burning both sides of the rope
ft. Pia & Andreja

Il était épuisé. Ou peut-être pas tout à fait, mais son état se rapprochait lentement mais sûrement d'un début d'épuisement, et il savait que ce n'était pas la bonne solution à son problème puisque plus il serait fatigué plus il risquait à un moment ou un autre de tomber comme une masse, et plus alors il risquait de réitérer la mésaventure qu'il avait fait vivre à Lou la semaine précédente. Et ce n'était simplement pas envisageable, pas avec Akela qui scrutait leurs faits et gestes et ne manquerait pas de lui tailler une image de sociopathe ... Peut-être même qu'il réussirait à le faire virer. Et puis il avait l'impression que Lou avait débloqué un truc sans le savoir, en le mettant dans cette situation, un truc mauvais ... et qui en ferait les frais la première ? La personne qui dormait à côté de lui, probablement. Pas étonnant donc qu'il ait du mal à trouver le sommeil, et pas étonnant non plus du coup qu'il soit si fatigué puisqu'il allait se coucher bien après elle et se levait bien avant elle. On pourrait presque penser qu'il essayait d'éviter autre chose, et ce ne serait peut-être pas entièrement faux ... mais pas entièrement vrai non plus. Il n'évitait pas Pia, la journée du moins les choses étaient toujours les mêmes, mais la nuit en revanche il se montrait résolument distant, se contentant de son côté du lit et se forçant à garder les yeux grands ouverts aussi longtemps que son organisme le lui permettait avant que le sommeil ne prenne le dessus. Et voilà comment il se retrouvait là, sur la terrasse alors qu'il était minuit passé, assis sur un des transats, à attendre que ses yeux commencent vraiment à piquer pour se décider à monter se coucher. Au cendrier posé à côté de lui on pouvait constater qu'il avait plus fumée en une soirée qu'en une semaine ... Emil avait raison, vraiment, quand il lui disait que ce jeu n'améliorait pas sa consommation de tabac. Il faudrait qu'il se calme en sortant d'ici. Parce qu'il commençait à avoir froid il avait frotté ses mains contre ses épaules un moment avant de s'allumer la dernière cigarette de son paquet, jouant un instant avec son zippo en observant les initiales cyrilliques gravées dessus. Il n'avait relevé les yeux qu'en remarquant une silhouette en face de lui, et réalisé avec étonnement qu'il s'agissait de Pia « Tu dors pas ? » Il aurait pourtant juré l'avoir aperçu prendre les escaliers une heure ou deux avant, et en avait conclu qu'elle était montée se coucher. Repliant ses jambes contre lui pour lui laisser de la place sur le devant du transat il avait coincé sa cigarette entre ses lèvres en marmonnant sur le ton du reproche « Tu être malade comme ça. » en référence à ses bras nus et à la température encore fraiche qu'il pouvait faire une fois la nuit totalement tombée. Machinalement il s'était rapproché d'elle et avait passé ses mains contre les bras de la jeune femme pour la réchauffer un peu, sans plus rien dire d'autre, la regardant sans vraiment la regarder.

Elle avait pris l'habitude, maintenant. D'arriver dans le lit vide, d'attendre à côté de la place vide et de finir par se faire arracher à sa contemplation laconique des étoiles par Morphée venu lui tenir compagnie à défaut que ce ne soit lui qui le fasse comme ça devrait être le cas. Sourire de plastique sur son visage figé qu'elle arrive à garder toute la journée parce qu'elle est bien obligée, de toute façon. Rien ne l'autorise à se répandre en lamentations. De jour, ils ne s'évitent pas. De jour c'est comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, et c'est le cas non ? Quand le soleil est là c'est comme si de rien n'était, mais c'est la nuit qui hisse entre eux un mur infranchissable, comme la distance qui les sépare religieusement dans leur lit commun, aussi éloignés l'un de l'autre qu'ils le peuvent comme si ils avaient peur d'eux-même. Pour ne pas tarder à sombrer lorsqu'elle se couche elle s'épuise la journée dans des activités physiques comme jamais elle n'en a fait auparavant. Tout à l'heure elle a été noyer ses pensées noires dans l'eau de la piscine, le genre d'activité qui ne vous laissent pas le temps de penser et qui vous mettent une claque suffisant pour dormir douze heure d'affilé. Du moins elle croyait. Mais il est minuit maintenant, et cela fait une heure qu'elle attend que ce con de marchand de sable vienne lui en jeter plein les yeux histoire de débrancher tout, de faire illusion l'espace de quelques heures. Elle ne supporte plus la nuit. La lumière des fausses étoiles lui file le mal de crâne. Elle s'arrache aux draps et rejette la couette avec lassitude avant de se lever. Il faut qu'elle se trouve une activité parce que si elle ne s'active pas elle risque de penser et penser c'est douloureux. Quand elle pense Pia elle se repasse la scène en boucle et tout se déforme pour ne plus former qu'un amas de reproches qui lui embourbent l'esprit comme une marée noire. Elle arpente la maison silencieuse, laissant ses pas la guider sans réfléchir à où aller puisqu'il n'y a pas de but, pas de destination sinon user le sol sous ses talons. Elle pousse la porte du jardin parce que celle-ci est devant elle et qu'il ne lui en faut pas plus actuellement pour appuyer sur la poignée. Le vent frais lui mord les bras et la fait frissonner. Elle distingue une silhouette assise sur un transat, insomniaque comme elle. En s'approchant d'avantage elle aperçoit son visage et le reconnaît. Et c'est presque idiot de le dire mais elle hésite à s'en aller. « Tu dors pas ? ». Elle secoue la tête, décontenancée. « Pas fatiguée. ». C'est faux, à en juger les valises qu'elle se traîne sous les yeux. Mais elle ne sait pas quoi dire d'autre. Machinalement elle vient s’asseoir à côté de lui sur le transat, son regard s'égarant partout sauf sur son visage. Elle hausse les épaules lorsqu'il lui dit qu'elle va être malade. Le contact de son bras autour de ses épaules la mord presque autant que le froid et c'est dur parce qu'il y a quelques jour ça n'aurait jamais été le cas. « C'est drôle. ». Elle lâche au moment où elle se fait cette réflexion, sans savoir si elle parle pour elle ou pour eux. Ce n'est pas drôle non, et d'ailleurs il n'y a que la lune qui sourit de son demi croissant figé.

La situation était un peu compliquée, en fin de compte. Il n'était pas mécontent que Pia se trouve là puisqu'il ne cherchait pas spécialement à l'éviter, pourtant il ne pensait pas se tromper en pensant qu'elle n'avait que moyennement envie de rester. Est-ce qu'elle lui en voulait ? Est-ce que c'était parce qu'il la laissait ainsi de côté à la nuit tombée, ou bien est-ce que c'était plutôt parce qu'il n'avait plus refait référence au baiser de samedi dernier ? Il ne savait même pas quoi en dire, il n'avait pas vraiment réfléchi à ce qu'il faisait et après s'être rendormi et les jours passants il se demandait parfois si ce baiser avait vraiment eu lieu et si il ne l'avait pas simplement rêvé. Et puis un baiser, en soit, cela ne voulait pas dire grand-chose, cela avait l'importance que l'on voulait bien lui donner ... Le souci était peut-être justement qu'il ne savait pas quelle importance il voulait y donner, et il ne risquait pas de trouver de réponse à cette question en continuant de faire l'autruche de cette façon. Mais il avait trop de choses dans l'esprit actuellement, et pas vraiment envie d'aggraver son cas ... Raison pour laquelle il était là tout seul, à lutter contre le sommeil avec plus de difficultés que les jours précédents. A la différence aussi que les autres soirs il montait pour trouver Pia endormie sur son côté du lit, et se glissait de son propre côté avec à la fois l'appréhension de ce que pourrait être son sommeil, et la quiétude de retrouver la présence de la jeune femme à côté de lui bien qu'il fasse son possible pour ne plus dépasser de son côté du lit. Ce soir ce n'était pas lui qui montait la rejoindre mais elle qui descendait à sa rencontre, volontairement ou non ça il n'en savait rien, mais à en juger par son expression il était tenté de dire que non. « Pas fatiguée. » avait-il simplement justifié lorsqu'il lui avait fait remarquer le fait qu'elle ne dormait pas encore, et s'il avait automatiquement fait de la place sur le transat pour qu'elle s'y installe également il s'attendait presque à ce qu'elle passe son tour. Il aurait probablement été un peu blessé qu'elle le fasse, à vrai dire, mais finalement elle s'était assise devant lui, ne répondant cependant rien lorsqu'il lui avait fait remarquer qu'à être si peu vêtue à cette heure-ci elle allait se choper la crève. Ses mains pourtant continuaient de glisser contre la peau de la jeune femme, jusqu'à ce qu'elle ne lance « C'est drôle. » sans vraiment le regarder, sans qu'il ne sache trop à quoi elle faisait référence. Immobilisant finalement ses mains sur les épaules de Pia il avait froncé les sourcils et demandé « Drôle ? » Il ne voyait pas trop où elle voulait en venir, mais après tout peut-être avait-elle simplement pensé à voix haute ... ? Lui ne trouvait pas que la situation entre eux soit drôle en tout cas, si c'était à cela qu'elle faisait référence. Il ne la trouvait même pas plaisante, mais après tout il manquait aussi de sommeil, tout finissait donc par le contrarier. Écrasant dans le cendrier posé à côté de lui la cigarette qui terminait de se consumer entre ses lèvres, il avait décroisé ses jambes et s'était rapproché de Pia, passant ses bras autour d'elle et posant son menton contre son épaule « Ça pas être à cause de toi, tu sais. » Il avait murmuré cela à son oreille, n'y tenant plus et se disant qu'elle comprendrait bien ce à quoi il faisait référence. Ce n'était pas de sa faute à elle, s'il désertait leur lit autant qu'il lui était possible sans que le sommeil ne prenne la main sur lui. « Je pas dormir très bien, c'est tout. » Hésitant un instant, il avait pourtant fini par resserrer ses bras autour d'elle et par déposer une baiser sur son épaule, comme ça, sans raison. Juste pour essayer de la persuader de ce qu'il venait de dire, que son sommeil partait peut-être en cacahuète et que c'était peut-être un peu lâche de sa part de faire comme si de rien n'était concernant le fait qu'il l'avait embrassée, mais que cela ne changeait rien au fait qu'elle restait sa Pia.

Elle n'hésite qu'une fraction de seconde à venir s’asseoir lorsqu'il se décale pour lui faire de la place parce que la situation n'est pas désespérée à ce point là, et heureusement d'ailleurs parce qu'il y a longtemps que son sourire aurait fondu comme de la cire sous la flamme d'une bougie si ça avait été le cas. Aucun éclat, pas de paroles maladroites qui s'échangeaient, c'était seulement cette ignorance du soir qui la remuait, sa solitude sous les draps à l'heure où elle n'aurait pas dû l'être justement. Elle examine ses doigts comme si c'était la chose la plus intéressante à faire en cet instant alors qu'elle sent ses bras courir sur ses épaules et que des milliers de questions se pressent à ses lèvres qui restent inhabituellement closes pourtant. Elle le sent perplexe face à sa réflexion formulée à voix haute. « Ouais. J'aurai pas cru que.. Enfin. ». Ses pensées franchissent la barrière de sa bouche sans trouver de sens une fois à l'air libre. Sans doute qu'il ne comprend rien, parce qu'elle même ne comprend pas. Ses phrases commencent mais ne se terminent pas, comme quand ses réflexions se bousculent et qu'elle ne s'y retrouve pas, étouffé par le flot de songes et de divigation continus. Pia se mord la lèvre pour empêcher d'autres mots-creux d'y naître. Elle pousse un soupir lorsqu'il pose son menton sur son épaule sans savoir comment l'interpréter. Elle se perd entre sa propre fatigue et les sentiments qu'elle a bouclé dans un coin et qui commencent à défoncer les barreaux de leur cellule, trop habitués à leur liberté. Sa tête balance lorsqu'il lui souffle à l'oreille que ce n'est pas à cause d'elle. « Sans doute un peu quand même.. ». Son regard vient s'égarer sur les étoiles qui les regardent du haut de leur ciel, elle s'attarde à les compter pour se donner une quelconque contenance. Peut-être que ce n'est pas entièrement sa faute. Peut-être que ses cauchemars sont du genre persistants, qu'ils s'accrochent à lui depuis samedi soir. Possible que ses troubles le poursuivent aussi de jour, sous forme de partenaire à la chevelure rousse, et que c'est pour ça qu'il érige un mur tacite dans leur lit chaque soir. Il lui dit qu'il dort mal, que le sommeil ne parvient pas à le gagner. A la lutte contre le marchand de sable il parvient très bien à triompher. Sa peau frissonne sous le contact de ses lèvres mais elle ne se risque toujours pas à croiser son regard, par peur sans savoir de quoi. « J'veux pas être un problème pour toi. ». Ses mots sonnent mal, tombent comme des pierres au milieu d'une mare. Ses pensées satisfaites d'avoir levé la censure, alors qu'elle lisse sa chemise du bout des doigts pour se concentrer sur tout sauf sa propre voix. Pas un de plus, tu vois. « Du coup, j'peux dormir dehors si tu veux. Par contre faudra que tu me laisse la couette, tu te contenteras des draps.. ». Elle lâche, dans une tentative veine d'humour qu'elle accompagne d'un sourire qui lui laisse un goût amer sur la langue. A son odeur de cigarette se mêle son parfum qu'elle n'a pas eu l'occasion de sentir beaucoup cette semaine. Elle inspire doucement. La bouffée d'air que tu prends après avoir gardé la tête sous l'eau longtemps.

Elle restait un peu un mystère aux yeux d'Andreja, Pia. Et cela n'avait pourtant rien à voir avec son secret, puisqu'il n'avait pas à se poser de questions à ce sujet, c'était simplement une impression irrationnelle et difficile à expliquer ... Elle l'intriguait parce que sans le vouloir et peut-être même sans en avoir conscience elle avait réussi à installer chez Andreja un sentiment de confiance exacerbé, dans la mesure où ils ne se connaissaient tout de même que depuis un mois seulement. Le fait qu'elle connaisse son secret y était sans doute pour quelque chose mais cela n'expliquait pas tout, cela n'expliquait pas qu'il n'ait eu aucun mal à se faire au fait de partager son lit avec une inconnue et à dormir comme un bébé à ses côtés ... Du moins jusqu'au week-end précédent. Maintenant c'était comme si la parenthèse enchantée s'était terminée et il se sentait terriblement frustré, parce qu'il aurait souhaité retrouver cette impression des trois premières semaines ... Cette sensation de quiétude, de tranquillité, c'était ce qu'il retenait pour l'instant de sa présence dans le nid, mais tout était un peu entaché par ce qui lui parasitait le cerveau depuis plusieurs jours, y compris la relation qu'il entretenait avec sa partenaire. Elle n'avait pas bronché pourtant, lorsqu'il avait fait de la place pour qu'elle vienne le rejoindre, et s'était assise sans faire d'histoires, titillant pourtant la curiosité du serbe lorsqu'elle avait marmonné que c'était drôle. Et parce qu'il ne savait pas trop si c'était son manque de vocabulaire qui l'empêchait de comprendre le sens de la phrase, Andreja s'était vu demander des précisions. « Ouais. J'aurai pas cru que ... Enfin. » Il ne comprenait décidément pas grand-chose, et la nouvelle phrase de Pia le laissait définitivement perplexe tandis qu'il laissait glisser ses mains contre les épaules de la jeune femme. « Dis-moi. » Cela ne sonnait pas comme une question mais pourtant cela restait une demande très sérieuse, bien que formulée à voix basse. Il évitait les discussions sérieuses avec la jeune femme depuis le début de la semaine, c'est vrai, mais pour autant cela ne voulait pas dire qu'il n'avait pas envie d'entendre ce qu'elle avait sur le cœur, si cela lui pesait tant que cela. Il se sentait un peu coupable de son air soucieux, sans doute, et pour cette raison il avait fini par lui assurer de vive voix que ce n'était en rien de sa faute, s'il se comportait comme il le faisait depuis le début de la semaine. « Sans doute un peu quand même ... » Elle avait relevé la tête vers le ciel et les étoiles, chose qui aurait pu être habituelle si les étoiles qu'ils avaient l'habitude de contempler à deux d'habitude n'étaient pas celles de la chambre stellaire. Secouant légèrement la tête tout en glissant ses bras de part et d'autre de la taille de la jeune femme, il avait insisté « Non. » parce que vraiment, ce n'était pas sa faute, ce n'était pas contre elle. C'était même tout le contraire, puisque c'était la crainte de lui faire quelque chose ou de la rendre victime collatérale de son sommeil agité qui était le cœur du problème. « J'veux pas être un problème pour toi.  » qu'elle avait alors rajouté d'un ton résolu, tandis que les lèvres d'Andreja glissaient avec douceur contre la peau de son épaule. « Du coup, j'peux dormir dehors si tu veux. Par contre faudra que tu me laisse la couette, tu te contenteras des draps ... » Incorrigible Pia, boudeuse mais ne pouvant pas s'empêcher de dire des bêtises. Bien décidé en tout cas à imprimer dans l'esprit de la jeune femme le fait qu'elle n'avait rien à se reprocher dans la situation qui était actuellement la leur, il avait profité de ce qu'elle soupire à son tour pour attraper ses mains et entre croisés les doigts de leurs mains, la tête toujours posée contre l'épaule de la rouquine. « Tu vraiment penser que je être comme si je vais te jeter du lit ? Et puis, je pas vouloir quelqu'un de autre. » Non, il était très bien avec elle, c'était à côté d'elle qu'il dormait depuis presque un mois et c'était à côté d'elle qu'il voulait continuer de dormir ... Même s'il ne niait pas que les choses étaient un peu plus compliquées maintenant que son sommeil lui faisait des feintes. « Mais je ... » Il avait soupiré à son tour, sa voix n'étant plus qu'un murmure maintenant qu'il parlait tout contre l'oreille de la jeune femme « Parfois je avoir mon sommeil un peu, hm, compliqué. Et je pas envie de refaire comme Lou, mais avec toi ... » C'était ça qui lui faisait peur, vraiment. Il ne se sentait pas le besoin d'expliquer plus en détails à quoi il faisait référence ; Pia était présente au dernier prime, elle avait suivi la rubrique d'Akela comme les autres. L'air soucieux, Andreja avait de nouveau enfoui sa tête dans le cou de la jeune femme, resserrant ses doigts autour de ceux de Pia comme pour lui signifier que là, par exemple, il n'avait aucune envie qu'elle s'en aille. Réalisant en tout cas que son comportement envers elle avait laissé à Pia l'occasion de s'imaginer qu'il avait un problème avec elle, il essayait tant bien que mal de se rattraper, tout en continuant d'éviter l'autre sujet toujours en suspend. « Je être nul, désolé. » Il ne savait pas trop quoi dire d'autre, en dehors de ça. En dehors du fait qu'il était désolé, parce qu'il réalisait maintenant qu'il lui faisait de la peine, et qu'il s'en serait peut-être rendu compte plus tôt s'il n'avait pas passé son temps ces derniers jours à envisager ses petits soucis de sons propre point de vue sans se soucier de ce qu'elle pourrait en penser elle.

Il fait froid mais en ce moment elle a froid partout Pia. Comme si la distance qui les avait séparé cette semaine avait laissé passer un courant d'air qu'il lui mordait la peau et lui grignotait le cœur. Mais entre ses bras ça va mieux. Entre ses bras elle ne le sent plus le froid, réchauffée l'espace d'un instant par la douce chaleur de sa peau contre la sienne, de son menton posé sur le creux de son épaule, de ses mains qui suivent la courbe des bras. « Dis-moi. ». Et lui dire quoi ? Elle ne sait même pas quoi se dire à elle-même la rouquine, elle ne sait pas quoi penser. Elle s'est égarée, paumé, la même crainte que les gosses lorsqu'ils ne voient plus leurs parents dans le supermarché. Elle, c'est de ne pas le trouver dans leur lit chaque soir qui lui retourne la tête. « J'aurai pas cru qu'un soir tu viendrai à préférer la compagnie d'un transat à la mienne. ». Elle lâche, de but en blanc, se sachant pertinemment égoïste parce qu'elle n'a aucun droit sur lui et que si il ne veut plus venir la rejoindre sous les draps comme chaque nuit avant c'est son choix. Elle dissimule ses doutes derrière un humour de clown triste et ses sentiments derrière tous les mots qu'elle ne prononce pas et qui restent coincés, quelque part dans les méandres de ses réflexions bouillonnantes et qui l'empêchent de dormir le soir. Il lui dit que ce n'est pas de sa faute mais elle sait, elle. Elle y a assez pensé pour en être intimement persuadée. Elle ne répond rien, sa gorge fait des nœuds comme ceux que tracent ses idées et qu'elle essaye péniblement de démêler. Au lieu de ça elle lâche du bout des lèvres une remarque qui s'essaye à être drôle parce que se planquer derrière des blagues, elle sait le faire, ça. C'est un domaine dans lequel elle excelle. Elle a peur des conversations sérieuses Pia, elle les fuit, parce qu'elle sait qu'elle n'est jamais à la hauteur des grands mots et des belles phrases. « Tu vraiment penser que je être comme si je vais te jeter du lit ? Et puis, je pas vouloir quelqu'un de autre. » . Elle ne veut pas se l'avouer mais ses paroles lui font du bien. Parce qu'elle avait eu la crainte l'espace d'un instant que tout soit cassé, des milles morceaux impossibles à recoller et que finalement elle aurait pu être la pièce à remplacer pour que la mécanique refonctionne correctement. Ses murmures qu'il glisse au creux de son oreille sont comme une berceuse qui l'aiderait à vaincre sa peur du noir. Elle n'a pas peur du noir en tant que tel, Pia. Elle a peur de l'oubli, peur de ne pas le voir lorsqu'elle arrive dans leur chambre le soir, peur de rester engluée dans un spleen qui lui arrache des pensées douloureuses. « J'me moque que tu risques de m'étrangler au réveil, du moment que t'es là. ». C'est peut-être complètement con comme idée mais c'est pourtant sa vérité. « Puis j'ai des dents, dans le pire des cas je te les planterai dans le bras. En plus, j'ai fait un an de judo quand j'étais gosse, alors.. ». Elle dit n'importe quoi pour le rassurer, pour lui dire qu'il n'a pas besoin d'avoir peur de dormir à ses côtés, parce que peut-être qu'il pourrait la blesser mais ce serait toujours bien moins douloureux que leur situation actuelle de son point de vue. Elle sert fort ses doigts glissés entre les siens parce qu'elle est sûre comme ça qu'il ne partira pas. Elle, pourrait passer la nuit comme ça. N'en déplaisent au marchand de sable et à ses draps dans lesquels il fait froid. « Je être nul, désolé. ». Elle ferme les yeux, profitant de son souffle dans ses cheveux, caressant du pouce le dos de sa main. « T'es pas nul, c'est moi qui suis nulle. Je devrai pas t'emmerder avec ça. ». Surtout qu'elle sait qu'il a des problèmes bien plus important que ça. Plus important que les états d'âme d'une rouquine qu'il connaît depuis un mois seulement. « Je fais tout de travers, hein ? ». Elle sait qu'il comprendra qu'elle ne fait pas seulement référence à ce soir, qu'elle parle de leur semaine en général, de samedi dernier particulièrement. Elle n'est pas la partenaire idéale, Pia. Instable dans ses humeurs et incapable de comprendre qu'il y a plus grave que ça.