Parfois, sans crier garde, ça me prend comme ça. Une étrange poussée de testostérone qui laisse mon chromosome Y pantois et irrésistiblement attiré par le gymnase. Non pas pour ses machines perfectionnées ou ses poutres d’équilibristes que je laisse aux clowns du nid, lui ce qu’il veut, c’est une scène de bagarre. C’est terrasser un sale soviétique pour faire triompher l’Amérique comme à l’époque de Rocky Balboa. Du sang, des coups de poings qui voltigent dans les airs, un véritable challenge. La boxe est l’un de mes sports de prédilection. Quand je m’y suis mis, j’avais l’impression que ça me donnait une nouvelle stature. Je roulais des mécaniques dans la rue, prêt à lancer un uppercut maîtrisé à quiconque me chercherait des problèmes, mais ça n’est jamais vraiment arrivé. A moins que je les aient évités dans une précaution inconsciente, je l'ignore. Je trottine tranquillement le long des lignes de course pour rejoindre le gymnase, la musique d’Eye of the Tiger tournant en boucle dans ma tête en guise d’échauffement. J’entre et m’arrête aussitôt sur le seuil de la porte, pour le moins surpris par le spectacle qui se déroule sous mes yeux. Je suis même obligé de plisser les yeux une seconde pour vérifier que cette petite queue de cheval rouge qui se balancent dans les airs appartient bien à Gaëtane. Je sentirais presque un serrement de trouille me prendre au niveau de ma gorge, voir même de mes testicules, en me disant qu’elle a ça en elle. Elle pourrait me balancer un coup fatal, stoppant radicalement la lignée de ma famille, compte tenu des gestes précis qu’elle exécute. J’ignore si elle s’en compte, mais pour m’y connaître un minimum, je reconnais une véritable capacité sous-jacente, jusque-là complètement insoupçonnée. Je croise son regard, elle se stoppe. Là-voilà. Je retrouve ma partenaire, l’air aux aguets comme si je constituais une réelle menace. J’entre d’un air amusé, rassuré maintenant qu’elle ne tape plus comme une acharnée sur le sac de sable. J’ai l’ascendant alors tout va bien, Armageddon n’est pas encore arrivé avec ses phénomènes inexpliqués. « Tu penses à qui dans ces moments-là ? » je m’interroge, parce qu’en dehors d’un entraînement, c’est bien souvent une façon de se débarasser de toute la frustration accumulés à propos d’une situation ou une personne. « Pas à moi, j’espère. » je la sermonne dans un sourire, espérant la mettre mal à l’aise.

Je ne pense pas que Gaëtane pourrait être tentée de me frapper. Ça ne doit même pas lui effleurer l’esprit, bien que je commence à me poser quelques questions à son sujet. Je suis une grosse arnaque. Gentil quand il le faut, le sourire facile préparé à l’avance ou même la réplique mordante pour plaire à l’extérieur. Peut-être qu’elle aussi. Je serais assez étonné de trouver plus fort que moi à ce petit jeu, parce que pour le coup elle me battrait à plate couture, mais quand elle tape dans le punching-ball, je remets en doute ce que je sais à son sujet. Donc non, ces différents coups ne me sont pas destinés. Je pensais pourtant être la péripétie de son aventure, l’élément perturbateur qui est venu rompre toute sa petite sérénité quand elle m’a récupéré comme partenaire, mais visiblement pas encore suffisamment. Je l’observe fixement pendant qu’elle me dit ne penser à personne. Moi je le fais. Ce n’est pas violent, c’est juste une façon de dégurgiter la frustration et l’énervement que j’ai en moi. J’avance pour aligner les pas jusqu’à elle, lui octroyant tout de même une légère distance dans une bonté insoupçonnée. Elle parle, j’écoute, puis ses deux grands yeux viennent se poser sur moi. Ils me mettent presque la pression à me regarder de la sorte, dans ce genre de moments, je me sens obligé de parler. Je comble le vide, c’est ce que j’ai toujours fait dans ma vie, que ce soit d’une manière ponctuelle ou générale. « Mais lui, ce n’est pas vraiment un adversaire redoutable. » je lui glisse, en jouant au con. Comme si je ne l’avais pas écoutée et m’arrêtais uniquement sur le fait qu’elle donne tant dans une bataille contre un vulgaire sac de sable. Je ne sais pas gérer les crises existentielles ou les traumatisés. Tout ce que je veux faire, c’est me moquer d’eux alors que j’essaye réellement de faire des efforts avec Gaëtane. Je l’observe du coin de l’œil, évaluant le morceau comme je le fais avec les chanteurs dont je m’occupe. Elle est ma partenaire, autant dire bien plus que tous les autres débiles. Si on la nomine, je le suis également et inversement. Le fait est que peut-être que nous ne sommes pas assez connectés pour ne former qu’une seule unité solide que personne n’oserait ébranler. « On m’a appris à être instinctif. » je souffle doucement en surveillant son visage à la recherche du bon ton à employer avec la jeune femme pour l’apprivoiser enfin. « Il y a des règles, mais on apprend sur le tas. Je crois que l’émotion ça peut te donner de la force en quelque sorte. Parfois ça déculpe tes capacités. » je laisse entendre en haussant les épaules. « Tu ne sens plus rien, parce que tu ne réfléchis plus. »