@Naveen

C'était une toute autre lueur qui viendrait éclairer le nid. Comme un renouveau voyant le jour, une nouvelle année s'éveillant. Et si cette fin deux mille quinze avait emporté avec elle Sara, que je regrettais particulièrement, je me voyais sourire quant à l'idée de passer mes premiers jours de cette nouvelle ère ici, dans le nid. Le nouvel an se faisait entre amis, ou avec des proches, pas forcément de la famille, alors oui pour le coup je me voyais tout de même moins attristé par le fait de ne pas être près de ma mère, même si le manque restait toujours présent. Lors du dernier prime, quelques images m'avaient gêné, alors que le on a vu avait dévoilé que Naveen ne m'envisageait que comme "un beau garçon", ce qui n'était pas forcément ce que j'avais espéré entendre venant de sa part. Je prenais tout toujours trop à coeur, et ce même si je ne le laissais jamais transparaitre, préférant taire mes angoisses pour tenter de tourner la page, par moi-même. Ça n'était pas forcément la bonne solution. Cependant, je ne pensais pas qu'après plusieurs conversations assez personnelles, il me verrait toujours de cette façon. Mais c'était ma faute, je jouais de mon apparence et cela pouvait parfois porter à confusion, oui. Peut-être serait-il temps que je change ? Non, je crois que c'était simplement dans ma nature, et il fallait apprendre à voir au delà du masque. Je ne lui en voulais pas, non, je crois que je n'en voulais qu'à moi-même d'ailleurs, mais le temps n'était plus aux remords. Triturant entre mes pouces la petite peluche que je n'avais pas pu donner à l'indien lors de la semaine passée, trop occupé à me poser tout un tas de questions qui n'avait pas de sens, je m'étais mis à la recherche de celui ci, et l'avais sans grande difficulté trouvé dans le salon, disposé sur l'un des canapés. « Bonne année Naveen. » un doux sourire était venu étirer mes lèvres alors que je m'étais assis près de lui, lui tendant machinalement la peluche de chiot, comme si mes actions s'enchainaient avant même mes pensées. « J'ai voulu te la donner pour Noël mais... Enfin, j'espère qu'elle te plait toujours. » Ça n'était pas grand chose, mais je m'étais souvenu qu'il avait voulu cette peluche pour sa soeur. Et peut-être l'avait-il déjà tiré depuis le temps, allez savoir. Toujours est-il que je m'étais sué pour la récupérer, n'ayant pas décoller de l'attrape-peluches une après midi entière. « Il faut aussi que je te dise un truc. » Je repensais aux adjectifs qui avaient été donnés lors du prime dernier, notamment un qui m'avait fait réfléchir. « Khadija a raison, j'ai été indécis jusqu'ici. » Principalement parce que j'avais eu beaucoup de choses à peser, qui n'avaient pas forcément grand chose à voir avec les personnes de cette aventure, plus par rapport à moi, par rapport à la suite. Au delà même du jeu. « Tu me plais Naveen. Et je ne voulais pas que tu l'entendes par un détecteur ou une activité quelconque. » Je préférais le lui dire en personne, oui, ça me semblait être la manière la plus honnête de procéder. « Et je sais que c'est compliqué pour toi, alors je ne te demanderai rien. » J'avais bien compris que Khadija et Lawrence étaient également des personnes étant susceptibles de lui plaire, et même si je ne me sentais pas forcément en concurrence, on ne pouvait pas dire que j'avais l'impression d'être de taille. Et alors que mes prunelles restaient plantées dans les siennes, mes muscles tendus, j'avais fini par soupirer un petit « Pfiou, est-ce que ça compte comme une bonne résolution, tu crois ? Être honnête sur ce que l'on ressent ? » alors qu'un sourire était venu étirer mes lèvres, comme pour lui faire comprendre que ça ne changeait rien à mes yeux, et que je souhaitais garder la même dynamique de relation.

Il y avait beaucoup de choses qu'on pouvait souhaiter à l'indien, en cette nouvelle année. Beaucoup de choses, oui, mais dans le fond il n'y en avait que quelques unes qui importaient réellement. Le bonheur et la santé de ses proches, avant toute chose, et puis aussi son propre épanouissement. Professionnel, bien sûr. Mais surtout sentimental. C'était une quête vieille de plusieurs décennies, une quête qu'il avait nourrie à travers des lectures, mais aussi des rêveries. Et c'était naïf, sans doute, d'espérer que ce qui ne s'était pas présenté pendant trente ans, se présenterait un beau jour, et emporterait ses doutes et ses craintes. C'était naïf, mais normal, parce qu'ici son cœur apprivoisait des choses nouvelles, déstabilisantes, et qui le confrontaient à des questionnements inattendus. Et c'est à ça qu'il réfléchissait tandis qu'il était assis sur l'un des canapés du salon, à laisser son regard aller et venir à travers la pièce, sans être envahi de la liesse qu'impliquait généralement le fait de voir une nouvelle année s'offrir à nous, mais sans être pour autant mélancolique. Il était simplement pensif, et il savait qu'il n'aurait de toute façon que trop d'occasions de fêter cette journée comme il se doit. Une voix parvint en tout cas jusqu'à lui, tandis qu'il se retourna doucement et dévisagea Grey, le regard toujours rempli d'une certaine surprise, face à la coupe de cheveux de son camarade, à laquelle il peinait encore à s'habituer. « Merci, et bonne année à toi aussi. » Il souffla en tout cas, un sourire accroché aux lèvres, tandis qu'il se redressa avec l'idée de l'enlacer, avant d'être toutefois coupé dans son élan par la peluche que sortit son camarade. Un chien. Le chien. « Oh, c'est … ? » C'était vraisemblablement la peluche qu'il avait tenté d'attraper, sans succès, quelques semaines plus tôt. La peluche qu'il avait voulu offrir à sa sœur, parce qu'il savait que sa petite mine triste l'attendrirait autant que lui. « Tu t'en es rappelé ? » Il demanda ensuite, les yeux brillants, sincèrement touché que Grey s'en soit souvenu, mais plus encore qu'il ait pensé à la lui apporter. « Merci beaucoup, je … j'espère que tu n'as pas eu trop de mal à l'attraper. » Parce qu'il estimait déjà qu'il n'était pas obligé de faire ça pour lui, alors il aurait tendance à culpabiliser si son camarade lui disait qu'il s'était donné beaucoup de mal pour le faire. Et quand il y repensait, il est vrai que la peluche était a priori hors d'atteinte, ce qui n'annonçait rien de bon quant à la réponse qu'il obtiendrait. Soucieux, il lui accorda à nouveau toute son attention lorsque Grey reprit la parole, et qu'il évoqua Khadija. Sur le coup, l'indien eut un peu de mal à le comprendre. Mais la suite fut beaucoup plus claire, et pour cause, Grey lui faisait là une révélation de taille, une révélation qui valut à l'indien de rester muet quelques instants, avant qu'il ne baisse doucement la tête. « Je comprends mieux la réponse que tu as donné, l'autre soir. » Lors du prime, à la question qui lui avait été posée. « Alors c'était de moi dont tu parlais quand … quand tu m'as dit que Lloyd-Snö n'était pas forcément celui qui t'attirait le plus ici ? » Il repensait du coup inévitablement à leur échange, au fait qu'il ait effectivement laissé entendre que si Lloyd-Snö était celui dont il s'était rapproché, il n'était pas pour autant celui qui l'intéressait le plus. Sur le moment, l'indien n'y avait pas vu de sous-entendu particulier, mais aujourd'hui tout semblait prendre sens. A la prochaine remarque de son camarade, son sourire s'atténua doucement. « J'imagine que oui, même si ça n'est pas toujours ce qu'il y a de plus évident. » Car s'il n'aurait eu aucun moyen de l'affirmer quelques semaines plus tôt, aujourd'hui ces mots ne manquaient pas de symbolisme pour lui. Ne serait-ce qu'à cet instant. « Je crois que je me dois d'être honnête, en retour. » Il reprit alors, la mine décidément moins souriante, tandis qu'il quitta le canapé où il était assis pour faire quelques pas en direction de Grey. « Je … j'espérais entendre ces mots ... » Sa gorge se serra, ses mains s’engourdirent, et ses yeux semblèrent subitement s'embrumer. « … mais pas de ta bouche. » C'était certainement la chose la plus difficile qu'il ait eu à dire, parce qu'il avait beau n'avoir jamais vécu de situation semblable – comment aurait-il pu ? – ici il savait pertinemment que ces mots le blesseraient. « Je suis désolé, je ne veux pas te faire de la peine. » Il s'approcha un peu plus, faisant prendre à sa main un chemin hésitant, parce qu'il ne savait pas ce qu'il était en droit de faire, à cet instant. La poser sur son épaule, comme Lawrence l'avait fait pour lui, dimanche soir ? Serrer la sienne, comme Khadija à plus d'une reprise, lors de leurs échanges ? Il n'en savait rien, parce que rien n'avait été comparable avec ce qu'il vivait maintenant. Alors, à défaut de savoir, sa main vint retrouver le long de son corps. « Grey » qu'il ajouta, dans un soupire teinté d'une peine qu'il ne pouvait plus caché. « Je ne pense pas qu'on pourrait s'apporter grand chose de positif, l'un à l'autre. » Son regard se fit plus triste au moment où il prononça ces mots, tandis qu'il osait malgré tout croiser celui de son camarade. Parce qu'il le fallait. « Et je pense que … que je finirais même par souffrir, avec quelqu'un comme toi. Parce que tu aimes plaire, tu aimes séduire, et ça c'est certainement dans l'air du temps, mais ... moi, ce n'est pas ce que je recherche. » Ce qu'il recherchait, c'était le sentiment d'être unique aux yeux d'un être qui le serait tout autant aux siens. Le fait d'être aimé démesurément, comme il aimerait démesurément en retour. Et l'impression effrayante mais ô combien agréable de compter plus que tout le reste, d'être le centre d'un univers, et la seule personne susceptible de faire battre un cœur. « Je t'en prie, dis-moi que ça ne change rien. » A leur amitié, à la complicité qu'ils avaient développé au fil des semaines, et aux confessions qu'ils avaient partagé et qui avaient contribué à les rapprocher. L'indien ne s'était jamais retrouvé dans cette situation, il n'avait jamais utilisé ces mots, ni eut le sentiment que son cœur se brisait à mesure qu'il le faisait. Alors il ne savait pas ce qu'il se passait dans ces cas-là, s'il était possible de continuer sur la même lancée en laissant ce genre d'épisodes derrière soi, ou si à compter du moment où ce genre de choses étaient dites, il fallait accepter l'idée que rien ne recollerait ce qu'elles avaient brisé.

L'accueil de Naveen me fit légèrement sourire, et surtout, sa réaction lorsqu'il vit le petit chien eut le dont me faire plaisir. Parce que même si je ne lui avouerais pas, j'avais mis énormément de temps à le lui décrocher, et à défaut de pouvoir lui offrir quelque chose de mieux. A défaut de pouvoir faire une vrai cadeau, peut-être que lui serait à-même d'en faire un à sa soeur, lorsqu'il serait de retour chez lui. De faire un heureux dans sa famille. « Bien sûr que je m'en suis rappelé. » probablement parce que j'avais malgré moi mémorisé les moindre détails de ce qu'il avait pu me dire jusqu'ici, que je savais à quel point offrir un présent à ses proches comptait pour lui, que celui ci ait une réelle valeur aux yeux de quelqu'un comme moi ou non. Je me souvenais même avoir trouvé ça extrêmement touchant, m'être remis en question quant à ce que j'attendais réellement de mes proches. Et au final, il avait eu raison. Ça n'était pas tant la valeur du cadeau qui retraçait de son importance, je m'en rendais compte maintenant que je regardais en arrière. Ma mère ne m'avait pas offert grand chose l'an passé, et pourtant le plus beau cadeau que j'avais eu était de la revoir. Elle m'avait offert le pardon, chose que je n'aurais jamais espéré recevoir, et qui n'était en rien quelque chose de matériel. Alors oui, peut-être que le matérialiste que j'étais en prenait un coup, moi qui étais attaché à mes affaires, au travail que j'avais fourni pour me les procurer, et à l'histoire qu'elles amenaient avec elles. Mais ça n'était pas réellement la raison de ma présence ici. J'étais là pour lui faire part de ce que je ressentais. Des paroles que j'avais besoin de laisser entendre pour pouvoir avancer. Car détrompez-vous, je savais qu'il n'y aurait rien, que ça n'était pas forcément réciproque. J'hochais vaguement la tête lorsqu'il me demandait si c'était bien de lui que je parlais lorsque j'avais sous-entendu être intéressé par quelqu'un, autre que Lloyd. C'était bien le cas oui. Et c'était maintenant au tour de l'indien de faire preuve d'honnêteté. Des paroles que j'attendais, que je prévoyais, que je m'étais répété avant d'arriver ici, et qui raisonnait maintenant comme une vérité, faisant échos dans mon crâne. Il préférait quelqu'un d'autre, et je n'avais pas besoin de lire dans ses yeux pour en deviner l'évidence. Je restais pourtant muet, car je souhaitais respecter sa prise de parole, comme il avait pu respecter la mienne. Et alors qu'il disait ne pas vouloir me faire de la peine, un sourire rempli de compassion s'était esquissé sur mes lèvres. Parce que je n'étais pas peiné, parce que je savais précisément ce qui allait se passer. Ce dont je ne m'attendais par, ce fut la suite de ses propos. Lorsqu'il me décrit comme quelqu'un aimant plaire, quelqu'un qui n'était pas forcément stable émotionnellement parlant, comme si je n'étais pas capable d'apporter tout ce qu'une personne pouvait rechercher dans une relation. Comme si après toutes ces conversations que l'on avait pu échanger, il n'avait pas su regarder au delà des apparences. Baissant légèrement les yeux, le visage fermé, sourcils froncés, j'encaissais le tout plutôt difficilement. Je n'étais pas vexé qu'il ne veuille pas de moi. Je n'étais pas vexé par son refus. J'étais vexé par la manière dont il me voyait. Par ces simples mots qui avaient soudainement changé toute la donne. « Tu as raison Naveen... » soufflais-je d'une voix plus grave que celle que j'arborais habituellement. « Peut-être que nous ne sommes pas bons l'un pour l'autre. Oui, peut-être me suis-je trompé au final. » Parce que tout ce dont il ne me croyait pas capable, c'était précisément la personne que j'étais. J'avais des valeurs, et il n'y avait aujourd'hui rien de plus important pour moi que mes proches. « Je me suis battu pendant des années pour tenter de redorer mon image aux yeux des personnes qui m'estimaient, et aujourd'hui, je ne risquerais en aucun cas cela. » L'idée même qu'il puisse penser que je n'étais pas de ceux étant capable d'aimer inconditionnellement quelqu'un, de faire passer cette personne avant tout et n'importe quoi me blessait. Parce que cela voulait dire qu'il ne m'avait pas cerné, pas aussi bien que je me l'étais imaginé. « Ça n'aurait rien changé que tu ne veuilles pas de moi parce que je ne te plais pas, ou parce que tu as quelqu'un d'autre en tête. » Tout simplement parce que c'était ainsi, et que quelque part, je souhaitais ce qu'il y avait de mieux pour lui. Je ne lui avais en aucun cas demandé le moindre engagement. « Mais ça change tout, que tu remettes en question qui je suis, de la sorte. » Mes prunelles s'étaient plantées une courte seconde dans les siennes, soutenant son regard avant de finalement tourner les talons. Tant pis si je passais pour le méchant de l'histoire, pour celui qui se vexe facilement. Mais je ne me sentais pas de discuter plus longtemps, ayant la nette impression de n'avoir été que façade lisse tout au long des dernières semaines. J'avais envie de vomir. « Je ne suis pas qu'un "beau garçon", et j'espérais que malgré tout, tu l'aurais compris. » avais-je finalement lâché avec le même calme que toutes mes précédentes paroles, m'arrêtant un instant, dos à lui en citant ses propres paroles « Bonne année Naveen. » répétais-je, blessé, avant de finalement quitter la pièce.