Elle s'éveille doucement, toujours dans ce lit qu'elle partageait avec Lino. Elle se surprend souvent, à caresser la place vide à coté d'elle. C'est tellement bizarre qu'il ne soit plus là, et elle n'arrive pas à comprendre tous les tenants et les aboutissants de ce manque. Elle commence à se dire naïvement, qu'elle ferait mieux d'arrêter de s'ouvrir aux autres. Mais elle lui a promit d'essayer, à lui, à elle. Alors elle va continuer d'essayer. Elle sort de son lit, sans passer par la case douche, elle va se chercher une tasse de café. Simplement vêtue d'un short et d'un top, elle se traîne jusqu'à la cuisine d'un pas lent et fatiguée. Son regard est attiré, comme toujours, par tout un tas de choses insignifiantes, qui font qu'elle marche vraiment lentement. Ce qui est bien en vivant avec autant de monde, c'est qu'il y en a au moins un qui va penser à refaire du café derrière lui. C'est toute souriante, presque dent sorties, qu'elle observe la cafetière fumante. La tasse bien pleine, vient lui réchauffer les mains et rien que l'odeur la réveille. Elle passe bien deux bonnes minutes à humer la bonne odeur du café torréfié. Avant de se remettre en marche pour le salon, ou la salle de détente. Elle sait pas trop. Trop occupé à garder la tasse sous le nez, elle ne fait pas attention à sa direction. Elle se rend compte qu'elle suivait la musique d'une oreille peut attentive, alors qu'elle se retrouve devant la porte de la salle de remise en forme. Un endroit qu'elle fréquente, jamais. A moins d'aller voir si Jade y est, par chance. D'une main presque timide par la découverte elle pousse la porte entre ouverte. Ses yeux émeraudes se posent sur la silhouette féminine de sa nouvelle partenaire. Des mouvements endiablés soulèves ses formes, ondulent ses hanches. Scar observe pleine d'admiration, toujours pour les danseuses. Elle s'installe sur un banc de muscu, pour la regarder. Ses pas sont discret, elle ne l'a certainement pas entendu. La rouquine sirote son café, qui réveille toutes les parties de son corps, pendant que ses yeux suivent difficilement les mouvements de la doyenne, certainement mille fois plus en forme qu'elle.

Les yeux clos, il est important que je puisse me projeter sur les paroles de la chanson, que mon corps tout entier soit à l’écoute du rythme, qu’il épouse les harmonies afin de créer une ambiance particulière. Les émotions n’ont pas besoin d’être transmises par le regard, une bonne danseuse parviendra à vous faire ressentir n’importe quoi par la précision et la force de ses mouvements. Je l’ai appris très tôt et développé tout au long de ma carrière, je travaille toujours sur cet aspect artistique primordial pour faire le succès d’un numéro. Aujourd’hui l’approche est différente, plus nuancée et naturelle, mes pas ne sont pas d’une perfection qui témoigne d’un entrainement intensif et régulier, ils sont improvisés et pourtant terriblement justes. Mon corps tout entier se réveille, mouvement après mouvement, chaque muscle ne tarde pas à retrouver de vieilles habitudes, comme si la dernière fois que j’avais très sérieusement dansé remontait à dix ans. En vérité je n’ai pas dansé depuis que je suis arrivée ici, ma dernière date remonte à deux jours avant le début des abysses, c’est là-bas que j’ai appris ma présélection par la production, cette soirée fut intense, incroyable, j’ai rarement été aussi bien de toute ma vie. Lorsque mes yeux s’ouvrent enfin pour se concentrer sur le miroir face à moi qui me permettra de voir si le mouvement que je m’imagine de manière détaillée dans mes pensées fonctionne. Pas le temps d’aller jusqu’au bout de cette tentative puisque je repère quelqu’un assis sur l’un des bancs de musculation. Je sursaute et me retourne brusquement, la main sur mon cœur, il ne s’agit que de Scarlett mais elle m’a foutu une de ses frousses. « Tu m’as fait peur ! » Je précise au cas où elle ne l’aurait pas remarqué. « Tu es là depuis longtemps ? »

Elle ne songe pas qu'elle pourrait lui faire peur, elle se contente de l'observer d'un regard admiratif se disant qu'elle soit avoir l'habitude qu'on la regarde danser. Alors elle profite du spectacle tout en s'éveillant à l'odeur du café. Sa nouvelle partenaire danse les yeux clos, elle ne peut donc se rendre compte de la présence de Scar. Elle essaye de s'imaginer la sensation que ça doit être, que de danser avec autant de passion, le regard fermé. Elle essaye de s'imaginer les sensations qui doivent pulser dans son corps. Elle n'est jamais si vivante Scarlett, c'est beau à voir se spectacle, elle a l'impression de partager quelque chose avec elle. Quelque chose d'unique. Alors quand elle remarque la présence de la rouquine et qu'elle sursaute, Scar sursaute avec elle, se renversant un peu de café sur les cuisses. Il est tièdes depuis un moment plus de risque de brûlure forte heureusement. « Je suis désolée. » Qu'elle lui murmure en posant sa tasse à coté d'elle. Du plat de la main elle tente de faire partir le café brun qui glisse sur sa cuisse blanche. « Hm, oui je crois. Je ne sais pas j'ai perdu la notion du temps en te regardant. » Elle est sincère, elle espère que ça ne va pas la déranger. Elle ne voulait pas se positionner en inquisitrice. Tout ce qu'elle voulait c'est la regarder avec admiration et se nourrir de son assurance. Ce n'est pas la même discipline, pas vraiment, mais ça lui rappelle la passion de Jade. Elle imagine sa petite soeur lui offrir un spectacle, avec l'air aussi passionnée que Greta et ça la comble autant que ça la rend triste. « Si je te dérange tu peux me le dire, j'irais finir mon petit déjeuné dans la cuisine. » Faut pas qu'elle se sente obligé de supporter la présence de Scar, s'il elle souhaite continuer de danser toute seule elle comprend. C'était un moment d'intimité, elle le comprend maintenant. Elle a certainement tout brisé, en la regardant, en l'observant de cette façon. Pourtant elle aurait aimé qu'elle continue, mais quelque chose lui dit que c'est finit.

Ce moment est intense car honnête à deux cent pourcent, il n’y a aucune préparation derrière cette chorégraphie, la place est laissée à l’improvisation et au naturel. Le plus dur au quotidien lorsque tu danses c’est de donner tes tripes à l’intégralité du public à chaque représentation, le processus est épuisant, je n’ai jamais été aussi épuisée que les fois où je me suis plongée intégralement dans mes pas, à ressentir la musique jusqu’au bout de mes doigts. Petites impulsions électriques, frissons, palpitant qui accélère, je passe à travers beaucoup de différentes émotions lorsque je danse et il n’y a rien de plus enrichissant. Je tenais surement un très bon nouveau mouvement avant de me rendre compte de la présence d’une petite tête rousse discrètement arrivée pendant que je dansais. Impossible de me souvenir de mon idée à présent mais je ne ferais pas un scandale à cause de cela, mon pas me reviendra à l’esprit tôt ou tard, j’en suis persuadée. A la place je m’inquiète instantanément lorsqu’elle renverse son café sur ses jambes. « Attends, je dois avoir un paquet de mouchoirs par-là. » Je fouine un petit moment dans mon sac et en ressort le fameux paquet qui devrait lui permettre d’éponger le liquide. « Tiens ! » Je lui tends le Saint Graal en me rapprochant, le sourire aux lèvres. Elle ne doit pas être là depuis longtemps si je me fie à ce qu’elle me dit. « Non non, tu peux rester, au contraire, tu en as pensé quoi ? » Je la questionne, curieuse d’avoir un avis plus neutre, moins professionnel. Ce sont généralement ces avis-là qui comptent le plus parce qu’ils sont centrés sur l’artistique et pas tellement sur la technique à moins que les erreurs soient flagrantes. « Ta sœur ne danse plus du tout ? » Je la questionne, pas certaine de la mettre à l’aise en me lançant sur cette voie.

Elle l'effraie, c'était pas le but. Elle voulait en profiter jusqu'au bout. Scar se rend pas totalement compte qu'elle l'a interrompu dans son processus de création. Si elle le savait, elle croit bien qu'elle s'en excuserait mille fois. Au lieu de ça elle prend peur elle aussi, c'est contagieux ce genre de chose. Et malheureusement, elle renverse un peu de son café sur ses cuisses sans s'en rendre compte tout de suite. Il est tiède forte heureusement, ça aurait été con d'ajouter une brûlure à son corps. Greta à la fibre maternelle, elle croit bien qu'elle à un fils un peu plus jeune que Jade. Elle doit être une bonne mère, c'est certain. Parce qu'elle vient chercher un mouchoir dans son sac de sport, il n'y a que des mamans pour avoir toujours sur elles un paquet de mouchoir non ? Scarlett l'observe fouiller avec un légère tendresse dans le regard. Elle ne doit pas tellement bien lui le rendre d'être sa nouvelle partenaire. Elles ne partagent même pas le même lit, puisqu'elle a décidé de rester dans le sien, c'était plus simple quand elle était malade. La danseuse s'approche d'elle pour lui tendre un mouchoir, qu'elle saisit sans hésiter. « Merci. » Elle murmure dans un sourire avant de s'essuyer les cuisses tranquillement. Elle voudrait pas s'imposer d'ailleurs, elle lui propose même de partir pour lui laisser l'espace nécessaire à sa création. Elle lui demande son avis sur la choré, elle sourit un peu plus. C'est pas une pro, mais elle en a des choses à dire dessus. « C'était très intense, même si tu ferme les yeux je pouvais ressentir la passion que tu mets dans chacun de tes pas de danses. C'était beau. » Oh c'est certainement pas une critique hyper intéressante, mais c'est ce qu'elle pense. Elle vient lui poser une question sur Jade et la danse. Elle baisse les yeux, en réalité elle aime pas parler de Jade et la danse. Parce qu'elle sait que ça lui brise le coeur à elle, de plus pouvoir être dans les rangs de l'Opéra. « Si elle danse, mais plus pour les autres. » Et c'est justement ce qui rend l'exercice si beau non. « Tu danses dans une compagnie ? » Elle lui demande, parce qu'elle se rend compte qu'elle ne connait rien du tout sur Greta. Elle sait qu'elle danse, mais où ? Quoi ? Depuis combien de temps ?

Je crois avoir frôlé l’infarctus pendant un instant, pas parce qu’elle m’a vraiment effrayé sur le principe mais parce que j’ai été surprise et coupée dans un processus très intense de communion avec la musique. Je ne saurais comment mettre des mots sur les sensations que cela fait ressentir, je dirais que l’on peut comparer ce mélange de sensations à une transe. On se sent unique, chaque petite sensation est décuplée et vous pousse à accentuer, à poursuivre le chemin sans même vous poser de questions. A chaque fois j’ai l’impression d’être à deux doigts de pouvoir voler, je suppose que c’est à cela que voler ressemblerait en tout cas… Je n’ai pas la moindre idée de ce que ça fait de voler mais c’est l’image très aérienne et planante que j’en ai. Ce qui m’inquiète le plus, bien loin d’être frustrée par ce pas que je comptais créer sur un coup de tête en écoutant l’inspiration et en suivant la mélodie, c’est le café que vient de renverser la petite rouquine sur sa jambe ainsi que sur le sol. Je dois être devenue très maniaque avec l’âge mais je profite de mes mouchoirs pour les utiliser à bon escient, d’abord avec Scarlett puis sur le sol que j’éponge avec deux mouchoirs, c’est ce qu’il me faut pour m’assurer d’avoir rattrapé le coup. « Tu ne t’es pas brûlée ? » Je lui demande, prête à aller chercher la trousse de premiers soins dans le cas contraire pour lui appliquer une pommade qui la soulagera. Trop mignonne, elle est prête à partir pour me laisser de l’espace, je n’en ressens pas le besoin, au contraire, nous passons trop peu de temps ensemble, Pablo me manque pour cela, avec lui je passais plusieurs heures chaque jour et nous étions proches, nous pouvions compter l’un sur l’autre… J’aimerais retrouver cela avec ce nouveau binôme. J’en profite pour lui demander son avis sur ce qu’elle vient de voir et sa réponse faire éclater mon sourire et pétiller mes yeux, elle a pu ressentir ce que j’ai ressenti elle aussi, par la force des mouvements, par l’intensité qui s’en dégageait, objectif atteint. Jade ne danse plus pour les autres, me dit-elle. « Ce doit être difficile pour elle… Il n’y a rien de plus beau que de danser et de constater une certaine communion avec un public le temps de quelques minutes. » C’est ce qui m’a permis de durer si longtemps dans le métier, sans cette relation éphémère mais très intense je ne prendrais pas autant de plaisir à danser. « J’ai abandonné l’idée de faire partie intégrante d’une compagnie, je suis indépendante… Plus centrée sur des spectacles et la diversité à laquelle je peux accéder plutôt qu’à un petit groupe restreint sur un seul thème avec une danse centrale. » J’aime varier, je ne suis pas spécialisée mais je m’en sors très bien sur à peu près tous les grands courants artistiques qui touchent à la danse.