Je trouve presque la situation malsaine en plus d’être embarrassante. Ça se bécote dans tous les coins, parfois brièvement, parfois avec plus d’insistance qu’on se dit que ça doit certainement les faire réagir en-dessous de la ceinture. J’essaye d’omettre tout ce spectacle désastreux pour me concentrer sur ma belle poupée. Je fais mine de partir, maintenant que je lui ai révélé le fond de ma pensée. Je l’aurais bien embrassée, mais je ne l’aurais pas fait même outre le fait que je veux la laisser cogiter à ce propos, que ce soit elle ou n’importe quelle autre fille. Ce serait déroger à ma règle numéro un qui veut que je les laisse venir à moi plutôt que l’inverse. Je ne m’impose jamais et bizarrement c’est une technique qui fonctionne très bien. J’avance vers le fauteuil que j’ai réquisitionné pour la soirée, mais elle me réceptionne avant. Elle parle de se faire pardonner et j’esquisse un sourire en la sentant si proche, son souffle se butant contre le mien. Elle m’embrasse et je me laisse faire docilement. Je veux rester subtile, je n’oublie pas où nous sommes et dans quel contexte particulier nous nous inscrivons pour le moment. Non pas que ça me dérange de me donner en spectacle de la sorte, mais je tiens à mettre une distance entre nous et les autres relou qui vont sans doute se choper un herpès dès la fin du prime. Tout ce que je fais, c’est poser une main sur sa hanche. Une seule, restant modéré dans mes gestes pour ne pas me griller alors que je commence à sérieusement gagner du terrain avec Paloma. Je me sens presque émoustillé par ce léger aperçu qui est censé être un prélude dans ce qui se passera entre nous plus tard dans l’aventure. Elle s’écarte, je la libère, plantant pendant une seconde mes yeux dans les siens afin de créer une étape de transition entre le baiser et les reste. Eryk est déjà en train d’attendre derrière moi, situation des plus étranges. Je mords un instant ma lèvre, puis retourne sans plus de cérémonies à ma place, m’asseyant dans un soupire d’aise, plus du tout énervé comme je l’étais à cause des gifles. Je gratifie même Clémentine dans un sourire, même si elle a été la reine des casses burnes ce soir.

Je crois les doigts en espérant son retour, parce que les autres honnêtement, je m’en fous. J’apprends qu’Hadrien ne reviendra pas. La sentence tombe. C’est une blague ? Les spectateurs sont capables de garder une blonde insipide et un gars inutile et transparent à la place d’Hadrien. Tous des connards. Je n'en reviens pas. Je n'arrive pas à me dire que c'est réel. Je me lève, en attendant qu’Hadrien revienne du sas pour dire au revoir alors que les larmes s’écrasent sur ma joue. Inconsciemment. Je me fais pitié, dans un sens. D’un revers de la main rageur, je les chasse mais elles persistent. Je m’étais promis que je ne pleurerais pas, mais c’est trop dur. Je perds ma moitié à cause de stupides téléspectateurs, j’ai de quoi être triste. Je ne sers plus ici, sans lui pour me faire vivre, exister. On ne marche qu’à deux. Il sait très bien que je n’arrive pas à respirer sans lui, quand j’ai essayé, je me rétame. Les sanglots soulèvent anarchiquement ma poitrine. Je me précipite à sa rencontre, enroulant mes bras autour de sa nuque, mes jambes autour de son bassin, animée d’un vieux réflexe, d’anciennes pulsions. Accrochée à lui, je tente de me calmer pendant une poignée de secondes, pour ne pas qu’il garde cette image de moi lorsqu’il partira. « Bon je crois qu’on est destiné à ne jamais être ensemble » je lâche d’une voix rauque, fragile. Je m’en fous d’être ridicule. Je m’en fous que ma réaction puisse paraître disproportionnée, ils ne peuvent pas comprendre.  Ce constat me désole, on venait tout juste de se retrouver, je n’ai pas pu profiter de lui. Ce n’est pas assez. On me l’arrache une nouvelle fois après des années de silence.  « C’est toujours inachevé » j’ajoute même d’une voix basse. On commence toujours, on ne finit jamais. « Ne m’oublie pas » je lui demande alors qu’une de mes mains passe dans sa chevelure. Je colle mon front au sien. « Je le supporterais pas une seconde fois » je lui rappelle délicatement. Parce que je ne veux plus être celle qu’il fuit. Je préfère naïvement penser qu’il m’attendra et qu’on pourra tout reprendre à zéro, qu’on pourra enfin avancer sans plus se torturer mutuellement. Qu'on se retrouve réellement. Mes bras resserrent autour de lui, ma petite tête blonde se niche dans le creux de son cou, je n’arrive pas à le laisser partir.

Je ne suis même pas surpris, juste déçu. Déçu pour elle, pas pour le jeu. Au fond, j'ai jamais vraiment été là pour le jeu. Elle m'a demandé de venir, je suis venu, c'est tout. Et je la laisse toute seule. Encore. Encore une fois. Je sors du sas, parce que je peux pas m'en aller comme ça, et je cherche aussitôt son regard, je balaie l'assemblée sans voir personne, sinon sa tête blonde. Je m'en fous pas mal des autres, pour être honnête. La plupart d'entre eux n'en ont rien à battre de moi et j'en ai rien à battre de la plupart d'entre eux. Quelques uns trouvent grâce à mes yeux, c'est tout. J'ouvre les bras pour la réceptionner et la tiens contre moi avec l'aisance que confère l'habitude. Je suis habitué à la voir virevolter pour m'atteindre, à devoir la rattraper lorsqu'elle se jette dans mes bras. À tel point que c'est encré en moi et que des années de sevrage n'ont pas réussi à m'ôter mes réflexes. Pourtant, ça reste quatre ans, quatre putain d'années, et autant de temps sans avoir été proches d'une telle façon. Et ça me prend à la gorge, je ressers les bras autour de son corps fragile et tremblant, avec le douloureux besoin de la consoler, de sécher les larmes qui brûlent ses joues. Ça dépasse l'envie, à notre stade, c'est presque vital. Je peux pas la voir comme ça. « On s'en fout du destin » je souffle, parce que ça me révolte ce qu'elle dit, parce que je ne peux pas l'accepter. C'est pas des histoires à dormir debout, des fils rouges, ces conneries que se racontent pour se rassurer les gens pas foutus de prendre leur vie en main, qui m'empêcheront de faire ce que je souhaite, y compris et en particulier si ce que je veux, c'est être avec elle. Je reste silencieux, alors, me contentant de serrer mes doigts dans son dos, comme si ça changeait quelque chose, comme si ça pouvait me permettre de l'emmener avec moi ou de rester moi avec elle. Parce que j'y crois. J'y crois que c'est pas la fin, il n'y aura jamais de fin. Pas entre elle et moi. C'est une histoire de vie. Je redresse la tête, le regard plongé dans ses yeux malgré la douleur à la tête, et je sens mon cœur qui se serre, qui bat à grands coups douloureux contre mes côtes. « Je peux pas t'oublier, Clémentine, c'est impossible » je dis, armé d'un pauvre sourire désabusé. Il y a toujours, en permanence, son souvenir dans un coin de ma tête. Dans ses moindres détails, comme si elle était là, devant moi. Chaque cheveu, chaque mimique, chaque posture, chaque mot. Elle est gravée pour toujours dans chaque parcelle de mon être parce qu'elle est ce genre de filles. Qui retournent la tête et qui transforment les hommes en ce qui leur chantent d'un battement de cils. Plus que ça, elle est Clémentine, ma Clémentine. Et c'est plus que tout. Combien de temps on reste là, je sais pas, je m'en fous, sans doute pas tant que ça, parce qu'ils sont encore là, les autres. Pas tous. Je cherche pas à savoir qui. La seule qui m'importe est toujours, là, dans mes bras. Doucement, mes doigts se faufilent d'une caresse entre ses mèches de cheveux, encore et encore, inlassablement, et je la gratifie ponctuellement d'un baiser ça ou là, sur la pommette ou la tempe ou le front, ou peu importe. Ça, ce sont des baisers qui comptent. « Je dois y aller » je finis par souffler, à contrecœur, sans desserrer l'étaux de mes bras pour autant. C'est con, je peux pas, je veux pas. Mais je dois. J'ai plus rien à faire ici. « Je vais régler quelques trucs là-bas mais je serai à Paris quand tu rentreras. » Je ne parviens même pas à imaginer qu'il puisse en être autrement, en vérité. Où, j'en sais rien. Chez mes parents, peut-être. Ou peut-être pas. « J'en ai marre de fuir. » Et j'aurais jamais dû le faire, j'aurais dû rester, comme elle, et on n'en serait pas là. Avec ces retrouvailles trop intenses, trop courtes, trop douloureuses. Un peu à notre image. Notre image qui se brouille lorsqu'on se sépare, difficilement, pas totalement parce que je garde ses doigts entre les miens un instant, avant de quitter le nid.