Assise dans l'herbe au milieu de la plaine verte, j'ai attendu que le soleil descende bas dans le ciel pour profiter de l'extérieur. Ma peau de rousse ne fait pas bon ménage avec les rayons de notre astre et la dernière chose dont j'ai besoin est de devenir cramoisie aujourd'hui. Je suis entourée de gens beaux, vraiment très beaux, je fais déjà assez tâche comme cela. Ma tête repose sur mes genoux, mes tibias sont enlacés par mes bras, et je laisse mon esprit vagabonder. Une légère brise anime mes cheveux qui chatouillent doucement ma nuque. Je suis paisible, calme et reposée. Il est vrai qu'il est plutôt rare de pouvoir dire une chose pareille lorsqu'il s'agit de ma personne, mais là, aujourd'hui, à cette heure précise, seule au milieu de nulle part, je suis bien. Je respire bien. A coup de grandes bouffées d'air pur, pas comme cette respiration saccadée, trop rapide et qui me fait hyperventiler qui ne semble pas déterminée à me quitter depuis que je suis arrivée à Los Angeles.
Des pas. J'entends des pas faisant craquer les brindilles de la prairie. Pitié, passez votre chemin, allez au lac, ou au puit, ou n'importe, mais laissez moi tranquille. Je ferme les yeux. Peut être que si je serre mes paupières très fort et que je me concentre, je réussirai à les faire éloigner? Ou à disparaître. Oui, ce serait bien.

Elle n'a pas l'habitude de tourner en rond dans un si petit espace, elle se sent comme prise au piège dans une cage. Pas une cage dorée, non, une vieille cage rouillée et maculée du sang de ses précédents occupants. Une prison à ciel ouvert, voilà où elle se trouve. Pour éviter de s'ennuyer, elle passe le plus clair de son temps à se promener dans le campement et à tourner en rond en attendant que le soleil se lève sur une nouvelle journée. Elle pensait souvent aux pauvres spectateurs obligés de subir cette phase de casting et à regarder 40 candidats survivre en pleine nature. Cet espèce de grand bizutage géant n'était pas du goût d'Adélie qui manquait cruellement d'activité pour dépenser toute l'énergie qu'elle avait en elle. Le lac, la forêt et maintenant la plaine verte, chaque recoin du campement y passait. Une jolie crinière rousse attira son attention au loin, la jeune femme paraissait seule et recroquevillée sur elle-même comme pour se protéger du monde qui l'entoure.La jeune femme décide de se poster à la hauteur de la rouquine pour s'assurer qu'elle va bien. « Hey, tout va bien ? ». Elle finit par lui demander de sa voix cristalline que beaucoup décrivent comme rassurante. La rousse n'a pas vraiment l'air dans son élément, elle est discrète et très en retrait depuis son arrivée sur le camp ce qui a le don d'éveiller sa curiosité. « Les autres sont tous près du feu, tu n'as pas envie de les rejoindre ? ». Peut être que ça pourrait l'aider à avoir l'air un peu plus joyeuse, un peu de compagnie n'a jamais fait de mal à qui que ce soit.

Raté. Mon mentalisme a échoué lamentablement. En même temps à quoi m'attendais-je? A ce qu'une force surnaturelle m'enveloppe tout à coup et me rende invisible aux yeux extérieurs le temps qu'elle passe? Mais non. « Hey, tout va bien ? » Je ne bouge pas encore, reste dans ma position de cocon l'espace de quelques instants encore avant de relever la tête et de lui dire : Ou... i. Ca va. Maintenant tu peux t'en aller. Hop. Retourne là bas, ou va ailleurs, je ne sais pas. Tu vois, je vais bien, je ne pleure pas. Je ne comprends pas ce qu'ont les gens à me demander si je vais bien toutes les cinq minutes ici. Oui ça va. Enfin non, mais ça ne va pas depuis mes quinze ans... Ici ce n'est pas bien pire qu'à l'ordinaire alors je dis que oui, à peu près, ça va. Je suis certaine qu'ils m'observent, qu'ils attendent que je craque, que je fasse quelque chose de fou, pour avoir des ragots à se mettre sous la dent. Peut être veulent-ils me mettre à bout, je ne sais pas. Parce que, honnêtement, entre vous et moi, pourquoi est ce que mon état pourrait bien intéresser quelqu'un, genuinely? « Les autres sont tous près du feu, tu n'as pas envie de les rejoindre ? ». Mon regard bascule à nouveau et se retrouve posé sur le bout de mes chaussures. Je soupire, doucement, avant de répondre : non... je... je suis bien ici. Ici, précisément, où je suis seule. Pas là bas, avec les autres. Seule. C'est mieux pour tout le monde.

 Adélie ne reste pas de marbre lorsqu'elle voit la jeune femme à la crinière de feu seule et recroquevillée sur elle-même dans la plaine verte. La gestuelle peut en dire beaucoup sur l'état d'esprit d'un individu, autant dire que la position de la jeune femme révèle une certaine envie de se couper du monde et de se protéger de l'extérieur. Ses bras encerclant ses jambes,  sa tête reposant tendrement sur ses genoux, voilà l'expression de la mélancolie sous la plus pure de ses formes. Elle a déjà vu cette lueur dans le regard de quelqu'un, une personne qui n'est plus là pour en parler. Alors elle prend peur et rejoint la rouquine sans plus attendre pour s'assurer qu'elle va bien.  Elle tente de la rassurer mais Adélie n'est pas dupe ou peut être un peu bornée mais elle voit bien que la rouquine n'a pas la joie de vivre au fond de l'air et elle trouve ça étrange. « C'est cette atmosphère qui t'angoisse ? » . Les 40 candidats, les caméras, le campement, il y avait de nombreuses raisons d'être angoissée par ce qui se déroule autour d'eux. Elle peut se faire des illusions, peut être qu'elle ce regard vide en permanence avec elle et qu'elle ne s'en départit jamais. Adélie propose d'aller rejoindre les autres autour du feu mais la rousse se sent mieux ici, seule au milieu de la plaine. Elle réalise alors très vite son erreur et décide de changer de sujet pour ne pas brusquer la jeune femme. « Tu as fait de bonnes rencontres ici ? ». Après quelques jours dans le campement elle a certainement dû faire quelques rencontres qu'elles soient bonnes ou mauvaises. C'est peut être mieux de changer de sujet. C'est peut être mieux de changer de sujet. Elle ne veut forcer personne Adélie, si elle ne souhaite pas parler des raisons qui la poussent à s'isoler dans la plaine alors elle ne  lui posera aucune question.        

« C'est cette atmosphère qui t'angoisse ? » Je lève un sourcil. Me demander si je suis angoissée à l'exact, le seul, moment où je me trouve plutôt détendue, c'est un comble. Je ne suis pas particulièrement angoissée... Enfin si. Mais pas plus que d'habitude, c'est ce que j'entendais. J'ai toujours été plus angoissée, stressée, que le commun de mortels et les marques sur mes bras peuvent en témoigner.
Elle me demande ensuite si j'ai fait de bonnes rencontres depuis mon arrivée. Je n'en ai pas fait de trop mauvaises, c'est déjà ça... Je suis toujours sceptique sur les gens que je rencontre, même si je n'ai pas particulièrement de raison de douter d'eux. J'ai l'impression que non seulement je risque d'être horriblement déçue par la personne si je daigne lui accorder ma confiance, mais qu'en plus la déception ne sera que plus grande pour elle si je lui laisse tenter de me découvrir un peu moins superficiellement. Autant prendre le problème à la racine, éloigner plus ou moins gentiment ceux qui tentent de se rapprocher de moi, pour une raison qui m'est inconnue par ailleurs, afin qu'ils n'aient jamais à en venir à préférer ne jamais m'avoir connue. Je finis donc par dire : Tu n'as pas besoin de t'inquiéter pour moi, tu sais... Je vais très bien. Bon, pas très bien, mais ça va...