@Achille

Décembre s'était installé sans qu'elle ne s'en rende compte, la transition avait été soudaine comme à chaque fois. Le temps n'avait pas changé entre hier et aujourd'hui, rien n'indiquait visiblement que novembre était parti. Elle avait les yeux fermé, l'odeur lointaine de la cigarette d'un autre lui chatouillant les naseaux. Elle avait horreur de ça depuis qu'elle avait arrêté, il y a longtemps déjà, mais elle ne pouvait se plaindre, elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. C'était le coin des fumeurs ici, si elle voulait être tranquille elle aurait dû aller ailleurs, mais il y avait trop de monde, partout. Elle savait à quoi s'attendre en théorie mais la pratique était toujours moins évidente. Elle était assise en tailleur sur une table la tête pleine de ses pensées alors qu'elle aurait aimé les mettre de côté pour se reposer. Elle était mieux dans cette position que dans le misérable lit qu'elle occupait la nuit dans la cellule de son équipe. Ah, ce qu'il lui manquait son matelas confortable dans son petit chez-elle. Et ce qu'elle enviait les fumeurs d'avoir de quoi faire passer le temps. Ils avaient eu le droit d'amener leur drogue, l'alcool aurait dû être autorisé. Elle aurait voulu un verre de vin, ou une bière pour changer. L'odeur de tabac restait dans l'air mais ses yeux grands ouverts ne trouvait plus personne la clope au bec. Il y avait un type qui traînait là. « Salut. » Elle lui sourit. « Tu viens fumer ? » Elle aurait voulu qu'il dise oui pour lui emprunter une cigarette, et à la fois qu'il dise non pour ne pas être tentée.

En cet après-midi, j’avais envie d’une clope. A la base je suis pas un gros fumeur, je suis coach sportif, et un coach sportif qui fume c’est peut-être pas le meilleur des coachs sportifs qui soit. Mais une petite clope de temps en temps, pourquoi pas. Ça détend, et ici, j’en ai bien besoin. Vivre dans un lieu comme ça avec trente personnes autour, c’est propice au stress. La production avait bien précisé que pour fumer il fallait néanmoins se rendre dehors dans un coin dédié, en l’occurrence vers les tables. C’est donc là-bas que je me rendis. Marchant donc, mains dans les poches, ma course fut interrompue par une voix féminine qui me salua. « Salut. » C’était une petite brune aux cheveux courts, assise en tailleur sur la table. Elle me demanda si je voulais fumer avec elle. J’haussais les épaules, pourquoi pas, ça me permettra d’apprendre à la connaitre et ça passera le temps par la même occasion. Je me dirige donc vers sa table avant de m’assoir à ses côtés. Je sortis une clope que je mis en bouche, avant de relever mon visage vers la femme. « T’as pas de clopes ? » lui demandai-je interloqué, le sourcil haussé. Elle m’invitait à fumer, mais pourtant elle ne fumait pas elle-même, bizarre comme démarche.

L'homme qu'elle venait tout juste de saluer et qui lui avait répondu était plutôt à son goût, du moins physiquement, puisqu'elle ne le connaissait pas encore assez, même pas tout court, pour déterminer s'il pouvait lui plaire dans son intégralité. En tout cas il gagnait des points en acceptant son invitation. Il s'était assis à côté d'elle et s'était coincé une cigarette entre les lèvres, s'étonnant une seconde plus tard qu'elle n'en fasse pas de même, remarquant bien qu'elle n'avait pas de clopes sur elle. Elle avait haussé les épaules. « En fait je ne fume plus. » Elle faisait un peu la grimace, se rappelant comme cela avait été dur au début, surtout de voir et de devoir supporter les autres qui s'enfumaient joyeusement la santé sans n'y prendre plus part. « J'ai juste été tentée. Et je me disais que peut-être tu en aurais une toute petite pour moi. » Elle ne serait pas regardante sur la taille, elle pouvait même se contenter d'une taffe de celle qu'il allait entamer, en mémoire de l'ancien temps, sur les bancs du lycée avec les copains d'avant. Quoi que l'idée n'était peut-être pas excellente, elle se sentait un peu coupable, mais elle avait envie. Ce n'était jamais qu'une cigarette, mais c'était idiot de se dire ça. « Enfin non, laisse tomber, ce ne serait pas raisonnable. » Pas du tout, ce serait même tenter le diable pour pas grand chose. Elle avait enfoncé ses mains dans ses poches, un petit sourire gêné sur son visage pâle. « Je m'appelle Moïra. » Si ça l'intéressait, et même si ce n'était pas le cas, elle préférait savoir à qui elle avait à faire, surtout s'ils avaient tous les deux la chance d'entre dans le nid d'amour comme ça ils n'auraient pas trop perdu leur temps dans les abysses.

Voir cette femme m’inviter à fumer et elle-même ne pas fumer était assez étrange et me fit me poser quelques questions. Elle m’expliqua qu’en fait, elle avait arrêté de fumer, qu’elle avait juste été tentée et avait voulu me gratter une clope. Mais finalement, elle préféra écouter sa raison et laisser tomber l’idée de fumer. « Faudrait savoir ce que tu veux. » dis-je sourire amusé avant de ranger mon paquet de clopes. Il y a beaucoup de gens qui sont indécis, qui ont du mal à prendre des décisions, je trouve ça dommage. Je pense que savoir ce qu’on veut, c’est la base. Après je dis pas que c’est une femme indécise, il serait bien trop tôt pour la juger. « Et pourquoi tu as arrêté de fumer alors ? » C’est une bonne initiative, en tant que coach sportif je peux pas penser le contraire. Mais je trouve ça con par contre de s’interdire des choses si on en a dans le fond envie. Si de temps en temps elle veut fumer une clope, juste de temps en temps, je pense que ça peut pas faire de mal, au contraire. Bref, elle se présenta sous le prénom de Moïra. « Moi c’est Achille, enchanté. » lui rétorquai-je en souriant et me répétant son prénom dans la tête pour le retenir. Avec tous ces prénoms à apprendre d’un coup, on s’y perdait vite. « Tu viens d’où du coup toi ? » demandai-je avant de tirer sur ma clope. Ca c'était le côté cool ici. On venait tous d'horizons bien différents et je trouve ça assez kiffant.

Il est vrai qu'elle pouvait paraître indécise mais c'est tout de même faire preuve d'une grande volonté que de résister à la tentation. Elle avait haussé les épaules à sa remarque. « On dit qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. » Parfois elle pensait que c'était peut-être le contraire, mais au fond elle pensait bien ce qu'elle voulait que cela l'arrangeait. Il lui avait demandé pourquoi elle avait arrêté de fumer, puisqu'elle venait de le lui confier. Elle se balançait sur elle-même. « J'ai subi d'importantes pressions de mon entourage, et de mes dents, et de mes poumons. » Elle n'était pas tombée malade, et ne l'était toujours pas, mais il y restait le risque chez elle plus que chez d'autres, les médecins et leurs analyses le lui avait dit et démontré. « Et puis j'avais commencé pour faire comme les autres. Avec le temps je me suis rendue compte que cela n'avait plus tellement de sens de continuer. » Mais étrangement cette prise de conscience ne l'avait pas beaucoup aidé à se défaire de l'addiction à laquelle elle s'était habituée. Et puis elle avait amené les présentations à se faire. Elle avait un peu tiqué en apprenant son prénom, mais c'était plus de l'étonnement par intérêt qu'un jugement négatif. « Achille, c'est original, et très beau je trouve. » Pour sûr qu'elle n'en connaissait aucun autre, à part le héros de la mythologie et elle se disait que cela allait plutôt bien à celui-ci. Il voulait savoir d'où elle venait. « De pas loin, d'ici en fait, de Dublin. J'y suis née, j'y ai grandi, j'y travaille aujourd'hui. » Elle n'avait jamais eu envie de partir plus longtemps que pour des vacances. « Je t'avoue que du coup je suis un peu déçue que la saison se passe ici, mais bon. » Ce n'était pas non plus la fin du monde, elle s'en remettrait, qu'elle fasse partie du casting de la saison ou qu'elle soit devant son écran. De toute façon ils seraient enfermés dans une villa ou quelque chose dans ce goût-là, elle aurait de quoi être dépaysée un minimum, ça la changerait de chez-elle. « Et toi, dis-moi, d'où viens-tu ? » Elle se doutait que son prénom devait être connu dans toute l'Europe, et peut-être même dans le monde alors elle n'allait pas tenter de deviner pour mal tomber, l'éventail des possibilités était trop large, et elle n'aimait pas se tromper.