nightwatchman
ft. Alistair & Andreja

Cela ne passait pas, finalement. Il avait tellement accumulé de sommeil en retard la semaine précédente qu'en ce début de semaine il avait dormi comme un loir, aidé sans doute par l'espèce de virus qu'il avait chopé et qui l'avait mis un peu KO pendant deux ou trois jours, mais maintenant qu'il était de nouveau au top de sa santé et qu'il avait rattrapé ses heures de sommeil, l'insomnie repointait le bout de son nez, pour son plus grand déplaisir. Il se forçait pourtant, il avait assuré à Pia qu'il n'y avait plus aucun souci et il donnait le change en continuant d'aller se coucher comme si de rien n'étant sans attendre les petites heures du matin, mais en fin de compte tout cela ne menait qu'à lui fixant le plafond étoilé de leur chambre pendant des heures en se demandant où au juste était le problème. Peut-être que c'était un retour de flamme pour avoir trop bien dormi les trois premières semaines, après tout il était le premier à reconnaître qu'il n'avait pas aussi bien dormi depuis un bon moment que lors de ses trois premières semaines ici. Peu importe, reste que cela devenait problématique, encore plus maintenant qu'il avait menti à sa partenaire en disait que le souci était réglé ; Elle n'était pas dupe, elle ne goberait pas son mensonge longtemps. Pour l'heure en tout cas il avait fini par se tirer de sous les draps avec précautions, parce qu'à se tourner et se retourner ainsi dans leur lit il allait finir par réveiller Pia, et qu'un seul insomniaque suffisait amplement dans leur binôme. L'air malgré tout un peu ensommeillé il n'était pas allé bien loin, et s'était laissé glisser contre un des murs du couloir dit "aux mirages" en se laissant happer par les lumières changeantes. Si le plafond étoilé de la chambre stellaire ne suffisait pas à le bercer il y avait fort peu de chances que des lumières colorées y parviennent, mais cela avait au moins le mérite d'être un peu apaisant. Il s'était même forcé à fermer les yeux, au bout d'un petit moment, jusqu'à ce que des pas au bout du couloir ne le sortent de son demi-sommeil et qu'il ne pose les yeux sur Alistair. Ce n'était plus un secret pour personne, le fait que le jeune homme préfère investir chaque nuit un des canapés du salon plutôt que de dormir aux côtés de sa partenaire « Tu regrettes ta partenaire, finalement ? » lui avait-il alors demandé, l'heure tardive ne l'empêchant pas de faire attention à la formulation de sa phrase, bien décidé à faire des efforts d'autant plus face à la seule personne qui jusque là n'avait pas hésité à le corriger pour lui permettre de s'améliorer au moins un peu. Il savait bien que la réponse serait non, c'était plutôt histoire de dire quelque chose, mais il ne pensait pas sincèrement qu'Alistair avait décidé, au beau milieu de la nuit, de se faire une place aux côtés de Clémentine. Si tenté qu'elle ne soit pas allée dormir ailleurs, de cela Andreja n'avait aucune garantie non plus, ils ne partageaient pas la même chambre.

Il n’est pas loin des deux heures du matin et sans grande surprise, Alistair ne dort toujours pas. Parce qu’il n’est pas fatigué, parce qu’il n’en a pas envie, parce qu’il ne peut pas, les raisons sont diverses mais le résultat est le même : il s’ennuie et ne sait pas que faire quand le nid semble s’être arrêté de vivre. Il lit généralement un bouquin, se balade dans les couloirs sans but ou profite de la salle de bain quand celle-ci est déserte. Et c’est exactement son plan quand il termine de manger un petit encas nocturne. C’est bien là l’un de ses seuls avantages à avoir un sommeil aussi capricieux, il peut profiter de la pièce d’eau dans la paix la plus totale, sans se sentir obligé de se presser pour laisser la place à d’autres. Il se décide à quitter la cuisine pour emprunter les escaliers – l’ascenseur, c’est terminé pour lui dans l’immédiat – et arrive à l’entrée du couloir principal de l’étage. Il n’aime pas le couloir aux mirages, non pas à cause de sa décoration plutôt kitsch avec toutes ses lumières, mais à cause du trop gros nombre de miroirs à son goût. Ceux de la salle d’eau suffisent amplement, d’autant plus qu’ils les évitent soigneusement pour ne pas s’observer, autant dire que dans un couloir comme celui-ci, la solution qui s’impose à lui est de marcher tête baissée jusqu’à avoir regagné la prochaine pièce. Ce n’est pas un secret d’état qu’Alistair a une piètre estime de lui-même et cela passe par le dégoût de son propre être quand il s’aperçoit dans une vitre ou un miroir. Si jusqu’ici il est toujours parvenu sans peine à franchir ce couloir d’un pas rapide sans être intercepté ou interrompu par qui ou que ce soit, aujourd’hui fait exception à la règle puisqu’Andreja est appuyé contre l’un des murs et qu’il ne tarde d’ailleurs pas à s’adresser à lui. « Tu progresses, c’est bien. » Il déclare, dans un premier temps, en scrutant le jeune homme. Si habituellement il fuit les regards des autres, il préfère largement se concentrer sur Andreja plutôt que sur les divers miroirs qui reflètent sa silhouette. Il faut reconnaître que même si la phrase est courte et l’accent encore bien présent, elle était tout à fait correcte au niveau grammaticale. Autant saluer ses efforts, même si ça peut redevenir une souffrance dans quelques instants.  « Non, j’allais prendre ma douche. » Il répond ensuite à sa question. Ce n’est pas Clémentine qui le pousse à monter l’étage à cette heure, mais bel et bien l’appel de la douche. L’heure peut paraître tardive, trop tardive certainement, mais la douche, c’est comme le sommeil pour Alistair : un moment intime qu’il ne veut partager avec personne. Il n’a aucune envie d’être confronté aux regards des autres sur ces cicatrices qui ornent son corps, raison pour laquelle il s’arrange toujours pour se rendre à la salle d’eau à des heures plutôt déraisonnables.  « Et toi, tu fuis la tienne ? » De partenaire, mais il ne juge pas utile de préciser, Andreja n’a pas l’air particulièrement fatigué, il doit être en mesure de comprendre. C’est plus une façon détournée de lui demander le pourquoi de sa présence ici, au milieu de la nuit alors que sa place est à côté de Pia.

Il ne s'attendait pas vraiment à y croiser qui que ce soit, en décidant de s'arrêter quelques instants dans le couloir. Il aurait tout aussi bien pu descendre à la cuisine, aller se réfugier dans la bibliothèque ou même encore aller prendre l'air sur la terrasse, mais il avait encore l'espoir stupide que le sommeil finirait par le gagner, petit à petit, et qu'il pourrait rapidement regagner son lit pour s'y endormir une bonne fois pour toutes. Au lieu de cela il avait croisé un autre insomniaque, celui-là même qu'il aurait du s'attendre à croiser à vrai dire puisque personne ou presque n'ignorait plus les habitudes de sommeil assez particulières d'Alistair. C'était donc certainement plutôt lui, qui ne devait pas s'attendre à croiser quelqu'un d'autre que lui, et ce peu importe ce qu'il était venu faire dans ce couloir. Rejoindre sa partenaire ? Andreja en doutait assez, mais poser la question était un moyen comme un autre d'entamer la conversation, non sans essayer de faire des efforts en terme de conjugaison « Tu progresses, c’est bien. » Un fin sourire s'était affiché, de manière furtive, sur le visage du serbe. Le compliment lui faisait d'autant plus plaisir qu'il émanait de l'une des rares personnes qui n'avait pas hésité à le reprendre sur sa façon de parler, sans que ne transparaisse dans sa voix moquerie ou agacement. Bien que ne répondant rien Andreja avait légèrement incliné la tête, attendant toujours une réponse à sa question, bien que ce n'en soit pas vraiment une. « Non, j’allais prendre ma douche. » A cette heure-ci ? Oh ceci dit, il est vrai que c'était le bon plan si l'on souhaitait prendre son temps et profiter d'une salle de bain déserte, sans être pressé par un autre candidat attendant la place ou désireux d'envahir l'espace vital du premier en rentrant dans la douche sans y être invité. « Et toi, tu fuis la tienne ? » De quoi, de douche ? Andreja avait eu un moment de flottement avant de comprendre qu'Alistair faisait référence à sa partenaire ; Comme quoi il n'arrivait peut-être pas à dormir mais il avait clairement besoin de sommeil. « Non, mais je arrête pas de me retourner parce que je pas réussir à dormir, et je pas envie de la réveiller. » Et accessoirement pas non plus envie qu'elle sache qu'il n'avait pas été des plus honnêtes en lui assurant que son sommeil était revenu. Gardant le silence quelques instants, Andreja n'avait pas quitté Alistair des yeux, et avait finalement demandé, comme ça sans que cela n'ait un quelconque rapport avec le reste « Pourquoi tu participer à un émission comme Fake Lover, tu as un but ? Et ne me dire pas que ça être pour l'argent, je suis sûr il y avoir beaucoup de autres moyen de gagner du l'argent mais pas avec vivre trois mois avec des gens inconnus. » Ça crevait les yeux, que ce n'était pas son truc à Alistair, les relations humaines. Et Andreja ne jugeait pas, il avait sans doute ses raisons. Il n'arrivait simplement pas à comprendre pourquoi Alistair s'infligeait ainsi quelque chose qui allait à ce point contre sa nature. Et il s'était décidé à poser la question maintenant, quand bien même ils étaient au milieu de la nuit et pas dans l'endroit le plus adéquat pour discuter.

Il note que la phrase d’Andreja est tout à fait correcte, il juge utile de le préciser, sachant que ce dernier galère avec l’anglais et que ce n’est pas un mal s’il réalise qu’il fait des efforts. Ce n’est pas parce qu’il est avare en compliments qu’il n’est pas en mesure d’en faire quand cela est justifié. Et à croire le fin sourire qu’affiche Andreja durant un court instant, c’était plutôt une bonne idée. C’est presque agréable, bien qu’un peu déstabilisant pour Alistair, de réaliser que ses paroles ont touché quelqu’un de manière positive, pour une fois, même si c’est l’espace de quelques secondes. Heureusement pour Clémentine, sa présence ici n’a rien à voir avec une soudaine envie de rejoindre le lit qu’ils sont censé partager. C’est une chance pour la jeune femme, elle peut dormir sur ses deux oreilles sans risquer de finir avec un œil au beurre noir ou un nez cassé, car c’est ce à quoi elle s’expose si elle partageait le lit d’Alistair. Il n’est pas un tortionnaire, loin de là, il a simplement le sommeil agité et il est préférable de ne pas être à proximité de lui. Ce n’est donc pas pour ça qu’il est ici, c’est simplement qu’il s’apprêtait à prendre sa douche. Enfin, simplement, cela peut paraitre surprenant compte tenu de l’heure, mais il ne serait pas le premier ni le dernier à se doucher à des heures qui peuvent sembler tardives, il se doute que ce comportement n’est pas propre à lui. Il s’arrange juste pour ne pas tomber sur d’autres candidats et jusqu’ici, il a plutôt bien réussi, excepté la première semaine où il est tombé nez-à-nez avec Paloma. Si la présence d’Alistair n’est guère surprenante puisqu’il erre les couloirs la plupart des nuits, celle d’Andreja l’est déjà plus. Il ne l’a jamais croisé à des heures comme celles-ci, il est donc quelque peu surpris, puisqu’il ne pensait pas son colocataire insomniaque ou suffisamment préoccupé pour que Morphée l’oublie. Il rebondit sur sa précédente question en évoquant une envie de fuir sa partenaire et à voir la tête qu’Andreja affiche durant une fraction de secondes, il aurait dû se montrer plus précis. Mais il ne s’agit donc pas d’une envie de fuir Pia, mais plus une envie de préserver le sommeil de celle-ci, parce que lui ne le trouve pas. « C’est habituel ? » Non pas qu’il souhaite se transformer en psychologue attentif capable de régler les problèmes de sommeil d’Andreja si celui-ci lui en parle, mais c’est bon à savoir, dans l’hypothèse où ce serait récurrent, afin qu’Alistair se trouve parfois une compagnie lors de ces nuits blanches. C’est qu’à choisir, il préfère encore côtoyer ses camarades la nuit, puisque le temps semble s’arrêter et qu’attendre jusqu’à ce que le soleil se lève et que le nid se remette à vivre est souvent un moment particulièrement ennuyant de sa journée. Pour peu, il serait presque prêt à donner des cours d’anglais à Andreja si ça peut lui permettre de s’occuper durant les nuits où il ne sait pas quoi faire. Alistair ne s’attendait pas à la prochaine réflexion d’Andreja. Non pas que la question le dérange – c’est probablement celle qu’on lui a le plus posé depuis qu’il est là et il ne voit plus de problème à y répondre – mais parce que cela sort de nulle part. Enfin, il peut bien lui répondre, il n’a pas grand-chose à faire. « L’argent est une motivation, pourtant. » Il déclare, en haussant les épaules. Il y en a une autre de motivation, mais la possibilité de repartir avec un gros chèque ne l’a pas laissé indifférent. « Fake Lover est un moyen rapide de gagner une grosse somme d’argent. » Il précise, parce qu’il y en a en effet d’autres moyens de gagner de l’argent, mais certainement pas autant en ne faisant rien. « Et comme j’en ai besoin. » Il n’a pas d’autres choix qui s’offrent à lui. Pourtant, il n’a pas l’âme d’un vainqueur, il le sait, les autres candidats et le public doivent le savoir tout autant que lui. Mais soit, la question n’est pas vraiment là. « J’essaie de me réadapter à la vie en société. » Parce qu’il arrive un moment où la solitude n’est plus possible. Cela fait déjà quelques temps qu’il envisageait de faire des efforts, mais il ne savait pas comment ni par où commencer. Et probablement que sans l’insistance de Peter, il n’aurait pas pris la décision de s’inscrire ici, l’idée lui faisant tout de même peur. « J’ai pensé que cette émission serait une bonne idée. » Pas tout à fait, en fait, il persiste à penser que cela va se retourner contre lui à un moment ou à un autre, c’est même une certitude, il n’a qu’à attendre sa sortie. Mais à vrai dire, c’est le moyen le plus efficace pour qu’il se force puisqu’il n’y a pas d’échappatoire et la production ou le public l’aurait mis dehors depuis longtemps s’il avait préféré s’isoler de tous sans faire le moindre effort. « Et toi, quelles sont tes raisons ? » C’est un point qui reste encore inconnu à ses yeux et il n’y a pas de raison pour qu’il l’ignore plus longtemps.

Il y avait maintenant deux semaines que le sommeil d'Andreja n'était plus au rendez-vous, et pourtant c'était la première fois qu'il tombait sur Alistair à une heure aussi tardive, comme si la nuit l'anglais avait une routine bien à lui qui le faisait passer au travers des insomnies passagères des autres candidats. Et puis Andreja essayait généralement de lutter contre son état, restant allongé durant des heures dans son lit, à côté de Pia, à fixer le plafond et ses étoiles factices en espérant que cela finisse par l'hypnotiser ; Il savait que s'il se levait c'était peine perdue, il ne se rendormirait pas. Et pourtant voilà qu'il était debout, ou presque puisqu'il était assis au milieu du couloir comme le dernier des clampins ... Preuve qu'il était vraiment désespéré, et qu'il ne savait pas quoi faire de lui-même. « C’est habituel ? » Andreja avait secoué la tête, lentement. Habituel c'était peut-être un peu fort comme terme, il ne dormait pas toujours aussi mal que ces quinze derniers jours ... Disons plutôt récurrent. Le seul souci étant qu'il n'avait aucune idée du mot adéquat en anglais, et qu'il n'avait pas son dictionnaire de poche à portée de main. De toute façon il évitait de le sortir trop souvent, il avait comme l'impression que cela ne faisait qu'aggraver son cas, et qu'il se rendait encore plus stupide que lorsqu'il ne trouvait pas ses mots. « Non, c'est ... de temps en temps. Quand je ai pas l'esprit tranquille. » Comme en ce moment, donc, même si c'était une sensation difficile à expliquer parce qu'il ne savait pas précisément ce qui préoccupait son esprit. C'était juste une impression, un poids invisible sur ses épaules ... Aidé peut-être par le buzz qu'Alistair avait choisi de valider, celui-là même qui avait fait remonter des souvenirs qu'Andreja tentait habituellement de garder dans un coin de sa tête, bien au fond. Mais ça s'il y avait bien une personne à qui il n'en ferait pas part c'était Alistair ; Il n'avait aucune envie de laisser à ce dernier l'impression que son buzz l'avait perturbé d'une quelconque manière. Au lieu de ça il avait changé de sujet, posant à Alistair une question qui lui trottait dans la tête depuis un moment déjà le concernant. Il voulait savoir pourquoi, pourquoi se forcer à participer à une émission comme celle-ci alors que de toute évidence le contact humain sous toutes ses formes semblait lui déplaire ; Pour s'imposer une tel supplice. Il ne croyait pas au seul appât du gain, il trouvait cela trop facile. «  L’argent est une motivation, pourtant. » Oh oui, sans doute, que c'en était une. Mais est-ce que c'était suffisant, est-ce qu'il n'y avait rien d'autre ? «  Fake Lover est un moyen rapide de gagner une grosse somme d’argent. Et comme j’en ai besoin. » Oh mais ça il ne le remettait pas en question, le fait qu'Alistair puisse avoir besoin d'argent. Même lui-même, l'argent n'était pas forcément son but premier en décidant de se présenter au casting, mais si il parvenait à valider sa cagnotte il ne cracherait pas dessus, il savait même à peu près bien ce qu'il ferait de cet argent. « Mais ça reste du hasard ... On save pas quand on arrive au casting si on rester trois semaines, ou dix, ou ... tu vois ? » On gagnait peut-être moins dans d'autre émissions, mais le ratio en terme de victoire était peut-être plus avantageux. Mais soit, et en dehors de l'argent, donc ? Andreja restait persuadé qu'il y avait autre chose « J’essaie de me réadapter à la vie en société. J’ai pensé que cette émission serait une bonne idée. » Sans dire que c'était le genre de réponse à laquelle il s'attendait, puisque ce n'était pas le cas, c'était ce genre de choses dont Andreja parlait quand il disait qu'il devait bien y avoir une raison plus profonde qu'un simple besoin d'argent, pour qu'Alistair s'embarque là-dedans. « Parce que tu te désadapter avant ... ? » Il ne savait pas trop s'il était prudent de poser cette question, et il ne savait pas non plus si "désadapter" était un mot qui existait, mais il avait décidé de s'y risquer malgré tout. Après tout Alistair avait eu le droit à son quart d'heure indiscrétion plus tôt dans la semaine lui aussi. Le serbe ne fut en tout cas pas étonné de s'entendre retourner sa question « Et toi, quelles sont tes raisons ? » Il pourrait sans doute jouer les hypocrites et dire qu'il était là pour l'argent lui aussi, même si ce serait un peu l'hôpital qui se foutrait de la charité. Mais parce qu'il se doutait qu'il était peut-être allé un peu loin avec sa question il se disait qu'il pouvait bien faire preuve d'un peu de bonne volonté en échange « La télé, ça pouvoir être solution à un problème que je ai. » La réponse était certes vague mais c'était la seule qu'Andreja pouvait fournir actuellement sans tomber dans le mensonge.

Il est rare qu’Alistair tombe sur un candidat au sommeil troublé, il erre généralement seul les couloirs une fois la nuit bien avancée, quand chacun est paisiblement endormi dans son lit respectif. S’il lui arrive tout de même de tomber de temps en temps sur Paloma, c’est bien la première fois qu’il rencontre Andreja à une heure aussi tardive. C’est pour cette raison qu’il en vient à demander à Andreja si c’est habituel, parce qu’à vrai dire, ça l’étonnerait. Si ça l’était, ils se seraient déjà croisés depuis le temps, en sachant qu’Alistair fait des allers-retours incessants durant la nuit, il serait tombé sur Andreja à un moment ou à un autre. Mais non, le serbe lui assure que ce n’est pas habituel, ou du moins pas aussi habituel que ça peut l’être chez Alistair. C’est quand il a l’esprit préoccupé, comme le commun des mortels. Ceci dit, il se doute qu’il ne doit pas être innocent dans le fait qu’Andreja n’ait pas l’esprit tranquille cette nuit. « Et je n’ai pas aidé. » C’est le moins que l’on puisse dire. « Je suis désolé. » Et en temps normal, il n’aurait pas formulé d’excuses. Parce que c’est le jeu, qu’Andreja savait à quoi s’attendre en venant ici, à voir des bribes de son passé exposé de façon volontaire ou non aux yeux des autres. Et c’est ce qu’Alistair a fait, bien qu’il se soit trompé sur son secret, il lui a remémoré des souvenirs qu’il peut s’imaginer être très douloureux et encore présents dans la mémoire du jeune homme. Pourtant, si c’est un point sur lequel Alistair ne pensait pas s’excuser (parce que chacun sait à quoi s’exposer en venant défendre un secret et parfois un passé lourd) le fait est qu’Andreja fait partie des candidats qu’il apprécie le plus. Et la réaction que ce dernier a eue à la suite de leur révélation, à savoir quitter la pièce aussi vite qu’il était arrivé, l’a mis mal à l’aise. Et Alistair a une fois de plus pris conscience de son talent pour blesser les autres, sauf qu’il peut encore réparer les pots cassés avec Andreja. Il ne compte pas être à son service jusqu’à ce que ce dernier daigne le pardonner, mais il tient simplement à lui signifier qu’il est désolé d’être responsable, en partie, de sa difficulté à trouver le sommeil cette nuit-ci. Il est un peu maladroit, mais il n’a plus l’habitude de se soucier des sentiments des autres. Le sujet change rapidement pour en venir à la raison de la participation d’Alistair à un tel programme. C’est la question qui revient le plus régulièrement de la part des autres candidats. Peut-être parce qu’il n’a pas vraiment le profil adéquat pour participer à une émission comme celle-ci, lui-même en a conscience. Visiblement, la motivation qu’est l’argent n’est pas une raison suffisamment valable. Enfin, comme Alistair le précise, il en a besoin, c’est donc tout de même une motivation qui n’est pas à négliger. Mais Andreja pointe du doigt un argument imparable, quand on se présente au casting, on n’a pas l’assurance d’être pris, tout comme de rester longtemps dans l’aventure si l’on fait partie de la trentaine de chanceux. De plus, Alistair ne peut même pas prétendre surfer sur la vague médiatique qui se présentera à lui après sa sortie, puisqu’il compte disparaitre rapidement pour être oublié aux yeux du monde et ne pas faire la une des magazines, que ce soit de son gré ou non. Il hoche simplement la tête, oui, il voit où veut en venir Andreja. Mais il ne tarde pas à donner la raison principale qui l’a poussé à s’enfermer ici et à supporter la vie en communauté. Il lui donne la raison qu’il a déjà avancée à chaque personne qui lui a posé la même question que lui, à savoir son besoin de se réhabituer à vivre en société, à tisser des liens, à ne pas s’enfermer dans une bulle de solitude que personne n’est en mesure de percer. « C’est compliqué. »  Il admet ensuite à la prochaine question d’Andreja. « Mais on peut dire ça, oui. » Il est désolé, mais il ne peut pas en dire plus. Et même s’il le pouvait, il ne s’épancherait pas sur la question. Il ne tarde pas à lui retourner la question, histoire de ne pas être le seul à en dévoiler un peu plus sur lui et parce que la réponse l’intéresse. Il y a certains candidats chez lesquels il devine tout de suite la raison de leur participation, mais pour Andreja, c’est encore flou. Il se serait imaginé l’argent, l’envie de changer d’air, mais pas le fait que la télévision puisse l’aider à résoudre un de ses problèmes. « Et je suppose que tu ne peux pas m’en dire plus ? » Parce qu’Andreja est peut-être confronté au même problème qu’Alistair : il ne peut pas en dire trop en raison de son secret. « Au fait, on dit j’ai et pas je ai. » Peut-être qu’il aurait dû s’abstenir, d’autant plus qu’Andreja peut potentiellement lui en vouloir encore pour la révélation et que le fait de le reprendre n’est peut-être pas l’idée du siècle. Mais c’est une faute récurrente chez le serbe, alors autant la corriger une fois pour toute. « Ça t’arrive de regretter de t’être lancé là-dedans ? » À savoir Fake Lover. La question sort un peu de nulle part, mais elle n’est pas sans intérêt.

En vérité Alistair avait peut-être touché du doigt la vérité, en hasardant sur la possibilité que l'insomnie d'Andreja puisse être quelque chose d'habituel. Car c'était plutôt le fait qu'il ait sibien dormi pendant les trois premières semaines de jeu qui ne l'était pas, habituel. Le qommeil du serbe n'était pas vraiment un modèle de réussite, bien qu'il s'y soit habitué au fil de ce qui représentait désormais quelques années. Ce qui était frustrant ici c'était surtout que tout le monde posait des questions sur tout le monde, une insomnie ne passait pas plus inaperçue qu'une coucherie entre deux candidats, et la chasse aux secrets donnait à se questionner sur tout. Alors non, qu'il n'arrive pas à fermer l'oeil n'était pas habituel au sens propre, mais c'était récurrent, comme à chaque fois qu'il avait l'esprit préoccupé, ou chargé de choses dont il préférerait se passer. « Et je n’ai pas aidé. » Silencieusement Andreja avait fixé son regard sur celui d'Alistair « Je suis désolé. » Il n'en attendait pas tant. Le serbe n'allait pas nier que l'idée buzzée par Alistair l'avait forcé à repenser à une période dont, même s'il ne se rappelait que par brides, il préférait généralement ne pas se souvenir, mais lui n'y était pour rien. « Tu pas besoin de être désolé. Tu juste vérifier une idée, je avoir fait pareil à ta place. » Probablement aidé par ses observations, et par les indices à son sujet remportés aux enchères. D'autant plus que le raisonnement n'était pas si mauvais, Alistair n'avait peut-être pas trouvé son secret mais il était parvenu à toucher un pan de son histoire personnelle dont il n'avait parlé à personne. Il était assurément meilleur en géopolitique qu'Isaac, qui continuait à le considérer comme un soviétique et un communiste. Andreja ne savait pas lequel des deux il trouvait le plus insultant,  d'ailleurs. « C'est juste ... » Il avait marqué une légère pause, hésitant sur la suite de sa phrase. « Moi je pas me rappeler de tout, mais la guerre de Bosna ... ça pas être un bon période pour ma famille. » Il préférait ne pas être plus précis, il n'avait pas envie qu'Alistair se sente encore plus désolé, mais on pouvait se douter qu'à vivre durant trois ans dans une ville en état de siège tous les souvenirs n'étaient pas bons à raconter. Changeant de sujet, Andreja avait estimé pouvoir poser une question à Alistair, après tout il avait joué le jeu et tenté de répondre sans trop mentir aux questions que ce dernier lui avait posé durant leur confrontation. Il se demandait ce qui avait poussé quelqu'un de si peu à l'aise avec les relations humaines à se présenter au casting d'une émission dont c'était le coeur même. Pour se réadapter à la vie en société lui avait-il répondu, ce qui, on en conviendra, amenait plus de nouvelles questions que de réponses. Est-ce que cela voulait dire qu'il s'était "désadapté" avant, alors ? « C’est compliqué. Mais on peut dire ça, oui. » C'était un peu maigre comme réponse, et Andreja était presque tenté d'essayer de creuser un peu mais il avait le pressentiment qu'il ne tirerait rien de plus. D'autant plus qu'Alistair avait fini par lui retourner la question, et qu'il avait pu se rendre compte qu'elle n'était pas si simple à répondre. « Et je suppose que tu ne peux pas m’en dire plus ? » Penchant la tête sur le côté Andreja avait esquissé un vague sourire, presque désolé,  avant de répondre « C'est compliqué. » en employant le même ton qu'Alistair précédemment. Comme pour essayer de sous-entrendre que s'ils ne pouvaient pas en dire plus c'était sûrement pour les mêmes raisons, parce que Cupidon risquait de leur taper sur les doigts. « Au fait, on dit j’ai et pas je ai. » Un blanc de quelques instants, après quoi Andreja avait compris qu'il était une fois de plus question de son anglais. Bon dieu, dire que cela faisait cinq semaines qu'il prononçait cela ainsi, et que personne avant Alistair n'avait eu la bonne idée de lui faire la réflexion. « Je finir par te engager pour être mon professeur, pour de vrai. » Il pourrait toujours le payer fictivement, à l'aide de sa cagnotte toute aussi fictive. « Mais d'accord. J'ai. » Comme toutes les corrections qu'Alistair ou quelqu'un d'autre faisaient à son anglais, Andreja tentait d'ancrer cela dans un coin de sa tête pour essayer de ne plus faire ces fautes là à l'avenir. Aussi vrai qu'il avouait sans mal ne jamais avoir fait beaucoup d'efforts jusqu'à son entrée dans le nid, ses efforts pour s'améliorer depuis qu'il était ici étaient sincères. Il avait vraiment envie que l'on puisse dire qu'il aurait progressé, lorsque son tour viendrait de quitter le nid. « Ça t’arrive de regretter de t’être lancé là-dedans ? » Andreja avait froncé les sourcils, repliant une de ses jambes contre lui, prenant le temps de la réflexion avant de répondre, même si en définitive il connaissait déjà la réponse à cette question « Non. Ça pas pouvoir me faire plus du mal que du bien. » Rapport au problème dont il était précédemment question, toujours. « Et puis on être tranquille ici ... on rien risquer. » Cela pouvait sembler bizarre, comme raisonnement. Ça l'était peut-être un peu moins venant de quelqu'un qui se sentait agressé lorsqu'on le réveillait brusquement. « Toi oui ? » n'avait-il finalement pas pu s'empêcher de demander. Parce que s'il posait la question, c'est que c'était peut-être le cas pour lui.

Habituel ou non, il n’empêche pas qu’Alistair est indirectement une source de préoccupation pour l’esprit d’Andreja. S’il n’avait pas eu ce buzz malheureux, peut-être que le serbe serait parvenu à fermer l’œil sans souci. Mais il avait fallu qu’Alistair pointe du doigt, un peu plus tôt, des événements que le jeune homme aurait préféré oublier. Certes, c’est le jeu, en venant ici, il prend le risque de s’exposer à la curiosité et aux théories de ses colocataires, s’il n’avait pas les nerfs pour le supporter, il n’aurait pas dû s’inscrire à cette émission. Et peut-être que si ce buzz avait eu lieu deux ou trois semaines plus tôt, Alistair ne se serait pas inquiété plus que ça d’être peut-être à l’origine de l’insomnie de son camarade, parce qu’il l’aurait encore considéré comme un illustre inconnu à ses yeux et que son état d’esprit lui importait pas. Sans pour autant le considérer comme un de ses amis, il a tout de même appris à connaître Andreja et même sa façon de parler quelque peu spéciale ne l’a pas dissuadé de considérer le candidat comme quelqu’un qu’il commence à apprécier, doucement. Alors oui, compte tenu de l’état de leur relation en cette cinquième semaine, il est désolé si Andreja ne parvient pas à trouver le sommeil à cause de la théorie qu’il a avancée. Il s’excuse tout de même, même si ce n’est pas pour son buzz qu’il ne regrette quand même pas, puisque c’est le jeu et que c’est un secret qui aurait pu se tenir en vue de l’origine, de l’âge et du pays d’origine du candidat. Quoi qu’il en soit, il ne pense pas vraiment être la personne que le serbe souhaite voir à tout prix, même s’il ne lui a pas encore demandé de faire demi-tour. Il lui avoue même qu’il n’a pas à être désolé, car il aurait fait pareil à la place. Ces propos ont le don de le rassurer quelque peu. Enfin, c’est jusqu’à ce qu’Andreja reprenne la parole et le mette à nouveau mal à l’aise. S’il avait encore un doute minime, il peut désormais en être sûr : il n’a clairement pas aidé Andreja avec son buzz. Pour seule réponse, il pince les lèvres, ne sachant pas quoi dire. Ça ne sert à rien qu’il prétexte être désolé, vu que ce sont des événements qui ne l’ont pas touché et qui sont liés à des gens qu’il ne connait pas, ce serait hypocrite de sa part. Quoi que, ce serait poli, mais il n’a aucune envie de se confondre en excuse, il veut juste passer à autre chose. Et ça ne tarde pas, Andreja lui posant une question qu’il a déjà entendue une bonne dizaine de fois depuis qu’il est ici. Il n’a vraiment pas la tête à participer à une telle émission, il est probable que les responsables du casting s’en mordent les doigts en réalisant le piètre candidat qu’il fait, même s’il fait des efforts et progresse de semaine en semaine. Il ne peut pas dire avec précision les événements qui l’ont poussé à se refermer sur lui-même et à faire une croix sur la vie en société, Cupidon se fâcherait et il aimerait autant éviter d’être viré pour en avoir trop dit. Il tente tout de même de répondre à Andreja, en ayant bien conscience que ses réponses ne doivent pas l’aider plus que ça. Il finit par lui retourner la question et Andreja est dans la même situation que lui, il présume, bien qu’il en vienne à supposer que le serbe ne peut pas se montrer plus clair. Il reprend les termes utilisés auparavant par Alistair et un léger rictus se dessine sur ses lèvres. « Je vois. » Oui, il voyait bien les raisons qui le poussaient à ne pas pouvoir en dire plus. Finalement, il en profite pour reprendre Andreja sur une faute courante que le serbe fait, même s’il n’est pas sûr que ce soit une bonne idée. Mais à priori, ça ne le dérange pas, il évoque même la possibilité qu’Alistair devienne son professeur. « Si tu veux, mais ça sera pas gratuit. » Qui sait, peut-être que les deux ou trois conseils en langue qu’il a donné à Andreja était dans le seul but de le motiver à le choisir lui plutôt qu’un autre candidat comme professeur particulier. D’autant plus qu’Andreja est le candidat le plus riche du nid, c’est clairement la bonne personne à attraper dans ses filets pour se renflouer, hm. Si seulement Cupidon acceptait de faire des transactions d’une cagnotte à l’autre, ça l’arrangerait bien Alistair. Comme à son habitude quand il se décide à tenter de poursuivre une question plutôt que de rester silencieux, il pose une question qui n’est pas vraiment en lien avec le sujet précédent. Cette fois, il demande à Andreja s’il lui arrive de regretter de s’être lancé dans une telle aventure. À vrai dire, il ne pose pas cette question sans idée derrière la tête. Alistair ressent cette impression parfois et il a besoin d’être fixé, est-ce un problème propre à lui-même ou est-ce que certains sont dans la même situation ? À choisir, Andreja lui apparait comme un candidat susceptible de partager sa pensée, puisqu’il voit bien le jeune homme défendre un secret dur, qui influence encore son présent. Le genre qu’on n’est pas certain de vouloir vraiment révéler. Peut-être qu’il se trompe, ça ne serait pas une première. En tout cas, il se trompe bien sur un point : Andreja ne regrette pas d’être venu ici. Et il a raison sur un point, on ne risque rien ici. Alistair devrait intégrer cette phrase et cesser de s’inquiéter, il en aura suffisamment l’occasion à sa sortie pour préserver la bulle dans laquelle il se trouve à l’heure actuelle. Sans surprise, Andreja lui retourne la question. « Oui, ça m’arrive. » Et il s’estime stupide de penser ainsi, quand on sait le nombre important de jeunes gens de tout horizon ayant participé au casting et n’ayant pas été retenus, alors qu’ils se seraient montrés probablement bien plus motivés que lui ne peut l’être. En quelque sorte, il a parfois l’impression de leur avoir pris leur place. Mais il s’agit principalement de son secret qui le pèse, qu’il regrette parfois d’avoir choisi pour participer à cette émission. Enfin, même s’il semble parfois mettre en avant que les aspects négatifs d’une telle aventure, il en ressort également beaucoup de positif, même s’il ne s’exprime pas facilement sur celui-ci. Il pourrait préciser le fond de sa pensée, se montrer un peu plus clair, mais il préfère couper court à la rencontre avant d’en dire trop, d’autant plus que sa sensation de malaise n’a pas disparu. « Je te laisse tranquille, j’espère que tu retrouveras le sommeil. » Et c’est sincère, lui-même étant bien placé pour savoir que les insomnies sont une chose particulièrement agaçante et qu’il ne souhaite à personne. Et sans un mot de plus, mais avec un léger signe de tête, il abandonne Andreja à son sort pour filer en direction de la salle d’eau. Peut-être qu’il aurait dû rester avec lui, mais il se sentait devenir de mauvaise compagnie, autant éviter d’infliger ça au serbe.