Imma avait fini par le semer le soir de leur « entrée ». Il ne s’était plus montré et elle avait pu finir la soirée dans son coin, avant de s’occuper des tentes, tout ça. Pour autant, elle savait très bien que le jeune homme était là, dans le campement, parmi les trente-neuf autres candidats et chaque jour qui fait, elle espère ne pas le recroiser. En vain, même sur une aussi grande surface, elle le voit toujours au moins une fois. Au détour d’un arbre, à la sortie de sa tente ou lorsqu’ils mangent tous, jusque-là elle avait échappé à sa présence « de tout près ». Assise au pied de la table en bois – forcément sans banc ni chaise, impossible de manger dessus- elle finit le repas préparé par elle ne sait pas qui. Quelqu’un de très gentil lui avait tendu un assiette et sans se méfier une seconde, elle avait mangé avec joie ce qu’on lui a offert. Passant le dos de sa main aux coins de ses lèvres, son regard est attiré par une ombre mouvante sur le sol, s’approchant d’elle. Remontant le long de ses jambes approchant d’elle, simplement séparée par la table et quelques mètres, elle remarque le jeune homme s’approcher d’elle. Alors lorsqu’elle le voit arriver, elle ne perd pas de temps et se lève de sa place plus rapidement qu’elle ne l’aurait cru. Elle contourne cette table pour lui échapper, mais manque de chance, elle tombe nez à nez avec lui. Alors elle n’a pas d’autre possibilité que de lever ses yeux intimidés sur lui, une espèce de panique se lisant sur son visage. De la panique, de l’appréhension. Elle avale déjà sa salive histoire de se concentrer sur autre chose, pas sur ce qu’il lui dire. C’est bête, elle pourrait faire demi-tour. Elle n’y pense pas. Et puis il a l’air coriace, il pourrait très simplement la suivre et lui attraper le poignet comme il lui avait attrapé la main l’autre fois. Alors elle ne recule que d’un pas, plantée là bêtement.

J’aime bien cette situation précaire. Pas que j’ai l’habitude de vivre dans ces conditions ou quoi, mais ça montre la véritable nature des gens, et ça me fait marrer. Le plus effrayant dans tout ça, ce n’était pas le noir, la boue, le manque de fringue, non, c’était – à mon humble avis – de voir les nanas sans maquillage. Qui pouvait croire qu’elles avaient le pouvoir d’être aussi effrayantes, celles-là ? Pour le coup, on pouvait dire qu’on voyait le vrai visage des candidates, et ce dans tous les sens du terme. Et il fallait dire qu’il y avait quelques mauvaises surprises. Enfin bon, c’est sandwich à la main que je me dirige vers la table en bois, où j’ai le plaisir d’y voir la jolie nana du premier soir. Elle avait réussi à s’échapper lorsque je l’avais emmené jusqu’aux abysses sans que je ne sache comment, et j’avais été trop occupé avec les autres candidats pour aller la chercher. Mais la voilà qui essaye encore de fuir, et je ne peux pas laisser passer ça. Il ne faut pas qu’elle se croit plus maligne que moi, la cocotte. Parce que si elle veut jouer à ce jeu là, je suis le plus fort. Et voilà que je me retrouve nez à nez avec elle, un sourire provocateur et satisfait aux lèvres. « C-Comme on se retrouve, c'est le destin q-qui nous r-réuni » je dis alors que mon regard bleu perce ses iris. Elle a peur, ça se voit, et ça me fait rire. Je ricane d’ailleurs sans prévenir, dévoilant mes dents mal alignées. J’attrape son menton entre mon index et mon pouce histoire de relever son visage, pour qu’elle ne baisse pas la tête comme elle avait apparemment l’habitude de le faire. « C’est la p-première fois que quelqu’un a p-peur de moi. » j’annonce, assez amusé et moqueur. « Bouh ! » je m’exclame d’un seul coup, un grand sourire espiègle se dessinant sur mes lèvres. C'était là qu'elle partait en courant, non ?

Elle n’a pas confiance en elle. La personne capable de la désarmer à coup de moquerie ne pourrait avoir une place dans son cœur. Il faut dire qu’il est petit et réservé à une élite qui s’est formé sur la sélection naturelle. Le jeune homme parle d’une manière qu’elle doit réfléchir avant de vraiment comprendre. Ajouté a une manière d’être qu’elle n’arrive pas à qualifier de manière juste. Peut-être désinvolte, un poil trop familier pour la petit fleure qu’elle est. Elle doit être cueilli délicatement et laissé au soleil pour la voir s’épanouir normalement. Pas moquée, puis vulgairement trainée comme la fille lambda du quartier. Devant lui, elle baisse les yeux comme un chien qui a bien appris. C’est le sort des faibles. Elle en profite pour pincer ses lèvres, une grimace sur le point d’exploser sur son visage. Elle ne croit plus tant au destin tout d’un coup. Encore moins lorsqu’elle l’entend rire, faisant battre le cœur de la namibienne plus fort encore sous sa poitrine à en avoir mal. Ridicule, elle sait qu’elle l’est. Elle ne peut pas s’en empêcher de l’être, de frissonner quand il prend son menton, la forçant à voir ce qu’elle ne veut pas. Son regard. Elle avale alors sa salive décontenancée et puis elle ferme ses yeux accompagnés d’un sursaut lorsqu’il s’exclame. Il voit qu’elle a peur, elle ne saurait le cacher. Elle ne peut plus le cacher d’ailleurs. « Ca te fait plaisir… » Qu’elle souffle, mettant en évidence ce fait et le sourire qu’il engendre. Elle aussi parfois, elle fait peur. Ce n’est pas pour autant qu’elle en sourie, bien au contraire. Elle aimerait être tout ce qu’elle n’est pas : celle par exemple qui ne laisserait pas son regard fuir tout en suppliant doucement. « Lâche-moi s’il te plait » Pour pouvoir se libérer de ses doigts. Elle mordille sa lèvre. « C’est pas drôle. »

Evidemment qu’elle me fait marrer cette situation. Elle a peur de moi alors que je n’ai rien d’effrayant. Je ne pourrai pas faire de mal à une mouche, même si au fond ça ne se voit pas tant que ça. Alors oui, je ricane grossièrement lorsqu’elle sursaute à mon « bouh ». La situation est ridicule. Elle n’arrive même pas à me regarder droit dans les yeux, alors j’attrape son menton entre mon pouce et mon index pour qu’elle relève la tête. Une femme devrait toujours avoir la tête haute. Quand je deviendrai président, j’instaurerai cette loi. Toute les femmes qui baissent la tête au cachot. Elle me demande de la lâcher, alors qu’en soi elle pourrait simplement faire un pas en arrière. Je ne tiens que son menton, ce n’est pas comme si j’aggripais son bras avec force. Ca n’avait rien à voir, même, en fait. « Tu d-devrais apprendre à t-tenir tête aux gens, ma jolie. » je lui dis sans la lâcher, mon regard accrochant le sien, mon sourire malicieux toujours aux lèvres. « Pourquoi est-ce que tu as peur ? » je lui demande alors, intrigué. Je n’allais pas la manger, ni la frapper, ni rien du tout, en fait. Ou peut-être qu’elle croyait que c’était le cas. Justement, j'avais envie de savoir.« S-si tu veux partir, il va f-falloir me donner une réponse satisfaisante. » je l'informe, comme une menace qui restait pour le moins ridicule, tout comme cette situation.

Je n’arrête pas de la regarder, finalement intrigué par ce petit bout de femme que j’ai en face de moi, et qui a l’air si faible. Comme un petit oiseau tombé du nid. C’est ça, la dalmatienne humaine est un petit oiseau tombé du nid. Elle m’intrigue, et sa réaction me donne encore plus envie de chercher la petite bête, de l’embêter, de la mettre mal à l’aise. Parce que j’attends avec impatience le moment où elle craquera, et qu’elle se révoltera comme n’importe qui le ferait. Mais elle, elle ne le fait pas. Elle est même incapable de reculer pour se défaire de l’emprise de mes doigts sur son menton, et je trouve ça complètement ahurissant. Je suis trop brusque, il paraît. Oh, je n’en doute pas. Je suis quelqu’un de brusque, d’agressif, ce n’est pas un secret. Mon sourire s’agrandit, ce sourire goguenard et idiot, un air de malice pouvant clairement se lire dans mon visage. Mon agressivité lui faisait peur, donc. Je n’arrivais pas à savoir si c’était vrai, ou si c’était une excuse pour éviter ma question. Elle tente de se défaire de mes doigts plaqués sur son menton, et je suis prêt à la lâcher, mais j’ai autre chose à lui dire avant. « Ne b-baisse pas les yeux. » je lui ordonne en plongeant mon regard dans le sien, très sérieusement, un air sévère et menaçant sur le visage. « P-parle plus f-fort et distinctement. » je rajoute sur le même ton. Oui, moi, le bègue, je lui ordonnais de parler correctement. Tout simplement parce que je savais l’importance que ces choses pouvaient avoir. « S-si tu ne le fais pas, tu auras une b-bonne raison d’avoir peur de moi. » je rajoute très sérieusement et assez menaçant. Je ne sais même pas pourquoi je lui dis ça. Après un silence de quelques secondes, je finis tout simplement par lâcher son menton.

Brusque. Ce n’est pas le seul mot possible à mettre sur ce qu’elle pense à son propos et de ce qui lui fait peur chez lui, mais elle ne trouve rien d’autre. C’est un tout en fait, un tout qu’elle n’aime pas. Qu’elle ne sent pas. Comme ceux qui la regarde de travers dans la rue, du genre personnes pas fréquentables. Elle baisse les yeux, marche rapidement tout en priant qu’ils n’aient pas envie de l’embêter. Elle ne sait pas de quoi elle a réellement peur devant eux, qu’ils se moquent d’elle très certainement. C’est un peu de cette manière qu’elle le perçoit. Le grand qui embête le petit. Le mauvais qui embête le bon. Celui qui est passé au-dessus de son défaut – lui - qui embête celle qui n’a toujours pas commencé à vraiment l’intégrer. Alors il en profite, se posant en supérieur face à elle, qui bêtement en perd tout sens commun. Et elle en obéirait presque. Il lui dit de ne pas baisser ses yeux, alors elle ne les baisse pas. Elle regarde les siens, d’un clair étonnant. C’est aussi son sérieux qui fait peur. Ou le fait qu’elle n’arrive pas à savoir s’il n’est pas en train de se moquer d’elle. C’est son caractère qui lui est encore inconnu en fait, qui la rebute. Comme une bête sauvage dont on se méfie, pensant forcément qu’elle ait mauvaise. Alors elle soutient son regard se demandant en quoi ça pouvait bien l’avancer. Elle ne dit rien à ça. Elle réagit à ce qu’il dit en suite. Elle pince ses lèvres, ses poumons se soulevant d’un seul coup. Lui aussi qu’il parle plus distinctement. Elle le pense sur le coup, mais ne le dire pas. Elle bouge doucement sa tête à la négative. « Je peux pas » Elle l’avoue à demi-mot, toujours de manière fluette, presque incompréhensible. Mais elle continue de le regarder. Même quand ses mots se transforme en une espèce de menace. Il cultive la peur d’Imma. Elle voit clair dans son jeu. Ce n’est pas parce qu’elle est plus sensible que la moyenne, qu’elle est idiote. « J’ai pas envie » Elle le dit et parce qu’il la lâche, elle en profite pour faire quelques pas en arrière pour s’éloigner, le regardant en coin. Elle pourrait se retourner et le laisser là, pour la peur se mêle à une pointe de curiosité qui la fait se sentir mal à l’intérieur. Elle a chaud, sa respiration est plus difficile. « C’est quoi ton prénom » Elle souffle toujours de la même manière, histoire de mettre quelques lettres sur ce visage qu’elle veut fuir.

Elle n’éprouve apparemment pas tant de problèmes que ça pour me regarder dans les yeux. Mais parler distinctement a l’air d’être plus problématique pour le petit oisillon, et je crois que c’est ce qui m’agace le plus. Elle a la chance de pouvoir le faire, de pouvoir parler haut, fort, et distinctement, mais elle ne le fait pas. Peut-être par peur de s’imposer, je n’en sais rien, mais c’est quelque chose que je ne comprends pas et qui a le don de m’énerver. Parce que moi si je le pouvais, je le ferais, et je ne comprends pas pourquoi les autres ne le font pas. « C’est p-pas comme ça que tu vas te f-faire entendre. » Je ne parle pas du sens normal de « se faire entendre », cela paraît évident. Et même si elle n’obéit pas, je la lâche. Etonnamment, elle recule sans pour autant prendre ses jambes à son cou. Non, même pas, elle reste et demande même mon prénom. Je la dévisage un instant sans rien dire, sans bouger, mon regard détaillant son visage si peu commun et apeuré. « Ziggy » j’annonce sans bégayer, mes mains épelant instinctivement mon prénom en langue des signes sans le vouloir, par pure habitude de côtoyer des sourds-muets.

Imma est totalement ridicule. Elle ne connait rien du jeune homme devant elle, pas même son prénom. Elle fait simplement ce qu’elle déteste en général : elle le juge sur ce qu’elle a vu de lui. Un mec trop brusque, agressif verbalement – sans être malpoli – et qui ne respecte pas son espèce de bulle. Il l’a trop gêné le premier soir, alors elle le juge très mal. De là à en avoir peur, peur qu’il continue, peur qu’il prenne trop ses aises avec elle. Comme il le fait d’ailleurs en ce moment, elle lui prenant le menton, en essayant de la faire parler fort. Elle ne veut pas parler fort. Elle ne veut pas se faire entendre, comme il ajoute. Elle n’est pas ici pour se faire remarquer et s’imposer aux autres. Elle n’a pas signé pour ça, encore moins pour qu’un bègue lui dise quoi faire. Elle baisse ses yeux, honteuse de penser ça. Comme elle ne connait rien de lui, elle veut savoir son prénom. Savoir qui elle devait fuir, ou tout du moins éviter la présence s’ils venaient tous les deux à intégrer le jeu. Imma plisse ses yeux, s’arrêtant sur ses mains bougeant. Elle a déjà vu ça, avec des sourds. Elle se demande comment ça se fait qu’il le fait en parlant, mais elle n’en dit rien. « Ziggy… » Répète-t-elle à sa suite, se mordillant la lèvre inférieure, avant de souffler. « Je suis pas comme ça. » Un silence. « Je veux pas t’obéir » Un autre silence. « Laisses-moi tranquille » Dit-elle en tournant les talons et s’éloignant de lui.