Il fait peut-être froid en ce début décembre ; cela n’empêche pas Colin d’avoir un besoin impératif de prendre l’air. La prison lui tape moins sur les nerfs que sur ceux de la plupart de ses camarades, mais ce n’est pas pour autant qu’il prend plaisir à vivre ici. Heureusement qu’il n’est question que d’une semaine et non d’un mois, sans quoi il ne garantirait pas d’être toujours aussi serein. Mais vivre dans un espace aussi restreint est difficilement supportable sans une sortie à l’extérieur de temps à autre. Alors il enfile son anorak et ne tarde pas à s’éloigner des murs de cette prison, même s’il n’est pas libre d’aller bien loin en vue du peu d’espace extérieur mis à leur disposition. Y’a pas à dire, la vie de prisonnier, ça n’a rien de marrant. En une poignée de minutes, il a atteint le grillage, devant lequel il s’immobilise un court instant avant de se décider à prendre le chemin inverse, se préparant à faire des allers-retours tels un lapin en cage, mais sans c’est compter sur l’arrivée d’un des musclors de la saison qui lui sort la remarque la plus bateau qu’il soit compte tenu de la situation. « Ouais, t’vois j’essaie de créer un nouveau concept : l’évasion passive. J’me dis qu’en me concentrant assez sur ce grillage mes cellules vont bien réussir à passer à travers. » Il commente, l’air blasé, ponctuant son court récit d’un soupir. Colin aime appliquer le principe du « à question stupide, réponse stupide » et celle que vient de lui poser son camarade est du pain béni pour le garçon. Et ce que le Prince Disney ajoute par la suite manque d’achever Colin. « Ah, tiens, le discours qu’on m’sert à peu près quinze fois par jour dès que j’ai le malheur de regarder dans l’vide. » De la concurrence en moins et donc un potentiel abandon. Dès qu’il regarde dans le vide, qu’il râle quant à l’eau froide, qu’il a des nausées à cause de la bouffe du réfectoire. À croire que les gens l’ont directement associé au douillet de service à cause de son jeune âge, alors que de tous ceux qui subissent ces abysses, il est probablement celui qui râle le moins. « Et faut dire que t’as tout à fait l’air du genre de gars qui craint la concurrence, c’est flagrant. » Il ajoute, en jaugeant son camarade. Beau gosse, le Prince Disney, le poil impeccable, la dentition éclatante et le muscle saillant. Loin d’être du genre à craindre les autres, définitivement. « Mais non, désolé l’ami, c’est pas mon genre. » Précise-t-il, sait-on jamais si son physique est à la hauteur de son manque d’intelligence. « Bon, clairement t’es pas venu jusqu’ici pour tenter une évasion, et j’ai de la peine à croire que c’était juste pour me dissuader de le faire, alors vas-y, je t’écoute, t’as toute mon attention. » Faut dire qu’il n’y a pas grand-chose d’autre qui l’occupe dans l’immédiat. Et c’est une façon comme une autre de faire la conversation, même s’il se doute que son camarade s’emmerde juste autant que lui et que l’ennui l’a guidé jusqu’ici.

L’évasion passive, en voilà un concept à approfondir. Ce serait une grande première que par simple concentration, quelqu’un parvienne à se glisser de l’autre côté d’un grillage. Il voulait mettre en avant la stupidité de sa question, et il est quelque peu surpris quand le type lui parle de Kitty Pryde. « Surprenant, t’as plus une gueule à lire du Tolstoï. » Dans sa belle maison au bord du lac, avec un verre de vin français à la main. Cliché ? Probablement. Mais on ne peut pas s’attendre à autre chose de sa part alors que cela ne fait que deux minutes qu’il adresse la parole à ce type qui a tout l’air du gendre idéal, d’où son surnom. « Bah, j’ai pas son pouvoir, mais j’ai dix fois plus de sex-appeal, c’est évident. » Il commente en levant les yeux au ciel. Elle ne peut pas rivaliser. Ignorant son colocataire jusqu’à ce que celui-ci reprenne la parole, c’est passablement agacé que Colin lui répond, lassé d’entendre continuellement le même discours. Il n’est pourtant pas contre le fait d’éliminer la concurrence, mais certains devraient apprendre à différencier un vrai cas désespéré d’un blasé qui ne sait simplement pas quoi faire de sa journée. La réflexion est d’autant plus marrante sortie de la bouche de ce type, qui pourra certainement compter sur son physique avant son esprit d’équipe ou son talent pour dénicher les secrets. Tentant malgré tout de faire – maladroitement – la conversation comme toute personne civilisée, Colin questionne, à sa façon, le Prince Disney sur sa venue jusqu’à ce grillage, même si la réponse ne l’intéresse guère. Savoir que son colocataire est venu jusqu’ici simplement parce qu’il n’avait rien de mieux à faire (ce qui semble être la solution la plus probable) ne changera pas la vie de l’américain. Il peut très bien vivre sans ce genre d’information. Mais la réponse du barbu l’étonne quelque peu et le déstabiliserait presque. Un fin sourire moqueur s’étire sur les lèvres du garçon, avant de disparaître au profit d’un soupir à la seconde remarque du type. « Ouais, tu fais bien de le préciser, des fois que cet endroit soit suffisamment grand pour que je m’y sente totalement seul au monde, hein. » Il est vrai que vu le contexte dans lequel ils évoluent, Colin pourrait facilement oublier qu’il n’est pas seul. Ce n’est pas comme s’ils vivaient tous les uns sur les autres et que les ragots allaient bon train puisqu’ils n’ont pas encore tous fait connaissance et qu’ils se basent donc facilement sur leur première impression. Se voulant muet par la suite, ne sachant pas réellement que demander à son camarade puisqu’il n’est ni intéressé par son identité, ni par ce qu’il a à offrir, Colin lui laisse le soin de reprendre la conversation s’il le souhaite. Et c’est exactement ce qu’il fait, bien que de l’avis du jeune homme, il aurait tout autant pu garder ses propos pour lui. « Si, affreusement, j’compte sur toi pour me border tous les soirs et me nourrir à la cuillère, vu que ma mère est pas là pour ça. Si t’étais une nana, je te demanderais même de m’donner le sein, histoire que j’me sente pas trop perdu, tu comprends. » Enfin, le barbu pourrait presque remplir ce dernier rôle vu ses pectoraux, mais à choisir, il préfère encore se coller au sein d’une demoiselle. « Et grande information, j’suis un adulte selon la loi, wahou, étonnant j’sais, mais essaie de l’enregistrer, merci. » Ce n’est pas un mot qui sortira souvent de la bouche du jeune homme, mais si cela peut aider son camarade à ne pas le traiter comme un gamin, il veut bien faire cet effort. « Et du coup, c’est comment avec les autres vieux ? Le club de lecture, ça se passe bien ? » Il demande, avec un sourire provocateur. Il a aussi le droit d’y aller de son petit commentaire sur l’âge de ses concurrents. Le barbu lui annonce qu’il va retenir le fait qu’il n’est pas du genre à renoncer. « Tant mieux. » Ça fait au moins une chose qu’il est capable de retenir.