion de famille, quand il s'était assis côte à côte avec Ilena et qu'ils avaient joué à quatre mains sous le regard attentif des neveux et nièces encore trop petits pour aller s'amuser seuls dehors avec les autres. Lentement Andreja avait ouvert le couvercle du piano et laissé ses doigts glisser sur les touches, les notes sortant de l'instrument lui donnant presque la chair de poule. C'était comme si l'instrument l'intimidait, et pourtant il n'arrivait plus à se résoudre à s'en détacher maintenant et avait fini par s'asseoir devant le clavier, hésitant encore un instant avant de reposer les doigts sur les touches et de se laisser guider par il ne savait quel instinct. La nostalgie, probablement. Au fil des secondes et des notes il avait senti son hésitation laisser la place à une sorte d'apaisement, à tel point que lorsqu'il avait relevé les yeux vers la porte et remarqué Tilda il ne s'était pas arrêté en plein milieu. On ne coupait pas un morceau avant la fin, de toute façon, c'était comme ça. Mais puisque la jeune femme était encore là lorsqu'il avait terminé il avait relevé à nouveau les yeux vers elle « Tu te dire comment il être assez intelligent pour apprendre piano, mais pas savoir apprendre anglais, c'est ça ? » Il la faisait marcher, le sourire amusé qu'il arborait ne trompait d'ailleurs pas. Du moins il espérait qu'elle ne pensait pas vraiment cela, inutile de dire que ce serait un peu vexant, qu'elle aussi fasse partie de ceux qui le classait dans la catégorie simple d'esprit sous seul prétexte qu'il ne s'exprimait pas dans un anglais courant et donnait par conséquent l'impression de parler comme un enfant. Il en avait peut-être le phrasé mais la comparaison s'arrêtait là, qu'on soit bien clairs.

C'était une envie aussi soudaine que fugace, un besoin de poser les doigts sur ce piano qui disparaitrait aussi vite qu'il était arrivé ... pour le plus grand bien d'Andreja, sans doute. Car si la sensation était encore à cet instant apaisante il sentait au fil des notes une autre sensation beaucoup moins agréable s'insinuer dans son esprit, ses doigts, ses mouvements ; Parce que jouer sur un autre piano que celui de sa famille lui faisait un drôle d'effet. Mais pas drôle dans le sens gentiment agréable, plutôt drôle dans le sens légers relents de culpabilité mal placée. Mais il y avait encore pire affront que celui de ne pas jouer sur son piano, c'était de ne pas jouer un morceau jusqu'à la dernière note, aussi la présence soudaine de Tilda n'avait pas suffit à le faire cesser ... Il se plaisait même à penser, à tort ou à raison ça il ne saurait pas, que si elle avait poussé la porte c'était parce qu'elle avait entendu de la musique, alors s'arrêter parce qu'elle était là aurait été un non sens. Une fois le silence revenu dans la pièce en tout cas il avait lui-même pris la parole pour lui prêter une pensée qui, il l'espérait, n'était pas entièrement véridique ... L'opinion des personnes qu'il ne connaissait pas ne lui importait pas, celle des personnes qu'il prenait le temps d'apprendre à apprécier en revanche lui importait un peu plus. « Je me disais plutôt : comment fait-il pour être aussi doué et aussi sexy à la fois. » Il avait laissé échapper un léger rire, amusé par la réflexion, une de ses mains quittant provisoirement le clavier de l'instrument pour venir glisser le long du bras que Tilda avait passé autour de lui. « Ça être un secret de famille que je pas pouvoir révéler. » Qu'il lui avait alors murmuré à l'oreille sur le ton de la confidence. Penchant légèrement la tête en arrière pour la laisser reposer contre l'épaule de la jeune femme, il avait laissé sa main redescendre jusque sur les touches de l'instrument « Tu en rejoues une ? » Il avait gardé le silence un instant, ses yeux redescendant à nouveau sur le clavier comme s'il le redécouvrait pour la première fois à nouveau. Laissant son index glisser d'une touche à l'autre et faisant s'échapper du piano de fines notes semblant se suivre en ribambelle « Que je joue quoi ? Quelque chose de plus joyeux... ? Ou un berceuse. Mais j'en connaître qu'un seul ... ça être le préféré de une de mes nièces. Mais ça être mon frère, le vrai musicien de la famille, avant. » Et au fond Andreja ne s'était mis au piano que pour faire comme lui, pour faire comme Mikhaïl, pour essayer de se fabriquer des points communs avec ses frères comme il avait pris l'habitude de le faire depuis tout petit. Cela avait marché parfois, pas toujours. Pour le piano cela avait marché en tout cas, et timidement ses doigts étaient revenus glisser contre les touches pour donner vie à une mélodie plus légère, plus timide que celle entreprise lorsqu'il était encore seul dans la pièce. « Et toi ... tu chanter ? Je toujours attendre depuis le dernier fois. » Si elle pensait qu'il avait oublié. Non, Andreja n'oubliait jamais rien. Elle ne connaissait pas l'air ? Quelle importance, tout le monde était capable d'inventer un semblant de berceuse, il suffisait d'avoir un peu d'imagination ... Et Tilda ne semblait pas en manquer, habituellement, alors pourquoi cette fois-ci.

Gageons que la compétence d'Andreja à utiliser un instrument de musique, en l'occurrence le piano, ne cadrait pas vraiment avec le reste de sa personnalité. Si on ne le connaissait pas on le considérait d'abord comme une brute, la faute à son métier et sa pratique soutenue des arts martiaux, entre autres choses, et puis en apprenant à le connaître on remarquait que l'on faisait face à un pacifiste convaincu malgré tout ; On finissait par comprendre qu'il y avait chez lui plusieurs couches, qu'il n'était pas aussi prévisible et rapide à cerner qu'on le pensait au départ. Andreja avait hérité de ses frères ce côté hybride, prenant chez chacun ce qu'il admirait et essayant de se forger une propre personnalité grâce au mélange de ce qui lui plaisait et le fascinait chez ses aînés. « Ce n'est même pas un secret que tu peux révéler à ta future épouse ? » Il avait esquissé un sourire et secoué la tête à la négative, pareil à un enfant qui refuserait de faire ce qu'on lui demandait « Future non, ça être un secret que tu obtenir que après m'avoir épousé. Et avant tu devoir passer le interrogatoire de mes soeurs, mais elles pas être méchantes ... pas à chaque fois. » Il disait cela comme ça lui, loin de lui l'idée de vouloir lui faire peur, hm. En vérité il n'en savait foutrement rien, il n'avait jamais été assez sérieusement avec une femme pour aller jusqu'à la présenter à ses soeurs, ceci dit ce serait tout à fait leur genre à ces deux fouineuses. Et tandis qu'il lui demandait ce qu'elle voulait qu'il joue, puisqu'elle lui avait demandé à ce qu'il joue autre chose, elle avait répondu à sa question par une autre « Tu as combien de frères et sœurs ? » avant de tout de même lui fournir également une réponse « Joue ce qui te fait plaisir. » Laissant ses doigts glisser sur les touches de l'instrument il avait donc opté pour la berceuse, et après quelques instants avait répondu à son tour à la question de la jeune femme « Cinq. Trois grands frères et deux ... demi-soeurs. » Il avait un peu de mal à la retenir cette formulation, demi-soeur. Mais sa bourde durant son casting lui avait servi de leçon, on ne disait pas "moitié de soeur" c'était noté dans un coin de sa tête maintenant. « Et neuf nièces et neveux. Dix bientôt. » Presque une équipe de football, comme disait sa mère, d'un ton faussement innocent comme si elle attendait d'Andreja qu'il se dévoue pour le onzième. Cela en faisait du monde en tout cas pour les réunions de famille. Sans pour autant cesser de jouer le serbe avait soupiré légèrement ; Elle lui manquait affreusement, sa famille. Sans s'être arrêté de jouer il avait penché légèrement la tête sur le côté, collant sa joue contre celle de Tilda avant de lui faire remarquer d'un ton faussement innocent qu'il attendait toujours de l'entendre chanter, puisqu'elle l'avait suggéré la semaine précédente « Non tu ne veux pas entendre ça. » Oh mais au contraire, elle avait titillé sa curiosité la semaine précédente, qu'elle le veuille ou non. « Hm si, je croire que oui. » Non mais, elle espérait vraiment s'en sortir si facilement ? Chez Andreja rien ne tombait jamais dans l'oreille d'un sourd. « Tu l'auras voulu, tu viendras pas te plaindre après. » Oh ça, aucun risque. Il était bien trop fier d'avoir réussi à la faire céder. «  Alla mattina appena alzata …. » Cela aurait tout aussi bien pu être du chinois pour lui, il ne parlait pas un traître mot d'italien, mais malgré tout cela restait joli à écouter. Joli et apaisant, tout ce qu'on demandait à une berceuse en somme. « Je t'engager pour venir me chanter des berceuses le soir, tu crois Lou être d'accord pour te partager ? » Il disait cela mais si ça se trouve Pua ne serait pas d'accord non plus ... Enfin, il était persuadé que tant qu'elle pourrait le conserver comme doudou personnel elle ne dirait rien. Il avait continué de jouer, lentement, s'arrêtant sans rien dire de plus, attendant de Tilda qu'elle brise le silence la première. Il lui trouvait un goût particulier, au silence qui suivait un morceau de musique.