Il n'avait pas l'habitude de ce genre de situations. De craindre qu'on lui en veuille pour des propos qu'il avait tenu, et d'être dans l'incertitude quant à l'avenir d'une amitié qu'il croyait solide. C'est pour ça qu'il avait tant repoussé ce moment. Parce qu'il ne savait pas comment se comporter lorsqu'il était question d'un conflit, n'ayant jamais connu que les petites disputes qu'une fratrie comme la sienne avait souvent essuyé, mais qui n'avaient jamais rien changé à l'amour que se portaient ses frères, ses sœurs, et lui. Il attendait à l'entrée du bar-bibliothèque depuis quelques minutes, incapable de faire un pas, parce que de là où il se trouvait, il pouvait apercevoir Grey, assis sur l'un des canapés, et qu'il craignait de constater que leur échange de la dernière fois avait tout changé, entre eux. Il craignait de se retrouver face à un nouveau Grey. Un Grey plus froid, moins patient, et qui n'aurait peut être pas la moindre envie de converser avec lui, comme ils l'avaient pourtant si souvent faits. Alors oui, il hésitait à le rejoindre, parce que bien qu'une partie de lui ait terriblement besoin d'être rassurée, il n'en demeurait pas moins conscient que cet échange-là pourrait lui coûter le peu d'illusions qu'il lui restait quant aux chances pour que leur amitié perdure. Mais s'il ne se décidait pas à revenir vers lui, qui sait combien de temps ils passeraient encore à s'ignorer, et si l'un d'eux ne finirait pas par quitter le jeu avant qu'ils se soient expliqués ? Ainsi il finit par s'avancer, prudemment, jusqu'à arriver près de lui, et être en mesure de lui adresser quelques mots, de s'y risquer. « Grey. » Il souffla alors, tandis que les mains qu'il avait placé derrière son dos cachait une chose qu'il ne souhaitait pas montrer tout de suite, préférant d'abord lui poser la question qui lui trottait à l'esprit depuis dimanche, depuis que le détecteur de mensonges avait confirmé certains de ses doutes. « Est-ce que ... notre amitié est compromise ? » Ses yeux trouvèrent les siens tandis que son ton se faisait presque suppliant, parce qu'il avait besoin de savoir ce qu'il en était de tout ce qu'ils avaient partagé jusqu'ici, de ce qu'ils s'étaient confiés, avoués, pendant toutes ces semaines. « J'aimerais que tu me donnes une réponse honnête. Une réponse dont tu ne douteras pas, même si ce n'est pas celle que j'espère entendre. » Il savait que le détecteur de mensonges était là pour créer des tensions, et sans doute que la production avait profité de leur échange de l'autre soir pour mettre Grey mal à l'aise. Mais ce « doute » qu'avait exprimé l'appareil, il le hantait depuis dimanche soir, car peut être que Grey ne s'avouait pas à lui-même qu'il désirait se passer de la compagnie de l'indien, à présent. « Tu t'es mépris sur le sens de mes propos, l'autre soir. » Il ajouta ensuite, ressentant à présent le besoin d'éclaircir certaines choses, à défaut d'avoir pu le faire la dernière fois. « Je n'ai jamais voulu remettre en question ce que tu es, ou les valeurs que tu peux défendre. » Il lui avait simplement dit que sa tendance à vouloir séduire n'était pas compatible avec ses attentes, à lui. Grey s'était offensé, pour autant personne ici n'ignorait le petit jeu qu'il avait initié avec Lloyd-Snö. Un petit jeu que l'indien ne jugeait pas, lui, mais qui lui avait prouvé que Grey et lui ne recherchaient certainement pas la même chose. « Tu es quelqu'un de bien, et la personne qui partagera ta vie aura de la chance. » Et il le pensait, sincèrement. Tout comme il s'estimait lui-même chanceux d'avoir eu droit à cette déclaration, l'autre soir. Les choses s'étaient envenimées par la suite, et dieu sait qu'il avait souffert d'avoir du le repousser, mais ça n'en restait pas moins des paroles agréables, surtout quand comme lui on n'y avait jamais eu droit. Finissant par retirer ses mains de derrière son dos, il en sortit la peluche dont Grey lui avait fait cadeau la semaine dernière, celle qu'il voulait offrir à sa sœur depuis le premier jour. « Je l'ai emmenée avec moi, dans l'hypothèse où ... où tu voudrais la récupérer. » Il conclut à ce moment-là, la mine attristée, non pas parce qu'il voulait absolument garder la peluche, mais parce qu'il savait que si Grey choisissait de la récupérer, ça voudrait dire qu'il tirait un trait définitif sur leur amitié. Et ça, il ne pouvait pas s'y résoudre.

La semaine passée avait été particulièrement compliquée pour moi si bien qu'aux vues des images diffusées lors du dernier prime, une certaine amertume m'avait gagné, comme si revivre ces moments n'était pas quelque chose de souhaitables. D'autant plus qu'avoir à me justifier auprès de mes camarades sur une situation qu'ils ne pouvaient pas comprendre, se situant à l'extérieur de celle ci m'avait mis assez mal à l'aise. Je n'avais pas envie de me justifier aux yeux du monde, ni de ressasser ce qui me semblait être déjà classé. Pour autant, je savais que ça n'était pas possible, et que tôt ou tard il faudrait que je me réveille, que je fasse l'effort d'aller de l'avant et d'affronter mes problèmes. C'était bien le soucis avec moi, parfois, j'étais lâche. Parfois, je préférais fuir la réalité, marquer un break, simplement pour mettre mes pensées à plat. C'était un peu la définition de ma vie, la fuite, et on ne pouvait pas dire que cette situation avait fait exception. Je n'étais pour autant pas particulièrement déçu de moi, je veux dire, ces paroles, je les avais pris telles qu'elles, et je n'aurais pas pu imaginer une autre réaction de ma part. J'avais le sang chaud, et ça avait toujours été le cas. Il fallait simplement que j'arrive à passer au dessus, et je crois que maintenant que tout s'était tassé, que mes émotions avaient terminé de faire faux bonds, j'étais enfin sur la phase d'acceptation. La remise en question avait également été de mise, comme toujours, c'était quelque chose que je n'arrivais pas à dépasser, trouvant toujours quelque chose à redire lorsqu'il s'agissait de mes actions. Alors, lorsque Naveen était arrivé non loin du bar, mes prunelles avaient malgré moi été attirées par sa présence, comme une attraction naturelle que je tentais pourtant de chasser. Parce que sa réponse avait été claire, et parce qu'elle l'avait toujours été à mes yeux. Certains ne comprenaient d'ailleurs pas pourquoi j'avais pu lui demander ce qu'il en était, jugeant la réponse au détecteur comme un mensonge alors que j'avais été parfaitement honnête. Je le savais. C'était évident. Je l'avais su au moment où Lawrence nous avait rejoint, ce prime là. Et pourtant, j'avais ressenti le besoin d'être honnête avec Naveen, comme si garder cela pour moi était en quelque sorte lui mentir. Et je ne voulais pas de ça dans notre relation, quelle qu'elle soit. C'était certainement pour ça que j'avais été blessé par les propos de l'indien. Sa question me pris cependant au dépourvu, et alors que mes lèvres s'entre-ouvraient pour lui répondre, il enchaina en s'expliquant sur ses propos de la fois d'avant. Peut-être avais-je mal interprété, pour autant, je ne voyais toujours pas de quelle manière j'aurais pu me tromper. Il m'imaginait comme quelqu'un jouant de ses charmes pour arriver à ses fins, et ne se voyait pas dans une relation avec une personne comme celle ci. Je pouvais le comprendre. Seulement je n'étais simplement pas comme ça en couple. Je crois juste qu'après ma séparation, j'avais eu besoin de plaire. « Je me sens stupide Naveen. » lui répondis-je en me redressant légèrement, toujours assis sur ce canapé, alors que le bouquin se refermait sans même que je ne pense à en marquer la page. « Je t'en ai voulu de m'avoir pris pour quelqu'un que je ne suis pas, parce que je pensais que tu avais réussi à voir ce qu'il y a derrière. » J'avais en quelque sorte eu plus d'espoirs que notre relation n'était capable de supporter, du moins pas après seulement quelques semaines. Je m'étais emballé, comme à mon habitude. « Je sortais... sors d'une relation et... j'avais inconsciemment besoin de plaire. Je ne vois pas comment je pourrais t'en vouloir de m'avoir imaginé ainsi. » Bien que j'estimais ne pas être allé particulièrement loin avec qui que ce soit, Lloyd y compris. Car lorsque j'avais quelqu'un en tête, il était toujours très compliqué pour moi de m'en défaire. Le temps y ferait. Lorsqu'il la peluche apparue sous mes prunelles azurées, je repoussais ses mains de ma paume, lentement. « Ne sois pas stupide, c'est un cadeau. » Je ne comptais pas reprendre quoi que ce soit. « Ma réaction l'autre fois... Enfin, je suis quelqu'un de sanguin, je sais que ça peut surprendre. » Bien sûr, il y avait toujours en moi une part de frustration vis à vis du jeune homme, mais ça ne pouvait pas en être autrement. J'étais humain, et surtout, j'avais toujours été de nature plutôt émotif. « Au final c'est plutôt à moi de m'en vouloir, je crois. » D'avoir été bercé par des illusions, comme si tout le monde avait la même vision de la réalité.

C'est un Naveen anxieux et conscient qu'il pourrait regretter d'avoir franchi le seuil du bar-bibliothèque qui s'était approché de Grey, après l'avoir observé à distance pendant quelques instants, incapable de se donner le courage d'initier une discussion qu'il savait pourtant essentielle. Il l'avait fait, pourtant, parce qu'il craignait de laisser passer leur unique occasion de se parler, et d'évoquer certaines choses qui leur permettraient peut être de sauver cette amitié qu'il sentait si fragile depuis la semaine dernière. Il avait toutes sortes de regrets par rapport à leur dernier échange, et avait passé des jours entiers à se demander ce qu'il aurait pu dire ou faire pour le retenir, ce soir-là. Car c'était ça, finalement, son plus gros regret. D'être resté planté au milieu du salon, paralysé par la crainte de le blesser davantage, et de n'avoir pas fait preuve de beaucoup plus de courage durant les jours qui avaient suivi. Alors ce soir, il ne pouvait plus se défiler, et devait affronter l'idée que cette discussion pourrait aussi bien tout arranger que sonner la fin définitive de leur relation. Alors oui, il s'était approché de Grey, et les premiers mots qu'il prononça furent une référence indirecte au détecteur de mensonges, et à cette question qui l'avait tant perturbé. Car peut être leur amitié était-elle compromise aux yeux de Grey, mais aux siens elle ne l'était pas, car il n'y avait pour lui aucune raison de ne pas continuer sur la même lancée qu'avant. Et c'est pour ça qu'il revint ensuite sur le sens des propos qu'il avait pu tenir, la semaine passée. Pour rassurer Grey, avant toute autre chose. Mais lorsque son camarade prit la parole, il lui donna à nouveau l'impression de se méprendre sur certaines choses. De voir des jugements là où il n'y en avait pas. Alors, doucement, l'indien mouva la tête. « Mais c'est le cas. Ce que j'ai pu te dire la semaine dernière ne remet pas en question l'image que j'ai de toi, et malgré tout je ... j'ai la prétention de penser que je te connais. » Parce qu'ils avaient passé plusieurs semaines à se découvrir, à développer une complicité très forte que rien ne pouvait à ses yeux compromettre. Oui, certains de ses mots avaient été un peu durs, la semaine passée. Mais comment croire qu'il ait pu un jour se retrouver dans une pareille situation ? « Grey. » Il reprit d'une voix posée, ses yeux rivés vers les siens. « Tu n'as aucun compte à me rendre, tu sais. » Il ne cherchait pas à ce que Grey se justifie de quoi que ce soit, pour autant il se devait de revenir sur ce qu'il avait pu insinuer l'autre fois, sans se montrer suffisamment clair sans doute. « C'est juste que … je vois bien comment tu te comportes avec Lloyd-Snö. Comment tu le regardes, le ton que tu emploies pour t'adresser à lui ... Si on m'avait dit que tu t'intéressais à quelqu'un, c'est à lui que j'aurais pensé. Parce qu'il y a cette sorte de petit jeu, entre vous, depuis le départ. » Un petit jeu dont il n'avait certainement vu que des brides, mais qui le mettait mal à l'aise pour plusieurs raisons. « Tu sais comment je suis, moi. Romantique, un peu idéaliste … alors je ne serais pas rassuré à l'idée de m'engager avec quelqu'un qui me dit que je lui plais, mais qui malgré tout se rapproche de quelqu'un d'autre. » Il se pinça la lèvre, espérant au plus profond de lui qu'en se montrant plus diplomate, il limitait les risques de vexer Grey à nouveau. « Tu comprends ce que je veux dire ? » Il lui demanda, d'un ton qui se voulait presque suppliant, avant que ses lèvres ne dessinent un sourire doux, d'une extrême bienveillance. « Tu restes un ami précieux pour moi, quelqu'un que j'adore, mais … j'ai besoin d'être le seul. » Le seul qu'on voudrait conquérir, qu'on pourrait regarder des heures durant sans se lasser, pour qui on aurait toujours un mot gentil, et à qui on destinerait des sourires chargés de tendresse. Le seul. Et c'était sans doute la vision de quelqu'un qui avait trop abusé des romans à l'eau de rose étant jeune, mais c'était sa vision de l'amour, sa vision du couple. « Mais je te dois toute la vérité, alors … tu avais raison, j'ai quelqu'un d'autre en tête. » Il reprit finalement, après avoir d'abord hésité à passer ce détail sous silence, mais pensant au final qu'il n'avait rien à perdre à aller au bout de ses confessions, maintenant qu'il était lancé. « C'est pour ça que je t'ai dit certaines choses la dernière fois, mais je sais que tu l'as compris. » Ce soir-là, il avait laissé entendre qu'il aurait voulu entendre ses mots de la bouche de quelqu'un d'autre, et une partie de lui avait tendance à penser que Grey savait à qui il avait fait allusion. Préférant toutefois ne rien dire de plus, lui, il sortit par la suite la peluche qu'il avait caché derrière son dos, souhaitant laisser à Grey une occasion de la récupérer, s'il le souhaitait. Mais ce dernier refusa, et un sourire à nouveau reconnaissant gagna les lèvres de l'indien, dont la mine s'attrista toutefois quand son camarade reprit la parole. « Je savais que mes propos te blesseraient, mais je pensais qu'on aurait pu en discuter, et que j'aurais pu t'expliquer tout ça à ce moment-là. » Il avait compris qu'il soit blessé, mais une partie de lui en avait peut être voulu à Grey de l'avoir privé de l'occasion de tout lui dire, ce soir-là. Et de lui avoir fait peur, surtout. « J'ai vraiment cru qu'on ne se parlerait plus, et ce n'est que dimanche soir, quand … quand tu as déposé ce baiser sur ma main, que je me suis dit qu'il y avait peut être encore un espoir. » A ce moment-là, il avait eu l'impression que Grey cherchait à lui faire passer un message. Un message certes confus puisqu'il ne s'était pas attardé près de lui, mais un message qui l'avait infiniment rassuré, dans le fond. Finissant par s’asseoir près de lui, il se tourna complètement vers le jeune homme, et reprit d'un ton concerné. « Est-ce que tu te sens un peu mieux, ce soir ? » Il demanda, tout en regardant autour d'eux, à la recherche d'un verre d'alcool. Parce qu'il savait que Grey buvait quand il n'allait pas bien. Mais n'en apercevant aucun, il fut quelques peu rassuré. « Ou si ça n'est pas le cas … est-ce qu'il y a quelque chose que je puisse faire, pour toi ? » Il aimerait, sincèrement, que Grey lui dise que ce soir son cœur était moins lourd et son esprit apaisé. Mais il sentait qu'un mal être persistait en lui, il l'avait senti dès qu'il s'était approché. Et le moins qu'il puisse faire, après ses mots de la dernière fois, c'était d'être là pour lui changer les idées, aujourd'hui.