CLEMENTINE

En temps normal je n’emprunte jamais l’ascenseur. Ça va presque à l’encontre de mes principes quand il y a un escalier à disposition qui ne demande qu’à être utilisé. Je n’aime pas non plus l’enfermement. Ça aurait tendance à m’angoisser de risquer de me retrouver coincé dans une cage en fer. Je m’apprête à commencer mon ascension, franchissant marches après marches, quand un éclair platine dans mon champ de vision capte mon attention. Je lance un coup d’œil en direction de Clémentine dans une légère hésitation. Je n’aime pas être emprisonné et je parle en connaissance de cause, mais la jeune femme serait une codétenue de premier choix. Si elle la ferme bien entendu. Les jolies filles dans son genre devraient s’en tenir au proverbe soit belle et tais-toi, mais apparemment elle a tendance à se croire trop maline pour s’y tenir. Je plie en retraite, m’éloignant de l’escalier pour venir me planter en face de l’ascenseur aux côtés de la jeune femme. Je ne dis rien, me contentant d’afficher mon air de petit branleur nonchalant, ce qui est déjà suffisant pour l’emmerder. Les portes s’ouvrent, je pénètre à sa suite tranquillement. « Compte tenu de toute cette tension sexuelle qu’il y a entre nous, ce serait le bon moment pour qu’il tombe en panne. » je souffle l’idée à voix haute, m’adressant davantage au membre de la production qui est susceptible de nous surveiller qu’à ma camarade. Je suis persuadé qu’ils possèdent un bouton d’où ils sont pour créer ce genre de petites péripéties dans notre aventure. Ce serait le moment idéal, maintenant que la concurrence a été évincée avec l’élimination d’Hadrien. Je ne suis pas complètement stupide face à l’évidence quand elle est juste sous mon nez, mais je me dis que je pourrais peut-être devenir un parfait homme objet pour qu’elle assagisse toute sa frustration.

Je me dirige d'un pas traînant vers l'ascenseur. Je m'engage rapidement dans la cabinet lorsqu'en face de moi, se matérialise le candidat. Rien n'est dû au hasard, je suppose. Je pose un regard neutre sur Isaac, sans ciller, parce qu'au fond je crois que c'est toujours les connards qui gagnent. L'espace d'une seconde, je suis réellement dégoûtée, pas par lui, mais par l'essence même de ce jeu. Comment Isaac pouvait-il encore ici alors que le public avait décidé de virer mon idéal hier soir. Je ne comprends, ça m'agace plus que cela ne m'attriste. La vie est tellement imparfait. Je fais mine de l'écouter, distraitement, j'étire un vague sourire de façade déjà préparé à l'avance, pour faire comme si je l'écoutais vraiment. Alors que non. « Même s'il s'arrêtait, les chances pour que je te saute sauvagement dessus frôlent le niveau de la mer » je lâche d'une voix plate pour lui signifier qu'il n'y a aucune tension sexuelle si ce n'est celle qu'il aime dans son esprit tordu. Il fantasme, je n'y peux rien. Surtout qu'il sait très bien qu'il n'obtiendra rien de moi, encore moins désormais, encore moins aujourd'hui, je ne suis pas encore remise du prime.  « Pour que te décroches ne serait-ce qu'un baiser, il faudrait que je sois désespérée, que j'empeste l'alcool et que je sois sous l'emprise de drogue dure » j'énumère en comptant sur mes doigts pour bien qu'il imprime dans son cerveau à la mémoire sélective. J'espère être claire, limpide. Il remarquera que la situation ne répond à aucun critère cité, sauf celui du désespoir, et on peut encore en discuter. « Alors arrêtes d'espérer, tu n'es qu'une distraction » je lui rappelle simplement en arquant un sourcil. Parce que je n'apprécie Isaac que lorsque je m'ennuis, je cherche sa présence simplement lorsque je suis seule. J'espère simplement le vexer pour qu'il me laisse tranquille, qu'il se taise. L’ascenseur finit effectivement par se bloquer. J'avais raison, les connards ont toujours ce qu'ils veulent. Je lance un regard noir au concerné. « C'est de ta faute » j'expire simplement en priant pour que cela ne dure pas longtemps.

Comme bien souvent, Clémentine se sent obligée de me casser méchamment. A ce qu’il paraîtrait, il lui manque quelques-unes des conditions obligatoires pour qu’elle puisse me sauter dessus. Etre désespérée, je crois que c’est déjà dans la poche. Je suis sûr que c’est le genre de nana à se rouler dans les draps en phase de désespoir, chouinant à propos du départ de son cher et tendre Hadrien. Ce qu’il aura pu m’emmerder celui-là avec sa tête d’asperge et sa perfection à toutes épreuves. Toutes les meufs se pâmaient devant ses belles phrases et son petit côté parisien cultivé, me faisant passer pour le dernier des connards. Je ne suis pas si horrible que ça. Du moins, je ne me perçois pas comme le même pervers que tous mes camarades semblent être persuadés de fréquenter. Elle parle également d’alcool. La jeune femme n’est pas ivre pour le moment, mais le champagne et la vodka sont denrées récurrentes dans le nid pour nous mettre dans des conditions exemplaires face aux téléspectateurs, nos inhibitions encore un peu plus levées, comme si nous ne manquions pas déjà suffisamment de pudeur en venant nous exposer à la télévision. Quant à la drogue, je suis plutôt le genre de type à prendre mon pied avec des filles euphoriques sous l’emprise de mes doigts, plutôt que somnolentes. De toute façon, je suis sûr que Clémentine ment. Pas à moi, à elle, parce que dans le fond même les qu’une distraction peuvent être agréable dans cette optique. J’esquisse une légère moue dans un haussement d’épaules, l’air égal pour pas que mon silence lui donne une certaine forme de satisfaction. Mes yeux se fixent sur le plafond en nous sentant décoller, puis plus rien. Une infime secousse prend la cage en fer et je pousse le truc jusqu’à faire mine d’être déséquilibré. La paume de ma main s’écrase à côté de sa tête, pendant que mon sourire amusé en profite pour venir s’afficher un peu plus près de la candidate. Elle me lance un regard mauvais, rejetant la faute sur ma petite personne innocente. « A moins que ce soit celle de ton subconscient. » Celui qui me désire. Celui qui est à l’origine de cette fameuse tension sexuelle qu’elle omet volontairement. « Comment puis-je te distraire ? » je souffle doucement, me délectant du mauvais état de l’ascenseur. Puisqu’apparemment c’est mon rôle de la divertir.

Il n'y a absolument aucune tension entre nous, il faut juste éviter qu'à force de le claironner de partout, les gens puissent réellement le croire. Là, je serais tout simplement foutue. Suite à l'immobilisation de l'engin, je me coltine un Isaac bien heureux d'être plus près. Je pousse un simple soupir avant de poser mon index impérieux sur son buste pour le faire reculer. Pour le forcer à le faire. Parce que les gens seraient capable de dire que je le cherche ou je-ne-sais-quoi, alors je préfère installer une certaine distance. Parce que je n'ai pas réellement envie de jouer avec lui, pas aujourd'hui, si bien que je ne relève pas lorsqu'il sous-entend que je n'attendais que cela, me retrouver coincée avec lui. D'ailleurs, cela fait deux fois que la production me fait le coup, la semaine dernière, c'était déjà avec Mallaury, encore, ça me dérangeait pas plus que cela, mais là, on parle du grand Isaac. Celui qui tue toute ma patience en seulement deux phrases. Enfin, tout dépend de son humeur, j'ai juste l'impression qu'il veut me faire chier, aujourd'hui. On n'est jamais raccord. Maintenant il veut me divertir, enfin, simplement endosser la fonction que je lui offrais. Ni plus ni moins. Je fais mine de réfléchir, simplement pour gagner du temps dans l'espoir que l'ascenseur redémarre. Je glisse une mèche rebelle dernière mon oreille. « En comblant le silence » je lui demande parce que les blancs m'oppressent en général. Et qu'Isaac aime bien parler, et surement s'écouter. Le timbre de sa propre voix doit l'enchanter, ça ne m'étonnerait pas. J'imagine que cela ne risque pas d'être bien difficile pour lui, non ? « Mais sans parler de cul ou de ce qui s'en approche » j'ajoute en agitant mon fin index sous ses yeux avant de ranger mes mains dans mon dos. Parce que j'en ai un peu marre qu'Isaac ne se résume qu'à un seul sujet de conversation au final, et tout le monde ne parle de lui que pour cela. « Vois ça comme un défi » j'ironise comme si je voulais motiver un gosse de cinq ans, avant d'hausser les épaules avant d'appuyer à nouveau mon dos contre l'une des parois, posant mes prunelles claires sur sa personne.

Clémentine me repousse avec le bout de son index et je me laisse faire sagement. Je viens m’adosser à la paroi opposée à la sienne, affichant mon perpétuel air nonchalant qui l’agace tant. C’est une victime facile, tout simplement parce qu’elle ne se laisse pas faire. Elle me rembarre, ironise à mon propos parfois même méchamment, ce qui m’amuse au plus haut point dans une nouvelle forme de masochisme. Je crois que je lui plais bien. Non pas parce que j’ai toujours eu cette tendance à me surestimer, mais j’imagine que si je l’énerve autant c’est qu’elle n’est pas non plus complètement réfractaire à ma personne. Mieux vaut susciter des sentiments négatifs plutôt que de l’indifférence. Je lui offre l’opportunité d’obtenir ce qu’elle veut de moi et son choix me déçoit quelque peu. Elle souhaite parler, alors que de mon côté je me figurais qu’on pourrait sans doute s’envoyer en l’air métaphoriquement à défaut de le faire littéralement maintenant que l’ascenseur est arrêté. Ça peut se faire. J’adore jacter de tout et de rien, sauf que la jeune femme affine encore sa recherche. Pas de cul et aussitôt j’esquisse une légère moue comme s’il s’agissait là de l’unique sujet de conversation qui est dans mes cordes. On me réduit à ça à tort, mais dans un sens, ici, tout le reste est d’une inutilité extrême. Le sexe fait vendre, la petite vie rangée de Clémentine bien moins. On s’en fout. Je m’en fous, mais puisqu’elle essaye de faire passer le fait de faire la conversation comme un défi, je suis prêt à m’y essayer. Je fixe la candidate dans un léger sourire. En fait, discutailler c’est un nouveau type de préliminaire chez-elle. Du moins je le prends ainsi, me promettant d’y aller en douceur avec elle comme les filles aiment l’amour. « Je n’aime pas être enfermé. » j’avoue en observant la cage dans laquelle nous sommes enfermés. « Je sais pas si ça a toujours été le cas ou pas. » Voilà, maintenant elle n’a plus qu’à se démerder avec ça.

Je lui demande de me parler. Enfin, de parler, simplement pour remplir ce vide, ce manque d'action au sein de cet ascenseur bloqué. Je n'ai pas envie de m'ennuyer alors je lui ordonne de se bouger. Surement parce que j'aime bien ses conneries, enfin, elles remplissent strictement leur fonction, elles m'amusent ou alors me font rouler des billes. J'imagine que ce sont les deux seules réactions qu'Isaac provoquera chez moi. Et dans un sens, ça me plait cette absence de surprise entre nous, parce que tout me semble tellement prévisible, autant lui que moi au final. Il n'aime pas être enfermé. Moi non plus, mais je ne le dis pas, plutôt crever que l'avouer. Je me contente d'un sourire simplement ravisant sur mes lèvres, presque exagéré. Je fronce légèrement les sourcils. Je fais vaguement un parallèle avec son secret parce que je m'en souviens encore, bien que ce dernier fut éclaté lors des premiers primes.  J'ai toujours tendance à occulter qu'il a fait de la prison. « Ça te rappelle ta cellule ? » je lui demande, sans filtre, légère tout en préférant oublier que je me trouve dans une pièce close avec un taulard que je ne connais pas. Je ne me souviens même plus la raison de son enfermement de toute façon, je suis persuadée qu'il a menti à chaque fois. Je n'ai aucune confiance en Isaac mais en la production, oui, je sais bien qu'on n'aura pas un malade parmi les candidats. Il a simplement eu de la chance de ne pas être enfermé en France où le système judiciaire tient clairement plus la route aux Etats-Unis, parce que son secret est une vaste blague. « Quelle est la première chose que tu as fait en sortant ? » je finis par l'interroger alors en attachant mes cheveux avant de me laisser glisser contre la paroi, mon fessier touchant rapidement le sol. Je me contente de relever ponctuellement la tête vers lui. « Tu es resté combien de temps emprisonné ? » j'ajoute alors aussi, parce que c'est un minimum important, deux semaines, ça ne compte pas.

Je crois que j’ai toujours été claustrophobe sur les bords. Ça ne vient pas d’une histoire de cellule, quand j’étais jeune j’avais déjà l’impression d’être enfermé. Je fais quelques pas, exercice compliqué compte tenu du peu d’espace qu’elle me laisse en étant enfermée avec moi dans l’ascenseur. L’un de mes doigts vient tapoter sur une paroi pensivement. Je frôle les portes en me demandant si je pourrais les ouvrir à la seule force de mes bras. Je mesure mes chances d’y parvenir. Nulles, si je suis le seul à essayer de les écarter, mais une telle démonstration pourrait presque changer la perception qu’à pour le moment Clémentine de ma personne. Je suis persuadé qu’elle est du genre à se pâmer face aux actes de bravoures héroïques. Elles sont toutes comme ça. Je la libère, elle en frétille du bas-ventre. « Non, c’est plus vieux. » Ça vient plutôt d’un enfermement métaphorique qui date de mon arrivée en foyer d’accueil. Ironiquement, dans les faits, c’était tout l’opposé. Chaque porte se devait de ne jamais rester fermée, nous privant de toute intimité. Une chambre perpétuellement ouverte, c’est ça l’emprisonnement. Je ne la regarde pas vraiment, préférant plutôt m’occuper à présent des boutons menant aux différents étages du nid. Je ne tiens pas en place ce matin. Si elle avait accepté de me laisser la baiser, ça aurait pu canaliser mon trop plein d’énergie, mais j’ai bien compris que ça ne faisait pas vraiment partie de ses projets. Mes iris se lèvent dans une certaine curiosité quand elle commence à m’interroger sur mon incarcération. Tout le monde veut savoir ce que j’ai fait, mais Clémentine s’intéresse plutôt à des détails auxquels personne ne s’est intéressé jusque-là. « Six mois. » je commence en répondant à ce qu’il y a de plus simple. Ce n’est pas très long, normalement ma peine aurait dû s’étendre sur plusieurs années. Sept, peut-être cinq parce que je sais adopter une conduite exemplaire quand il s’agit d’arranger la situation pour qu’elle me convienne parfaitement. La seconde est plus compliquée. Il y a plusieurs degrés dans ce que j’ai fait en sortant. Ca comprend l’aspect administratif, pratique puisque j’ai mangé, je suis rentré chez-moi, qui est en fait plus l’appartement d’un de mes potes. J’opte pour la première chose que j’ai réellement décidée de réaliser. La plus touchante aussi, juste pour vérifier si la technique que j’emploie sur Paloma pour faire vibrer sa corde sensible dans l’espoir de la faire vibrer tout court peut fonctionner sur la française. « Je suis allé voir ma mère. » je lance d’un air neutre et indifférent. « Je ne l’avais pas vu depuis six ans. Je lui ai donné le fric qu’on m’avait offert en guise de mise en bouche pour qu’elle arrête de parler de moi aux médias, puis je me suis cassé. » Ce n’est pas triste. Ce n’est pas un secret. Juste ma vie comme elle a toujours été. J’ai passé le stade où ça ne me fait plus rien, maintenant je m’en sers même pour servir mes intérêts et choper des gonzesses naïves.