w/pia

Il fallait s’y attendre. Depuis une semaine, il est un peu distrait. Ça ne lui ressemble pas, il est maître de ses actes en temps normal. Ou du moins, il laisse penser cela, même si à l’intérieur, c’est le gros bordel. Quoi qu’il en soit, c’est en faisant tomber un verre alors qu’il s’était sacrifié pour faire le peu de vaisselle qui traînait à la cuisine, qu’il est revenu sur terre, après avoir brièvement quitté celle-ci pour se perdre dans ses pensées à son image, peu réjouissantes. Dans son malheur, il a un peu de chance, puisqu’il ne s’est pas coupé. C’est déjà ça. Il regarde les dégâts. Un court instant, il est tenté de fuir et de faire semblant que ce n’est pas lui, avant d’abdiquer. Il ne voudrait pas que quelqu’un glisse sur les débris et se blesse. Alors il abandonne sa vaisselle pour s’engouffrer dans le couloir, avant de prendre la direction du placard à balais, dont la porte est déjà ouverte. Il n’entre pas tout de suite, préférant s’assurer qu’il ne surprend rien de compromettant, mais il constate finalement qu’il n’y a que Pia. « Salut. » Il s’annonce en entrant dans le placard, afin de ne pas faire sursauter la jeune femme. Il faut dire que l’espace est tellement restreint qu’il lui suffit de sursauter pour s’assommer à l’une des étagères, il aimerait autant éviter d’être responsable de cela. Il n’engage pas la conversation, il n’est que de passage, et peut-être que Pia aussi, il n’en sait rien. Ses prunelles ne tardent pas à trouver l’unique balai du placard, qui trône dans un coin – ce placard porte bien mal son nom – quand il entend un bruit suspect derrière lui. Il a juste le temps de voir une silhouette traînant une chaise avant que la porte se referme. Et il ne met pas longtemps à comprendre le coup foireux qu’on vient de leur faire. Ayant malgré tout un mince espoir d’avoir mal interprété la chose, il s’approche de la porte – il n’a qu’à pivoter sur sa gauche, donc – avant de poser sa main sur la poignée et d’essayer d’ouvrir la porte. Essayer, en effet, puisque si la poignée parvient à bouger, la porte ne s’ouvre pas pour autant. Pourtant, il n’a pas verrouillé celle-ci. Il n’a pas rêvé. Un enfoiré vient de les coincer, ni plus, ni moins. Et lui, il ne trouve pas cela drôle. Ça se saurait s’il avait un sens de l’humour, c’est clairement la dernière personne à cibler pour ce genre de blague. « Non, non, non. » Il murmure tandis qu’il s’acharne sur la poignée de la porte pour décoincer celle-ci, sans succès. Ça ne l’empêche pas de continuer ainsi pendant deux ou trois minutes, l’idée d’être enfermé ici ne lui plaisant pas forcément, loin de là. Et ce n’est absolument pas contre Pia, mais ce placard représente ce qu’il déteste. Trop petit, l’impression d’être pris au piège et surtout, ils sont deux, autant dire que l’espace manque et qu’il n’est pas du genre à adorer être aussi proche de quelqu’un. « Je croyais que c’était réservé à l’ascenseur, ce genre de connerie. » Il dit, plus pour lui-même qu’autre chose, tandis qu’il tente une dernière fois d’ouvrir la porte. Sans succès.

Vendredi. C'est le jour du poisson. Paraît que c'est une idée du bon dieu, quelque chose comme ça. Mais elle s'en fou Pia, c'est pas à ça qu'elle pense quand elle voit qu'on est vendredi. Elle se dit simplement que c'est au mieux son avant dernier vendredi dans cette maison. Et c'est étrange, de dire ça, ça donne des sensations bizarres parce que ça fait plus de deux mois que ses vendredi, elle les passe ici, au sein du nid. Et savoir que bientôt ce sera le retour des vendredi à la maison où elle ne mange pas non plus de poisson pourtant, ça lui fait drôle. Fake Lover c'est pas tellement une aventure qui se raconte, c'est une aventure qui se vit ; et elle s'en rend compte maintenant Pia, parce que la nostalgie ça la rend philosophe. Assise sur un seau posé à l'envers elle se donne des airs de penseurs et puis elle décide qu'elle a assez réfléchi aux choses qui dérangent pour la journée et qu'il est peut être temps de sortir de ce placard à balai. Comme philosopher ça lui donne faim à la rouquine, elle choisit d'aller bouffer un truc qui traîne dans les placards, n'importe quoi, du moment que c'est gras et que ça la pousse à se concentrer sur son estomac plutôt que sur son départ proche. « Putain.. ». D'un coup de coude maladroit elle vient d'envoyer s'écraser au sol une bouteille de détergent que l'utilisateur précédent ne semblait pas avoir jugé utile de referme et qui se repend maintenant au sol en une jolie flaque. Elle se penche, cherche la serpillère, puisque le placard à balais c'est plutôt la place adéquate normalement. Elle finit par la trouver et commence à  éponger le tout quand la porte s'ouvre dans son dos. « Salut. », elle répond à Alistair sans quitter sa serpillère des yeux, sait-on jamais, s'agirait pas qu'elle s'enfuie. Elle ne prête pas plus attention à son camarade que ça parce que même si elle est sociable Pia, elle ne juge pas que le placard à balai est le lieu idéal pour avoir quelque conversation que ce soit. « Non, non, non. ». Elle finit par lever la tête vers son camarade, parce qu'il a l'air légèrement paniqué quand même. « Tu cherches le balai ? T'en fais pas, il est là.. ». Elle pointe le dit-balai du doigt. Elle est un peu surprise parce qu'elle pensait pas Alistair si émotif, surtout à propos d'une histoire de balai qu'il ne trouvait pas, mais il faut dire que c'était sans doute un des candidats du nid qui cachait encore énormément de mystères, et ce même après deux mois. Elle finit par se lever, cependant, parce qu'elle comprend que le problème n'est pas là quand elle le voit s'acharner contre la poignée. Elle secoue la tête en l'entendant parler d'ascenseur ou elle ne sait quoi. « Pousse toi. C'est parce que t'es pas assez musclé. ». D'autorité elle écarte Alistair de la porte. Pia est là, elle va prendre la situation en main, tout va bien se passer. Elle prend une inspiration de concentration et d'un coup appuie les deux mains sur la poignée. Rien ne bouge. Elle essaye doucement au début puis de plus en plus frénétiquement, finissant par donner un coup de pied dans la porte ce qui est sans doute plus douloureux pour elle que pour la dite porte mais c'est pour sauver l'honneur. « Quel que soit le petit con qui nous a enfermé.. Ouvre, ou je te coupe les organes génitaux avec un coupe-ongle putain ! ». Sait-on jamais si Alistair devient dingue à cause de l'enfermement et décide de la frapper avec le balai.

Cela a comme un goût de déjà-vu. Il n’est pas venu souvent jusqu’au placard à balais, sachant pertinemment que cet endroit a une autre utilité que d’être véritablement un placard à rangement. Et la dernière – et unique – fois qu’il était venu ici, c’était déjà à cause de sa maladresse. Il n’est pas forcément maladroit, pourtant, de base, mais s’il se laisse submerger par ses pensées, il peut vite le devenir. Aujourd’hui ne fait donc pas exception à la règle. Il prend le chemin du placard et constate que Pia est déjà présente, il se contente de la saluer pour annoncer sa présence. Inutile de débuter une conversation, ça n’est pas l’endroit et il a autre chose à faire. Cependant, à peine s’est-il engouffré dans le placard à la recherche du balai – qu’il repère bien vite – que la porte se referme sur lui. Dans un premier temps, il a espoir qu’il ne s’agisse que d’un mauvais coup de vent, mais en essayant de l’ouvrir à nouveau, il comprend bien vite qu’il s’agit en réalité d’une mauvaise blague. Il en vient à légèrement paniquer, tandis qu’il essaie tant bien que mal d’ouvrir cette foutue porte, s’acharnant sur la poignée, mais la porte n’est pas décidée à s’ouvrir. Il pensait que c’était un coup réservé à l’ascenseur, de les coincer sans préavis, mais il faut croire que le placard à balais est un lieu plus dangereux qu’il n’y semble paraître. Pia décide de s’avancer et lui ordonne de se pousser prétextant que s’il n’arrive pas à ouvrir cette porte, c’est parce qu’il n’est pas assez musclé. « C’est vrai que tu l’es tellement plus que moi. » Vexé, Alistair ? À peine. Entre sa prétendue laideur et son manque de muscles, ça commence à faire beaucoup. D’autant plus quand la seconde remarque vient d’une des candidats les plus fluettes du nid, c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Mais soit, si elle pense être plus forte que lui, grand bien lui fasse, il s’écarte pour lui laisser le libre accès à la poignée. Un sourire moqueur s’affiche sur son visage quand il constate que Pia n’arrive pas plus que lui à ouvrir cette satanée porte. Pire, elle en vient même à la frapper. Ceci dit, la plaisanterie n’est que de courte durée puisqu’à peine a-t-elle terminé son petit manège qu’il prend conscience qu’ils ne sont pas prêts de sortir d’ici. Et ça l’emmerde, vraiment. Il n’aime pas être enfermé de force, ça lui rappelle de mauvais souvenirs, et il n’aime pas partager un si petit espace vital avec qui que ce soit. Pia a de nouveau une réflexion qui le surprend, quand elle menace l’imbécile qui les a enfermés. « Je crois que tes propos vont avoir l’effet inverse. » Il déclare simplement, tandis que ses prunelles se déposent sur chaque objet de la pièce, espérant tomber sur quelque chose susceptible de l’aider à ouvrir cette porte. Il est vrai que les paroles de Pia risquent d’avoir l’effet inverse. Vu la menace, pas sûr que l’idiot ayant bloqué la porte souhaite risquer de perdre ses organes génitaux, il y a plus de chance pour qu’il se cache plutôt qu’il affronte la colère de Pia. « Une idée du petit plaisantin ? Qu’on prépare une vengeance digne de ce nom. » Il termine, tandis qu’il commence à s’agiter dans la pièce, fouillant les étagères. Il faut qu’ils parlent de tout et de rien, il sait pertinemment qu’il ne supportera pas la situation bien longtemps.