+ Je n'avais pas très faim en me levant ce matin. Ça m'arrive, parfois. Je n'ai donc bu qu'un verre de jus d'orange, et j'ai pris mes cachets, comme presque tous les matins depuis quelques années maintenant. Et puis j'ai commencé ma journée, le ventre vide, mais ça n'avait pas beaucoup d'importance. J'ai pris ma douche, puis je suis allée embêter Noah un moment, ensuite j'ai couru une petite heure, ou plus, je ne fais jamais vraiment attention, et après ça, quand je suis rentrée, j'avais une faim de loup. Forcément, n'ayant plus mangé depuis près de vingt-quatre heures, le plus étrange aurait été que mon estomac ne me réclame rien pendant encore un moment. J'avais donc décidé de m'atteler aux fourneaux, sans même avoir pris une deuxième douche avant, mais je m'étais quand même lavé les mains avant de commencer à manipuler les ustensiles et les aliments. J'allais quand même pas mangé des trucs assaisonnés à ma sueur, non merci. Déjà que ce que je cuisine est rarement excellent. Disons que c'est mangeable, la plupart du temps, mais ça s'arrête-là. Mes parents n'ont jamais su m'apprendre quoi que ce soit à ce niveau-là. Entre une danseuse et un pseudo-aventurier, en même temps, il ne fallait pas s'attendre à grand chose de leur part. Mais je ne leur en veux pas pour autant. Il y a un tas de gens bien qui ne savent pas cuisiner, j'en suis sûre, et ils n'en font pas une maladie. Je suis assez fière de moi quand je termine de cuire mes pommes de terre et les deux steaks que j'ai mis dans la poêle, au cas où quelqu'un veuille se joindre à moi. Et je crois que j'ai bien fait quand je vois Gaëtane s'aventurer dans les environs. « Salut. T'as faim ? » Je lui demande dès que je l'aperçois, l'air ravi de trouver quelqu'un avec qui partager ce possible désastre culinaire.

Comme je cuisine pour moi mais qu'il y en aurait assez pour deux, je demande à Gaëtane si elle a faim dès qu'elle entre dans la pièce. Et elle me répond à l'affirmative, oui, mais juste un peu. Je hausse légèrement les épaules. « Tant mieux. » Je dis en souriant, l'air ravi d'avoir trouvé quelqu'un avec qui partager mon repas et passer un petit moment. Surtout que je ne la connais pas si bien que ça, la (fausse) petite rouquine. Elle trouve que ça sent bon, je conserve mon sourire sur le visage, alors qu'elle me demande si je cuisine souvent. « Non, pas vraiment, je ne suis pas aussi douée que j'en ai l'air. » Je réponds dans une petite moue incertaine. Si là, ça a l'air bon, c'est parce que c'est un des rares trucs que je réussis à peu près, le reste du temps je commande par téléphone ou je mange un morceau en ville. C'est pas très glorieux, hm, mais tant que ça peut m'éviter de trop m'approcher de ma cuisine pour la foutre en bordel inutilement en tentant de préparer quelque chose qui change des pattes et des patates, hein. La jeune femme m'avoue qu'elle ne sait pas du tout cuisiner, qu'elle essaye d'apprendre mais c'est difficile. « Ah ça, je suis bien d'accord. » Je confirme d'un air presque résigné. « Tu nous sors deux assiettes, s'te plait, je crois que c'est prêt. » Je demande à la candidate en vérifiant la cuisson des steaks. En vrai, je ne suis absolument pas sûre que ce soit bon, mais on verra bien en y goûtant, et au pire, si ça ne va vraiment pas, on les remettra dans la poêle. Oui, ça fait vraiment très pro de recuire sa bouffe, je sais.

On discute rapidement avant que le repas ne soit prêt. Je demande donc à la jeune femme de prendre les couverts, celle-ci s'exécute, et je vais pouvoir nous servir. Quand on s'installe, la demoiselle me souhaite un bon appétit. « Merci, bon appétit à toi aussi. J'espère que ce sera pas trop immonde. » Je dis dans un petit sourire à la limite de la gêne qui ne me ressemble pas vraiment. C'est que ça m'arrive rarement d'être gênée, mais si mon plat est à vomir bonjour la honte ! Non mais j'en ferais pas une maladie, quoi que, mais sur le moment, ça me mettrait sans doute mal à l'aise. Heureusement, la rouquine m'annonce que c'est bon. Ouf, le soulagement ! « Ah, tu me rassures ! » Que je m'exclame en levant presque les mains au ciel comme pour remercier Dieu que le verdict soit plutôt positif, surtout que moi j'y ai même pas encore goûté. Je me coupe un morceau, j'enfourne la fourchette dans ma bouche. Bon, c'est pas non plus excellentissime, ça n'a rien à voir avec de la cuisine gastronomique ou quoi, mais c'est de la bouffe basique de ménagère pour se remplir le bide, c'est tout et c'est très bien. Je m'attendais pas à ce qu'on saute au plafond tellement ça lui enchante le palais, non plus, mais je suis satisfaite. Je sais au moins cuir un pauvre steak accompagné de quelques pommes de terre, c'est déjà pas mal. Le silence se fait entre nous alors que nous "dégustons" ce que j'ai préparé. Gaëtane le brise finalement en remarquant qu'elle ne connait pas beaucoup de choses sur de nombreux candidats. Il en va de même pour moi, je lui adresse un simple sourire, j'ai comme l'impression qu'elle n'a pas totalement fini de parler. Et je parierais presque qu'elle va me demander de lui raconter ma vie, en gros. Bingo ! Mon sourire s'agrandit tandis que j'avale ce que j'ai dans la bouche. Elle ne me demande rien de bien compliqué, les informations banales que tout le monde s'échange pour apprendre à mieux se connaître. Je hoche la tête, signe que j'ai compris, enfin je crois. « Alors... » Je fais, l'air de réfléchir un instant à ce que je vais aborder en premier. J'espère qu'elle s'est bien préparée parce que ça risque d'être un peu long, surtout qu'il s'agit de parler de moi, là, et je suis assez douée pour ça. Je m'éclaircie rapidement la voix. «  Bon, je m'appelle Jessica, mais ça tu le sais déjà. J'ai vingt-huit ans. Je suis vieille. » Je dis en mettant ma main près de ma bouche comme pour lui en faire la petite confidence, juste entre nous. « Je suis née à Chicago, j'y vis toujours et j'y travaille, je suis stripteaseuse. » Comme ça, si elle était pas au courant, elle le sait maintenant. « J'ai pas toujours rêvé de faire ça, hein, mais c'est un peu le premier truc qui s'est présenté quand j'ai eu besoin de bosser après être partie de chez mon père. Parce qu'en fait, mes parents ont divorcé quand j'avais deux ans, à quelques mois près, et j'ai toujours cru que c'était ma faute d'ailleurs, mais bref. À la base c'était ma mère, une très bonne prof de danse qui m'a poussé à en faire, qui avait la garde, mais elle a plus trop pu s'occuper de moi à un moment, et j'ai dû aller vivre avec mon petit papa. Il était chasseur de primes, du coup il bougeait beaucoup, d'états en états, et ça c'était cool parce que j'ai pu faire le tour complet de mon pays, mais c'était chiant pour se faire des potes, même pour les études, pour les cours de danse que je voulais absolument continuer à suivre comme me l'avait demandé ma mère. Enfin, c'était surtout pourri parce que mon père a été un père minable, du genre lâche, jamais vraiment présent tout ça, et je crois que j'ai un peu hérité de son côté aventurier, tu vois. Mais c'est marrant comme maintenant qu'il a arrêté son boulot de merde il s'occupe beaucoup plus de sa nouvelle petite famille. Sa petite femme, le fils de la nouvelle bonne femme, leur fille à tous les deux. Et moi, bah, je fais plus trop partie du truc quoi. » Je soupire. La pauvre, elle devait pas s'attendre à un tel flot de paroles. Je déballe un peu mon sac là, purée, je la plains, moi je pourrais pas le supporter. « Et ma mère est morte. » Je dis comme ça, dans un petit sourire un peu triste. « Oh, sinon je suis bisexuelle et célibataire. » Voilà, pour la petite info, même si je l'imagine mal être intéressée, mais on sait jamais. En fait, c'est un pour changer de sujet et finir sur une note moins morbide, je sais pas. Même si bon, c'est peut-être débile de lui dire ça, mais bref. « Et, hm, et toi ? » Oui, je crois bien que c'est à son tour, là, un peu. Surtout qu'elle a sans doute eu le temps d'engloutir la moitié de son assiette, alors que moi queue dalle. En même temps, je parlais, j'allais pas le faire la bouche pleine, j'ai été mieux élevée que ça, quand même.

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