La nuit règne sur les lieux, mais Ghika n'est pas du tout fatigué. Il n'a aucune intention de dormir, au contraire, c'est le meilleur moment pour faire un petit jogging sur la plage. Quand personne ne regarde, quand personne ne vous cherche, quand personne n'est dehors. Alors frappant le sable d'un pas pressé Ghika court, toujours plus vite, c'est fou ce qu'il peut courir dans le nid, après le temps, après les gens, pour s'éloigner de la foule. Ghika court souvent, dans le monde normal, mais depuis qu'il est dans le nid il a une activité physique bien plus importante. Ça lui donne l'impression d'être comme la plupart des gars dans le nid, comme quasiment tous les gars dans le nid plutôt, qui n'ont pour objectif que d'être des machines physiques parfaitement huilées. Cette simple pensée le fait sourire, puis trébucher. Il s'affale, s'écroule serait plus exact, dans le sable. « Abruti ! » se plaint-il. Le sable a amorti sa chute mais voilà que sa course est finie, aucun doute là dessus. Maintenant qu'il a mordu la poussière et est couvert de sable, ce qui est en soi déjà bien irritant sans parler du caractère corrosif des grains de sable en eux-même, il ne lui reste qu'une solution. Se baigner. Ouais c'est une vraie malédiction. Retirer ses chaussures, ses chaussettes, son pantalon, son tee-shirt... Un regard aux alentours lui indique qu'il n'y a personne et qu'il n'a aucune raison de ne pas se laisser aller à un petit bain de minuit dans les règles de l'art. De toute façon, il le sait bien, la production ne diffusera jamais d'image des candidats nus. C'est une des règles des émissions tout public. Elles doivent pouvoir être vues par tous, non ? L'eau est fraîche, à la limite d'être froide. Mais il ne se laisse pas décourager et plonge la tête la première. Il doit bien l'avouer être dans l'eau c'est comme une résurrection. Bon ça serait aussi appréciable dans une eau un peu plus chaude, mais il ne va pas s'en plaindre. Il nage, il s'amuse sans se préoccuper de rien, jusqu'à ce qu'il aperçoive une personne sur la plage. La lune éclaire la baie avec une certaine douceur ce qui lui permet d'identifier la personne comme étant un garçon, il nage alors vers la terre ferme afin d'avoir une vision plus claire de l'individu perturbant ses barbotages. « Qu'est-ce que tu fais là si tard Jaheim ? » demande un Ghika amusé par la situation, quoiqu'un peu gêné peut-être, une fois qu'il a pu mettre un visage sur le corps se tenant sur la plage.

Plus jeune je regardais énormément de séries télévisées, c’est toujours plus ou moins le cas maintenant. Je me souviens qu’il y en avait un tas dans lesquelles les personnages se retrouvaient tôt ou tard sur la plage le temps d’une soirée et ils s’offraient un bain de minuit mémorable, il semblerait que l’expérience soit agréable à vivre mais je n’ai jamais eu l’occasion de me livrer à un tel rituel. Pour être tout à fait honnête j’ai eu quelques possibilités mais je me suis toujours demandé si un requin n’allait pas me bouffer le zizi pendant que je me baignais entièrement nu sans vraiment voir plus loin que le bout de mon nez. Déjà qu’en pleine journée on retrouve des poissons de toutes sortes dans les eaux polluées de la mer alors je vous laisse imaginer la nuit, à l’abri des regards. Alors oui, je sais bien que l’eau n’est soi-disant pas assez chaude pour que les requins et autres grosses bestioles ne s’aventurent dans le coin, et puis je reste toujours où j’ai pied et donc pas vraiment là où les grosses bêtes s’arrêtent mais bon… Je suis de cette génération de jeunes traumatisés par les dents de la mer. Je ne suis pas parti pour relever le défi ce soir mais il semblerait que l’un de mes camarades se soit chargé de le faire à ma place, plus tôt dans la journée j’ai paumé un bijou de l’autre côté de la plage et j’ai tenté de le retrouver mais ce fut un échec cuisant. Voilà deux heures que je cherche, j’aurais pu m’y prendre plus tôt je vous l’accorde mais je m’en suis aperçu bien trop tard pour le faire avant. « Qu'est-ce que tu fais là si tard Jaheim ? » Il me faut quelques secondes pour reconnaitre Ghika, la lune se reflète sur l’eau et je peux donc apercevoir Ghika, recouvert d’eau jusqu’au milieu du torse. « J’ai perdu quelque chose cet après-midi et j’essayais de le retrouver mais je n’ai pas réussi… » Et s’il était temps pour moi de me lancer ? « Dis, ça te dérange si je me joins à toi ? » Je ne vais pas trop lui laisser le choix, ni une ni deux je retire l’intégralité de mes vêtements prêt à foncer dans une eau glacée, de quoi refreiner cette envie d’y aller en courant, c’est juste impossible pour le moment.

Chercher quelque chose de nuit sur la plage ? Ghika ne sait pas quoi penser de cette idée. Parmi les choses stupides qu'on peut chercher il y a bien la traditionnelle aiguille dans une botte de foin. Mais un objet, probablement petit, dans le sable, la nuit, semble tout à fait digne d'une expression en elle-même. « Je pense que tu auras plus de chance de jour. » commente-t-il malicieux, bien que ce ne soit pas une affirmation difficile. Jaheim a tiré la même conclusion que lui apparemment puisqu'il commence à se déshabiller. Si ça dérange Ghika qu'un jeune homme partage la mer avec lui pour un bain de minuit ? Pas vraiment. « On dirait que tu viens de perdre quelques couches de vêtement. » répond-il sur le ton de la plaisanterie quoiqu'appréciant le spectacle. On le sait Ghika n'est pas un garçon particulièrement sexuel, mais admirer un corps, en savourer les courbes n'est pas un plaisir dont il a l'habitude de se priver. « J'te conseille d'entrer le plus vite dans l'eau possible, sinon tu n'y arriveras jamais. » Et tu m'offres un spectacle tout à fait indécent. Ajoute-t-il presque à sa dernière phrase. L'eau lui arrive au niveau des hanches lorsqu'il se tient debout, laissant deviner les courbes les plus intimes d'un corps d'homme sans en rien montrer, s'immergeant complètement Ghika par à la recherche de quelque chose lui aussi. Une fois qu'il a trouvé l'objet de son inquisition des fonds marins, il en ressort la main, contenant fermement un mélange de sable boueux. Il prend la main de Jaheim qui se tient tout près de lui à présent et laisse la poignée de glaise s'écouler. « Tiens, ça vaut probablement pas ce que tu as perdu, mais j'ai entendu dire que c'était ton anniversaire récemment... et j'aime pas rater un anniversaire. Alors demain j'te ferais un collier de ce coquillage. » dit-il tout fier, comme un gamin, de son idée. C'est gentil tout au plus, mais Ghika aime bien faire des petits cadeaux. Surtout pour les anniversaires qui ont une signification bien particulière à ses yeux. Une fois qu'il est sûr que Jaheim tient de façon sûre le coquillage Ghika saute sur lui pour l'entraîner dans l'eau froide de la mer qu'il semblait refuser d'immerger. « Ça je te le devais depuis samedi dernier ! » hurle-t-il presque en riant. Une semaine plus tôt, Jaheim l'avait coulé dans la piscine. Maintenant ils étaient quittes. Un partout, balle au centre.

« Je pense que tu auras plus de chance de jour. » Chercher un bijou en pleine nuit en plein milieu du sable ce serait comme se lancer après une aiguille dissimulée dans une botte de foin. « Merci Captain Obvious ! » Que je lui signale avec un petit air mutin. Non parce que j’ai justement abandonné la recherche à cause de la tombée de la nuit, pas totalement à vrai dire puisqu’il ne me restait qu’une petite zone à fouiner lorsque la nuit a engloutie notre monde de son voile d’obscurité. Alors oui, j’ai mis deux heures pour fouler cette fameuse zone mais étant donné les circonstances je ne m’en sors pas trop mal je dirais. Puisque je suis là, autant en profiter pour céder à toutes les tentations que représente cette étendue d’eau, depuis le temps que j’ai envie de prendre un bain de minuit… « On dirait que tu viens de perdre quelques couches de vêtement. » Je me penche pour pouvoir retirer mon caleçon qui se trouve aux côtés de mon pantalon à mes pieds et je jette mes vêtements en arrière pour ne pas qu’ils soient emportés par une vague. « Non tu crois ? » Que je réponds très ironiquement en commençant mon ascension, une très lente montée en puissance puisque je souffre déjà de la froideur de l’eau lorsque les vagues viennent s’écraser le long de mes hanches. Qu’il va être difficile d’aller plus loin. « J'te conseille d'entrer le plus vite dans l'eau possible, sinon tu n'y arriveras jamais. » Il n’a pas tort, généralement je fonce tête baissée pour me forcer la main mais là… Il fait nuit et je n’ai aucune idée de ce qui peut bien se trouver dans l’eau. « Non mais c’est une tactique, au cas où un requin viendrait pour nous bouffer tu seras le premier et j’aurais le temps de me tailler ! » L’excuse pourrie mais mine de rien cette idée se tient, au moins je ne me ferais pas becter. Ne soyons pas chochottes, je prends sur moi et frissonne à chaque fois que l’eau entre en contact avec une partie de mon corps jusqu’alors non-immergée. « Tiens, ça vaut probablement pas ce que tu as perdu, mais j'ai entendu dire que c'était ton anniversaire récemment... et j'aime pas rater un anniversaire. Alors demain j'te ferais un collier de ce coquillage. » Je tends les mains naturellement et me retrouve avec un mélange de boue et un coquillage, afin de pouvoir le nettoyer je glisse mes mains à plusieurs reprises dans l’eau, retirant les parcelles de sable progressivement. « C’était mardi, mais tu es bien le premier qui m’offre un petit quelque chose, merci ! » Si j’étais du genre très sensible je verserais probablement ma petite larme mais à la place je m’avance pour le prendre brièvement dans mes bras, une accolade certes spéciale puisque nous sommes nus l’un comme l’autre mais qui n’a rien de sexuel. « Ça je te le devais depuis samedi dernier ! » Je n’aurais pas dû baisser ma garde, le chenapan en profite pour me sauter dessus et me couler. Si l’activité est appréciable dans une piscine, avoir du sel plein les lèvres et les yeux l’est tout de suite moins. Je remonte à la surface, crachant pour expulser ce mauvais goût de sel qui me donne à présent l’impression de ne pas avoir bu une seule goutte d’eau depuis des jours. « Ah, tu veux jouer à ça ? » Que je lui demande sadiquement en m’approchant dangereusement de lui, il va prendre cher, très cher !

Il est sérieux ou non ? Parce qu'une attaque de requin c'est déjà relativement rare, mais dans des eaux aussi peu profondes les risques sont quasiment nuls. Et puis Ghika est persuadé que la production a mis en place une sorte de système de protection. Mais comme toujours, même si Ghika pourrait se taire, même s'il est capable de laisser Jaheim dans son petit délire paranoïaque et sa légère squalophobie, il préfère lui expliquer en quoi son petit plan risque d'échouer. « Un requin... évidemment, crois-moi je suis la chose la plus dangereuse que tu croiseras sur cette baie... et on peut pas dire que je sois une très grande menace. Et puis un requin ne s'attarderait pas sur moi, tu as bien plus de viande sur les os. » Il dit vrai, il en est convaincu. Vous avez vu la gueule des poissons ? Ils dorment la nuit eux aussi non ? Alors pour l'instant Jaheim n'a rien à craindre. Sauf Ghika. Mais Ghika n'est pas vraiment un danger pour quelqu'un d'autre que pour lui-même et sa propre sécurité. Alors on peut déduire que Jaheim est en sécurité, tant qu'il ne réveille pas le monstre qui sommeille paisiblement en Ghika du moins. « Mieux vaut tard que jamais il paraît. Et puis en général j'ai des difficultés avec les dates. Mes amis savent que je leur souhaite leur anniversaire en avance ou en retard, rarement le jour même. » explique-t-il pour justifier le fait d'avoir raté le jour J. Il faut avouer que garder une idée du jour, de la date, de l'heure, est quelque chose de plutôt ardu dans le nid où les jours se succèdent et se ressemblent au point de ne plus former que des semaines dont on ne distingue que le jeudi et le dimanche parce qu'ils sont porteurs de bonnes ou mauvaises nouvelles. Alors si à l'entendre Ghika a compris que la journée de mardi était loin derrière eux il déduit qu'ils sont peut-être mercredi ? Ou jeudi depuis quelques instants ? Les nominations vont bientôt tomber. Le danger rôde. Pas pour Jaheim qui est immunisé cependant. Après l'avoir fait boire la tasse, involontairement ceci-dit, Ghika se marre. Mais le jeune homme nu en face de lui semble un peu plus enclin à une revanche qu'à s'amuser de la situation. « Sois pas rancunier ! J'étais en dette auprès de toi, on est à égalité maintenant ! » dit-il en levant les mains en signe de capitulation, d'abandon de la bataille. Mais Ghika n'en a pas assez dit, il a besoin d'avoir le sentiment de gagner ce petit jeu qui prend forme dans la mer. Au risque d'être mis sous l'eau, il doit continuer à jouer. Tant que Jaheim n'aura pas rendu lui aussi les armes. « A moins que tu cherches juste une bonne excuse de te frotter à moi... » murmure-t-il. C'est dans ces moments-là que Ghika est le plus dangereux, quand il décide de se mettre en chasse. Jaheim a manifestement un esprit troublé depuis quelques temps. Rapprochements avec Aaron, un baiser échangé avec Sacha... Il est clairement en quête de quelque chose, et si Ghika peut se servir de se trouble pour éviter de se faire brutalement enfoncer la tête sous l'eau, où est le mal ? Il peut même aider Jaheim à comprendre ce qui le tracasse.

Avec toute la pollution qui détruit notre monde, le réchauffement climatique a perturbé pas mal de choses si bien que l’on a même retrouvé de petits requins dans certains ports en France par exemple. Ils n’étaient pas énormes mais les plus gros finiront par suivre le mouvement, si ce n’est pas déjà fait un peu plus au large des côtes. Je ne suis pas une flippette mais je n’aurais jamais pleinement confiance en nageant dans la mer, les requins sont sadiques et te prennent par surprise… Et puis, même sans parler des requins on sait tous que nous cohabitons avec le monde marin et d’autres poissons peuvent être dangereux. « Un requin... évidemment, crois-moi je suis la chose la plus dangereuse que tu croiseras sur cette baie... et on peut pas dire que je sois une très grande menace. Et puis un requin ne s'attarderait pas sur moi, tu as bien plus de viande sur les os. » J’ai le réflexe de baisser pour la tête pour constater que, oui, je suis plus gras que lui. Ce n’est peut-être pas de la graisse au sens commun du terme puisque je muscle durement tout cela mais ça reste une masse musculaire qui devrait plaire à un requin potentiellement affamé. « Tu sais, il parait qu’ils nous prennent pour des phoques, je doute qu’un requin qui a la dalle prenne le temps de nous comparer, il sautera sur le premier morceau de viande qu’il verra ! » C’est la logique des choses, mais bon, rien de tout cela ne devrait se produire alors tout va bien. « Et puis, le réel danger c’est plutôt moi, tu ne ferais pas le poids une seule seconde. » Que je me permets d’ajouter, malicieux et peut-être un petit poil prétentieux. Soyons réalistes, si on se base uniquement sur la force physique je n’aurais aucun souci à le maitriser. Il me souhaite mon anniversaire en retard mais je ne m’arrête pas sur ce genre de détails, je préfère saluer l’intention. « Mieux vaut tard que jamais il paraît. Et puis en général j'ai des difficultés avec les dates. Mes amis savent que je leur souhaite leur anniversaire en avance ou en retard, rarement le jour même. » Au-delà du fait que je trouve stupide de bouder pour un retard dans le souhait d’un anniversaire j’aurais vraiment bonne mine de me vexer alors que j’oublie une fois sur trois la bonne date des anniversaires de mes proches. A vrai dire, si je ne vivais pas dans une communauté où tout se sait j’en aurais probablement oublié bien plus encore. Le vilain Ghika profite de l’accolade que je lui offre en guise de remerciement pour me prendre en traite, il me coule et me fait boire la tasse. Qu’il est amer d’avaler de l’eau salée, même si j’en ai avalé une très petite quantité ma gorge me brûle et il me faut bien deux minutes pour me remettre de mes émotions et opter pour une revanche qui me parait plus que justifiée. Bon, ce n’est pas une vendetta au premier degré, je le prends à la plaisanterie et j’ai envie d’en jouer. « Sois pas rancunier ! J'étais en dette auprès de toi, on est à égalité maintenant ! » Je pouffe de rire, approchant d’un pas lent à l’image du tueur en série dans les films d’horreur qui avance tranquillement pendant que sa victime sprint pour lui échapper. On sait tous que tôt ou tard j’aurais les devants et qu’il ne pourra plus que supplier pour sa vie. « Tu crois vraiment que je vais me contenter d’une égalité ? » Ce serait très mal me connaitre ça. « A moins que tu cherches juste une bonne excuse de te frotter à moi... » Il mérite bien un point pour l’imagination et le recyclage. Oui parce que tout le monde est au courant du flou dans lequel je me trouve depuis une semaine ou deux, depuis le premier baiser que j’ai échangé avec Aaron pour être précis, je ne sais plus trop où se trouvent mes limites. « Bien essayé, mais ça ne m’arrêtera pas ! » Et puis, si vraiment je voulais me frotter croyez-moi que je n’utiliserais pas d’excuses en carton, je foncerais tout simplement. Je sautille pour m’attaquer à ses épaules sur lesquelles mes mains exercent une pression, je place tout mon poids dans la bataille et l’entraine avec moi vers le fond. C’est le sacrifice, pour le faire trébucher et couler je dois moi aussi me séparer de mon équilibre.

Jaheim lui paraît complètement dingo à cet instant. Ghika ne sait pas pourquoi il n'arrive pas à mettre un mot sur ce qu'il pense exactement. Mais on dirait que Jaheim est parti dans un délire tellement lointain que même Ghika, qui a pourtant de grandes facilités à atterrir au milieu d'un trip et le comprendre, n'arrive pas à saisir. Des requins, des phoques... C'est tout simplement incohérent, vraiment, pour de bon. Alors il préfère le prendre au premier degré, en espérant que Jaheim arrêtera de semer le trouble dans un bain de minuit inoffensif avec ses histoires à coucher dehors. « Tu sais que les phoques sont probablement aussi fréquents que les licornes en Australie hein ? Et puis franchement un requin qui a la dalle il vient pas se perdre près du rivage, il va là où les gros poissons vont en temps normaux. Au large. » Bah quoi ? C'est pas comme si Jaheim avait la gueule à avoir un diplôme en science de la faune et de la flore en milieu marin hein. Si c'était Lou qui avait manifesté ses doutes quant au fait de se baigner, peut-être que Ghika aurait écouté. Mais franchement Jaheim ? Le type vivait en Angleterre. Pour peu il n'a jamais foutu un pied dans autre chose que la Manche ! Quelle autorité ça lui procure cette expertise ? Aucune. Il faut l'avouer, Ghika a tendance à paraître ultra-rationnel, pour une bonne raison, il l'est. En dépit de ce que l'on peut voir au quotidien, il a quelques névroses qui le rongent quand il leur laisse la place de reprendre du pouvoir sur son esprit, et il a aussi une fâcheuse tendance à s'approprier les angoisses des gens. Alors que Jaheim continue à parler de requin, quand il n'y en a pas, ne fait que le rendre un peu plus névrotique. Et quand la névrose se déclenche... Ghika il change, il devient bien plus renfermé, bien plus méfiant, bien moins drôle. Alors il faut qu'il pense à autre chose, qu'il occupe son esprit avec n'importe quoi. Le premier truc qui lui passera par la tête. « J'espérais que tu admettrais que ma réclamation avait une valeur et que ça suffirait... apparemment pas. » Réclamation, plaidoirie, droit, cour de justice, juge, marteau, décision, défense, avocat, robe, mode, coutume, ancêtres, il égraine cette liste de mots dans sa tête jusqu'à ce qu'il sente son agitation le quitter. Il arrive à vaincre la petite angoisse qui commençait à naître dans ses entrailles. Les requins ? Oubliés. Trop occupé à se calmer les nerfs, il n'a pas vu Jaheim agir et il s'enfonce déjà dans l'eau bouche ouverte inspiration en cours. L'eau salée lui brûle la gorge et les poumons quand il regagne la surface, Ghika s'étouffe, crache et s'époumone. Putain, c'est vraiment dégueulasse. « J't'offre un coquillage et voilà comment tu me remercies ? C'est bien la dernière fois que je te faisais un cadeau hein. » avertit-il en partant vers le rivage, toussant encore à s'en décrocher les poumons. « En plus les poissons font caca dans l'eau c'est à vomir. » lance-t-il presque boudeur en se mettant à genoux dans l'eau pour ne pas exposer son corps au vent frais qui souffle sur la plage.

Je pars dans mon délire, il parait que les requins prennent parfois les hommes pour des phoques et que c’est la raison principale de la plupart des attaques de surfeurs et autres nageurs. Comme si un requin pouvait confirmer cette interprétation ou non, toujours est-il que si je découvrais un aileron je prendrais la fuite en hurlant comme une petite fille. Ouais, je suis ce genre de personnes face à une machine à tuer et je pense que tout le monde aura la même réaction que moi, comment parvenir à maitriser un requin affamé alors qu’il se trouve dans son élément, l’eau salée. « Tu sais que les phoques sont probablement aussi fréquents que les licornes en Australie hein ? Et puis franchement un requin qui a la dalle il vient pas se perdre près du rivage, il va là où les gros poissons vont en temps normaux. Au large. » Je relève un sourcil, mon petit air boudeur naturel illustrant ô combien sa réponse ne me satisfait pas. « T’es vraiment pas drôle comme mec, parfois tu devrais arrêter de réfléchir et juste… Juste constater tiens ! » Non pas que j’ai horreur de ses constats scientifiques mais parfois il serait bien qu’il apprécie le délire, qu’il le comprenne peut-être pour commencer, parce qu’il n’est pas question de premier degré ici mais de blagues. Des requins rodent peut-être à quelques centaines de mètres de nous mais j’essaye d’en faire abstraction. En Australie il me semble que l’on trouve pas mal de poissons de ce genre-là alors mieux vaut être prudent. Ghika change de sujet et tente de me dissuader de lui faire boire la tasse avec une insinuation douteuse, comme si je voulais me frotter à lui. Ais-je une tête à me frotter à quelqu’un déjà ? Je ne suis pas un chien ! « J'espérais que tu admettrais que ma réclamation avait une valeur et que ça suffirait... apparemment pas. » Il a tout à fait raison, je ne vais rien admettre et j’opte plutôt pour une vengeance bien sentie, je me jette sur lui comme un fauve affamé sur une pauvre gazelle. Nous nous retrouvons tous les deux sous l’eau pendant quelques secondes, peut-être un peu plus, puis je l’abandonne pour rejoindre la surface, il en fait de même et tousse. Il a probablement bu la tasse. « J't'offre un coquillage et voilà comment tu me remercies ? C'est bien la dernière fois que je te faisais un cadeau hein. » Je l’observe avec un petit air attendri, il est trop mignon le petit quand il essaye de se faire passer pour le vilain petit canard détesté de tous. « Qui aime bien châtie bien ! » Si on considère le fait de couler quelqu’un comme un châtiment je peux donc considérer que je l’apprécie beaucoup. « En plus les poissons font caca dans l'eau c'est à vomir. » Il s’éloigne en bougonnant et je me sens soudainement mal, amusé mais coupable. Je n’ai qu’à faire en sorte d’être pardonné et je décide de laisser s’exprimer mon côté tactile. Je le rejoins et l’entoure de mes bras, me collant contre son dos pour me blottir contre sa peau. « Si je te fais un gros câlin tu me pardonne cet affront ? » Que je demande avec une petite voix toute mignonne.

Lui pas drôle ? Bon bah ça au moins c'est dit. C'est pourtant pas l'impression que Ghika a eu depuis ces cinq dernières. Les candidats ont eu l'air d'apprécier son sens de l'humour. Alors oui, effectivement parfois il est un peu trop terre à terre, mais être rationnel n'a jamais tué personne et il est même sûr que ça a probablement sauvé des vies. « On a tous des défauts... si le mien est que mon cerveau fonctionne trop ça me va ! » déclare-t-il avec un brin de dédain dans la voix. C'est pas dans son habitude de prendre les gens de haut, mais quand on critique sa façon de penser, il a toujours l'impression que c'est une réponse adéquate que de montrer les dents. Pas qu'il en veuille à Jaheim, au fond dans trois secondes il aura oublié pourquoi il a été sur la défensive. Ghika déteste pas mal de choses, il est un peu exigent il doit l'admettre, mais une des nombreuses petites choses qui le répugne est la bouderie. Les gens qui boudent pour un rien ça le met franchement hors de lui. Et pourtant parfois il aime bien jouer la carte du mec vexé, pas longtemps juste le temps de susciter une réaction. Et voilà, Jaheim ne se fait pas attendre. « Mouais... tant que ça vire pas à l'acharnement... » dit-il d'une voix de martyre. Ouais, parfois Ghika est bon acteur, c'est pas souvent cela dit, mais cette fois il estime sa prestation plutôt crédible. Un peu trop crédible même. Vous voyez la réaction dans les mangas des gens quand ils ne veulent pas d'un contact physique ? Ils deviennent bleus et tout raides, bah c'est à peu près l'état dans lequel est Ghika quand Jaheim vient se coller contre lui. Il ne peut pas s'en empêcher, c'est une sorte de frisson désagréable qui le saisit quand il sent les bras de Jaheim se refermer sur lui. C'est beaucoup trop intime à ses yeux. Il peut largement compter sur les doigts d'une main les hommes qui l'ont ainsi tenu. « On dirait que t'avais pas besoin de permission ! » essaye-t-il de plaisanter sans réellement cacher son malaise. Bon... il faut qu'il se sorte de cette situation délicate. Le nid regorge de moments comme ceux-là durant lesquels il faut composer avec ce que les gens sont et ce qu'ils pensent être un cadeau. « C'est mon dos qui te fait cet effet ? » demande Ghika en se dégageant le plus subtilement possible de l'étreinte naturiste à laquelle le soumet Jaheim.