Je suis pris dans un traquenard. Quand je suis sorti dehors, il faisait beau enfin du moins ça allait puis là, en quelques minutes à peine, il se met à pleuvoir. Putain de temps Irlandais. Je me précipite alors vers le premier endroit abrité que je croise : un bus. J’me demande bien ce qu’il fou là et c’est quoi le rapport avec le parc d’attraction. Je tilt même pas que c’est une réplique du film Into The Wild. Faut dire qu’il fait déjà quasiment nuit. Ce qui m’importe moi, c’est de me mettre à l’abri. Je m’assois juste sur les marches puis je sors de ma poche mon feu et des clopes. J’ai piqué un paquet qui se trouvait dans le salon. Je me dis que c’est la production qui doit fournir alors… j’ai pas eu l’impression de voler quelqu’un. J’suis pas addict à ce truc mais là, clairement, j’ai rien de mieux à faire pour patienter. Alors me voilà, sur les marches, clop au bec, attendant que la pluie s’arrête pour reprendre mon chemin. Quelques instants plus tard, je sens une épaule se poser derrière mon dos. Visiblement, y’avait quelqu’un dans ce bus. J’ai même pas eu la curiosité de vérifier. Je tourne la tête pour savoir à qui j’ai affaire. Une rousse. « On s’est déjà croisé, non ? » Sa tête me dit quelque chose. Je lui ai peut-être même déjà causé. Je crois que j’ai la mémoire courte. « Tu foutais quoi ? » J’ai pas fait tellement de progrès niveau conversation. Je mets pas vraiment d’entrain, je souris pas et j’utilise toujours ma grosse voie presque effrayante.

Je ne comprends pas trop encore pourquoi Scarlett a choisi cette pièce. D'ailleurs, je ne me souviens même plus du film en plus si ce n'est que l'héros du film y laisse sa vie. Ça craint non ? Cela pourrait presque me miner le moral rien que de rentrer dans l'habitacle. Je me décide quand même à l'explorer pour la forme. Je suis rapidement interrompue par Salvador il me semble, je penche sensiblement la tête pour l'observer. « Y a moyen » je lui réponds simplement en haussant les épaules« Ce n'est pas comme si c'était la deuxième semaine qu'on évolue dans un espace assez clos » je me moque gentiment histoire de lui dire que forcément, on s'est croisé. C'est lui qui est avec la fille la mieux foutue, il me semble, de l'aventure. La façon qu'il a de s'exprimer m'arrache un rare sourire totalement sincère, c'est bien, il ne fait pas tellement dans la forme, il va droit au but. Alors qu'est-ce que je foutais... J'en sais trop rien à vrai dire. J'erre. Mais je ne suis pas sûre que ma réponse le contente. « Rien de spécial, j'observais simplement l'intérieur » je lui réponds sur le même ton, rien de très passionnant, je lui accorde. « Sinon, j'ai pas trop saisi, tu fais quoi dans la vie ? » je demande en fronçant les sourcils. Pirate. J'enroule l'une de ses mèches brunes autour de mon index.

Pas évident d’allumer sa clope avec ce vent et cette pluie. Je m’y reprends plusieurs fois. Mais je finis par y arriver. Peu importe. Ça m’a occupé pendant que les goûtes continuaient à tomber. Puis, une jeune femme est sortie de nulle part. Enfin si, techniquement de derrière moi. Elle se trouvait dans le bus. Sa tête me parle mais j’arrive pas à remettre de qui il s’agit ou de quand je lui ai parlé. Comme elle le dit, y’a de très fortes chances pour qu’on se soit déjà croisé ou causé vu qu’on évolue dans un espace clos depuis une semaine et quelques. « Pas faux. » Elle est perspicace la petite. Puis ça me revient alors. C’est la demoiselle qui a devancé Alix en me demandant si j’allais utiliser mon ticket d’or gagné à la tombola et changer ma partenaire ou non. Peu importe. Je lui demande ce qu’elle fiche ici. « Y’a quoi à l’intérieur ? » Je me lève alors lui déposant ma clope entre ses doigts puis j’explore les lieux. De là, je me rends compte que c’est le bus du film Into The Wild. Stylé. Y’a des messages en hommage et pleins de trucs à lire mais je zappe cette partie pour cette fois puis je reviens rapidement m’asseoir sur les marches du bus à côté de la demoiselle. De là, je récupère le restant de ma clope. « Sympa. Le mec est mort en héros. Admirable. » Y’a pas à contester, c’est un super film et je crois que j’aurai aimé crever aussi en héro. Je l’envie ce type. J’expire une dernière fois la fumée puis je tourne la tête vers la rousse qui me pose une question sur ce que je fais dans la vie. Hm. « Plus grand chose. » C’est assez clair, non ? J’vois que ses sourcils sont toujours froncés et je me reprends alors, me sentant presque obligé de lui donner des précisions. « Je squatte chez quelqu’un. En attendant. » Je la laisse jouer avec mes cheveux. Ça me dérange pas. A vrai dire, ça m’arrive d’en faire de même à mes heures perdues.

La jeune candidate dont le prénom m’échappe encore ne me fait pas la visite des lieux. Je suis presque déçu. Faut dire que le bus est pas bien grand et qu’on a vite fait le tour puis en tous les cas, je peux voir de quoi il s’agit par moi-même. Je m’attarde pourtant pas sur les décorations et toutes les lectures et je préfère revenir à elle. Je fais une remarque sur le héros du film dont il est question qui semble ne pas être pertinente pour la candidate. C’est sûr que de son point de vue, on peut pas dire que le mec soit mort en héros. « Certes. » Je reste un peu attrapé car je m’attendais pas à sa réponse mais je la comprends parfaitement. La rousse semble être du genre terre-à-terre. « Y’a quand même eu un film en son nom et il a une bonne image ce type. Les gens l’adorent. » Et c’est ce qui compte, non ? Je sais plus trop soudainement. Elle me met le doute. Je pense que je pourrai aisément changer d’avis et penser comme elle à ce sujet. Peu importe de toute façon. C’est qu’un film. J’écrase ma clope tandis que la rousse s’en grille une et s’est décidé à se la jouer Sherlock Holmes. J’ai beau faire peut-être deux fois son gabarit, pourtant, aujourd’hui, c’est elle qui m’impressionne et c’est elle qui mène la barque. Je pourrai très bien l’envoyer bouler car j’aime pas qu’on me pose ce type de question ou qu’on insiste et pourtant, je garde patience. Pourquoi ? Car je sais qu’elle a raison la gamine. Ses questions sont pertinentes. C’est des questions que je me pose souvent. « Le déclic… j’imagine. » Ma réponse ne va pas la satisfaire. Oh que non. Je le sens déjà. Je me reprends aussitôt. « Cette aventure. » De toute façon, je mérite de me prendre des baffes alors qu’elle y aille pour les sermons. « Reprendre confiance en moi pleinement et le vouloir réellement. » Voilà des précisions. C’était pas facile mais j’ai fini plus ou moins par y arriver. Faut dire que la demoiselle sait y faire pour tirer les vers du nez.

Le verdict est sans appel. Le héros du film Into The Wild n’en est pas un d’après Jade. Ce n’est qu’un égoïste imprudent et je comprends ce qu’elle veut dire car c’est vrai que le mec s’est barré de chez lui sans rien dire à personne comme si personne ne comptait pour lui. C’est pas correct. Mais d’un autre côté, je peux pas le juger. Je le comprends vraiment ce type. Il avait un profond mal-être en lui et son besoin de fuir était inévitable. Je m’apprête à rajouter quelque chose à ce sujet mais au dernier moment, je décide de ne rien dire. Ça vaut mieux. De toute façon, l’avis de la rousse est déjà fait. Mon regard se perd au loin dans la pluie tandis qu’elle a décidé de m’interroger. Qu’est-ce que je fais dans la vie ? Hm… j’en sais trop rien. Pour l’instant, pas grand-chose. Cette réponse ne lui convient pas. Je peux le concevoir. J’essaye de lui apporter des précisions mais il faut qu’elle m’arrache les mots de la bouche pour qu’on arrive à quelque chose. J’crois qu’elle pourrait s’improviser psy. « C’est pas tellement ça. » Je la coupe alors en plongeant mon regard dans le sien avec tristesse. J’aimerai qu’elle lise en moi sans que j’ai rien besoin de dire mais j’pense pas que ce soit possible. « Je me sous-estime, je crois. » J’sais pas si on peut parler de confiance ou non. J’imagine que c’est lié. A quel moment je l’ai perdu ? « A… » Je m’apprête à répondre mais finalement je n’en fais rien, je me ravise et je trouve une alternative. « Au moment où j’ai tout perdu. » Je réponds simplement en baissant la tête. J’ai pas envie qu’elle me questionne plus là-dessus. Je crois que je lui en ai déjà bien dis assez. Surtout qu’en contrepartie, je ne connais rien d’elle. « Dis-moi quelque chose, à ton sujet. » D’intéressant, je sous-entends. J’ai pas envie qu’elle m’arnaque en me donnant quelque chose d’évident ou de non pertinent. J’ai juste besoin que la conversation soit un minimum équitable.

J’ai tout perdu. Je crois que c’est assez clair mine de rien. J’espère que j’en ai pas trop dit. De toute façon, mon secret, il va péter un jour alors… il se passera ce qu’il se passera. Je vais pas pour autant tout livrer à la candidate comme ça. Mon devoir c’est de le protéger un maximum. Le souci, c’est que c’est difficile pour moi de ne rien dire et je ne me vois pas non plus mentir. J’arrive tout de même à changer la conversation et à retourner la situation à un moment. J’exige d’en savoir plus sur l’enquêtrice. Car au final, je connais rien d’elle. Même pas son prénom comme elle me le fait remarquer. « Pourquoi tu as arrêté ? » Je sais pas si elle peut me le dire. C’est comme elle veut. Je plonge mes prunelles dans les siennes d’un air compatissant. Elle a peur de changer et je la comprends. Je ne sais toujours pas dans mon cas si j’vais reprendre mon boulot d’avant ou non. J’imagine que non. Ça serait plus sain d’éviter même si j’adorai ça il fut un temps. « Un jour, tu seras prête. » Du moins, j’imagine. A mon avis, ça sert à rien de se forcer pour le regretter ensuite. Il vaut mieux qu’elle soit sûr d’elle et de ce qu’elle veut.