Mes coudes se posent sur la rambarde du balcon et j’observe. Le paysage. L’infini. L’Australie est tellement différente de là où je viens. Il y a des éléments clés que je peux retrouver sans peine. Le sable chaud, l’eau, le soleil, mais au milieu de cette étendue vide de monde, il y a une déficience au niveau de l’animation dont je suis coutumier. Où sont les accros à la gonflette de Venice qui font des tractions sur la plage ? Et les filles ? Ce sont surtout elles qui me manquent, leurs postérieurs se balançant au gré de leurs pas. Des bikinis, des bracelets clinquants à ses poignets. Dans le nid, elles sont différentes. Elles ne possèdent pas la légèreté qui me m’amuse et m’empêche de trop réfléchir. Je ne suis pas un obsédé selon elles, comme j’ai pu l’entendre à plusieurs reprises dans une chronique du prime. Je ne suis pas non plus vulgaire, je suis simplement drôle. Mais j’imagine que c’est peut-être parce qu’elles sont un peu connes qu’elles pensent ainsi. Trop simples, pas encore assez expérimentées pour flairer l’arnaque qui pue à plein nez que mes compliments et sarcasmes sous-entendent. Ca ne me dérange pas. Je pars du principe qu’on ne peut pas avoir une plastique de rêve et le cerveau qui va avec. C’est comme les autres teubés du nid dont toute la cervelle est passée dans leurs pectoraux. Ici, on ne flatte pas mon égo comme j’en ai l’habitude. Normalement je suis un roi, mais on m’a abandonné le rôle du méchant du conte. On en parle, certes, mais j’ai perdu toute ma domination légendaire. C’est chiant. Je contemple la vue, même s’il n’y a rien d’intéressant à mater en dehors de quelques arbres qui se battent en duel, quand j’entends des pas dans mon dos. Je tourne la tête, remarque Mallaury et reviens à ma contemplation. Je n’ai pas grand-chose à lui dire et je ne suis pas réputé pour faire des efforts quand je n’ai rien à y gagner. Pas de paires de seins à séduire, ça le range tout de suite dans la catégorie des insipides. Je peux éventuellement faire des efforts pour un type comme Percy dont la conversation m’anime puisqu’on a quelques points d’intérêts similaires permettant d’ouvrir le débat, mais les autres j’ai du mal. Il me parle, j’hoche la tête légèrement sans vraiment lui offrir toutes mon attention. Je lui prête une oreille. Une seule afin de lui donner la chance de me capter. Et c’est qu’il y arrive, le gueux. Il me qualifie d’impressionnant, ce qui me tire aussitôt un sourire plus que réjoui par cette nouvelle. « Vraiment ? » je demande, cherchant presque à l’entendre réitérer, vantant mes qualités. Je pivote légèrement pour planter mes yeux sur mon voisin, qui lui ne quitte pas du regard ses mains. Mallaury en revanche, on ne peut pas dire qu’il le soit. Il a le charisme d’un mollusque. Ça ne tient pas à grand-chose pourtant. Un peu plus d’assurance et il ferait craquer toutes les filles du coin. Elles fantasment sur les badass dans mon genre, mais ceux qui concluent pour de vrai sont toujours les gentils garçons. A chaque fois que je le regarde, j’ai envie de le secouer pour le mettre face à sa situation que j’imagine catastrophique. « Je peux te poser une question ? » je demande l’autorisation, sans vraiment la demander parce que j’enchaîne aussitôt sur l’interrogation qui me brûle les lèvres. « Qu’est-ce que tu fous là ? Tu ne ressembles en rien au genre de types qui font de la télé-réalité. » je lance dans un froncement de sourcils. « Alors c’est quoi ? Le syndrome de George Orwell ? Tu cherches la rédemption ? » Enfermé au purgatoire de la vie, coincé entre la douloureuse réalité et le monde des faux-semblants où tout est beau.

Il confirme ses précédentes paroles me disant impressionnant, je savoure. Je pince les lèvres d’un air amusé, redressant le buste comme si je voulais répondre à l’image qu’il se fait de moi.  Sauf que je n’en ai pas besoin, là est tout mon talent. Même avachit et recroquevillé sur moi-même je garde ma prestance, parce que ce n’est non pas une question de posture, mais plutôt d’attitude. Le problème de Mallaury, c’est qu’il ne l’a pas. Ses yeux restent posés sur ses mains sans oser se relever dans ma direction. Je pensais avoir déjà tout vu en matière de joueurs catastrophiques avec Adnan qui est dénué de tout esprit stratégique, mais l’irlandais n’est pas non plus mal dans son genre. Me flatter c’est une très mauvaise idée s’il ne veut pas que je m’emballe et profite de savoir que d’une certaine manière je l’impressionne. Qu’est-ce qu’il fait ici au juste ?  C’est une question qui me taraude l’esprit à propos de chacun de mes camarades. Pas nécessairement parce qu’ils n’ont pas leur place dans le nid comme il semble me le demander, mais parce que ça ne colle pas. Je suis ici pour me montrer, jouer, acquérir une certaine notoriété à l’extérieur, mais Mallaury ce n’est pas le genre de types qui recherchent toutes ces choses. J’ai des doutes à propos de sa légitimité dans le programme en effet, mais je ne suis pas sûr d’avoir le droit d’apposer un jugement aussi rapidement. J’observe beaucoup. Je réfléchis et même si parfois je peux sembler spontané dans mes paroles, tout est rudement calculé au préalable. « Je ne te connais pas. » je laisse entendre dans un haussement d’épaules. Il peut très bien avoir une personnalité frôlant l’inutilité à mes yeux, mais cacher son jeu. Mallaury, si ça se trouve c’est un dingue dans sa tête. Son secret lui vaut peut-être sa place dans le nid, comme à mes yeux son passé dans la pornographie a fonctionnée pour Paloma ou son physique télévisuellement attractif pour Andreja. « Tu ne prends pas en considération le lieu. » je déclare en essayant de trouver la raison qui fait qu’il n’est pas à sa place. C’est plus compliqué à débusquer qu’il n’y parait, la télé-réalité n’est pas une science exacte. « Tu restes dans la modération, sans tomber dans tes travers. » Et qu’il ne s’emballe pas en croyant y voir un compliment, ce n’est pas le cas. Pas ici. Il faut être des clichés de soi-même et accentuer sa personnalité pour correspondre au programme de divertissement dans lequel nous nous trouvons. « On est les bouffons du XXIe siècle, tu dois distraire, donner. Du sexe, de la connerie, de la méchanceté… » je poursuis en fronçant légèrement les sourcils en même temps que je réfléchis à la question. « Leur genre, c’est d’être un stéréotype. »je conclue enfin. Comme dans les films ou les séries télévisées. Je reviens souvent là-dessus dans mes interviews quand il s’agit de parler de mes camarades. Je considère que les candidats dont on se souvient le plus sont ceux ayant une personnalité remarquable. « Je ne sais pas pourquoi tu as passé le casting… » Un besoin d’argent peut-être ? Une façon de se prouver quelque chose ? « Mais pendant que tu te confonds dans l’insipidité, les autres n’attendent pas. » Ca se dragouille, ça baise dans tous les coins, ça fait le buzz… Pour le moment, Mallaury c’est un figurant dans toute cette comédie. J’hausse les épaules, reposant mes coudes sur la rambarde pour observer le paysage. J’énonce ce qui m’apparait comme une réalité, je n’ai rien contre lui. Je le trouve même moins bête que beaucoup, ce qui est appréciable. Parce que ce qui est pire à mes yeux que de posséder un faible intérêt général, c’est de se faire aspirer par le système sans en avoir conscience.

Mallaury clame que ce n’est pas lui dans une défense qui vient du cœur au cas où je pourrais douter. Sauf que non, ça n’a rien de bien surprenant que de découvrir qu’il n’est pas un bouffon, ni méchant et encore moins un personnage au fort potentiel sexuel. Il suffit de jeter un vague coup d’œil dans sa direction pour le comprendre. Je me demande bien, si ce n’est pour ces raisons, ce qu’il croit avoir signé pour. Il n’y a pas encore de clause en petit caractères à la fin du contrat nous disant de nous comporter comme des teubés réduits à leurs plus bas instincts, mais c’est presque tout comme. Disons que ces conditions du pacte sont sous-entendues et suggérées sans jamais être énoncées clairement. Sinon nous serions les traînées du programme, vendant notre cul pour le programme. Des Paloma en puissance qui offrent leur image dans pareilles situations afin de satisfaire le téléspectateur. Mais pourquoi alors ? Nous voir évoluer bien gentiment dans le nid, perdu au milieu de l’Australie n’a aucun sens. Qu’est-ce qu’on s’en fout de nous voir lire des bouquins dans la bibliothèque ou cuire des œufs au plat. Le Dieu du montage télévisuel permet d’éluder ces scènes de la vie quotidienne sans le moindre intérêt et quelque chose me dit que l’irlandais a dû être coupé plus d’une fois. C’est bien beau de se montrer comme mignon et gentil, mais si au final personne ne le sait jamais, où en est l’intérêt ? Il se retrouvera tout autant dans le même panier que nous autres, même s’il se sera comporté de bout en bout comme un grand prince généreux et intègre. « Ce n’est pas évident ? » je demande dans un ricanement quand il me demande si je me figure une personne précise à propos du problème des stéréotypes qui nous collent à la peau. Il y a Aaron le lapin Duracell qui s’enfile tout ce qui bouge sans compter, Eryk le demeuré souffrant d’un syndrome de Peter Pan à retardement ou encore Ghika le meilleur ami homosexuel qui ne conclue jamais, mais qui est simplement là pour inspirer quelques bons sentiments gay-friendly au public. Je ne dis rien, ne dévoilant aucun nom parce que je suis suffisamment peu apprécié dans le nid comme ça. Ce n’est pourtant pas faute pourtant d’essayer de les embobiner avec de jolis sourires. Mais on finit tous comme des clichés à l’extérieur, parce que c’est le principe de l’émission de se poser comme un divertissement avec ses personnages aux mœurs différents. J’imagine que je dois être considéré comme le méchant. Le truand. Mallaury est le bon. Le blond. Et enfin, je crois que Percy fait une excellente brute si l’on devait conclure ce tableau de Sergio Leone, servant ses propres intérêts sans pression. Il poursuit, fonçant droit dans le panneau de la dignité comme si quelqu’un en avait quelque chose à faire de son intégrité. Je pourrais presque rouler des billes à la manière de Clémentine quand elle veut me montrer que j’ai tord ou que je l’agace. Ici, c’est un la majesté des mouches. On s’est détaché d’une société pour en construire une nouvelle, qui dénuée d’obligations définies tels que le travail ou les mœurs, ne peut pas se terminer positivement. Forcément, à partir du moment où on s’élimine les uns après les autres, balançant des noms pour les guider à la potence, on n’est plus vraiment dans un cadre idéal. « T’es un Simon en fait. » La sagesse, la gentillesse, la justice insérées par Golding dans un petit britannique. « T’as quand même conscience qu’à la fin tu crèves ? » je souffle sans expliciter ma référence littéraire, ayant toujours apprécié me positionner comme celui qui sait tout, qui comprend tout. On dévie sur ma petite personne. L’omniscience du nid au cas où ce ne serait pas évident, qui reste persuadé qu’il a tout compris au système depuis qu’il a lu du George Orwell en cours de littérature au lycée. « Moi aussi je suis une distraction, mais je l’accepte. Et je le sais, ce qui fait toute la différence. » Je joue, j’accentue mon rôle parce que j’ai besoin de notoriété. C’est mon carburant dans la vie, ce qui m’a permis de gagner de l’argent honnêtement pour la première fois, même si la manière énerve. C’est elle qui m’a fait sortir de prison et la même qui m’a permis de lancer mon label de musique et même d’être là tout de suite à côté de lui entant que candidat de Fake Lover.