A certains moments Sayid se disait qu'il se sentait plus à sa place durant leur période dans les abysses. Au fond les feux de camp, la vie en forêt, les conditions rudimentaires cela se rapprochait de son quotidien beaucoup plus que de vivre dans un hôtel de luxe possédant un SPA. Un SPA, rien que l'idée lui donnait des frissons tant il ne se sentait en revanche pas du tout à sa place là-bas ... Peut-être que cela lui rappelait le centre de rééducation, inconsciemment. Il ne savait pas trop, mais cet endroit ne lui plaisait pas. Malgré tout il n'était pas non plus hypocrite au point d'ignorer le fait qu'avoir de nouveau des douches à disposition et un véritable matelas sur lequel dormir valaient son pesant de cacahuètes. Il n'avait plus l'âge pour cela, dormir par terre, c'était une quasi-certitude que ne lui faisait peut-être pas entièrement plaisir mais qu'il ne pouvait pas ignorer pour autant. Néanmoins lorsqu'il passait près du belvédère il ne pouvait s'empêcher de jeter un œil un peu nostalgique à ce qui se trouvait en-dessous, en se disant qu'il se sentait en bas plus à sa place qu'il ne l'était ici. Et se penchant justement pour observer ce paysage Sayid avait reconnu l'une de ces candidates avec qui il n'avait plus trop eu l'occasion d'échanger depuis sa sortie des abysses, et ce alors même qu'elle lui avait fait bonne impression à ce moment-là. Ce qui n'était pas le cas de tout le monde, qu'on se le dise. « Oh bonjour. » L'ayant probablement entendu arriver Agata s'était retournée vers lui, enchainant rapidement en pointant un bout de paysage en contrebas « Tu vois la plaine là-bas ? On voit encore la marque de tes fesses lorsque tu as eu besoin de mon aide pour te relever, tellement tu es resté longtemps par terre. » et si Sayid ne comprenait pas toujours le second degré du premier coup le sourire bien amorcé de la jeune femme était une indication suffisante au fait qu'il s'agissait bien ici d'une boutade. « Tu parviens à te lever de ton lit le matin, où tu as besoin de l’aide de ta partenaire ? » S'avançant finalement complètement pour venir s'accouder à la balustrade à côté d'elle, il avait commenté tout en observant le lac qui leur avait servi de bain commun durant six jours « Pourquoi crois-tu que la production m'a mis en binôme avec une infirmière ? » Il faisait là malin, là, mais une infirmière qui pourrait surtout décider un de ces jours de l'éliminer dans son sommeil si Sayid continuait d'enchainer les malus la concernant à la roulette russe. « Mais maintenant que la production a eu la bonté d'âme de nous fournir du mobilier j'évite de m'asseoir à même le sol. » C'était bien aussi, comme option. Et pourtant il avait réussi l'exploit - et n'en était pas peu fier - de camoufler son handicap durant toute la semaine des abysses, pour qu'il ne soit en fin de compte bêtement révélé dans une rubrique de prime au travers de sa première conversation avec Claudia. Mais soit, ce n'était pas comme si Sayid avait quelque chose à cacher, pas même ça ... Non, il n'avait que son secret à cacher, ce qui somme toute était d'une logique implacable. « Ça ne me manque pas, en tout cas, on est bien mieux ici. » Ça il n'en était pas certain, donc, et d'ailleurs il avait marmonné une réponse inaudible, une sorte de grognement visant uniquement à exprimer sa désapprobation à ce sujet. Mais Sayid avait cru comprendre qu'Agata faisait partie de ces candidats évoluant dans de hautes sphères de la société, il n'était donc pas étonné que leur avis diverge sur ce point-là ... Leurs modes de vie n'étaient assurément pas comparables. « Je ne sais pas ... je suis habitué à vivre dehors. A me doucher à l'eau froide, à cohabiter avec les moustiques ... ça ne me dérangeait pas. » Un lit par tente et il s'y serait probablement fait, en fin de compte. Il aurait moins eu cette impression d'être un chien au milieu d'un jeu de quilles, comme ici, et c'était surtout cela qui lui manquait, même s'il ne l'avouerait pas. « Mais j'en conclus que le camping ne fait pas partie de tes passe-temps ? Qu'est-ce que tu fais dans la vie ? » Il risquait la frustration s'il entendait encore princesse ou femme d'affaire, tant il avait l'impression que le nid n'était peuplé que de cela. Certaines comme Mylah ou Ranja semblaient cumuler ces deux traits, d'ailleurs, bien que la comparaison entre les deux jeunes femmes s'arrêtait là pour Sayid.

Il se demandait avec un peu de curiosité si cela pouvait être vrai, si Allen avait raison lorsqu'il avait avancé le fait que les abysses étaient tout simplement là parce que la production n'avait pas pu finir de réhabiliter l'hôtel à temps pour accueillir les candidats. Il osait espérer qu'une entreprise qui brassait autant d'argent pour le simple plaisir télévisuel de certains savaient au moins se gérer et s'organiser un minimum. Sayid en tout cas avait cru bon de plaisanter sur la bonté d'âme supposée de sa partenaire, infirmière, en se gardant bien de préciser qu'actuellement elle pourrait avoir envie de le laisser moisir dans un coin plutôt que de lui porter assistance s'il en venait à la lui demander. « Oh tu vois, je ne le savais même pas. Mais c’est toujours bien d’en avoir une dans le jeu. » Utile peut-être, oui, il ne savait pas trop, il espérait bien que personne n'aurait besoin d'y avoir recours durant leur séjour ici, ou que si c'était le cas la production comptait sur autre chose que la seule présence de Claudia. En ce qui le concernait en tout cas le mobilier permettait au moins d'assurer à Sayid de ne pas compter exclusivement sur la gentillesse de ses petits camarades « Je comprends mieux, c’est vrai qu’ils ont été très généreux sur ce coup-là. Ils ont même mis des chaises. » Sourire - un peu - amusé de Sayid tandis qu'il observait un instant les abysses d'un air absent, avant de leur tourner le dos et de s'adosser à la balustrade, reportant son attention sur Agata. Elle ne semblait pas mécontente d'être débarrassée des abysses, quand Sayid lui aurait sans doute fini par s'y faire, peut-être même plus qu'à l'hôtel dans lequel on les logeait actuellement. Il ne crachait pas sur le confort, mais il ne se sentait pas entièrement à sa place « Ah bon, comment cela se fait-il ? C’est en rapport avec ton métier ? Tu vis où d’ailleurs ? Effectivement, lorsque je me déplace, les endroits dans lequel je dors ressemblent plutôt à cela. » Habituée au luxe, donc, il n'avait pas compris de travers. Triturant un instant dans son esprit les questions posées par Agata, pour être sûr de n'avoir rien compris de travers, il avait répondu d'un ton calme tout en décroisant ses bras « Kinshasa, RD Congo. Je travaille dans une réserve, j'étudie les singes. Les gorilles. » Il ne rentrait généralement pas dans les détails lorsqu'on lui posait la question, quand bien même il s'agissait peut-être du seul et unique sujet où il ne manquait pas de conversation. Parce qu'il savait que cela n'intéressait personne à part lui, et parce qu'il savait que pour beaucoup de personnes il faisait un métier inutile. Il ne brassait pas d'argent, il ne sauvait pas des vies, il n'avait aucun talent particulier si ce n'était celui de comprendre ces animaux qui lui tenaient tellement à cœur. Plus que n'importe quel humain, diraient les mauvaises langues. Question qu'il s'était en tout cas empressé de lui retourner, parce que Sayid faisait rarement quelque chose sans contrepartie « Je suis avocate. Et un jour sénatrice, apparemment … peut-être. » Il avait arqué un sourcil, la formulation de la phrase le faisant tiquer presque autant que le contenu « Apparemment peut-être ? » Elle ne semblait pas excessivement sûre d'elle en tout cas, alors que c'était souvent un trait qui allait de paire avec le métier qu'elle exerçait. Du moins c'était l'image que Sayid en avait, il n'avait jamais côtoyé personnellement le moindre avocat. « Mais parfois j’aimerais être un peu plus comme toi, pouvoir m’habituer à vivre loin de mon confort habituel. Mais visiblement je suis terriblement mauvaise lorsqu’il s’agit de partir à l’aventure, ne serait-ce que pour passer une semaine dans une tente. » Terriblement mauvaise ? Il ne savait pas trop sur quoi elle se basait pour tirer de telles conclusions mais il lui avait semblé à lui qu'elle s'en était mieux sortie que certains autres candidats durant les abysses. Ce n'était pas elle que l'on entendait geindre que l'eau était trop froide, le sol trop dur ou qu'il était bien trop aisé de se casser un ongle. « Tu as si mal vécu les abysses ? » Ce n'était peut-être pas diplomate de demander ... mais tant pis. « Mais c'est une question d'habitude, rien de plus. Ou de tempérament. J'ai habité le centre de Londres presque toute ma vie, j'avais jamais vu d'animaux sauvages ailleurs qu'au zoo. » Mais pourtant il avait toujours su quelque part qu'il n'était pas bien là-bas, ou plutôt qu'il aurait pu être mieux ailleurs. Le bruit, le monde, l'agitation ... Ça avait toujours été une source de stress et d'angoisse pour lui, au fond, cela ne datait pas d'hier. Il avait simplement mis trente-cinq ans avant de vraiment trouver où il se sentait chez lui.