(PERCY) L’annonce de ma nomination était tombée comme un couperet. J’avais beau avoir eu l’impression tenace que j’en écoperai en actionnant la roulette, ça ne m’avait pas arrêté. Voilà ce que je récoltais en ignorant mon instinct. J’essayais de prétendre que cela n’avait pas bien d’importance, même si j’étais parfaitement conscient de constituer un candidat dit faible, et je n’allais pas sans savoir que les téléspectateurs se souciaient bien peu de mes tribulations en tout genre. J’essayais de prétendre que tout cela ne me dérangeait pas plus que cela, et pour parfaite cette feinte totale d’une sérénité complète, je m’étais résolu à profiter de l’après-midi en partant à la pêche. Depuis que j’étais ici, je n’avais pas eu l’occasion de le faire, croisant systématiquement quelqu’un sur le chemin ou trouvant une autre activité au dernier moment. Là, rien ne m’empêcherait de toucher au but. C’est en tout cas ce que je pense jusqu’au moment où je pousse le battant de la porte de la cabane, pour découvrir à l’intérieur une silhouette familière. La main toujours sur la poignée de la porte, un peu indécis quant au sort que je lui réserve (dois-je la refermer, ou la rouvrir pour ne la refermer que derrière moi ?) je reste un instant là, vacillant d’une jambe à l’autre, interdit. « Je peux te laisser, si tu veux. » je finis par souffler à l’adresse de Percy. Après tout, il était là en premier. J’ignorais s’il avait avalé la pilule depuis, et que ce soit le cas ou non, il était tout à fait possible que sa capacité à me voir en peinture dépende tout simplement de son humeur actuelle, humeur dont j’ignorais tout.

La pêche, ça le connaissait un tout petit peu, mais l'anglais ne l'avait jamais assidûment pratiquée, peut être parce qu'en bon gosse de riche, il préférait manger le poisson que pêchaient les autres. Cela expliquait donc qu'il ne se soit jamais vraiment intéressé à cette cabane, sur laquelle il était tombé en s'aventurant du coté de la falaise. Pensant qu'il n'aurait peut être plus l'occasion de s'y rendre par la suite, le blond avait décidé d'y entrer, tombant sur du matériel qui lui paraissait en assez bon état, mais qui ne lui donna pas pour autant envie de tenir de nouveau une canne à pêche entre ses mains. C'est qu'ici, il imaginait difficilement qu'on puisse sérieusement pêcher quoi que ce soit, après tout la production avait du faire le ménage dans les eaux environnantes, histoire d'avoir d'autant plus de raisons de les gaver au nutella. Toujours est-il qu'alors que ses yeux examinaient l'ensemble de l'outillage, il entendit la porte s'ouvrir mais ne ressentit pas le besoin de s'enquérir de l'identité de celui ou celle qui venait d'entrer, car pensant peut être que le fait qu'il soit là en dissuaderait plus d'un de rester en so. Sauf que c'est bientôt la voix très reconnaissable d'Errol qui s'éleva à travers le petit espace, l'amenant pour le coup à se retourner partiellement de façon à le dévisager. La façon qu'il eut de lui proposer de le laisser ne fut pas sans lui rappeler la fois où il lui avait tenu rigueur de ses mensonges, et du coup il supposait qu'Errol envisageait l'idée que l'anglais puisse encore aujourd'hui préférer se passer de sa compagnie. « Non, ça va, j'ai a priori dépassé le stade où ta tête me revenait pas » qu'il articula avec une honnêteté assumée, pensant qu'il savait de toute façon que Percy avait passé quelques jours à le maudire, suite à la sensation qu'il avait eu d'avoir été pris pour le dernier des cons. Aujourd'hui, il n'y pensait plus trop, parce qu'il estimait que ce serait plus stupide qu'autre chose de faire une fixette sur cet épisode pas très glorieux, ni pour l'un, ni pour l'autre. « T'es venu prendre de quoi pêcher ? » Probablement, ou alors il était comme lui, rentré ici sans trop savoir pourquoi. « Parce qu'apparemment y'a deux mecs qu'ont fait je sais pas trop quelles cochonneries ici, alors moi j'astiquerais le matos si j'étais toi. » C'est qu'on en apprenait, des trucs, grâce aux rubriques des primes. Et dans ces cas-là, il regrettait de ne pas être resté dans l'ignorance, c'est vrai.

« Tant mieux. » je me borne à répondre, tout simplement, car cette révélation n'appelle rien d'autre qu'un léger signe de réconfort de ma part. Il est inutile d'épiloguer, j'ai déjà assez déblatéré en sa compagnie comme cela, et j'espère qu'il ne me tiendra pas rigueur de ce laconisme inespéré. Ça me soulage juste de savoir qu'un semblant de départ à zéro s'offre à nous ; j'ai pas envie de m'appesantir sur le passé, et je préfère l'oublier. « Oui, c'est exactement ça. Je n'ai jamais eu le temps d'examiner le matériel qu'ils ont mis à notre disposition pour ça alors j'espère juste que c'est pas de la camelote. » Même si ça m'étonnerait pas que ça soit le cas. Je doute qu'ils aient investi dans le matériel de pêche de la même façon qu'ils ont pu investir dans la piscine intérieure ou les décorations de nos dortoirs... « Enfin, de là où je viens, on chasse le poisson-chat à mains nues alors je vais pas faire ma mijaurée. » Son commentaire suivant me soutire un sourire mi-narquois, mi-amusé ; j'imagine qu'il évoque les images qu'on a vues concernant Lou et Sacha, même si je n'en suis pas complètement sûr : il est tout à fait possible que d'autres mecs viennent ici pour batifoler et que je sois pas au courant. « Je crains que si je me décidais à nettoyer tous les endroits victimes de l'esprit lubrique des mecs du coin, je devrais me balader en permanence avec seau, éponges et serpillières. » je réplique en avançant un peu plus dans la pièce, fouinant pour voir ce que la production nous avait laissé là. D'ailleurs, c'était peut-être une idée reçue de ma part ou une fausse impression, mais j'avais la sensation que la majeure partie des activités sexuelles ou romantiques ayant lieu dans les parages tournaient quasi exclusivement autour de la gente masculine. Enfin, à peu de choses près. « D'ailleurs, ça avance votre petit jeu à Isaac et toi ? » je lance, l'air de rien, le dos tourné, fouillant dans une caisse en bois que je soupçonnais d'avoir été artificiellement vieillie pour faire genre. « Je pourrais prétendre ne pas être au courant, mais avec les potins qu'ils nous balancent à chaque prime, c'est chaud de respecter l'intimité et la vie privée des gens sans se sentir complètement hypocrite. » Je sais pas si c'est invasif de poser une question pareil, alors je me justifie à demi-mots, explicitant ma façon de voir les choses à ce niveau là.

Cette histoire appartenait au passé, car si Percy avait pu être rancunier les jours qui avaient suivi la découverte des mensonges d'Errol, il ne se voyait pas lui en vouloir éternellement, parce qu'en soi il le trouvait intéressant, qu'il soit agent d'entretien ou pas. Son camarade sembla se satisfaire de sa précision, et il était probable qu'ils n'aient jamais vraiment à en reparler. Quant à l'entrée d'Errol dans la cabane, l'anglais supposa qu'elle était due au fait qu'il compte peut être trouver de quoi pêcher. « Entre nous, ça m'a pas mal étonné qu'ils aient foutu un endroit comme celui-ci, du coup je serais pas surpris qu'ils y aient pensé à la dernière minute, en constatant qu'il manquait juste un truc à la fin du sentier ... Autrement dit, je doute qu'ils aient beaucoup misé dessus. » Il fallait bien reconnaître qu'une petite cabane de pêcheur perdue en bas d'une falaise, ça n'attirerait pas autant de monde que certains autres endroits. « Parce qu'ils sont pas fous, ils savent qu'ici la moyenne d'âge doit être de 25 piges, et que la pêche fera pas rêver grand monde. » C'est que les petits jeunes risquaient d'être davantage tentés par un après-midi de bronzette, entre autres choses. Lui-même n'était entré ici que par hasard, alors bon il savait ce qu'il avançait. « Ah donc tu fais ça souvent ? » Il avait l'air d'avoir un peu l'habitude de pêcher, et même si cette idée ne l'étonnerait pas, il n'aurait rien contre le fait d'en apprendre un peu plus. Quoi qu'il en soit, Percy ne pouvait s'empêcher de repenser aux images montrées sur le prime, celles où deux mecs s'étaient apparemment un petit peu amusés ici, ce qui l'amena à conseiller à son camarade de se méfier du matériel, des fois qu'ils s'en soient servis à des fins un peu particulières ... « Au risque de donner lieu à une seconde méprise ? » énonça-t-il alors sur un ton relativement léger, en référence il est vrai à ce qui avait introduit leur échange, mais d'une façon qui laissait entendre qu'il était disposé à plaisanter à ce sujet. L'anglais fut alors un poil surpris qu'Errol l'interroge sur sa petite compétition avec Isaac, mais comme il le disait lui-même, difficile de ne pas être au courant de ce genre de choses quand les rubriques ne laissaient rien passer. « Je te cache pas que l'idée, à la base, c'était que ça se sache pas. Mais y'en a un qui s'est senti obligé de nous balancer, et depuis c'est forcément un poil plus délicat d'approcher ces demoiselles, surtout que certaines jouent les susceptibles. » Il avait beau avoir vite oublié le fait que Jessica ait coupé court à leur échange, le fait est qu'il estimait quand même que c'était stupide de prendre ça à cœur, de se formaliser pour une histoire de points. « Qu'est-ce que t'en penses, toi, en tant que mec ? » qu'il demanda sur le coup, il est vrai relativement curieux d'avoir son avis sur la question. « Tu nous trouves cons ? » Il pouvait le dire si c'était le cas, Percy n'en ferait pas une attaque. Il avait l'habitude qu'on critique ce qu'il faisait, l'habitude qu'on lui fasse la morale. C'est juste qu'il lui apparaissait comme un gars sensé, certainement de par son âge, mais aussi de par ce qu'il dégageait plus généralement. S'il lui disait qu'il trouvait ça honteux, il est possible qu'il en tienne un peu plus compte que si ça venait de quelqu'un d'autre.

C'est de la camelote. Enfin, ce n'est pas du mauvais matériel, c'est juste le genre de truc qu'on achète en grande surface, et pas en magasin spécialisé. J'acquiesce aux paroles de Percy, son avis étant exactement le même que le mien : ils avaient pas dû se fouler. Et à quoi bon ? Comme le disait si bien Percy, il était peu probable que la population du nid soit encline à s'adonner à un tel hobby. Non seulement ce n'était pas franchement de leur âge, mais de surcroît il y avait un certain profil type qu'on pouvait percevoir en observant attentivement les différents candidats, et ce n'était pas le genre de profil qui intégrait « pêcheur amateur » à ses caractéristiques. « Ouais, cette cabane est là pour la déco. Ça donne un côté pittoresque, ils ont dû se dire que ça rendrait bien. » Et c'était le cas. Mais comme tout ici, ça semblait factice, terriblement artificiel. Ça faisait parti du charme du nid. « La pêche à mains nues ? Non, pas tellement, c'est vraiment un truc de redneck. Bon, je viens d'une famille de rednecks et loin de moi l'idée de renier mon héritage, mais je préfère la pêche traditionnelle, avec une canne à pêche. Ça me détend un peu plus que de plonger mon bras dans l'eau en attendant qu'un poisson-chat vienne le choper. » je commente, le sourire aux lèvres. J'avais fait une croix sur le noodling depuis un bail. C'est marrant, c'est sûr, mais ça a un côté brute et sauvage, ce même aspect contre lequel je me suis tant opposé étant plus jeune, et ça faisait juste parti du genre d'activités que je préférais éviter quand c'est possible. « Tu n'as jamais pêché, toi ? » je lui demande en retour, utilisant la forme négative presque inconsciemment, parce que je l'imaginais mal faire ce genre de truc. Je comprendrais qu'il s'y soit jamais intéressé, ceci dit. Quand on baigne pas dans le même genre de milieu que le mien, partir pêcher le week-end c'est pas forcément la première chose qui peut nous venir à l'esprit. « J'osais pas le dire... » Un léger sourire un peu amusé, un peu contrit, prend place sur mes lèvres à l'évocation d'une nouvelle méprise. L'idée m'était aussi venue en parlant, mais j'avais préféré la taire, jugeant cela plus judicieux. Si allusion il y avait à faire, c'était à lui de la faire. « C'est clair qu'avoir rendu l'affaire publique, ça doit rendre les choses un tantinet plus difficile. Sacré challenge... » je fais, amusé et ironique à la fois. En même temps, je trouvais ça mille fois préférable. C'est quand même un peu malsain, ce genre de trucs. On s'en rend absolument pas compte quand on s'engage là-dedans, mais ça peut aboutir à des conséquences pas franchement enviables. Et très franchement, je doute que ça aide leur image, et que ça invite les téléspectateurs à se mobiliser pour eux. Enfin, je sais même pas, en fait. Je comprends si peu le siècle dans lequel je vis, que mes hypothèses à ce niveau là sont complètement faussés. Je suis un peu étonné que Percy me demande mon avis sur la question, même après un quart de seconde de réflexion, je réalise que c'est pas si étonnant – j'aurais fait la même chose à sa place. Un grand sourire s'installe sur mes lèvres en le regardant. « Je vous trouve carrément cons. » je lui confie, avant de laisser échapper un léger éclat de rire. Qu'il ne s'y méprenne pas, je ne me moque pas de lui et/ou d'Isaac, je trouve juste la situation drôle, et, de mon avis, y'a rien à dramatiser. « Mais c'est normal, d'être cons. Vous êtes des mecs, vous êtes jeunes. C'est comme ça qu'on grandit, en faisant des conneries et en en tirant des leçons. Bien sûr que je pense que c'est une idée de merde, et que ça craint pour les filles. Mais je me fais de pas de souci pour elles, elles sont grandes et elles savent qu'il faut se méfier des beaux parleurs. » Ou alors elles l'apprendront à leurs dépens. Mais c'est la vie, ça marche comme ça. On déconne, on blesse quelqu'un, on se fait blesser, on souffre, mais on avance, on s'en sort. C'est sûr, quand on est âgé, et qu'on a de l'expérience, on a envie de transmettre son savoir, d'éviter aux plus jeunes les erreurs qu'on a commises ; résultat, on leur fait la morale et les jeunes n'en ont rien à foutre. Et de toute façon, ça sert à rien : chacun doit faire ses erreurs pour vraiment comprendre pourquoi elles le sont. « Mais je préfère te mettre en garde sur un truc. J'ai vu beaucoup de films, et ça se termine toujours comme ça : le mec drague la nana pour un pari débile, la nana l'apprend et se sent trahie et elle rejette le mec pile au moment où il tombe amoureux d'elle. Alors fais gaffe de qui tu tombes amoureux. » j'ajoute, absolument pas sérieux, en rangeant la caisse dans laquelle je farfouillais. Bon, après, je prends tout ça à la rigolade, mais je devrais peut-être pas ; j'ai beau faire mon pseudo-philosophe, je sais très bien que si tout ça retombait sur ma partenaire ou une autre fille que j'apprécie, je le prendrais beaucoup moins bien.