ft. Evan

C'est bientôt l'heure de l'annonce des nominés. Je vois bien comme ça se regarde en coin de partout, comme si chacun essayait de deviner qui est-ce que chacun avait décidé de mettre sur la sellette. Mais ils font tout ça l'air de rien, bien sûr, le sourire aux lèvres, vaquant à leurs occupations habituelles, et quelque part, je commence à ressentir l'hypocrisie de tout ça, on dirait qu'elle me colle à la peau comme la sueur putride de quelqu'un s'étant collé contre moi. C'est ça, de se sentir sale, alors même qu'on sort de la douche. J'essaye de ne pas penser à toutes ces choses-là. J'essaye, mais je dois dire que je ne suis pas non plus archi rassurée par tout ça. Pas seulement la sueur putride, non, aussi par les nominations. Du coup, j'essaye de me changer les idées comme je peux. En pensant à celles des autres, par exemple. On a deux personnes qui me sont chères cette semaine qui risquent de partir. Je pense à eux en m'habillant, le plus simplement du monde : en jean débardeur. Du coup, quand j'ai fini, je me mets à fouiller un peu partout un feutre, et au final je finis par en trouver un dans la chambre. Je me redirige vers le dressing, pour pouvoir faire face à un miroir plein pied, et quand je comprends que la tâche à laquelle je songe me prêter va être ardue, surtout pour une partie, j'hésite, je reste bloquée là un bon instant. Une silhouette passe derrière moi, silhouette que je reconnais immédiatement. « Evan ! » Je cours presque, pour le rattraper par le bras. « Je vais avoir besoin de toi. Je comptais me faire des petits bonhommes façon maternelle sur les bras, t'sais, un garçon d'un côté, une fille de l'autre, et tout, mais je crois que si je le fais toute seule ce sera carrément du niveau néonatal... Je sais même pas si ça veut dire quelque chose ce que je raconte. Tiens, c'est drôle, justement, que ce soit toi qui soit passé par là. » Ok, le stress courait peut-être plus encore dans mes veines que ce que je pensais.

L'heure des nominations, enfin des résultats des nominations arrivait à grand pas, et ça se sentait. On pouvait percevoir l'angoisse poindre dans le regard de la majorité des candidats. Quant à moi, j'étais déjà nominé alors ces résultats me laissaient indifférents, enfin plus ou moins. C'était ça, ou bien stresser à mort et ruminer comme un débile au fond de mon pieu. Le choix a été rapidement fait, d'autant que stresser aurait sans doute pu laisser penser que j'en voulais à Adie, alors que non, bien au contraire. On subissait le hasard malheureux, tout comme la cruauté apparente de Cupidon, et bien, il nous restait à profiter de l'aventure, à voir où tout ceci nous menait. Ce qui me faisait le plus peur s'était la séparation, mais là encore, le pouvoir ne m'appartenait plus du tout. Au lieu de penser à toutes les issues possible, j'préfère passer le temps utilement, en triant mes photos sauf que je n'arrive pas à mettre la main dessus. Putain, il est où ce con ? Si quelqu'un me l'a planqué, volé, ou brisé, je le tue, oh ça oui. Alors, j'cherche partout, mais vraiment partout. J'passe dans le dressing mais ne vois pas Sive, jusqu'à ce qu'elle m'interpelle. Je me stoppe dans ma recherche effrénée. « Des bonhommes ? D'accord, j'peux faire ça. Attends, si j'crois que ça a du sens. J'peux te dessiner sur les bras, j'crois. Mais attends, pourquoi c'est drôle que ce soit moi ? Oh tiens pendant que j'y pense, t'as pas vu mon appareil ? Ah non c'est bon, il est là. » Juste derrière elle, alors que j'débite tout ça à une allure folle. Si bien que je me mets à rire. J'attrape mon joli bébé, agrandi la bandoulière pour le passer autour de mon cou, enfin si on veut puisque l'objectif tape sur ma hanche, bon ça c'est fait. « Tu veux quoi comme dessin ? Plutôt basique, genre les bonhommes dessinés sur la porte des toilettes avec une jupe pour la fille et des jambes pour le garçon ? Ou totalement autre chose, je t'écoute. » Je lui choppe le feutre qu'elle a entre les doigts, prêt à dégainer.

Wow, j'ai dû interrompre le garçon dans un truc dans lequel il était vraiment à fond, parce que sitôt il ouvre la bouche, je capte qu'il y a quelque chose qui va pas. Il ne bafouille pas, mais le tout est assez incohérent, comme s'il formulait directement les pensées s'entrechoquant dans son cerveau, sans bien y réfléchir, et d'ailleurs, c'est sûrement le cas. Quand ce flot de paroles prend fin et que sa main agrippe un appareil traînant là, je comprends enfin ce qui l'agitait tellement. « P'tite tête ! » Je me marre doucement, toujours pas remise de l'agitation dont il a fait preuve. Pour une fois que ce n'est pas moi, le cyclone... D'ailleurs, ça le fait marrer aussi, et peu à peu, il retrouve un peu de calme, et quand il se remet à parler, cette fois, je comprends tout, et je sais directement où il veut en venir. « C'est drôle parce que c'est Adie et toi que je veux sur les bras. » Je désigne le haut de mes bras en faisant des cercles du bout du doigt pour les endroits où je m'attends à les voir atterrir. « Jusque-là je comptais uniquement sur mes talents de dessinatrice, donc j'optais pour des silhouettes façon porte de toilettes, je t'avouerai. Mais si tu te sens l'âme d'un artiste et que t'as envie d'y dresser des portraits géants... » Je ne pourrai qu'en être heureuse ! En plus je commençais en ce moment à étudier l'idée d'un tatouage. Bon, j'me graveraii certainement pas l'une de leurs deux têtes sur le corps, mais je pourrai voir si je tolérais la chose ou non, question esthétique.

Oh merde, l'heure est grave, y'a de la cervelle de Jamouche qui dû entrer par mon oreille, se mêlant avec la mienne parce que ce que j'viens de sortir ressemble étrangement au monologue qu'il m'a fait. Merde, qu'est-ce qu'il m'arrive là ? C'est la perte de mon appareil qui m'est monté au cerveau j'pense. Heureusement que je l'ai trouvé. D'ailleurs, Sive n'hésite pas à se moquer. J'joue à l'outré, ça j'sais faire, et bien à ce qu'il parait. « Mais non, j'savais qu'il était là ! » Ceci dit si je chope le malheureux qui me l'a mis là, je le tue, je le zigouille, bref il est mort. Bon j'arrête de glousser et je l'écoute, oh tiens c'est ma tête et celle d'Adie qu'elle veut sur ses bras. D'accord, c'est jouable. D'ailleurs je lui propose ce qu'elle veut comme image. « J'suis un artiste mademoiselle, tu vas voir ce que tu vas voir... J'vais déjà essayer de ne pas te louper » Je débouche le feutre et commence à dessiner les contours de ce qui sera le futur visage de ma partenaire. Bon maintenant on se concentre Evan et on essaye de faire des petites merveilles, allez mec. Tu peux le faire. Ouais, elle m'a mis une sacrée pression sur les épaules. D'ailleurs, c'est sympa, cet exercice ça m'évite de penser, mais du tout j'suis silencieux, super silencieux, un peu trop à mon goût, parce que j'ai déjà terminé de dessiner Adie que je n'ai toujours pas ouvert la bouche. Ce n'est pas que je n'ai pas envie, juste que j'suis quelque peu nerveux. « Est-ce que ça te convient ? » Je lui demande, une fois mon petit chef d'oeuvre terminé, tout en esquissant un mini sourire.