Quand il s'ennuie en général Ghika cherche une personne avec qui s'occuper. Alors après avoir relu ses notes, ses anecdotes et ses petits essais de déductions sur un secret ou deux, il décide que ça ne sert à rien, il n'a pas la tête à bosser là-dessus aujourd'hui. C'est pas comme s'il n'accordait pas déjà un temps considérable à ses recherches, alors un jour off n'est pas un drame. Il a conscience que c'est peut-être sa dernière semaine dans le nid mais de toute façon il n'a pas sa tête dans le travail de réflexion là, donc se forcer n'a aucun intérêt. Alors qu'il va pour plier ses affaires quelqu'un entre dans la pièce, d'un coup d'oeil il identifie la personne pénétrant dans la pièce. Bon, il lui faut plier bagage, histoire que personne ne zieute sur ses petits secrets. « Viens par là toi. » dit-il en sautant sur ses pieds. Il attrape la main de Paloma et sans lui demander son avis l'entraîne à l'extérieur, il la tire depuis la chambre jusqu'à la plaine boueuse, sans dire un mot. Parfois en trottinant, parfois en marchant lentement, sans jamais lâcher la main de l'hispanique. Enfin... pas jusqu'à ce qu'ils soient arrivés devant l'étendue de plaine. « Je t'explique, je vais là bas, tu restes ici. Et on fait un lancer de boue. Chaque fois que l'un de nous touche l'autre, celui qui est touché doit dire un truc personnel à l'autre. Deal ? » explique-t-il en marchant à reculons jusqu'à atteindre une bonne distance. Cinq ou six mètres, rien de plus, rien de moins. Voilà, ils vont pouvoir s'amuser un peu et puis c'est aussi une façon de se défouler, de lâcher prise sur les tensions qu'ils accumulent depuis quelques jours, quelques semaines. C'est thérapeutique et bien plus amusant que de courir sur un engin de musculation ou de taper dans un sac de sable. Il se penche enfonce les mains dans la boue, la substance est assez peu ragoûtante mais il est déjà tombé dedans une fois, ce n'est pas le plus agréable des trucs, mais il s'y fera. En ressortant une poignée de terre liquide il vérifie qu'il n'y a pas de caillou, mais la boue est parfaite, il n'y a pas de grumeau rocheux, c'est un peu comme faire une bataille de sable à la mer, aucun risque. Resserrant son poing autour de la boue, il élimine l'excédent et propulse la terre en direction de Paloma. Ça lui rappellerait presque l'activité paintball tout ça.

Paloma n'a pas l'air très enthousiaste à l'idée de jouer avec de la boue, encore moins à l'idée d'en être recouverte. Ghika ne comprend pas pourquoi exactement, ils ont des machines à laver, ils ont des fringues à volonté ou presque, y a pas de mal à se salir un peu. Ni à se laisser aller et faire un truc qu'on ne ferait pas habituellement. Parfois Ghika trouve que Paloma gagnerait à réfléchir un peu moins, et dieu sait que venant de lui c'est une considération bien hypocrite, mais dans le cas présent il a arrêté de réfléchir au bénéfice de l'action. Mais face au refus assez catégorique de Paloma, en dépit de son lancer plutôt bien cadré, lui fait baisser les bras. « Bon d'accord... mais t'es pas rigolote hein ! » râle-t-il boudeur en apposant sur son visage la moue du gosse de cinq ans qu'il ne cessera jamais d'être. Oh ne vous détrompez pas c'est juste une façade afin de faire culpabiliser un peu sa copine l'espace d'un instant de le priver de son petit jeu d'adulescent. Elle suggère une autre méthode beaucoup, beaucoup, beaucoup moins marrante à ses yeux. Et quand Ghika trouve que quelque chose n'a pas l'air drôle... il le dit. « Le but c'était justement qu'on choisisse ce qu'on veut dire pas, sous couvert de dire la vérité pour qu'on ait pas à se poser des questions inintéressantes. Disons que le fait que tu choisisses ce que tu veux me dire, ça permet d'écrémer les trucs factuels chiants à mourir qu'on pourrait se raconter. » Parce que c'était ça qu'il voulait qu'ils échangent des trucs personnels, qu'ils passent une après-midi comme il en passe parfois avec ses amis de l'extérieur, allongés les uns à côté des autres à se raconter des anecdotes de leur enfance respective, des secrets. Mais dans le nid on passait parfois plus de temps que nécessaire allongés, que ce soit sur un canapé, sur un transat ou sur un lit, alors Ghika avait choisi d'entraîner Paloma sur un terrain un peu plus divertissant. A l'évidence maintenant il réalise qu'il aurait peut-être mieux fait d'attirer la jeune femme sous la couette avec une boîte de bonbons pour une bonne discussion. Voilà une erreur qu'il ne reproduira pas. Bon, faut pas croire, s'il l'avait attirée sous la couette il aurait fait en sorte d'avoir construit une cabane avant de l'inviter parce qu'il aime rendre chaque moment un peu particulier. Il s'installe sur la barrière au bord du circuit, invitant par là à le rejoindre. Dans l'esprit de lancer la machine Ghika réfléchit à un fait sur sa vie qu'il pourrait partager, qui en dirait un peu plus sur son enfance, sur la façon dont il a grandi et ce qui fait de lui qui il est. « J'ai jamais eu de père, ni du vraie figure paternelle, ma mère enchaînait les aventures de six mois et généralement je les rencontrais qu'une fois ou deux. Quand j'avais sept ans, elle a eu un mec avec qui elle a cru que ça serait sérieux et du coup elle m'a fait déménager chez lui, à Moscou pendant quatre mois. Bien sûr, avec ma mère ça veut dire qu'elle m'a arraché à ma nourrice américaine pour me foutre dans les pattes d'une bulgare et faire sa vie de son côté. » Il fait une micro-pause le temps de reprendre son souffle. « Et puis elle l'a plaqué, s'est mise avec un des meilleurs amis du gars, on a déménagé à Sofia pour quelque chose comme trois mois avant que ma mère ne décroche un rôle dans un film d'auteur aux USA et que je rentre chez moi. Le résultat de tout ça, c'est que malgré ses tentatives pour ruiner mon enfance, ma mère a participé au fait que je sois trilingue et fasciné par les cultures et sociétés étrangères à mes origines. » Il ne précisera pas que c'est à cette période qu'il a pour la première fois goûté de la vodka, parce que lorsqu'il ne pouvait pas dormir sa nounou, Praskoviya, trempait un sucre dans de la vodka et le lui faisait manger. Libre à Paloma de réagir ou d'enchaîner sur une de ses histoires.