w/ joanee,
19SEPT. 21H04.

Les mains dans les poches, Keziah descendait en trottinant les escaliers de marbre qui reliait le premier étage de la villa au rez-de-chaussée. Là, se trouvait sa destination. Destination pas assez extraordinaire pour être intéressante, à vrai dire. Qui n'a jamais ressentit, soudainement, le besoin incongru de se soulager, alors qu'à peine dix secondes plus tôt, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Bref, Keziah était gentiment posé sur le balcon, occupé à reproduire sur une feuille de dessin l'horizon qui l'émerveillait. Il n'en était même pas à la moitié de son dessin, qu'il se redressa, plaçant ses affaires pile à l'endroit où il s'était assis en tailleur, pour ne pas perdre sa vue, et se dirigea vers les toilettes. Juste au moment où il débarquait devant la porte, celle-ci s'ouvrit à la volée, dévoilant la silhouette d'une blonde au visage magnifique. Il s'arrêta brusquement, coupé dans son élan par cet obstacle disons imprévu. « Waw, tu es super jolie ! » s'exclama-t-il sans y penser. Hm. Oui. Le genre de trucs qu'il pouvait sortir sans s'en rendre compte, et sans se poser la question de comment la personne réagirait. Bah. On pouvait quand même pas envoyer chier quelqu'un qui vous dit que vous êtes beau. Hein ? Non, on pouvait pas, pas vrai ?

Spoiler:

Aller aux toilettes en communauté n'avait rien d'évident, avouons-le. Se lever et se diriger vers l'endroit maudit approchait du suicide social, et s'enfermer plus de deux minutes – signe que vous faisiez bien plus qu'un petit pipi – avait tout de l'horreur pure. Autrement dit: elle n'avait pas chié depuis son arrivée, soit presque une semaine. Comme à chaque fois qu'elle débarquait dans un endroit inconnu avec des inconnus, ou dans un autre pays, son corps semblait oublier cet essentiel vital, pour ne lui permettre qu'un petit tour rapide aux toilettes pour des choses sans importance. Assise sur le trône, où elle n'avait strictement rien à faire, elle attendait depuis dix bonnes secondes que « les choses se passent ». Mais rien. Elle n'en avait même pas envie, comme si ce qu'elle avait mangé pendant cinq jours – même si c'était très peu, d'accord – s'était évaporé durant le chemin jusqu'à son estomac. Elle murmura entre ses dents un « putain... » avant de se redresser et de se rhabiller. Inutile de tirer la chasse, n'est-ce pas. Elle se lava tout de même les mains, inutilement, en croisant son reflet dans la glace au dessus du lavabo. Le sommeil lui faisait du bien, l'embellissait, et, même si personne ne lui avait dit qu'elle était jolie, elle s'en rendit compte en se voyant alors, ce qui lui mit du baume au cœur. D'habitude, elle n'avait jamais le temps de se regarder. Grâce à l'émission, elle se coiffait, lavait ses cheveux avec un shampoing aux odeurs paradisiaques, se parfumait... elle retrouvait enfin une vie de fille. Elle débloqua la porte et sortit, tombant nez à nez avec un candidat blond aux cheveux en bataille, qui ouvrit de grands yeux en la voyant. Quoi, quoi, quoi? Elle avait un truc sur la tronche? Elle fit un léger mouvement de recul, en prise à la panique, mais une tout autre réflexion suivit cet étonnement. « Waw, tu es super jolie ! » Ses yeux bleus s'écarquillèrent, pour finalement laisser place à un visage conquis. « T'es mignon », lui répondit-elle avec un sourire. Puis elle remarqua dans le dos du garçon, sur le balcon, une réserve de papier à dessin assez épais entouré de crayon, gomme et d'une centaine d'épluchures blanches signes de perfectionnisme aigu. Ses yeux se posèrent sur le candidat, dont elle voulait savoir le nom. « C'est la pause de l'artiste? » dit-elle d'un air taquin avant de s'écarter pour lui laisser la place dans les toilettes.

Quand Keziah confessait à quelqu'un qu'il le ou la trouvait beau ou belle, ce n'était pas spécialement pour qu'on lui revoie le compliment. Il avait tendance à balancer tout ce qui lui passait par la tête sans pour autant réfléchir aux conséquences, ou aux pensées de son interlocuteur. Pourquoi se compliquer la vie ? Bien sûr, ce n'était pas toujours des choses gentilles, et là, le couac. Ça ne tournait pas toujours aussi bien que maintenant. Parce que la demoiselle, avec un sourire, lui dit à son tour qu'il avait le physique plaisant. Plus ou moins. On va pas chicaner. Ravi, il lui renvoya son sourire. Oh, elle est encore plus jolie avec cette tête. Oh, il avait envie de l'embrasser. Facile, Keziah aurait volontiers embrassé toutes les personnes qu'il trouvait belle. Voire plus. Mais malheureusement, il avait vite apprit - à ses dépends - que le monde - le monde normal - ne fonctionnait pas de cette façon, et qu'il était tout à fait déplacé d'embrasser un inconnu dans la rue, sous prétexte qu'il avait une bonne tête. « Même Dalí allait aux toilettes » répondit-il avec un un air très fier de lui. Confirmant ses dires, il s'avança à son tour jusqu'à la minuscule pièce, ne prenant pas la peine de fermer la porte - pas pudique pour un sous, le garçon et en plus, ce n'était pas comme s'il s'apprêtait à faire la grosse commission - se débraya, et se vida la vessie. Comme souvent lorsqu'il était au petit coin, il fut incapable de se taire. Réflexe des plus drôles, ou stupides, ou humiliants, selon le point de vue. « Het is een nacht, die je normaal alleen in films ziet. Het is een nacht, die wordt bezongen in het mooiste lied... » se mit-il donc à chanter, sans y penser. Nouvelle preuve que le néerlandais était une langue formidable. Il n'aimait même pas cette chanson, mais bon, il était habitué à l'entendre chez lui, donc forcément, ça restait. Après quelques secondes, il referma la braguette de son jean, tira la chasse, rabaissa la lunette, et se retourna. Une silhouette pas inconnue entra dans son champ de vision. « Tiens, rebonjour. Ça faisait longtemps. » Un sourire amusé barra son visage, regardant la blonde qui se tenait toujours là.



Je comprends ton trouble