Alanguie sur son lit, cheveux épars et moue concentrée aux lèvres, Paloma lit. Elle dévore un ouvrage, ça oui, mais du coin d'un de ses yeux de chat, elle suit attentivement le ballet d'Hadrien qui s'agite pas loin. Finalement, il quitte la pièce, Clémentine reste là et elle résiste pas à abandonner son bouquin pour rejoindre sa presque-partenaire. Paloma se laisse choir avec le raffinement discret qu'est le sien sur le lit qu'elles ont longtemps partagé et elle sourit. D'un sourire qu'a l'allure de soleil, d'un sourire lumineux qui demande rien d'autre que s'épanouir davantage sous les mots de Clémentine. Clémi, elle rayonne cette semaine et ça fait chaud au coeur de la retrouver, d'une certaine façon. C'est comme si elle s'était doucement effacée, semaine après semaine et qu'aujourd'hui, Paloma retrouvait le chef d'oeuvre graphique, gorgé de couleurs toutes plus éclatantes que les autres qu'avait disparu après le départ d'Hadrien. Elle la dévisage longuement, incapable de cacher plus longtemps le ravissement sincère, pur, que lui inspire le spectacle de son visage qui irradie d'un truc qui s'explique pas. Clémentine a retrouvé quelque chose d'essentiel et y'a tout son corps qui réagit en conséquence, même si elle le voit pas. Paloma, elle, le lit partout sur elle, en elle, parce qu'elle est observatrice, parce qu'elle se régale des petits détails qui font la beauté, la poésie. Elle les conserve précieusement dans un recoin de son coeur et les berce pour les laisser l'embaumer, quand ça va pas. Si Clémentine va bien, elle aussi va bien. C'est pas tout à fait vrai mais poser ses yeux félins sur la silhouette fluette de la blonde lui fait du bien. C'est rare, qu'elles aient une conversation légère, une discussion typique de fille sans tristesse, sans rancoeur, sans colère ou sans chagrin. En fait c'est peut-être même la première fois que Paloma la contemple de ces yeux-là, qui sont juste scintillants d'empathie, qui sont heureux pour elle et attendent qu'un truc : qu'elle parle. « Alors...? » qu'elle demande seulement d'une voix mutine qui vrombit comme un cheval qui s'cabre mais qu'elle réussit à maintenir au pas. Elle veut pas l'ensevelir sous les questions. Ce serait indélicat et y'a trop de paramètres qu'elle ignore, Paloma, pour se permettre ce genre d'interrogatoire. Sauf qu'elle crève d'envie de savoir comment Clémentine se sent, à quel point retrouver Hadrien est merveilleux et tout un tas de superlatifs forcément un peu candides parce que son bohneur, à Clémentine, il lui importe. Et il est contagieux.

Assise en tailleur sur le lit, mes yeux s'accrochent à la silhouette d'Hadrien qui se veut mouvante. Il part en m'adressant un dernier sourire auquel je réponds aussi tôt, on se retrouvera après. Je ne tarde pas à être rejointe par Paloma. Je lui offre l'un de mes plus beaux sourires en réserves parce qu'elle le mérite. Alors ? Je lève ma tête blonde dans sa direction, croisant temporairement son regard où j'ai l'impression de voir briller une lueur impatiente. « C'est une vraie torture de dormir sans toi » je murmure de mon doux soprano avec une moue taquine comme si elle attendait une révélation de ce genre. Je dépose mes lèvres sur le front de mon espagnole en continuant de sourire. Je sais bien qu'elle attend que je commente le retour d'Hadrien, en même temps je lui en ai tellement parlé, tellement décris, tellement imaginé que cela pourrait paraître légitime au final. « C'est beaucoup mieux maintenant » je lâche banalement parce que je ne me vois pas poser des mots sur ce que je ressens, de peur de trop rentrer dans une observation scientifique et de perdre tout cela. Je me sens complète avec lui, surement parce qu'il est la personne qui me connait le mieux en général. « On va pouvoir se remettre à fonctionner normalement parce qu'on se compense » je lui annonce avec un léger sourire, parce que c'est la stricte vérité, on arrondit les défauts de l'autre, lui, principalement, il arrange toujours la réalité pour qu'elle me soit acceptable. Notre mécanisme enrayé pourra se remettre en marche, surement très lentement. Parce qu'au fond, on sait lui comme moi que c'est encore fragile, parce qu'on a longtemps culpabilisé chacun de son côté, mais il nous faut avancer sans penser à ce qu'on a fait, on ne change pas le passer. C'est comme ça. On doit s'en contenter en se promettant très fort de ne plus jamais recommencer. Jamais. « Il m'avait manqué » j'ajoute en simplicité alors elle peut très bien comprendre ce que je peux ressentir maintenant. Je suis satisfaite, heureuse et encore. On arrivera jamais à réécrire ses années passés chacun de notre côté, c'est pas possible et c'est cela qui fait de nous ce qu'on est devenu, mais on peut au moins s'assurer qu'elles étaient les dernières. Putain, il faut vraiment pas qu'elle me lance sur le sujet Hadrien, la pauvre.

Alanguie sur le ventre, le visage reposant sagement sur ses coudes, Paloma dévisage Clémentine sans pouvoir se départir du sourire communicatif qui s'épanouit sur ses lèvres. La simple idée de la savoir heureuse lui réchauffe le coeur c'est aussi simple que ça parce que c'est ainsi qu'elle fonctionne. Son humeur est liée à ceux qu'elle aime par un fil d'Ariane, invisible à l'oeil nu mais bien présent. Son coeur se nourrit des états d'âme des gens qui comptent et elle peut pas aller bien s'ils sont tristes. Malheureusement l'inverse est pas tout à fait vrai parce que son palpitant est parfois trop lourd pour s'libérer juste quand elle est entourée d'ivresse, Paloma. Mais aujourd'hui, ça fonctionne parce que Clémentine irradie et elle l'a jamais trouvée aussi jolie qu'à cet instant. Elle a conscience de la fixer avec insistance, comme si elle essayait de déchiffrer un code secret sur ses traits tout fins, une carte au trésor complexe et fascinante, mais elle peut pas s'en empêcher. Elle veut s'abreuver de ce spectacle et le conserver parce que si un jour il devait s'évaporer et s'disperser dans les étoiles au moins elle s'en souviendrait précisément. Clémi répond à côté d'la plaque à son alors pourtant éloquent et Paloma secoue la tête d'un air faussement affligé. « Eh bien pense un peu à la mienne : j'aime pas dormir seule » Qu'elle glisse distraitement d'un ton plus léger qu'habituellement - un peu boudeur à la Clémentine - juste pour poursuivre sur un sujet qui n'en est pas un. C'est pas faux pourtant, Paloma dort mal mais elle dort encore plus mal quand elle a personne sur qui focaliser son attention. Pas de bras pour l'enserrer quand elle a l'sommeil agiter, pas de présence toute chaude à ses côtés contre laquelle se lover quand ça va pas, pas de respiration régulière qui la berce et personne pour parler de tout et surtout de rien en plein milieu d'la nuit. C'est triste. Paloma ponctue le tout d'un sourire parce qu'on pourra pas lui enlever aujourd'hui et celui-ci s'élargit à mesure que Clémentine la nourrit, mot après mot. C'est pas assez et elle reste suspendue à ses lèvres après chaque silence, attendant la suite. Elle comprend sa pudeur, elle aussi en possède une sacrément gratinée et n'est pas trop encline à s'épancher sur ce qu'elle ressent, ce qu'elle éprouve, elle se contente d'le vivre mais on n'est pas tous pareils et Clémentine est quand même plus expansive qu'elle, c'est pas compliqué. Paloma la couve du regard, tendrement, quand elle conclut en disant qu'il lui avait manqué. Elle la regarde comme une maman louve couverait sa portée et la prend spontanément dans ses bras pour une étreinte fugace qui dure pas longtemps à l'image du précédent baiser de Clémentine. « Je suis heureuse pour toi » qu'elle lance au vent d'sa voix qui vibre d'émotion. C'est con comme réplique, c'est obvious que Paloma est contente pour elle ça s'lit sur la plus petite cellule qui la compose. « Je sais que tu m'as dit de pas vous idéaliser, que je serai déçue mais... mais j'veux que tu saches que ton secret changera rien pour moi. Je t'aimerai toujours autant, je le sais. » Elle le sait parce que Clémentine a pris ses quartiers dans son coeur dans les beaux quartiers autrement plus confortables que pigalle et y'a pas de retour en arrière possible. Sauf si on lui disait que c'était une actrice, que rien de ce qu'elles ont partagé n'est vrai mais c'est pas crédible comme hypothèse. Pour le reste, elle saura accepter Paloma. Parce qu'elle est son amie et c'est ce que les amis font quand ils sont pas trahis : ils acceptent l'autre entièrement, avec ses failles, ses défauts, ses regrets, tout ce qui fait mal et peut déplaire. Sinon, c'est pas des amis.