Elle est un peu nostalgique Pia chaque fois qu'elle passe et repasse dans le moindre recoin du nid. L'idée fixe que tout sera bientôt fini et ça la tue un peu, parce qu'elle a peur de quitter tout ça. De quitter tout ce en quoi a constitué sa vie pendant plus de deux mois. On sait en s'engageant dans une aventure comme celle-ci qu'elle aura une fin, mais on oublie peu à peu, on range ces pensées dans un coin. Et soudain elles ressurgissent et c'est l'heure du départ, on boucle la valise. Elle était bien ici Pia mais qu'on soit bien ou pas le temps vous rattrape toujours. Elle craint qu'on la rattrape et qu'on la colle dans l'avion parce que si avec quelques concessions elle pourra se passer de son nébuleux plafond, ça risque d'être plus difficile au niveau de ses relations. Elle s'était habitué à la colocation et, se retrouver en tête à tête seulement avec son reflet dans le miroir et avec des relents de souvenirs qui lui fileront le cafard, ça lui fou la boule au ventre. C'est eux, ces types inconnus qui ont peuplé sa vie pendant des mois, qui s'y sont creusé une place. Elle sait pas comment faire sans tout ceux qui vont lui manquer et surtout elle sait pas comment elle fera sans Andreja. Elle sait plus trop comment elle fonctionnait avant mais elle sait déjà que ça ne lui conviendra plus. Et elle y pense alors qu'elle vient le tirer par la main au hasard d'un couloir, comme si il l'avait entendu penser. « Viens avec moi. ». Elle lui adresse un sourire qui caresse parce qu'elle se refuse de le voir refuser. Elle sait pas trop si c'est ça qui marche mais toujours est-il qu'il est à ses côtés quand elle se dirige vers la plage. Elle sourit en le regardant avant de se mettre à courir vers l'étendue de sable qu'ils voient enfin. « Ça te dit un bain de minuit ? ». Elle lui crie, pour couvrir le vent qui souffle un peu. Elle attend pas sa réponse et retire sa robe avant de se précipiter vers l'eau qui s'est teintée de noir comme recouverte par la nuit. Elle entre dedans en serrant les dents, parce qu'Australie ou pas c'est un peu froid quand même, mais de ce froid qui vous mord et qui vous fait vous sentir vivant en même temps.  « Aller ! ». Elle encourage son partenaire comme une gosse pressée de retrouver son copain de jeu, avant de plonger sa tête sous l'eau, parce que ça chasse les idées noires.

Le temps filait à toute allure depuis le début de la semaine, et il avait peine à se dire que cela faisait déjà douze semaines qu'ils étaient ici. Douze semaines, trois mois, trois mois cela lui avait semblé une éternité qu'il ne pensait pas atteindre en arrivant ici, et maintenant il donnerait cher pour une semaine supplémentaire ... Mais il était peut-être le seul. Après tout la plupart des candidats avaient une vie dehors, une vie véritable qu'ils avaient sans doute hâte de retrouver, des habitudes à retrouver, de la famille à revoir, une routine à réapprivoiser. Ils n'étaient sans doute pas tous dans le cas d'Andreja, qui n'avait pas hâte de retrouver quoi que ce soit si ce n'était Razi, son chien. Ils en avaient vécu des galères l'un et l'autre, et c'était finalement la seule chose qu'Andreja avait pu emmener qui lui rappelait vraiment chez lui, lorsqu'il avait quitté Sarajevo. Pour le reste le serbe aurait bien pu rester là, dans ce nid, encore un moment ... C'était toujours tellement facile, et tellement tentant, de se laisser aller à faire l'autruche en se cachant ici, en laissant sur le pas de la porte pour prétendre pendant des semaines que rien ne clochait. Retourner à cette vie qui ne lui convenait pas vraiment, retrouver la cage dorée que constituait son métier, cela lui faisait à peu près autant envie que l'idée de quitter certaines personnes ici. Il reverrait Pia et Tilda dehors, c'était prévu ainsi, mais ce ne serait pas pareil, dimanche soir il dormirait tout seul. Peut-être même qu'Emil ne lui laisserait pas le temps de souffler et qu'il l'embarquerait pour l'aéroport dès sa sortie du nid, à peine le temps d'assurer à sa partenaire qu'ils "se verraient bientôt". Bientôt cela paraissait long, lorsque l'on avait pris l'habitude de vivre sous le même toit que quelqu'un toute la journée. Est-ce que sa partenaire lisait dans les pensées ? Il pensait à elle et la voilà qui débarquait au détour d'un couloir, un sourire sur le visage et sa main se tendant vers la sienne tandis qu'elle disait « Viens avec moi. » et il était venu, sans se faire prier. Il n'y avait pas grand chose qu'il parvenait à lui refuser de toute façon, et chaque moment passé en compagnie de la rouquine devenait précieux tandis que le temps s'écoulait, inlassablement, pour les rapprocher un peu plus de dimanche. Il avait suivi sans broncher, s'était mis à courir lorsqu'elle s'était mise à courir sans pour autant avoir l'idée de lâcher sa main, et l'avait finalement regardée s'élancer sur le sable tout en s'exclamant « Ça te dit un bain de minuit ? » avant de laisser sa robe glisser à ses chevilles et de le semer pour rejoindre les vagues. Il était resté là un instant, ne parvenant pas à détacher son regard de sa partenaire - et elle le resterait, c'était un titre qu'il lui laisserait pour de bon maintenant, c'était sa moitié de Fake Lover, celle qu'il ne pourrait jamais remplacer - et semblant perdre le fil de ce qui se passait, et puis finalement lorsqu'elle avait lancé « Aller ! » il s'était remis en mouvement. Abandonnant à son tour jean, tee-shirt et chaussures sur le sable il avait rejoint l'eau volontairement sans se poser de question sur la température sans doute fraiche, plongeant presque aussi tôt et nageant jusqu'à ne ressortir qu'une fois arrivé à la hauteur de Pia, qu'il avait éclaboussé au passage avec toute l'innocence dont il était incapable de faire preuve. Il s'était mis à rire, avec légèreté, parce qu'à cet instant c'était tout ce dont il avait besoin et parce qu'il n'avait pas envie de penser à dimanche, à après, à plus tard. L'attrapant par la taille il l'avait soulevée au-dessus de l'eau avec le sourire de celui qui triomphe, le ton de sa voix pourtant beaucoup plus doux tandis qu'il avait murmuré « Tu plus te débarrasser de moi maintenant, jamais. » comme une promesse qui prenait son sens surtout parce que l'échéance arrivait à son terme, et les vacances à leur fin. Une promesse implicite que l'extérieur ne serait pas une fatalité et que si les choses n'étaient plus pareilles elles n'en seraient pas forcément moins bien ... Peut-être que c'était mieux, ce qui les attendait dehors, ils verraient. Pour l'instant ils avaient les étoiles au dessus de leurs têtes, les vraies pour une fois, pour leur en être témoin, et tandis que le serbe déposait sur la joue de Pia un baiser salé par la mer, un sourire farceur s'était étiré sur ses lèvres avant qu'il ne la lâche pour la faire atterrir dans l'eau, s'éloignant à la nage en éclatant de rire et sachant très bien qu'il ne perdait rien pour attendre.