Les enfants aiment foutre les doigts dans les prises, contre les vitres brûlantes d'une cheminée d'intérieur ou encore dans un blinder. Tous ? Non. Mei n'est pas comme ça. Elle est douce et presque responsable pour une enfant d'à peine quatre ans. Lloyd, au contraire a toujours été un peu gamin au fond. Un gamin réprimé qui a pour interdiction formelle de sortir de sa chambre, qui s'incline volontiers ou à contrecoeur face aux parties « avocat » et « père poule » de sa personnalité. Mais dans le nid d'amour il n'a pas de raison de chercher à retenir son inner-enfant de s'exprimer. Surtout pas lorsque le cadre dans lequel ils vivent tous se prête aussi bien à s'amuser et à faire les fous. Bien sûr la décence, que les deux aspects les plus sévères de sa personnalité imposent, est de mise mais Lloyd-Snö ne voit pas de raison de ne pas s'éclater. Arthur ne voudrait pas le voir se morfondre. Alors ce soir, même s'il est tard, il a décidé de faire un tour de grande roue, peut-être même deux, ça dépendra de l'humeur de Joe le clown. « Dis-moi, Joe, si je monte dans cette nacelle est-ce que tu peux m'assurer qu'elle ne se décrochera pas une fois arrivée en haut ? » qu'il demande à l'acteur visiblement payé pour un job qu'il maîtrise parfaitement et qui n'est apparemment pas d'humeur à discuter. Ce n'est que quelques secondes avant de monter dans le manège que Lloyd entend des pas venant dans leur direction. Les lumières vacillantes produites par les éclairages un peu flashy de la pas-si-grande-roue ne rendent pas l'identification facile, mais il finit par reconnaître la silhouette de Grey. « HEY REGARD D'ACIER ! Viens ! Monte avec moi ! Je vais avoir l'air ridicule si je fais ça tout seul ! » Pas plus ridicule que si tu le fais avec un autre mec que ton mari, diront certaines mauvaises langues. Mais Lloyd ne voit rien de mal à la relation qu'il entretient avec le flic canadien. Une fois installés la vue se dégage un peu et Snö apprécierait presque le spectacle si Joe, le clown TRISTE, n'avait pas l'air aussi satisfait de lui en bas. « NON JOE NO... le chien ! » marmonne-t-il alors qu'ils sont maintenant bloqués à six ou sept mètres du sol et que Bozzo leur faire au revoir de la main. « Où il va ? Hein ? Il va pas nous laisser là ? » est-ce qu'il panique ? Un peu. Pas à l'idée d'être coincé à proprement parler. Plus à l'idée qu'ils pourraient y passer la nuit et qu'ils n'ont ni couverture ni vivres pour se tenir chaud ou se restaurer. Il va l'entendre ce con de clown.

L'humour de Grey n'est ni particulièrement subtil, ni trop forcé. C'est un mélange agréable d'une certaine assurance et d'un brin de malice qui suffit à faire sourire Lloyd. Il marche dans les portes qu'ouvrent les gens, parce que mettre à l'aise son interlocuteur, tout en restant en accord avec qui il est, lui semble normal sauf lorsqu'il a la casquette d'avocat vissée sur le crâne. C'est bien le seul moment où il ne fait pas de quartier. Véritable boucher des cours de justice de l'État de l'Illinois, Lloyd-Snö se laisse totalement posséder par le guerrier quand il enfile son costard de juriste. Mais ce soir, il a laissé le costard au dressing. « Je suis un mec totalement transparent apparemment. » fait-il en haussant les épaules avant de se reprendre en souriant. « Ou alors c'est un des super-pouvoirs de tes yeux bioniques de lire en moi comme dans un livre ouvert. » Les bons vieux clichés sont toujours utiles à un moment ou à un autre. Pour lui c'était une plaisanterie, mais il reste sur ses gardes. Lloyd est doué pour cacher la vérité, il est avocat après tout c'est l'une des premières choses qu'on leur apprend. Ne jamais laisser la vérité, si elle est endommageante, sortir à moins qu'elle ne vous serve. Mais Grey est flic, il a l'oeil pour les indices, pour les petites choses qui trahissent un mensonge pourtant bien ficeler. Il s'est calmé et c'est bien le plus important, ne prenant pas la peine de répondre à Grey verbalement, un regard en biais suffisant à dire qu'évidemment il apprécie sa compagnie, il préfère enchaîner avec la question que lui pose son camarade de nacelle. « Oui. Marié, depuis six ans maintenant. » Ses doigts fins viennent immédiatement jouer avec son alliance en platine ornée de trois émeraudes. Parler de son mariage le rendrait presque nostalgique, mais il est encore trop tôt pour que l'évocation de sa vie à l'extérieur lui foute totalement le bourdon alors Lloyd fait diversion. Il détourne la conversation vers Grey. « Pas trop déçu ? J'ai cru comprendre que tu voulais me voir plus souvent sans combinaison sur le dos... » C'est une plaisanterie, certes, mais ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. C'est le genre de chose que les gens ne se disent pas et le fait que Sega les ait mis devant leur réponse mutuelle s'avère à la fois drôle et révélateur. Ils ont bon goût, ça paraît évident.

La notion d'yeux bioniques étant encore à définir, et parce que Grey a accepté l'hypothèse qu'il puisse avoir des super-pouvoirs de façon tout à fait sérieuse, ou presque, Lloyd décide qu'il n'a pas à changer le ton de la conversation. « Si tes yeux te permettent de voir à travers les fringues d'Alix je vais devoir t'en voler un. Juste à titre d'avertissement si tu sens un truc qui ressemble à une cuillère à bille c'est moi qui tente de t'enlever un œil discrètement. » Lloyd-Snö ne sait pas ce qui lui est passé par la tête avec l'histoire de la cuillère à bille. C'est probablement une réminiscence d'un des films d'horreur qu'il a regardé un vendredi soir avec Arthur. Son sens de l'humour n'est pourtant pas morbide en général, même avec Arthur. L'aventure fait ressortir des choses en lui qu'il ne connaissait pas il y a encore quelques jours. Rien de bien grave, c'est simplement déroutant d'être dans sa tête à cet instant. Si la discussion a progressé pendant cette introspection de quelques secondes, Lloyd n'y a pas prêté attention, trop obnubilé par la découverte qu'il vient de faire sur son compte. Aussi reprend-il contact avec le monde extérieur quand Grey parle de son bon goût et du fait qu'il le mènera à sa perte. « Je suis une perte donc ? » demande un Lloyd se reconnaissant tout de suite beaucoup plus dans ces mots. C'est l'intervention suivante de son camarade aux yeux d'un autre monde qui le fait rire pour de bon. Imaginer qu'Arthur puisse être jaloux est déjà un peu compliqué, mais qu'il soit mécontent que Lloyd se retrouve bloqué dans une attraction à cause d'un clown caractériel ? Non, ça risque plus d'être sujet à inaugurer un scrapbooking pour rappeler à Snö toutes les situations ridicules qu'il a vécues. « Mon mari doit être en train de rire de mes mésaventures et des tiennes aussi. » explique-t-il en se demandant quelle image il donne d'Arthur. Elle est fidèle en tout point mais Lloyd sait que parfois les gens ont l'impression que son époux n'est pas un mec bien quand il en parle alors qu'à ses yeux il est parfait. Avec eux les experts ont tapé on ne peut plus juste. C'en est presque effrayant. « Tu connais ma situation familiale, je suis marié et papa d'une petite Mei. J'ai passé huit ans à la Stanford University, quatre ans de bachelor durant lesquels j'ai étudié des sujets divers et variés et puis trois ans de Law School. Et ça fait maintenant trois ans ans que je suis avocat. Putain ma vie c'est mon C.V... c'est un peu pathétique. » conclut-il en marmonnant. Sa vie de tous les jours est passionnante, vivante et pleine de rebondissements. Mais il doit bien admettre qu'en dehors de ce qui touche à sa famille la mise sur papier de ses accomplissements ressemble à un alignement de faits sans grande importance ou valeur. « Et toi ? J'ai cru comprendre que t'avais une copine et qu'elle t'a plaqué parce que tu voulais faire Fake Lover ? » Pas de détour. L'avocat de la défense qui saute à la jugulaire est toujours là, quelque part, sous le visage chaleureux.

Lloyd ne saurait dire si Grey est déçu ou s'il le taquine encore ou si c'est un mélange des deux qui justifie sa réponse. Mais Lloyd doit bien avouer que quelque soit la réponse il n'est pas mécontent. Ressortant l'espace d'une seconde la casquette d'avocat, comme toujours quand il doit argumenter une position qu'il défend, il prend sa voix la plus convaincante, celle qui brise les doutes des jurés. « De deux choses l'une. Si je veux te voir sans rien, suffit que je ruse un peu pour te surprendre quand tu te changes après la douce, j'ai déjà prouvé ça la semaine dernière. Et puis si j'arrive à me faufiler au milieu de la nuit assez près pour t'arracher un œil, tu crois pas que je peux te voir nu ? » C'est vrai après tout, et s'il n'a pas encore épié les corps au sortir des douches c'est parce qu'il ne veut pas passer pour un gros pervers. La nuit dernière il a rêvé qu'Arthur le surprenait au détour du couloir déformant et le plaquait contre un mur et le réveil en sursaut face à la véracité du songe ne peut être que l'expression de sa libido mécontente de n'avoir pas été rassasiée depuis près de deux semaines. Il paraît qu'avec le temps on se fait à l'abstinence. Lloyd en doute mais il sait déjà que son premier week-end après son élimination il confiera Mei à ses parents et enfermera son mari dans leur appartement. La réponse de Grey sur cette histoire de perte le peine un peu. Grey a une certaine tristesse en lui par moment, un de ces mal qui semble vous ronger de l'intérieur par période et repartir aussi sec. « Tu la passes à servir les autres, ça me semble pas être une vie perdue. » fait-il avec un petit sourire sincère. Il n'y a rien de plus noble que de dévouer sa vie à protéger celle des autres. Snö a pour habitude de dire à Arthur que son seul défaut est de ne pas être pompier, ou un autre métier du genre. Parce que l'uniforme est extrêmement sexy certes, mais aussi parce qu'être banquier n'est pas nécessairement le métier le plus altruiste du monde. Lloyd ne peut s'empêcher de jeter des coups d'oeil dans la direction de Grey, son look de bad boy travaillé, sa barbe qu'il sait ne pas être rêche, ses yeux perçants. Le gars a tout pour être un tombeur, en plus d'être -jusque là- foncièrement sympathique. Et ça, c'est sans parler de son corps ! Alors évidemment que Lloyd aime rester bloqué avec un beau gosse en haut d'une grande roue. Il ne relèvera même pas le fait que Grey se qualifie lui-même de beau gosse. Chez certaines personnes il prendrait ça pour de la vantardise, dans le cas de Grey ça semble être du bon sens. « Considères la mention ajoutée à mon résumé. Je ne sais pas si ça fera le meilleur des effets, c'est pas très pro, mais qu'importe, tant que c'est vrai ! » plaisante-t-il avant que Grey ne confesse la douleur qu'il ressent dans la poitrine depuis sa rupture. « Pour quelqu'un qui viendrait d'allumer sa télé, toi, dans une nacelle à près de dix mètres de haut, qui parles de ton cœur meurtri ça peut faire peur. Promets à la caméra que tu ne vas pas sauter. Et promets-moi que tu vas pas me laisser seul ici. » supplie-t-il presque sans parvenir à être convaincant. Ça l'agace un peu de ne pas être bon acteur. Heureusement pour lui il n'est pas menteur, parce que s'il l'était, son manque de talent lorsqu'il s'agit de faire croire qu'il ressent une profonde peine alors qu'il n'en est rien ne convaincrait jamais personne. « Elle avait peur que tu la trompes en venant ici ? Que tu ne sois pas capable de résister à Lorena et Khadija ? » qu'il demande, en citant les deux bombes féminines de la saison à ses yeux. Lloyd aurait bien ajouté son nom à la liste, mais il n'en voit pas l'intérêt, ils sont assez malin l'un comme l'autre pour voir ce qu'il se passe. « Tu trouves ? Je ne me rends pas bien compte. Faut dire que j'étais bien plus à l'aise quand t'étais presque nu aussi ! » lance-t-il en riant. C'était peut-être pas plus confortable comme position, mais lorsque Grey était dévêtu, lui était en position de sécurité, là qu'ils sont à égalité... le rapport de force ne semble plus tout à fait le même et ce n'est pas désagréable pour autant. « Pas mal d'athlétisme. Un peu de boxe mais je crois qu'au fond je suis trop douillet pour ça. Et puis le visage tuméfié devant le juge ça fait jamais très bon effet. De la musculation traditionnelle et de la natation quand vient l'hiver et que je n'ai pas envie de courir dans le froid. Et toi ? » répond Lloyd avant que retentisse une chanson du haut des hauts parleurs de la grande roue. Son sang ne fait qu'un tour puis se fige. C'est la musique qui signale qu'ils doivent s'embrasser, celle qu'il a entendu lors du prime et qu'il a enregistrée dans sa mémoire histoire de ne pas perdre 1000€ bêtement. Ses yeux légèrement hésitants viennent se planter dans les iris aciers de son colocataire de nacelle. Il n'est pas exactement « excité » à l'idée d'embrasser Grey, mais clairement pas mécontent. La distance entre leur visage se fait plus fluette et bientôt il peut sentir le souffle de Grey contre son visage. « Quand faut y aller... » murmure-t-il le souffle court avant d'éliminer l'espace entre eux. Il hésite une seconde. Est-ce qu'un simple baiser volé suffit ? Est-ce qu'on s'attend à ce qu'ils s'embrassent toute la chanson durant ? Dans le doute Lloyd ne rompt pas le contact, sa main venant tout contre le cou de Grey. C'est... bon. Il s'en serait douté, mais après deux semaines sans aucun contact, la simple chaleur de lèvres contre les siennes suffit à lui donner envie de plus. Rompant le baiser il sourit, reste une seconde à quelques centimètres du visage de Grey avant de reprendre, dans les mots qu'a utilisés le barbu plus tôt : « Maintenant je suis certain que mon mari n'est pas très heureux.  » avant de soupiré légèrement amusé. Il n'y a rien de grave, Arthur le connaît, il connaît leur contrat. Rien ne changera leur relation. Pas même Grey.