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Mercredi, 12h18. L’estomac de Mylah commence à s’agiter, ce qui tombe bien, puisqu’il est l’heure pour elle d’aller préparer à manger. Elle a retrouvé sa si précieuse montre, l’objet le plus important à ses yeux, et elle peut enfin suivre son planning à la lettre, comme elle le fait en dehors de ses murs, dans la vie dite réelle. Elle était complètement perdue lors de la semaine dans les abysses, usant de divers stratagèmes pour se repérer dans le temps, avec plus ou moins de succès. Et cette imprécision commençait sérieusement à perturber la jeune femme, qui se sentait sans repères, perdue, à la limite d’une crise de panique à l’idée de ne pas vivre comme elle en a l’habitude. Mais c’est du passé, maintenant, elle peut compter sur sa montre et elle ne compte pas lâcher celle-ci de sitôt. Il est donc midi passé, et comme elle sait pertinemment que ce n’est pas glamour pour une femme d’émettre des bruits corporels, il est temps pour elle de satisfaire la petite faim qui se fait sentir avant de mettre à mal sa réputation. Elle se dirige en direction des cuisines sans peine, la journée de lundi ayant été réservée à la découverte des lieux pour ne pas perdre une minute lorsqu’elle doit se rendre une pièce précise. Elle n’a pas exploré les pièces de fond en comble, elle s’est juste assurée de connaître leur emplacement par cœur. Il faut dire que cet hôtel est tellement grand. Mais elle s’y retrouve sans peine, elle qui est habituée à une telle folie des grandeurs. Elle retrouve donc les cuisines et se met rapidement à fouiller dans les placards ainsi que le réfrigérateur. Elle en sort tous les aliments orange qu’elle trouve. Parce que le mercredi, la couleur à l’honneur, c’est l’orange. Elle ne pourrait pas manger un aliment d’une autre couleur, ou se ferait immédiatement vomir par réflexe. Elle se met donc à ses préparations pendant le reste de l'heure. Soupe à la courge – elle en a même fait trop, même si ce n’est pas volontaire – accompagnée d’une salade de carottes, avec une mousse à l’orange en dessert. Elle aime cuisiner Mylah, surtout parce que c’est le seul moyen d’être maître de ce qu’elle mange. Elle compte les calories et s’assure que les aliments aient la bonne couleur. Si ces deux points ne sont pas respectés, elle préfère encore faire grève de la faim. Peu avant 13h, elle arrive au terme de ses préparations, qu’elle place sur un plateau pour se rendre sans embûche jusqu’au restaurant. La production aurait tout de même pu prévoir un comptoir avec des tabourets dans cette cuisine, histoire qu’ils n’aient pas à se déplacer à chaque fois. Ou alors un serveur à leur service, elle n’aurait pas dit non. Il ne lui manque plus que les couverts et une serviette de table, orange, bien évidemment. Elle aligne dans un premier temps les couverts à une distance égale des assiettes, il ne faudrait pas que la fourchette soit à deux centimètres du rebord de l’assiette quand le couteau est à un centimètre. Et puis, au bout de quelques minutes, elle arrive enfin à un résultat satisfaisant. Elle se met à la recherche d’une serviette de couleur orange, quand un autre candidat entre dans la pièce. Elle relève juste la tête pour tenter de le reconnaître, elle croit l’identifier comme étant Addil, sans sécurité bien qu’elle ait mis un point d’honneur à mémoriser les prénoms de chacun. Elle ne s’occupe plus de lui, jusqu’à ce qu’elle entende un bruit, léger, certes, mais qu’elle reconnait immédiatement. Les bruits des couverts. Mylah en oublie sa recherche pour se précipiter vers son plateau, et elle constate que les couverts ont légèrement été déplacés. « Non, non, non. » Elle murmure, agacée, tandis qu’elle s’affaire à replacer les couverts comme ils étaient, n’adressant pas même un regard à Addil. « Qu’est-ce que tu as fait ? » Elle demande, un peu paniquée. Il ne l’a pas fait exprès, cela se voit, mais il s’est appuyé, ou alors il a posé quelque chose qui a perturbé la symétrie du plateau. Et ça, ça ne perturbe pas uniquement le plateau, mais surtout Mylah.

Addil avait un petit peu faim, mais comme le jeune homme était un adepte des plats surgelés ou des plats à emporter ce n'était pas trop le top. Il comptait sur les autres pour qu'il puisse se nourrir, car franchement il était réellement nul à ça, il était peut-être capable de faire des pâtes avec du jambon, mais ce le maximum qu'il puisse faire. Et c'est déjà bien ! Dans la vie on ne peut pas être tout à la fois, il est déjà psychologue et analyste s'il devait en plus être manuel et savoir se débrouiller en cuisine il était un surhomme. Il entre dans les cuisines et découvre une charmante jeune femme, une belle blonde, grande mince. Cette saison on pouvait trouver de nombreuses filles comme cette jeune femme, elles se ressemblaient toutes. Addil préférait les brunes, comme Imma ou Claudia. Au moins il arrivait plus facilement à les différencier. Il rôda autour du plateau qu'elle avait préparé pour voir s'il pouvait en tirer quelque chose de potable. Sauf que son coude bouscula légèrement les couverts. Peut-être d'un millimètre ou même deux. En une fraction de seconde la jolie blonde était de retour en voyant qu'il avait déplacé les couverts. Elle devait sans doute être une maniaque extrême, car pour voir que Addil avait légèrement bougé les couverts il fallait être sacrément folle dans sa tête. Mais cela tombe bien, puisque Addil a déjà vu de nombreuses personnes qui avaient des tocs. Comme l'homme qui sentait tout avant de le toucher, tel un animal doté d'un museau il reniflait sans arrêt. il était vrai que pour un être humain avoir cet faculté était embrassant. Des femmes comme elle il en avait vu tellement qu'il ne saurait compter. Des femmes maniaco-dépressives, car là cela devenait vraiment extrême. Elle semble totalement décontenancée, comme si elle était totalement perdue. Addil ne savait pas comment il devait réagir, avec le sourire comme d'habitude ou avec un air plus grave et en mode psychologue. « Maniaque. Peut-être même trop, peu-être un traumatisme un stresse. Tu es aussi stressée que cela pour te mettre dans un état comme cela. A moins que c'est un traumatisme et que cela t'habite depuis ta plus jeune enfance. » dit-il en essayant de décrypter la situation. En vérité elle ne devait rien comprendre aux affirmations du jeune homme, il essayait de lui expliquer les causes de ses tocs, mais elle ne savait même pas qui il était. Juste un brun avec de la barbe et un regard sombre, rien d'autre. Ah si peut-être qu'elle connait son prénom. D'ailleurs il lui revint en mémoire, d'un coup comme ça, comme un flash. Mylah, cette femme s'appelait Mylah. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait réussi à le retenir. « Mylah. Tu t'appelles Mylah. Enchanté moi c'est Addil. » dit-il. Il aurait dû faire les présentations avant, mais de toute façon c'est trop tard. La psychologie passe avant les présentations, c'est la raison de vivre d'Addil.

Peut-être qu’elle aurait dû prêter plus attention au candidat qui vient de débarquer dans la pièce, le surveiller, non pas pour s’assurer qu’il ne lui pique pas la nourriture qu’elle a préparé avec amour, mais bien pour s’assurer qu’il ne se montre pas maladroit et ne fasse pas de dégâts. Il aurait été préférable qu’il lui vole le plateau ou qu’il fracasse celui-ci à terre plutôt que de légèrement faire bouger les couverts. Mylah revient à la vitesse de l’éclair en direction du comptoir tandis qu’un vent de panique l’atteint, avant qu’elle ne demande au jeune homme ce qu’il a fait. Parce que clairement, les couverts ne se sont pas déplacés tous seuls, il n’est pas innocent. Et comme on dit, faute à moitié à avouée, à moitié pardonnée. Mais au lieu d’excuses – ce qui aurait été parfaitement logique – ou d’une explication apte à satisfaire la curiosité de Mylah, les propos qu’il tient laisse la jeune femme muette un court instant. Il est sérieux ? Plutôt que formuler des excuses, il préfère la psychanalyser ? Elle fronce les sourcils à mesure qu’il parle, avant de finalement lever les yeux au ciel. « Désolée de te décevoir, aucun traumatisme d’enfance à signaler. » Des parents qui mettent la pression à leur enfant, ce n’est pas un traumatisme, c’est être soucieux de leur avenir, parait-il. Mais peu importe, s’il s’imagine que ses parents l’enfermaient à la moindre bêtise ou la frappait dès qu’ils le pouvaient, il se trompe. « Enfance heureuse, âge adulte qui l’est tout autant, il vaut mieux te tourner vers l’homme des bois ou la rousse flamboyante si tu tiens vraiment à extrapoler quelque chose. » Elle n’est pas la bonne cliente pour cela, contrairement à d’autres chez qui il pourra tirer les conclusions qu’il veut parce qu’ils ont sûrement vécus des traumatismes, contrairement à elle. « Je ne suis pas maniaque, j’aime l’ordre, c’est différent. » Elle termine quant à son hypothèse. Il faut qu’elle le lui précise, vu qu’il s’imagine déjà qu’elle est maniaque, peut-être même trop, si elle reprend ses propos. « Enfin un point sur lequel tu as raison. » Elle rétorque simplement avec un faux sourire quand il évoque son prénom. Il ne s’est pas trompé et ne l’a pas affublée d’un prénom qui ne serait pas le sien, c’est déjà ça. « Enchantée. » Elle déclare, par principe et par politesse, même si elle est loin d’être enchantée, en réalité. Elle se concentre à nouveau sur son plateau, tentant de remettre les couverts à leur place, tandis qu’elle se décide à entrer dans le jeu d’Addil. « Confiant. Peut-être même trop. Sûrement issu d’une famille aisée, avec des parents qui t’ont délaissé, puisque maintenant, à l’âge adulte, tu as besoin de montrer ta supériorité sur les autres. Et ton envie d’analyser tout, ce qui est probablement ton travail, te vient du fait que tu ne veux pas t’analyser toi-même par peur de ce que tu pourrais découvrir. » Elle déclare, relevant enfin la tête pour enfin lui adresser un regard. « J’ai bon, Monsieur le Psychologue ? » Elle termine, accompagné d’un sourire à peine moqueur.

Une femme maniaque qui ne s'assumait pas. La route vers la rédemption allait être longue et sinueuse. Mais Addil ne désespérait pas et il sentait qu'elle pouvait rapidement se soigner. Et puis elle avait l'air un peu sûr d'elle, vouloir jouer les personnes supérieurs avec lui c'était un mauvais signe. Il détestait qu'on le prenne de haut, lui avait beau arriver avec son air légèrement hautain il était plus doux par la suite et perdait cet air qu'il avait comme une défense pour connaître la personne. Bizarrement il sentait en elle, comme une aura étrange et négative. Mais il allait sûrement rapidement la balayer. Il était psychologue, donc il était forcément plus fort sur l'analyse qu'elle. « On sent la femme trop sûr d'elle qui veut prendre le contrôle. Dans ta vie je suis sûr que tu dois diriger des personnes. une horrible patronne ? Je sens le tyran qui est en toi et tes employés doivent sûrement te craindre. » dit-il en riant légèrement. Histoire de se moquer un peu d'elle comme il savait si bien le faire. « L'ordre n'existe pas. Une machine n'est jamais parfaite donc tu es maniaque. Tu as le soucis du détail jusqu'à l'extrême. L'ordre n'est pas parfait. Donc désolé de te dire que si tu es maniaque. Une maniaque qui n'ose pas s'avouer ses tocs ayant sûrement trop peur de s'avouer qu'au fond elle aussi a des problèmes. » dit-il en poussant un léger soupir en levant un peu les sourcils. Cette femme pensait pouvoir jouer les psychologues. Elle pensait réellement que Addil n'avait jamais entendu ce discours qu'on lui sortait pour lui clouer le clapet. Il en fallait bien plus pour cela. « Oui mes parents m'ont délaissé. Enfin ma grand-mère elle a été là, donc rassure toi j'ai eu une enfance assez heureuse. Désolé de te dire que n'es pas psychologue qui veut. On sent tout de suite la femme qui veut prendre le dessus alors qu'en vérité tu essayes de me déstabiliser. Désolé de te dire que ça ne marche pas avec moi. La vie est légère, comme une douce crème chantilly. » dit-il avec un léger sourire sur le coin des lèvres. « Je sais qui je suis. Et rassure-toi j'ai déjà réussi à analyser ma propre situation. Tu as envie d'attirer l'attention sur moi c'est ça ? Comme tu as peur que l'on parle de toi et de tes problèmes et que tu souhaites prendre le pouvoir tu dévies le sujet de conversation vers l'autre pour le mettre en difficulté. Oups c'est raté. » Il est joueur, il s'amuse, il se moque. On pense toujours avoir une longueur d'avance sur lui, mais c'est toujours lui qui a une longueur d'avance sur les autres.