La journée est passée vraiment vite, ça ne me surprend pourtant pas tant que cela puisque je me suis concentré sur l’entrainement sportif que j’ai quelque peu laissé de côté la semaine passée. C’est ça d’être tenté par un peu de repos, de détente, vous en oubliez votre corps et une carrure comme la mienne ne s’entretient pas qu’une fois de temps en temps. Dans la nuit de dimanche à lundi, ne parvenant pas à dormir avec l’euphorie et l’adrénaline de ma non-élimination en fin de prime, je me suis donc mis en tête de travailler mon corps un bon coup jeudi après avoir repris le footing une bonne heure par jour et des séries régulières de pompes et d’abdominaux. J’ai donc pris soin de me lever tôt ce matin, de correctement petit-déjeuner et j’ai profité de mon avance sur mon « planning » pour me concocter ma boisson protéinée. Oui parce qu’il n’y a clairement pas de miracle, pour développer une telle carrure il faut énormément de protéines et j’ai pris conscience il y a bien longtemps que je ne pourrais pas parvenir à un tel résultat sans un petit coup de pouce. Deux heures plus tard je rejoignais le gymnase, désert et il l’est resté jusqu’à maintenant. Je m’entraine comme un fou depuis combien de temps maintenant ? Je pense que nous devons frôler les trois heures, c’est suffisant et mes muscles commencent à tétaniser signe qu’il est grand temps de faire une pause. Dans le sport, comme partout d’ailleurs, il est inutile de s’entrainer une fois pendant des plombes, c’est une manière de se remettre en forme mais cela implique d’être plus régulier ensuite et c’est bien ce que je compte faire. Mon débardeur est trempé de sueur, comme le reste de mon corps, mais je n’y prête pas attention pour le moment. La seule chose à laquelle je pense c’est ma boisson qui, en plus de m’apporter mes protéines me permettra de me désaltérer, ça donne soif le sport mine de rien. La porte claque, je me retourne, bouteille aux lèvres, et découvre un Sacha très souriant qui me donne immédiatement la pêche. « Tu viens te venger de moi ? » Que je demande d’un petit air innocent, ça ne m’étonnerait en rien après ma vilaine blague à base de farine.

Après avoir lézardé une bonne partie de l’après-midi à la plage, je me suis décidé à me bouger et à m’échauffer avant de bosser. Une fois l’échauffement terminé, me voilà dépassant les portes du gymnase. Un candidat est déjà présent. Il s’agit d’un Jaheim en sueur et essoufflé. Je parais presque neuf par rapport à lui et ce, même si je viens de courir et de faire craquer tous mes os dehors. « Désolé de te décevoir mais non. » La vengeance ne se fera pas tout de suite. C’est trop attendu. Ça serait trop simple. « Je viens m’entraîner. » Je pose mon sac par terre et je m’empare de tous mon attirail d’artiste. Mes accessoires de funambulisme du genre harnais et aussi mes bâtons de feu que je n’allumerai bien évidemment pas. Ce n’est pas le lieu et ce, même si je sais ce que je fais. « Ta punition sera de me regarder travailler et de me dire ce que je pourrai améliorer. » Ça paraît soft comme sentence mais c’est pas si cool que ça quand on y pense. Surtout sachant que je peux passer plusieurs heures à m’entraîner non-stop. Me regarder sera donc un véritable supplice. Mais il n’a pas le choix. Bref, je grimpe sur le fil en hauteur dans le gymnase tout en assurant la sécurité. C’est pas très haut par rapport à ce dont j’ai l’habitude mais cela reste un bon entraînement et potentiellement dangereux. Une fois en haut, je jette un coup d’œil au jeune homme et je me lance sur le fil avec aisance. Je jongle avec mes bâtons avec concentration. Puis je me décide alors à fermer les yeux et à continuer à avancer sur le fil. « Tu crois que je sais prendre des risques ? » Je lui demande assez fort pour que ça résonne dans la pièce et qu’il entende tout en continuant sur le fil les yeux fermés.

Quand tu es à fond dans ton entrainement les mouvements paraissent tellement simples, tu as l’impression d’être le roi du pétrole et tu penses fièrement que tu pourras continuer encore et encore sans ressentir une seule petite once de fatigue. Dommage que cette douce illusion ne soit, comme son nom l’indique, qu’une utopie. A la seconde même où tu t’arrêtes pour faire une petite pause, pour boire de l’eau par exemple et te détendre cinq minutes pour ne pas trop en faire baver à ton corps tu te retrouves bêtement piégé, ta force diminue drastiquement et il n’y a pas grand-chose à faire contre cela. Il faut simplement savoir reconnaitre lorsque l’on a atteint ses limites, quand il est plus prudent de s’arrêter pour que les résultats soient optimaux. C’est ce que je m’apprête à faire lorsque mon camarade Sacha me rejoint et je m’attends logiquement au pire, ce n’est pas comme si je lui avais menti toute la semaine après lui avoir tendu un piège de mauvais goût. « Désolé de te décevoir mais non. » Je m’attendais à cette réponse et c’est justement ce qui m’inquiète, je ne le verrais probablement pas venir, il sera trop tard pour éviter la foudre lorsqu’elle s’abattra sur moi. « Je viens m’entraîner. » Il abandonne son sac duquel il sort quelques outils, j’ai parfois tendance à oublier que lui et moi avons en commun un certain nombre de choses. « Je me demandais, toi qui est dans le monde du spectacle… Tu restes dans un coin précis où tu as une vie de bohème, à mon image ? » Certains artistes de cirque interviennent dans des écoles et restent donc dans la même région, le contraire de ce que je fais et de ce que font la plupart des artistes de cirque. « Ta punition sera de me regarder travailler et de me dire ce que je pourrai améliorer. » Je m’en sors plutôt bien, enfin je crois. « Parfait, je n’hésiterais pas une seule seconde à intervenir si quelque chose me dérange. » S’il voulait qu’on lui dise que tout est parfait il s’est trompé de personne, il n’y a pas plus perfectionniste que moi et mon corps en est la preuve. Je n’ai pas atteint la perfection, il est impossible d’y parvenir mais je fais tout pour m’en rapprocher. Enfin, de l’image que j’en ai puisque nous n’avons pas tous le même regard sur ce qui est parfait ou non physiquement. Histoire de terminer mon propre entrainement en beauté je m’allonge sur l’un des tapis les plus légers et attaque une série d’abdominaux. Il grimpe pendant ce temps sur un fil assez haut, suffisamment élevé pour que je ne puisse m’empêcher d’éprouver une pointe d’inquiétude. « Tu crois que je sais prendre des risques ? » Il jongle, les yeux fermés sans même prêter attention à ce qu’il fait et je ne sais pas si je dois être perturbé à l’idée qu’il puisse faire un faux pas et se blesser ou tout simplement être impressionné. « Je pense que oui ! Tu ne m’as pas l’air d’avoir peur des défis en tout cas. »

Jaheim semble vouloir en savoir plus à mon sujet. Il se montre curieux sur ma vie d’artiste et je peux le comprendre. C’est vrai que ce n’est pas commun. « Pendant longtemps j’ai eu une vie de bohème. Mon cirque bougeait un peu partout à travers les Etats-Unis. Puis j’ai décidé d’avoir un train de vie plus posé et propice aux relations donc j’ai quitté le cirque et je fais à présent parti d’un spectacle mais dans un coin précis. A Philadelphie. » Même si le cirque et toute la troupe me manquent terriblement, je ne regrette pas ma décision. J’ai fait ce qu’il fallait. Pour l’instant, ce spectacle me convient et quand j’en aurai marre ou quand un turnover aura lieu, je m’en irai et passerai à autre chose. « Et toi ? Parle-moi de ta vie de forain. » Qu’il m’en dise plus à ce sujet, je suis curieux. Il est vrai que sa profession a des traits communs à la mienne ou du moins son train de vie. Bref, plusieurs secondes plus tard, je m’équipe et lui fais part de sa sentence. Il devra me regarder travailler ou du moins répéter. Il se plie au jeu et me fait part qu’il sera intransigeant avec moi. Parfait. Je n’en attendais pas moins. J’ai besoin de cette perfection constante dans ce que je fais. Et donc me voilà, sur mon fil, m’exerçant et jonglant. Je m’amuse et en même temps je reste concentré et vigilant. Et puis, je décide de pimenter les choses et de fermer les yeux. Je laisse croire au jeune homme que je n’en ai pas l’habitude alors que c’est faux. Ce n’est clairement pas la première fois que j'avance en hauteur les yeux fermés. Je le questionne sur une éventuelle prise de risque que je serai entrain de prendre. « Je n’ai pas peur des défis mais je ne suis pas fou. » Je parle assez fort pour qu’il m’entende avant de me laisse tomber violemment en criant. J’imagine que je lui ai fait peur sur le coup et pourtant, il n’y avait aucune raison d’en avoir peur puisque je suis attaché. Je redescends donc petit à petit de mon fil pour regagner la terre ferme en douceur. « Désolé pour la frayeur. » Je ne suis pas tellement désolé. D’ailleurs, un sourire en biais a gagné ma frimousse. C’était ma vengeance. Lui faire peur. Je crois que j’ai plutôt réussi. Son cœur a dû s’arrêter de battre pendant quelques secondes. « Tu en es tout transpirant dis donc. » Je m’approche de lui et passe ma main sur son tee-shirt humide pour constater les dégâts que j’aurai pu causer. Mais je sais que c’est faux, évidemment, puisqu’il a fait du sport avant que j’arrive et qu’il était déjà en sueur.