+@Gekko
Elle regarde les poissons, puis le jeune homme dont elle ne saurait donner l’âge. Ca fait maintenant un moment qu’elle se trouve là, au bord de l’eau et lui de l’autre côté. Elle ne sait pas ce qu’il fait. Il ne semble jamais rien faire, toujours à trouver une perte de temps à n’importe quelle occupation. Elle est même autant fascinée par lui que par les poissons, qu’elle avait appris à apprécier et non plus les craindre. D’ailleurs, elle profite de les voir à  la surface pour passer un doigt sur leurs écailles. Elle n’a pas envie d’apprivoiser le jeune homme, ce serait trop fort pour être vraie. Elle ne sait déjà pas s’apprivoiser elle-même, ni d’ailleurs poser la question qui la taraude depuis quelques minutes. Le bassin est dit japonisant, parce que Japonais et lui ? L’est-il, japonisant ? Imma ne connait rien en dehors de la Namibie, sauf peut-être un peu des USA et de l’Angleterre, à travers son écran de télévision. L’aventure lui permet non seulement de sortir de son trou africain, mas de découvrir d’autres choses, d’autres cultures, d’autres personne venant du monde entier. Elle n’est pas bête Imma, elle travaillait même très bien à l’école lorsque celle-ci était propice à l’accueillir comme une enfant normale – d’apparence normale. Pour autant la notion de monde entier est difficile à acquérir lorsque l’on ne connait que sa ville, son pays. Elle n’avait même jamais vu autre chose que des blancs-blancs et des noirs. Les maghrébins et les asiatiques ne descendent généralement pas en Afrique noire. « Vous venez du même pays ? » Qu’elle souffle alors, son courage pris à deux mains. Elle n’a pas oublié de le vouvoyer, signe de politesse. Elle ne sait pas à quoi ressemble vraiment un japonais, comparé à un autre asiatique, la faiblesse des ignorants : les clichés. Elle baisse la tête, honteuse de son inculture.

L'air est agréable, le temps doux, donc oui il est maintenant planté depuis plusieurs minutes face à ce bassin observant avec attention les poissons. Pour cet homme qui n'a jamais pris le temps de s'occuper de sa petite personne, de prendre le temps de faire les choses, de juste se balader sans un mot et apprécier l'air pur remplir ses poumons, c'est nouveau. Toujours la tête dans les dossiers, les projets, avant de venir ici il ne pensait qu'à son travail. Petit à petit il laisse d'autres pensées envahirent son esprit et c'est ... étrange. Il ne sait pas comment y faire face, y répondre, donc il prend le temps d'y réfléchir, de se poser les bonnes questions. Bien sûr c'est la première fois qu'il est dans la lune, la tête un peu dans les nuages et qu'il a cet air béta sur le visage. Il s'abrutit, c'est mauvais signe. Il tente de reprendre un peu ses esprits en se secouant légèrement la tête. C'est le moment qu'a choisi Imma, qui d'ailleurs est aussi présente depuis le début, mais qu'il n'a pas remarqué, pour intervenir. « Je n'en suis pas sûr. Je dirais qu'il vienne de chez aquashow, le magasin d'animaux au coin de la rue. » Donc non, Gekko ne sort pas lui d'un magasin de bestiaux en tout genre. « Mais ils ont l'air délicieux » Dit-il soudainement. Oui il a un petit creux. C'est sans doute cruel de penser à manger les poissons d'un bassin qu'on admire, mais à cuir au feu de bois, ça serait un délice.

Imma se sent un peu à part dans cet hôtel, avec cette intime impression de ne rien connaître du monde qui l’entoure. Mis à part quelques petites choses plutôt classiques, elle ne sait rien du monde entier. Elle a appris des trucs à l’école c’est certain, mais tout est tant abstrait pour elle. L’Asie, l’Amérique, si poche, mais si loin. L’Amérique d’ailleurs. Elle s’y trouve en Amérique. Jamais elle ne l’aurait cru. Pourtant, c’est l’Asie qui l’intéresse là. Elle prend son courage à deux mains : elle lui demande s’il vient du même pays que les poissons. Comme une manière de lui demander s’il vient du Japon sans se prendre les pieds dans le tapis. S’il venait d’un autre pays asiatique, il n’a qu’à répondre non. Pourtant sa réponse n’est pas vraiment celle qu’elle attendait : Il lui parle d’aquashow, enfin d’un magasin pour animaux. Elle est déroutée dans un premier temps. Elle, elle voulait parler d’un pays en soit, pas de ça. Elle baisse un peu la tête, légèrement déçue. Quoiqu’elle en sourit légèrement. Avec le recul, c’est une réponse assez drôle. Finalement, elle réfléchit à comment tourner sa question, mais il rajoute quelque chose qui l’horrifie quelque peu. Elle fronce ses sourcils, mélange de panique et de peine. « quoi ? » qu’elle souffle doucement, en se relevant sur ses genoux. Plus pour la rhétorique que comme volonté qu’il répète ce qu’il venait de dire. « tu peux pas les manger » Pas eux. Ils sont gentils avec elle : c’est bête à dire, mais elle adore leur compagnie. Avec eux, les silences ne sont jamais gênants. Elle pourrait même plus facilement se confier à eux, qu’à un humain. « Mange du colin. Ou du chinchard, pas eux » Qu’elle souffle alors, se mordillant la lèvre inférieure. C’est qu’elle se trouverait défenseur des animaux. « Tu es d’où ? » Elle n’a pas eu sa réponse.

Lorsqu'il se retrouve avec Imma, le sujet de conversation est toujours abstrait et ils donnent l'impression d'être deux extraterrestres qui bavardent entre eux, sans forcément faire attention ce qu'ils peuvent bien dire, demander. En d'autres termes, deux allumés qui viennent d'en fumer un gros. Mais ce n'est pas dérangeant et pour une fois, ce n'est pas prise de tête. Quoi que, sauf si elle remet en question les goûts culinaires de notre homme. Pour lui, du moment que ce n'est pas nocif pour la santé, ça se mange. Il peut comprendre que sur certains animaux ça peut paraître cruel, sauf qu'il n'y pense pas et s'en fiche un peu. « Pourtant avec un peu de sauce soja ... » Dit-il avant de fermer son clapet. Imma n'a pas l'air de son avis. Pourtant si elle goûtait, elle changerait très certainement d'opinion. Gekko est fin gourmet qui n'hésite pas à tester de nouveaux produits, encore une fois s'ils sont sains, donc il n'arrive pas à comprendre comment on peut se priver par compassion envers l'animal. Surtout un poisson. Mais elle peut de son côté avoir sa propre vision des choses et de la nourriture. C'est son droit. Puis soudain elle lui demande clairement d'où il vient. Sans doute par curiosité. « Japon, de Kobe plus précisément. Toi ? » Il n'est pas spécialement intéressé, mais il le fait plus par politesse, pour renvoyer la question. « Sans vouloir tomber dans les clichés, un pays d’Afrique ? Car je suis certains que dans ta tête je venais obligatoirement d’un pays Asiatique … » Peau noire, afrique, yeux brisés, chinois, ce sont des grands classiques.

Imma n’est pas du genre défense pour les animaux, mais pour le coup elle n’aime pas ce qu’elle entend. Il peut bien manger ce qu’il veut, mais pas les poissons de ce bassin. Ce bassin dont elle s’est prise d’affection on ne saura jamais pourquoi. Elle non plus elle ne saurait pas mettre de mots sur ce qu’elle ressent : c’est bête, mais viscéral. Il suggère qu’avec un peu de sauce soja se serait vraiment bon. Elle ne se rebellera pas contre ça, comme certain le ferait ici. Elle se permet simplement un froncement de sourcil, avant de reposer ses yeux sur la surface de l’eau. Pour canaliser l’audace dont elle fait preuve, sans le vouloir. Sans le contrôler. Ce qu’elle appelle audace, l’idée de lui demander frontalement d’où il vient. C’est beaucoup pour elle. Et il lui répond enfin. Elle s’étonne d’avoir eu raison. Un sourire flottant sur ses lèvres d’ailleurs. Elle ne tient même pas compte de sa méprise, de son tu. Lui aussi de toute manière, il lui dit tu, mais ce n’est pas le plus étrange. Ce qui est étrange, c’est qu’il lui retourne la question : Gekko n’a pas l’air de s’intéresser réellement aux autres. Il ne doit ne rien à faire de savoir si elle vient de par-ci ou de par-là. Mais surtout il met le doigt sur une vérité : elle est tout de suite tombée dans le cliché. Elle baisse les yeux, honteuse. C’est certain, mais c’est toujours ce qu’elle a entendu. Elle a grandi dans un quartier plus que populaire, où les amalgames sont plutôt communs. Sans même vouloir se dire que tous les yeux bridés proviennent de Chine, elle ne peut que penser qu’ils proviennent tous d’Asie. Les noirs d’Afrique. Les blancs d’Europe. Sans penser qu’ils pourraient être nés sur un autre continent. Et les gens comme elle, Imma, des êtres anormaux sans aucune place sur cette planètes, venu d’ailleurs. C’est dans cette mentalité qu’elle a grandi. Alors l’entendre dire qu’elle venait certainement d’un pays d’Afrique ne la choque pas. Elle bouge finalement sa tête à l’affirmative, avouant sa faute. « Mais j’avais bien vu » se permet-elle de répondre alors, sa main caressant l’eau. Oui elle avait bien vu le Japon en plus de l’Asie. « La Namibie » Elle a l’impression de tout le temps le dire, mais elle aime son pays malgré tout. « Windhoek plus précisément » Elle répète presque mot pour mot ce qu’il avait dit plus tôt.

Elle semble agacer des propos de Gekko. Si, elle a froncé des sourcils. C'est son droit de ne pas aimer les poissons au dîné, notre homme, il adore. Bien sûr ce n'est pas un barbare et il peut amplement se contenter du poisson frais que la production lui fournit. Il n'irait pas jusqu'à aller pêcher ceux qui se trouvent sous son nez. D'ailleurs, il ne sait pas pêcher. Sauf peut-être en cas de famine dans le nid. Pour le coup, il n'hésiterait pas. Pas de pitié lorsqu'il s'agit de survivre. Lorsque ensuite elle lui demande d'où il vient, il lui retourne la question en utilisant inconsciemment le tutoiement. Il commence à être contaminé, ce n'est pas bon. En plus de ça, il pose une question, il demande une information à une candidate, chose rarissime depuis le début du jeu. Disons seulement qu'il a compris que c'était une question de politesse et qu'il ne le fait pas pour autre chose. Tout en invoquant les clichés sur l'origine d'une personne via sa couleur de peau et bien dans le cas des deux candidats, ces clichés s'avèrent exacts. Il vient bel et bien d'un pays asiatique et elle, d'un pays d'Afrique. «  Ça doit être un pays intéressant à visiter. Je n'y ai jamais eu de voyages d'affaires ... » Se dit-il pour lui-même, comme s'il fallait qu'il prenne note d'un jour s'y rendre. Mais uniquement si c'est bénéfique pour le business. Sinon, Gekko ne quitte pas son pays. Un déplacement à l'étranger doit porter ses fruits et non simplement être une destination pour des vacances. « Mais il fait très chaud par période, non ? » Se questionne-t-il. Non parce que notre homme ne supporte pas la chaleur, donc si un jour il doit s’y rendre, va falloir prendre des précautions.

Imma n’est pas une pro pour cerner les personnalités des gens. Elle écoute, mais elle n’est pas psy. Pourtant, elle a bien compris que Gekko était à la fois comme elle et tout son contraire : il ne parle pas tant que ça et en même temps, il ne semble pas tellement s’intéresser à la vie des autres. Il vit la sienne de son côté. Elle trouve ça dommage Imma, parce que lorsqu’il s’intéresse, c’est plutôt gentil. Il s’intéresse à son pays, lui porte une espèce d’intérêt même, lui demandant s’il faisait chaud. Elle est franchement étonnée de l’entendre lui demander ça d’ailleurs. « C’est différent un peu partout… » Qu’elle souffle, pour sa première question. Oui, la Namibie contient des grosses villes, qui ressemblent même parfois à des villes européennes, avec des maisons calquée sur leurs anciens colons allemands. Il y a la côte, le désert, entre autre. Et puis la Namibie est l’un des plus jeunes pays africain et est intéressant en ça, ouvert vers l’extérieur – bien que trop conservateur, peu tourné vers ses populations pauvres et malheureusement homophobe. Mais là n’est pas la question : c’est son climat qui intéresse Gekko. « Par période seulement, mais ça va…» Comparé à l’intérieur des terres, elle croit qu’il ne fait pas si chaud que ça. En fait, elle ne sait pas bien quel est la norme : chez elle, 30 degrés, c’est tout à fait normal. Sauf s’il va dans le désert, mais ça… « C’est juste une saison des pluies qu’on a chez nous… en hiver généralement » C’est plutôt ça à craindre, les pluies s’abattant sur le pays, durant de nombreux jours. « Je crois que sur la côte il fait meilleur » Elle ne connait pas la côte de son pays, mais elle croit savoir qu’avec le vent, il doit faire moins froid. « Et au Japon ? Et tu as voyagé beaucoup ? » Elle est intéressée, elle veut rêver.

Bon la réponse donnée n’est pas forcément celle attendue, car elle reste très, très vague. Pour jouer les curieux il ne s’adresse sans doute pas à la bonne personne. Imma n’est pas très bavarde. Mais si on lui avait posé une question similaire, il aurait répondu quasiment la même chose, du moins il aurait fait court tout en restant vaste. Alors il n’est pas cependant déçu. Il sait se contenter de ce que la personne veut bien lui donner. Sur le climat de son pays elle développe davantage et vu qu’il a demandé, il écoute attentivement ce qu’elle lui raconte. C’est toujours intéressant d’apprendre de nouvelles choses. Gekko est curieux, pas sur les personnes, mais sur le reste. La culture, l’histoire, les affaires, l’économie, l’informatique, bref les sujets sont divers. S’il était aussi ainsi avec les gens, peut-être qu’il paraîtrait moins hostile. Sauf que les autres personnes ne l’intéressent pas en soi. Leur vie, enfance, etc …, ne va rien lui apporter de plus niveau connaissance. Donc pour lui, c’est inutile. On peut modifier quelques traits de son attitude, mais on ne peut pas changer la personne en elle-même. Il peut faire des efforts pour aller vers les autres, de ce côté, il n’y a pas de soucis et quelques changements apparaissent. C’est déjà ça. Enfin Imma le questionne à son tour sur le Japon et les voyages que notre homme aurait pu faire. « Au Japon, il pleut beaucoup, il fait chaud, humide et très froid l’hiver. » Un rapide résumé de la situation climatique. Finalement les températures varient beaucoup. Il enchaîne ensuite sur les voyages. Encore une fois il tente d’être bref. « J’ai beaucoup voyagé … » Bon, il pourrait tout de même en rajouter et détailler un peu plus. Du coup il se reprend. « Corée du Sud, Thaïlande, Taïwan, Chine sont les pays que je visite régulièrement. Sinon plusieurs pays en Europe, les Etats-Unis, en Amérique Latine il y a eu le Brésil, l'Argentine ... » Il ne va pas énumérer tous les pays qu'il a visités, mais il y en a pas mal. Il bouge beaucoup dans le cadre de son travail que ça soit pour trouver des investisseurs, des fournisseurs etc ... . « En y réfléchissant, je n'ai jamais réellement visité ces pays ... » Dit-il alors qu'il vient de se rendre compte que les seuls lieux visités sur place ce sont des bureaux et l'hôtel. Un constat assez déplorable.