“ chaos is my second home ”

w/@ariadne.

C'était l'une des choses qui les changeaient le plus de la semaine qu'ils avaient passé dans les abysses, d'avoir tout un dressing pour ranger leurs affaires. Parce que là-bas, le problème n'était même pas que les rangements étaient inexistants, mais plutôt que les vêtements eux-mêmes n'étaient pas bien nombreux. Le canadien se souvenait d'en avoir fait voir des vertes et des pas mûres à de pauvres t-shirts qui aujourd'hui ressemblaient plus à des chiffons qu'autre chose, et s'être dit que s'il avait l'occasion d'intégrer le jeu et de pouvoir ranger ses vraies affaires, celles qui ne se comptaient pas qu'au nombre de trois, il prendrait soin de tenir en ordre la partie où il les disposerait, histoire de se montrer un peu reconnaissant. Il prit ainsi la direction du dressing avec l'intention de terminer d'y ranger quelques dernières affaires qu'il avait jusqu'ici laissées au fond de sa valise, mai voilà qu'une fois sur place, il put constater que tout le monde n'avait pas adopté les mêmes résolutions que lui, étant donné qu'une robe semblait avoir été oubliée par terre. A moins que celle-ci soit tout simplement tombée d'un des rangements du dessus, en toute honnêteté il n'avait pas prévu d'ouvrir une enquête détaillée pour découvrir l'origine de sa présence ici, la seule chose qu'il aimerait, dans l'immédiat, c'était la remettre à sa place. Et justement, c'est au moment où il s'en fit la réflexion qu'il fut distrait par l'entrée d'une candidate, qu'il reconnut rapidement sous les traits d'Ariadne, une jeune femme qu'il connaissait pour avoir fait sa rencontre la semaine passée et dont la compagnie lui serait aujourd'hui encore assurément agréable. « Oh Ariadne, tu tombes bien, tu vas peut être pouvoir m'aider » qu'il lança alors, en laissant ses lèvres s'étirer en un fin sourire, avant de s'accroupir de façon à ramasser le vêtement puis de se tourner vers elle. « J'ai trouvé cette robe par terre, elle a du tomber d'un de ces compartiments. » C'était effectivement l'hypothèse qu'il avait fini par privilégier, pensant que c'était plus crédible que l'idée selon laquelle sa propriétaire l'aurait consciemment laissée là. « Seulement je sais pas du tout duquel, pour moi n'importe quelle fille ici pourrait porter ce genre de trucs. » C'est parce qu'il n'y connaissait rien, que pour lui une robe était une robe et qu'il partait bêtement du principe que toutes les filles avaient à peu près les mêmes goûts à ce niveau-là. « Ça te dit quelque chose ? » Avec un peu de chance, elle connaissait la robe pour l'avoir déjà vu sur l'une de ses camarades, ou aurait au moins une idée du rangement duquel elle avait pu tomber. Il comptait sur elle parce qu'en ce qui le concernait, cette robe pourrait bien être à n'importe qui.

Je m'occupais pénarde du linge, les écouteurs vissés aux oreilles. Avec le rythme entêtant des Animals, je ramassais les vêtements restants du tambour de la machine que je balançais dans mon panier. Je bougeai frénétiquement la tête, emportée la musique. Dans le couloir, je croisais des candidats que je saluai brièvement. Je fredonnais les paroles en pliant avec soin chacune de mes fringues. Ces fringues étaient les reliques du passé. A ce passé que j'avais tant mal à oblitérer. Je les portais à l'usure. S'il le fallait, je les recousais. Je n'étais pas non à la dèche, mais j'y tenais à ses fringues. C'était sentimental. Cela faisait longtemps que je n'avais pas acheté du neuf. On m'en offrait. Je ne les trouvais jamais à mon goût. Je récupérais des fringues à droite et à gauche dans des friperies, me constituant une garde-robe unique. L'ensemble reflétait bien mes goûts éclectiques et ma tempérament bohème. Une fois les vêtements pliés, je les plaçais dans les étagères à disposition, dans mon cabinet personnel. Culottes et soutien-gorges atterrirent dans un des tiroirs. Mes chapeaux empilés les uns sur les autres trônaient en bas de l'armoire, formant une tour bariolée. Je pris l'occasion d'attraper un foulard. Je l'utilisai pour faire un bandeau, enveloppant le début de mon scalp. Mes cheveux retombèrent en cascade sur mes épaules. Je cherchais des yeux mon kimono. Je l'avais oublié dans ma chambre. J'y retournai rapidement, puis revint. Je croisai le regard d'Allen qui était ravi de ma présence puisque mon aide était sollicitée. J'acquiesçai et l'écouta attentivement, les mains posées sur les hanches. Il ramassa une robe à terre et me le montra. Il cherchait la propriété de cette robe. En posant mon regard dessus, je la reconnus tout de suite. « Mais c'est le mien. », rétorquai-je. Elle sourcilla. La robe s'était évaporée sans m'en rendre réellement compte. La chance était de mon côté, en la présence du trentenaire. Je la récupérai de ses mains et expliquai : « J'ai du le faire tomber de mon panier à linge. » Cela ne pouvait qu'être cela. Il n'y avait que cette explication. Après, c'était plus de l'ordre du surnaturel. Selon ma mère, cela aurait été un fantôme errant éternellement chez les mortels. A cette pensée, j'eus un léger rictus. « Merci. » Je lui souris et remis sa place la fameuse robe auprès de ses consœurs. Quand je refermai la porte de l'armoire, je repensais à quelque chose. Je revins auprès d'Allen, la mine boudeuse. « Tu n'es pas venu me voir lors du prime. » C'était presque un reproche, mais rien de bien sérieux. Je ne faisais que le taquinais. Il était bien entouré, ce soir-là. Je n'osais pas l'aborder pour le coup, de peur qu'il me trouve collante. Je renchéris en croisant les bras : « Monsieur a plein d'admiratrices, à ce que je vois. » On prendrait cela presque pour de la jalousie, à force. Il n'en était rien. C'était de la simple taquinerie. Mais il y avait un fond de vérité là dedans : il savait attirer l'attention des femmes.

Sans être maniaque dans l'âme, le canadien préférerait que cette robe retrouve sa place, étant donné que ça n'était a priori pas par terre qu'elle était censée se trouver. Mais difficile de la ranger au bon endroit quand on était incapable de savoir à qui elle pouvait appartenir, parce que ça n'était pas les filles qui manquaient ici, et en l'occurrence la plupart d'entre elles devaient assez régulièrement porter des robes, c'est en tout cas ce qu'il avait cru noter pour la plupart d'entre elles lors du prime de dimanche. Du coup, soit il la rangeait à tout hasard dans le premier compartiment où il trouverait un peu de place, mais devrait ensuite vivre avec l'idée que sa propriétaire risque la chercher indéfiniment, soit il attendait d'avoir un peu d'aide, idéalement de la part de quelqu'un d'un peu plus calé que lui en la matière. Et justement, c'est à ce moment-là qu'il vit entrer Ariadne, qui risquait de savoir un peu mieux que lui à qui ladite robe pouvait bien appartenir, ou qui l'avait peut être simplement vue une fois à sa place et saurait lui dire où il était censé la ranger. Il la pensait honnête, du genre à vouloir que chacun récupère ce qui lui appartenait, ainsi il avait bon espoir qu'elle accepte de l'aider si cette robe lui disait quelque chose. Et il semblerait effectivement que ce soit le cas, mais à un niveau un poil différent de ce qu'il avait imaginé, étant donné que la jeune femme laissa entendre que la fameuse robe était la sienne, justement. « Oh vraiment, c'est à toi? » qu'il s'étonna sur le coup, parce que le hasard semblait bien faire les choses en l'occurrence, vu que lui s'était dit qu'elle pourrait l'aider à retrouver la propriétaire de la robe mais qu'il s'arrivait au final que c'était elle, la propriétaire. « Heureusement que t'es pas arrivée dix minutes plus tard, parce que j'aurais peut être fini par la ranger n'importe où, à défaut de savoir où était sa place. » Bon, ça n'était pas tout à fait vrai, disons qu'il aurait retardé un maximum le moment de devoir procéder au rangement hasardeux de cette robe. Là, il voulait surtout qu'elle ait l'impression d'être on ne peut mieux tombée, après tout c'était le cas. La jeune femme entreprit alors de ranger la robe dans ses affaires puis se retourna vers la canadien, qui passa une main contre sa nuque lorsqu'elle évoqua le prime et le fait qu'il ne soit pas venu la voir, alors qu'ils s'étaient dit qu'ils prendraient des nouvelles l'un de l'autre. « C'est vrai, je suis désolé, ça m'est un peu sorti de la tête. J'ai passé la soirée avec Agata et j'ai réalisé un peu tard que j'aurais du venir te voir. » Il préférait être honnête, il n'y avait plus tellement pensé pendant la majeure partie du prime, parce qu'entre le trac et toutes les informations qu'on leur avait fait parvenir, il avait quelques peu oublié leur discussion de l'autre jour. « Cela dit, tu aurais pu venir si t'en avais envie, ça m'aurait fait plaisir » qu'il renchérit, un doux sourire aux lèvres. Il semblerait qu'elle n'ait pas osé venir puisque lui n'était pas venu, et c'était compréhensible, seulement il aurait été enchanté qu'elle se joigne à eux et il voulait qu'elle le sache. Mais voilà qu'elle laissa entendre qu'il avait été bien entouré, et ça n'était pas sans lui rappeler ce qu'elle avait déjà doucement insinué l'autre jour. « Pourquoi tu tiens absolument à me prêter plus de succès que j'en ai en réalité ? » qu'il l'interrogea, toujours souriant, en laissant ses doigts pincer le bout du nez de la jeune femme. C'était flatteur et certainement pas très sérieux, mais lui savait pertinemment qu'il n'avait pas d'admiratrices, ni ici ni nulle part.

Au dressing, je croisais le regard d'Allen qui tenait dans ses mains une robe. Cette fameuse robe m'appartenait. J'en étais certain. Ce dernier ne semblait pas le croire, mais je parvins à lui prouver le contraire : « Oui, regarde. » Je lui montrais l'étiquette de la robe comme preuve. Comme il le disait, j'avais de la chance que j'étais tombé sur lui à temps. Sinon, j'aurai galéré à retrouver cette robe. J'y tenais à cette robe, en plus. J'avais horreur de perdre des choses. Bon, aussitôt trouvé aussitôt rangé. En revenant vers lui, je mentionnai la soirée du prime et la promesse qu'il m'avait faite la semaine dernière. Il admettait qu'il avait oublié. En réponse à cet oubli, je ne pouvais que lui sourire de toutes mes dents. « C'est pas grave. Je ne t'en veux pas. », dis-je d'un ton léger. Mais il marqua un point sur le fait que j'étais tout aussi responsable. J'acquiesçai : « Oui, c'est vrai. » J'aurais pu faire effort, mais j'étais paralysée par la timidité. Je n'osais pas et j'en conclus : « On va dire qu'on a été tous les deux dépassés par les événements. » C'était l'effervescence. On était bien trop captivé par l'instant qu'on se retrouvait vite submergé. Ce soir-là, les femmes entouraient le brun. Je supposais qu'il avait un succès auprès de la gente féminine. Il trouvait que ce succès n'était pas légitime. Il pinça mon nez et je le gratifia d'un sourire mutin. Je réfléchissais à une réponse plausible, mais rien ne me venait de réellement justifiable. « J'en sais rien, en fait. L'instinct féminin. », répondis-je en haussant légèrement les épaules et en jouant avec mon médaillon. Je ne mentais pas. Je ne faisais que de le lui remarquer. Peut-être que je faisais une petite fixette là-dessus. J'avais surtout l'impression qu'il croyait que je me moquais de lui. Ce n'était pas vraiment pas le cas. J'avais eu l'occasion de l'observer dans la soirée et il était bien entouré. « C'est du charisme, je suppose. » Je ne faisais qu'émettre un fait. Son charme était indéniable. Je n'étais pas insensible à ce charme. C'était plutôt sa personnalité qui me plaisait le plus. Je ne permettrais pas de convoiter un homme marié et dans le cas, j'avais cru que c'était compliqué. Je ne tenais pas à m'en mêler. Je préférais la jouer neutre et impartiale. « Au cas tu ne l'aurais pas remarqué, je dis toujours ce que je pense. » Il n'y avait pas plus honnête comme fille. Je ne pouvais pas garder les choses pour moi. C'était plus fort que moi. Et parfois, trop d'honnêteté dérangeait les gens. Je ne m'en apercevais pas forcément. Cela conduisait à des situations gênantes. « Et je dis beaucoup de conneries aussi. » Je ris légèrement. Je fourrai mes mains dans les poches de mon jean troué fétiche. « Et toi, t'as un défaut qui t'a déjà porté préjudice ? » J'en avais déjà énuméré un dans la longue liste des défauts les plus énervants. J'avais un sacré caractère. Il était rare que je montre cette face aux gens que j'apprécie.

Alors comme ça, il avait passé de longues minutes à se demander à qui pouvait bien appartenir cette robe, et il suffisait qu'Ariadne arrive pour que cette question trouve sa réponse ? Parce que d'après elle, c'était sa robe, chose qu'il était prêt à croire, mais qui tout de même le surprit largement. « Attends, t'es entrain de me dire que j'avais la réponse sous les yeux depuis le début ? » qu'il s'amusa au moment où elle lui désigna l'étiquette de la robe, preuve formelle qu'elle lui appartenait bien. En tout cas, il avait tendance à s'en vouloir de n'avoir pas pensé à aller retrouver Ariadne dimanche soir, parce qu'il lui avait dit qu'ils se diraient quelques mots mais au final ils ne se sont pas croisés. Elle disait heureusement ne pas lui en vouloir, et elle avait assurément raison quand elle avançait qu'ils avaient été distraits par l'agitation d'un tel prime. « Oui, et je pense qu'on peut dire que ça n'est que partie remise » qu'il proposa, cette fois avec la ferme intention de s'y tenir, pas parce qu'il se sentait obligé mais qu'il en avait réellement envie. « Si ça te va. » Elle pourrait tout à fait décréter qu'elle n'était pas à sa disposition, il ne lui en tiendrait pas du tout rigueur. La jeune femme fit alors remarquer qu'il avait été bien entouré sur le prime et il s'en amusa légèrement, parce que ça n'était pas la première fois qu'elle faisait ce genre d'allusions. Et lui, ça l'étonnait un peu, parce qu'il n'avait plus l'impression d'avoir des admiratrices depuis qu'il avait rencontré Andrea. Elle évoqua alors son instinct féminin et il adopta une mine fascinée. « Dans ce cas, qui suis-je pour contester ce qu'il t'inspire ? » qu'il souffla sur un ton doucement taquin, sincèrement flatté qu'elle semble penser qu'il puisse plaire, même s'il aurait du mal à être convaincu par ses arguments, peut être parce qu'il manquait de recul. « Tu sais, j'ai toujours cru que le charisme avait été inventé pour rassurer les types qui prennent de l'âge. » Il lâcha un rire distrait, parce qu'il exagérait un peu, bien sûr, même si dans le fond c'est vrai que c'était le genre de notions qui lui échappaient toujours légèrement. « J'avais cru comprendre, oui, et si tu veux mon avis c'est une excellente chose » qu'il énonça par la suite lorsqu'elle lui fit remarquer qu'elle disait toujours ce qu'elle pensait. Elle était franche, ça n'était clairement pas une chose qu'il pourrait lui reprocher, lui qui avait toujours préféré une vérité qui fâche à un mensonge un peu trop accommodant. « Je suppose que tu dis ça parce qu'il t'arrive de regretter d'avoir parlé trop vite ? » Il le supposait parce qu'elle s'était reprise, la semaine dernière, après avoir dit quelque chose et pensé ensuite que c'avait pu le blesser. Il n'avait pas vu ça comme une connerie, mais c'était le genre de choses qu'on disait facilement de soi-même. « Je dirais que je m'implique un peu trop dans ce que je fais, dans ce que je joue, dans mes rapports avec les autres ... » Parce qu'il était sensible, qu'il prenait les choses à cœur, qu'il s'attachait vite et qu'il se passionnait rapidement pour tout un tas de choses. « Ça m'a toujours valu pas mal de désillusions. » Il fallait voir combien il avait pu mettre de sa personne dans sa façon d'interpréter Jesse, à l'époque où tout allait encore bien pour lui. Et combien il avait pu s'impliquer dans sa relation avec Andrea, dès le départ, en étant systématiquement le premier à vouloir plus, toujours. Il s'en rendait compte maintenant qu'il avait tout perdu, parce qu'il se sentait partiellement vide. « Au fait, j'ai entendu parler de ta nomination » qu'il finit par reprendre, les lèvres pincées, parce qu'il avait entendu parler de la roulette russe, et du fait qu'elle ait été nominée après que son partenaire s'y soit essayé. « J'espère que tout se passera bien, et que tu resteras. Je sais pas trop ce que ça vaut alors qu'on se connaît pas depuis très longtemps, mais c'est sincère. » Il l'avait dit, il s'attachait vite et en l'occurrence il souhaitait facilement le plus grand bien aux autres. Ariadne était une fille chouette et il aimerait continuer à la côtoyer dans le nid, quel que soit son propre sort.