Le soleil s’est pointé le bout du nez et je me suis réveillée en même temps que lui, naturellement, au même rythme que la nature qui s’éveillait. J’ai toujours cette habitude de me lever très tôt le matin, surtout lorsque je suis à l’état sauvage. Ici, c’est dans le cours normal des choses, à mon avis. En ville, c’est plutôt par habitude, et parce qu’il le faut bien : après tout, je ne peux me permettre d’être en retard au boulot. Rarement je n’utilise de réveille-matin, grâce à cette merveilleuse horloge biologique qui résonne dans ma tète dès que les premiers rayons de l’astre traverse mes rideaux. Il y en a bien sûr qui trône sur ma table de chevet, en compagnie du reste, mais je suis tiré de ma torpeur bien avant qu’il ne crie dans mes oreilles. Et c’est temps mieux, car j’ai en horreur le son qui s’en dégage. Je préfère encore le chant des oiseaux et le murmure du vent dans les arbres. La meilleure façon qui soit de commencer la journée. Il est encore très tôt, vu la position du soleil dans le ciel, et j’en profite donc pour aller rejoindre le lac, question de profiter du calme matinal pour me faire une petite toilette rapide en toute intimé, chose très rare dans le coin. Ceci dit, je ne suis pas pudique. Je m’installe d’ailleurs en sous-vêtements sur le bord de l’étendu d’eau pour nettoyer mes maigres effets personnels, puis, les déposant sur une roche plate, non loin de là, je vais rejoindre l’eau afin de me laver à mon tour, brassière et culotte comprise, sauf que je me garde une petite gêne de les retirer. Sait-on jamais, je ne voudrais pas qu’on m’accuse de nudisme. Surtout pas à la télévision. Des bruits de pas, que je perçois vu le craquement des branches sous les pieds de l’arrivant, me force à dégager ma chevelure mouillée de mon visage. Quelqu’un approche, de toute évidence. « Qui que tu sois, tu peux venir. Je ne vais pas crier au meurtre même si tu me surprends en petite tenue. » lui laissais-je entendre à l'inconnu.

Je suis réveillé bien avant tout le monde, comme d'habitude. Je ne m'en formalise plus - il y a des évidences dont on s’imprègne assez rapidement, tant elles sont immuables. Croiser âme qui vive m'aurait plus surpris que l'inverse, pour être honnête. Alors comme hier, comme avant-hier aussi, je m'extirpe du sac de couchage que je balance sur Maha qui ne bronche pas, d'ores et déjà habituée à mes attitudes matinales, et je m'éloigne eu campement. Premier réflexe, réflexe de survie - mettre le plus de distance possible entre ces tentes et moi. Dans la vie de tous les jours, je me vide l'esprit des pensées parasites d'un matin embrumé en courant d'un bout à l'autre du campus de la faculté de médecine. Je pourrais en faire de même en parcourant la forêt, mais n'ayant qu'une seule tenue à utiliser pour la vie quotidienne, la nuit, le sport, et tout le reste, j'aime autant ne pas la salir plus que nécessaire. Je me sens déjà insupportablement crasseux, là, alors il est inutile et vraiment con d'en rajouter. Et ces fringues qui me collent presque à la peau, je m'en départis dès que j'en ai l'occasion. Dès que je mets un pied dans l'eau, dès que je me coince sous le sac de couchage. La nudité ne me fait pas peur et je ne m'impose une forme incertaine de pudeur que parce que les bonnes manières m'y obligent. Il n'y a que les gens fortunés qui peuvent se permettre de penser que leur corps est plus important qu'un autre et mérite plus un drapé privilégié, éloignant les regards bovins et impurs de ses formes. Alors, j'ai été élevé dans cette idée que mon corps est un joyaux dont je dois me servir avec minutie. Ouais, c'est drôle. C'est drôle, et quand une voix féminine fait mine de m'accorder une prétendue autorisation de l'approcher malgré sa tenue légère, comme si le lac tout entier lui appartenait, je ne peux m'empêcher d'éclater de mon rire frénétique. Celui que je ne peux pas retenir. « Qui que tu sois, sache que je m'en fous complètement d'avoir ta bénédiction. » je me contente de répondre, sans chercher à masquer le sarcasme que m'inspire le corps dénudé pataugeant dans l'eau sale du lac. Une femme, évidemment, au visage farouche et aux longs cheveux trempés lui collant aux joues. Sensuelle, j'en convins. Je me fige pour l'observer une seconde, avant que mes lèvres ne s'étirent en un sourire amusé. « D'autant plus que tu es belle, ton cul fera bientôt la une des magasines, alors la fausse pudeur, entre nous, tu peux l'abandonner » j'ajoute, l'air presque complice, en me perchant sur la rive du lac. On est seuls, évidemment. Je ne m'attendais même pas à la trouver là. Mais peu importe, tous les autres auraient pu être là également que ça n'aurait fait aucune différence. J'attrape le col de mon tee-shirt pour le faire passer par-dessus ma tête et l'échappe sans faire attention à son point de chute, puis j'expédie mes chaussures, mon pantalon, aussi, jusqu'à mon caleçon. Sans la moindre gêne malgré ma nudité, je m'enfonce dans l'eau, ignorant la morsure de sa fraîcheur sur ma peau. « Mais puisqu'on est là, tous les deux, rappelle-moi ton prénom ? » je hasarde finalement, en attrapant mes vêtements pour les plonger dans l'eau à leur tour. Il en faudra plus que ça pour les laver, mais c'est déjà ça.

Il faut peu de temps avant que l’inconnu me renvoi ma remarque. Son rire résonnant dans la forêt ambiante qui nous entoure me force à croire que j’aurais droit à un homme avec un caractère bien trempé qui se fout bien de ma présence, et qui compte investir les lieux, que je lui accorde mes grâces ou pas. Mes intentions n’étaient rien d’autre qu’un élan de politesse déguisée en mauvaise blague, et le ton de sa réponse, sarcastique à souhait, m’étire un sourire ironique sur les lèvres. L’étranger s’avance finalement vers la berge et je suis apte à repérer l’être au gloussement suspicieux. Je l’observe autant qu’il me détaille, sans gêne, sans tabou. S’il se permet cette petite liberté, je ne vois aucune raison pour ne pas agir pareillement. Ce qu’il contemple semble lui plaire, car sa bouche s’étire de plaisir. Ces propos sont crus, il ne mâche pas les mots et je me revois, quelques années auparavant alors que je faisais mes premiers pas dans cet univers masculin où j’étais plongé tête première, en ce, en toute connaissance de cause. Il m’avait fallu subir une longue période d’adaptation avant de ne plus sourciller face à ces commentaires à la limite du sexisme. « J’hésite entre prendre ça comme un compliment, ou de tout simplement croire que t’es qu’un sale pervers. T’as une préférence? » Ces gestes qui suivent mes propos me font presque croire que cette seconde option est plus d’activité que je ne veux bien le croire, car sans aucune pudeur, il se dénude, délaissant ses vêtements au hasard de leur chute sur le sol. Mes principes me forcent à détourner les yeux, mais puisque j’ai toujours été la petite rebelle de la famille, je résiste à leur appel et ne manque rien du spectacle. Je me rince l’œil, vu le spectacle qui s’offre à moi. Mon regard ne se détache d’ailleurs pas de l’homme, alors qu’il laisse son corps s’enfoncer à mesure que ses pas s’avance dans l’eau fraiche du petit matin. Quand il n’y a plus rien à découvrir, je relâche mon attention pour continuer ma petite besogne, celle qui justifie ma présence en ce lieu à une heure si tardive de la journée. La barre de savon, rugueuse au contact de ma peau, s’apaise au contact de l’eau et la friction laisse apparaitre une mousse soyeuse que j’applique sur mes membres supérieurs. « Simone. » lui offris-je comme seule réponse, alors qu’il s’enquiert de mon prénom. Le tout énoncé avec ces intonations à la française, presque exagérée. On s'est si souvent moqués de ce dernier que je pratique l'autodérision derechef quand il en est question.

Spoiler: