Cette journée est triste. Je sens la tristesse dans toutes mes articulations, dans toutes mes intonations. Je me sens triste parce que j'ai toujours cette façon bien à moi de ressentir les choses avant qu'elle n'arrivent. Il y a peu j'ai vécu une journée sens, parce que j'avais cette sensation dans le cœur, ce vide béant qui m'annonçait rien de beau. J'avais l'impression que j'étais à un tournant de la vie et puis ça c'est avéré vrai, puisque pas longtemps après je faisais un teste de grossesse. Là ce n'est pas un sentiment d'expectative, c'est plus une terrible certitude qui s'est infiltré dans mes veines. La certitude morbide que mon futur sera d'une tristesse sans nom. J'ai juste l'impression que mon monde s'est refroidis d'un seul coup, que tout n'est que tristesse. Paradoxalement je suis tellement incertaine dans mes choix, dans mes envies et pourtant là je suis certaine de finir malheureuse peut importe l'issue de tout ça. J'espère dans un sens que mon instinct va se tromper, que je vais avoir un futur lumineux et plein de chaleur loin de ce paysage froid qui se découpe devant mes yeux. Le soleil se couche et je trouve ça funeste, froid j'ai l'impression que les ténèbres vont juste m'engloutir. Je frissonne presque de peur, moi qui téméraire. La fumée qui s'échappe de ma bouche vient occulté la vision apocalyptique qui se dessine devant moi. Je sais je ne devrais pas fumé et d'ailleurs je ne l'ai pas fais depuis que je sais et même avant. Mais là ça c'est imposé à moi comme une façon débile de dire que de toute façon il sera malheureux alors s'il a un œil en moins ou une oreille en forme de chou-fleur ça n'y changera pas grand chose. Je suis là les coudes bien encré dans la balustrade qui me sépare du vide, le regard absent de toute chose. De temps en temps un leur de crainte vient secouer mon corps inanimé et mon visage ampli d'une tristesse contagieuse. Je me sens simplement piégée dans mon propre corps. Enfermé dans une situation qui ne me convient pas qui ne m'a jamais convenue. Je ne pensais pas avoir d'enfants en réalité, je ne sais pas si j'en voulais ou pas... mais j'avais cette fausse certitude que de toute manière je ne trouverais personne d'assez patient pour vouloir fonder une famille avec moi. Une sorte de fatalité qui me convenait parfaitement. Et en même temps je n'avais pas tords. Ma tête pivote au son de la porte qui s'ouvre et mon regard glisse sur Paloma. Je la regarde, la détail d'un air absent. Et puis je regarde ma cigarette que j'insère entre mes lèvres une fois plus. Ajoutant une dose de noirceur dans mes poumons. « Une cigarette c'est pas ça qui va le transformer en cendrier. » Je réponds à sa question muette. Je sais que ce n'est pas une chose à faire ou à dire, mais peut importe il sera malheureux de toute façon. Que je le garde, que je le donne à l'adoption il lui manquera toujours quelque chose à ce pauvre bébé qui n'a rien demandé.

Les endroits pour s'isoler un moment de la promiscuité parfois pesante du nid, Paloma les connaît tous. A force, elle sait où se rendre et à quelle heure pour éviter la foule mais y'a une tactique qu'elle a pas encore eu le temps de mettre en place. C'est celle d'Hadrien, qu'elle a surpris en train de redescendre du toit pas plus tard que la semaine dernière. Elle a l'impression que c'était hier et c'est étrange de se dire qu'un souvenir qui lui paraît aussi récent est déjà biaisé puisque le candidat n'est plus dans le nid... Mais c'est le jeu pour lequel ils ont signé et un jeu, peu importe sa nature, implique des règles à suivre. Ils ne les font pas, ne peuvent les défaire, parce qu'au fond ils ne sont que des pions, des souris de laboratoire sur lesquels se penchent des téléspectateurs ravis de les voir trébucher et se casser la gueule. Paloma est un peu morose, ça lui arrive parfois. Y'a toujours une raison, c'est souvent la même, la tristesse qui revient la frapper comme une vague quand elle ne s'y attend pas. Et elle prend soin de laisser des milliers de débris sur son passage, quand elle se retire jusqu'à la prochaine fois. Des lambeaux qui font office de poussières minuscules qu'on peut pas enlever à mains nues mais qui s'ancrent dans la peau et ressortent à chaque nouvelle vague qui l'accable. C'est con le chagrin, parfois, Paloma a presque l'impression que c'est un truc inscrit dans son code génétique, une clause non-négociable du contrat de sa naissance qui voudrait que son coeur soit plus mou que la normale, sa peau plus perméable et son âme masochiste, prête à se ramasser des plaies tous les quatre matins sans rien faire pour les suturer. C'est le propre des gens qui donnent trop, en fait, que de ne pas être armés contre la vie et ses coups durs mais l'espagnole n'a pas envie d'y penser. Elle préférerait fermer les yeux et s'oublier sous la bise caressante du toit. Là-haut, elle pourrait se dérober aux autres et à elle-même, tout observer de plus haut, prendre de la distance en même temps que la hauteur et puis laisser ses pensées flotter au loin, sans rien faire pour les retenir. C'est dans cette optique que Paloma franchit la porte qui la sépare du toit mais ses yeux alertes tombent immédiatement sur la silhouette de Tilda, accoudée sur la rambarde. L'italienne la regarde sans la voir mais Paloma, elle, discerne précisément le trouble de son visage. Elle est éteinte. Tilda qu'a toujours l'air si lumineuse, si expansive, elle a l'air de pas être là, de se terrer en elle, si loin que personne ne peut plus l'attraper. Rien, sauf sa peine parce que c'est exactement ce qui l'emprisonne. L'italienne l'accueille plutôt froidement et Paloma sait à cet instant qu'elle n'ira pas sur le toit mais qu'elle restera là, à essayer d'apaiser un peu Tilda mais pas que. Elle en a besoin, aussi. Elle s'avance de ses pas gracieux, félins. Elles esquisse des pas légers, précautionneux, jusqu'à rejoindre l'italienne et lui répondre enfin, jetant un coup d'oeil sur sa cigarette à peine entamée, puis sur son visage chagriné. « Je sais. Je me permettrai pas de juger » lance-t-elle le plus sincèrement du monde. Tilda fait ce qu'elle veut avec ce qui grandit en elle, Paloma n'a pas son mot à dire et n'aurait jamais osé ce genre de réflexions. Mais cependant, elle va pas se cacher que la voir ainsi, ça la touche. Parce que normalement, avoir un bébé c'est une chose merveilleuse qu'on attend avec hâte, c'est une fête perpétuelle jusqu'à la naissance, une explosion de nouvelles sensations, de découvertes, d'effusions de bons sentiments et d'impatience qui gronde au fur et à mesure que le ventre s'arrondit. Ca devrait être un événement heureux, pas le genre que Tilda doit subir comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules (ou son utérus). Plongée dans ses pensées, le regard ancré dans l'horizon, dans le vague en fait, Paloma garde le silence pendant quelques secondes, avant de lancer avec une douceur caressante, murmurée, le timbre plus bas encore qu'à son habitude. « T'es pas obligée de faire ça si tu n'en as pas envie... Tu as le choix... » souffle-t-elle. C'est un peu maladroit, mal assuré, mais Paloma ressent le besoin de lui dire, même si d'autres ont du s'en charger. Un enfant devrait jamais être un fardeau et si Tilda ne se sent pas prête ou n'en a pas envie, personne devrait la forcer à le porter pendant neuf mois pour l'abandonner ensuite. La production n'est pas insensible, c'est facile de l'extrader en pleine nuit pour la conduire dans un hôpital et s'assurer que tout se passe bien. Du moins, elle l'imagine. Paloma comprend un peu le dilemme dans lequel doit être Tilda, de ce bébé sans père. Elle, elle aurait aimé un enfant. Un enfant d'Antoine, bien sûr, mais n'aurait jamais eu la force de laisser la vie grandir en elle alors qu'il n'était plus là pour le voir. Elle aurait eu l'impression de le trahir, en quelque sorte. « Il te reste une cigarette ? » qu'elle demande simplement. Paloma fume pas mais elle se dit que ce genre de situations, le spleen qui l'étreint en lui rappelant qu'elle construira jamais la famille dont elle a rêvé tant de fois avec lui, ça mérite bien une clope ou deux. Paraît que ça calme les nerfs, la fumée. Paloma n'a jamais été d'accord avec cet adage, parce qu'elle, ce qui la calme c'est souvent juste l'odeur quand elle émane d'un homme qu'elle aime. Ca lui suffit.

Je suis tout simplement entrain de me noyer dans ma tristesse. Je sais que ce n'est pas une bonne chose de se laisser diriger vers un sentiment aussi fugace. Mais j'ai tellement l'impression que je ne vivrais plus jamais aucunes autres sensations, je le sais tout simplement. Je le ressent dans le plus profond de mes entrailles que c'est ce qui m'attends que je devrais m'y faire. Et même si demain mon sourire sera peut être plus chaleureux, dans le fond je sais qu'il n'y aura plus que noirceur dans mon cœur. Il faudrait juste que j'arrive à m'y faire, que d'autres perspectives s'ouvrent à moi. Que j'arrive à ouvrir les yeux sur des évidences et que j'arrête de me laisser aller à cette peur irrationnelle de l'inconnu. Parce qu'il s'agit de ça dans le fond, d'une peur totalement irrationnelle. Il est stupide d'avoir peur de quelque chose qu'on ne connaît pas. Je le sais parce que je prône ce genre de philosophie depuis des années maintenant. Et là je me retrouve pétrifier, éteinte et même inconsciente à fumer de la sorte. Je n'y prends aucun plaisir en plus, c'est juste un geste de rébellion contre mon putain d'utérus trop fertile. Je ne veux pas de ça, d'une vie pleine de douleur, d'incertitudes et de rêves brisés. Je n'ai pas la fibre maternelle, peut être que si j'avais eu une mère digne de ce nom. Oui non ça ne sert à rien de rejeter la faute sur cette pauvre femme arriviste. Non c'est moi, il n'y a que moi à blâmer. Si je n'avais pas fait preuve d'autant de naïveté avec cet homme je n'en serais pas là. Je pose mon regard sur Paloma, sans réellement la voir. Je me contente de glisser sur elle et anticipe une réaction de jugement. Parce qu'ici on est sans cesse jugé, par les animateurs, la productions, les spectateurs et puis même entre nous. Alors je l'imagine déposer un regard outré à la vie de cette femme enceinte qui fume malgré la contre indication qu'on peut trouver sur les paquets. En plus en tant qu'infirmière spécialisé en pédiatrie, je fais preuve d'une mauvaise fois sans nom. Mais peu importe, je ne suis pas l'infirmière là, je ne suis même pas Tilda. Je suis le désespoir en personne. Elle ne souhaite pas me juger, je hausse les épaules délaissant mon regard sur l'horizon. Peut importe. Je sais que réagis pas de manière tout à fait normal, peut être parce que je suis pas le type même de la femme d'intérieur ou de la nana qui a toujours rêvé de fonder une famille et de porter une robe blanche ? Mais surtout parce que je suis le type de nana qui s'est brisé, qui s'est vendu au diable pour un résultat mitigé. Pour un résultat nul, si ce n'est la tâche noire sur mon cœur. « Je sais. » Je souffle alors qu'elle me parle de choix. Oui j'y ai déjà réfléchis des centaines de fois sauf que je peux pas m'y résoudre. Non clairement pas. J'ai tellement connue de femmes qui désiraient avoir des enfants avec une force telle que chaque muscles, chaque organe en souffrait après les multiples fausses couches, les déceptions lié à une adoption non aboutit et puis la longueur de la paperasse. « Je me le pardonnerais pas. » Si je faisais un tel choix. Parce que je suis pas une jeune ado de quinze ans qui a oublié d'utiliser une capote, parce que je suis pas sans le sous, sans carrière, sans logement. Parce que en réalité j'aurais certainement tout ce qu'il faut pour rendre heureux ce gamin, mais le problème c'est que je crois pas que ça me rendrait heureuse. Elle me demande une cigarette et sans réfléchir je lui tends celle que j'ai à peine entamé, parce que j'y prends aucun plaisir et parce que j'ai lourdement conscience que c'était stupide. « J'en veux plus. » Je me contente de lui dire et puis en plus j'en ai pas d'autre. Je l'ai piqué à un fumeur, dans un paquet qui traînait sur la table du salon. Je crois que dans le fond j'ai juste pas envie d'avoir un gosse alors que je vais certainement lui faire honte. Que je fasse honte à des étrangers de passage dans ma vie peut importe... mais que mon enfant grandisse auprès de moi alors qu'il pourrait avoir le genre de mère irréprochable sans ce passé qui vient noircir cette vie qui nous est si précieuse et si courte. J'ai toujours assumé, mais j'ai toujours aussi été très consciente que si j'avais pas fait cette bêtise ma vie aurait pu être plus belle. J'ai remarqué que Paloma n'était pas dans son assiette mais j'ai franchement pas la force de m'intéresser à ses malheurs. Je suis beaucoup trop engoncé dans les miens.