C'est l'heure de la révélation. D'un pas serein, je me glisse jusqu'au grand salon, prenant place en face de Salomée. Je l'écoute avec une certaine attention, exposer sa théorie. Il faut dire que c'est la seule qui a essayé de me détacher de ma sœur pour mon secret alors que tous les autres sont persuadés que nous sommes intimement liées. Mes opales bleutées se vrillent aux siennes, soutenant en douceur son regard. Je croise mes jambes, ne sachant pas par où commencer. Pourtant on a pas mal répété ce moment avec Scarlett. « Tu as trouvé mon secret  » j'expire simplement en essayant d’occulter la sensation d'être soudainement mise à nue, sans protection. « Scarlett et moi sommes apparentées à l'un des scénaristes de Black Swan » je pose le cadre. « Il s'est servi de mes tics corporels, de ma maladie pour donner du relief à son héroïne » je continue. « Le fait que je m'arrache la peau au niveau de la nuque, des ongles, ma façon de me gratter presque nerveusement, tu avais raison sur ça, il a simplement romancé cela pour les intégrer dans le film  » je tente de détailler, parce que la douleur que je m'inflige me permet de rester la tête hors de l'eau, d'être certaine que c'est réel. « Je pensais que ça aiderait à faire comprendre au reste de ma famille ce que je suis, si j'acceptais de le faire entrer dans ma vie, pour qu'il puisse utiliser mon quotidien » j'explique de mon doux soprano en haussant les épaules. Il faut savoir qu'à l'annonce de ma maladie, mes parents se sont détournés de moi, incapables de me gérer. J'ai fini par être une tache dans la grande lignée d'artistes, comme ils disent, de ma famille, alors je suis partie. Scarlett m'a suivi. Parfois j'arrive à comprendre leur choix. « Mais en réalité, cela n'a fait que creuser encore plus un gouffre entre les autres et moi » je lui explique, à elle, je fais comme si je m'adressais simplement à Salomée. Le visionnage de Black Swan ne m'avait pas fait du bien. «  J'ai été officiellement diagnostiquée schizophrène depuis un certain temps déjà  » j'expulse enfin avant que mes prunelles cherchent celles de ma sœur. Je me demande si elle est soulagée de savoir qu'elle n'est plus la seule à portée ce fardeau trop gros pour elle. Les autres pourront enfin comprendre son comportement, parce que je suis complètement dépendante de ma sœur. « Parfois je n'arrive pas y croire, j'aimerai que tout soit normal, mais ce n'est pas le cas apparemment …  » je réponds en regardant ma sœur que j'ai déjà failli blesser mortellement parce que je pensais que c'était ce qu'elle me demandait. Je me demande comment peut-elle m'avoir pardonné ? J'ai envie de croire que tout n'est pas perdu pour moi, mais c'est comme si je voulais qu'on m'entende crier sous l'eau. C'est vain. Parfois je vais même jusqu'à accuser Scarlett de m'inventer une maladie pour se trouver une utilité, pour me garder sous sa coupe. C'est cruel. Mais je me préfère en version moins agréable mais saine. «  Je n'ai même pas conscience que je me fais du mal, selon les autres  » …. les psychiatres, Scarlett et le reste. On me raconte des épisodes que je n'ai pas l'impression d'avoir vécu, ou alors mon cerveau décide volontairement de m'épargner. La défenestration, la noyade volontaire ... juste parce que cela me permettait un moment de répit sans elles, les voix. Ça les faisait taire et ça me permet d'appuyer sur le bouton off pendant quelques secondes, cela n'a pas de prix. On n'est simplement pas dans le même monde, moi, je me demande toujours si ce que j'ai en face de moi est vrai, si ce n'est pas qu'une hallucination supplémentaire. Mais dans tous les cas, pour moi, ça le sera et c'est ça le pire. Avoir conscience de ne pas avoir conscience. « Ma maladie ne m'a pas empêché de danser, l'Opéra de Vienne m'a recruté mais les dirigeants étaient bien sûr au courant, contrairement au film » j'explique aussi. « La danse me donnait une routine, un cadre strict qui me permettait de me contrôler  » je continue. Jusqu'à ce que je me foute en l'air complètement. Depuis, j'ai coupé tout contact avec ce milieu, refusant d'entendre que Jade, la ballerine talentueuse, a flanché. « Donc oui, mon secret est ma vie de ballerine schizophrène a inspiré un célèbre film récompensé  » je clos en tout simplicité. « Bien joué Salomée » je lance d'une voix lasse.

Il y a quelques temps le buzzeur à raisonné dans le nid. Cette fois c’était pour Jade et seulement Jade. C’était assez rafraichissant de voir qu’on n’allait pas une fois de plus les associer dans la recherche d’un secret. Tout le monde semble penser qu’elles sont liées par un secret. C’est vrai que l’une et l’autre sont très proches et connaissent tout de l’autre. Mais pourquoi imaginer qu’elles ont un secret commun, elles partagent déjà bien assez de choses l’une et l’autre. Cupidon invite les candidats à se regrouper au salon, c’est l’heure d’une révélation. Scar ne sait pas encore s’il s’agit de celle de Salomée et Jade, parce qu’il est fort possible que d’autres ait été buzzé dans la semaine. Son cœur est tout de même assez lourd à l’idée de retrouver sa petite sœur sur ce fauteuil. Scar quitte son activité pour rejoindre le salon. Elle prend le temps d’enfiler un gilet sur ses épaules nues, elle aligne des pas léger vers le salon et prend place pas très loin de Jade. Assez proche de sa petite sœur pour pouvoir la couver du regard en cas de besoin, mais assez loin pour pouvoir lui laisser son espace. La petite blonde parle, dit ce qu’elle pense avoir trouvé sur sa petite sœur et le cœur de Scar se serre. Elle commence à martyriser ses phalanges à force de serrer trop fort ses poings. Jade ne fait pas durer le suspense, elle annonce directement que la blonde à raison. Scar est en apnée. Jade explique leur apparenté au scénariste du célèbre film. Un film qui a rencontré un grand succès, mais que Scarlett n’a pas réussi à regarder en entier sans avoir un malaise insupportable lui réchauffer la poitrine. Elle écoute Jade parler de ses tocs, de sa façon de se martyriser la peau jusqu’au sang. Jade pensait que ça permettrait au reste de la famille à mieux comprendre sa façon d’être. Mais bien entendu que ça n’a pas marché, ils se sont détourné d’elle à l’instant même où elle a été diagnostiqué schizophrène. Elles étaient trop jeunes pour assumer tout ça toute seule. Mais Scar ne s’est jamais détourné de sa petite sœur. Parce qu’elle arrive à la comprendre sur beaucoup de points, parce qu’elle est beaucoup trop attachée à sa sœur pour sa propre survie. Elle ne peut pas vivre sans elle. Ecouter l’histoire que raconte du bout des lèvres sa petite sœur, la replonge dans tout ça. Dans ces moments de doutes, de douleur. Elle met un nom sur sa maladie, Scar ne la quitte pas du regard, malgré l’humidité qui s’invite dans ses opales vertes. Elle ressent le maitre de Jade, plus que tout le monde ici. Il lui arrive même de s’en nourrir pour se sentir plus vivante. Distraitement elle caresse une petite cicatrice sur ses phalanges, causé par une Jade qui n’avait plus connaissance de la réalité. Le cœur lourd, Scar écoute jusqu’à la fin, la regarde jusqu’à la fin. Lui offre une présence réconfortante, alors que son esprit se demande déjà comment ils vont réagir. Elle s’attend déjà à de l’incompréhension, un rejet violent. Elle a peur pour la suite.