18 octobre, 15h30. (Keziah)
Je m’étais encore glisser à l’extérieur du nid. Cela faisait quelques semaines que nous étions ici maintenant, mais je n’arrivais pas à être lassé du magnifique paysage. C’était même devenu une étrange obsession : je ne passais pas un jour sans faire un tour dehors, généralement de longue promenade aux longues pauses sur le bord de mer, à simplement contempler les horizons. C’était reposant, surtout lorsque l’on fait de jolies rencontres. Je m’étais rendu compte que mon addiction à la lecture s’était à peine atténuée depuis le début de l’émission, et que je restais encore pas mal de temps le nez plongé dans des bouquins. Un peu agacé de ma propre attitude, je pris la décision de sortir faire un tour comme toujours. D’un pas léger, je me rendis vers la mer, près des rochers. C’était un joli coin pour admirer le paysage. Je commençais à escalader les rochers, enhardit par le léger vent qui s’était mis à souffler. Je me sentais léger, mais la chute promettait d’être rude si jamais je glissais. Pourtant j’en avais à peine conscience, continuant d’aller de rocher en rocher avec souplesse. Je m’éclatais comme un gosse.

Je sursautais en entendant la voix de Keziah. Je soufflais un vague « oops » alors que je dérapais quelque peu. Mais parce que Dieu m’aimait – ou alors quelqu’un d’autre dans les cieux, sûrement mamie Jasmine – je réussis in extremis à me rééquilibrer, tout seul comme un grand. Je levais les mains au ciel et clamais un grand « merci », comme si quelqu’un pouvait m’entendre. Enfin, mieux valait faire comme si dans le doute. Je me retournais d’une petite pirouette vers le porteur de la voix qui n’était autre que Keziah. J’étais affreusement fier de me souvenir de son prénom, c’était une première pour moi de me le rappeler aussi vite et avec une facilité pareille. Le voyant galérer joliment, je pouffais discrètement de rire avant de venir à sa hauteur, peu désireux de le voir tomber. Je lui prenais spontanément la main, pour lui donner de l’équilibre, semble-t-il. Ou alors mourir à deux, un truc stupide comme ça. « Moi non plus j’ai pas envie que tu meurs, Keziah, ce serait une grande perte pour les baleines, quoique bénéfiques pour les cookies. » J’étais fier de me rappeler de notre dernière conversation, mais elle m’avait tellement amusée qu’évidemment, je devais m’en rappeler. Je le tirais à ma suite, lui faisant traverser deux rangers de rochers. « Vois avec quelle agilité tu te déplaces de roches en roches ! » Je ne me moquais pas de lui, mais j’avais tout de même un grand sourire aux lèvres, franchement amusé par la situation.

Je pris une mine sérieuse, faisant semblant de réfléchir, alors que je l’entrainais toujours parmi les rochers. « Hum … Pas bête comme réflexion. Quoique, les cookies dans la mer, ça se décompose, ce serait pas pratique à manger pour les baleines. » Je lui fis un sourire, du genre ‘tu vois à quel point je suis intelligent’. A vrai dire, la réflexion n’était pas vraiment d’une intelligence rare, mais tout de même, ça ne m’arrivait pas tous les jours de réfléchir à de tels problèmes existentiels. La plupart du temps, mon seul souci se résumait à ‘quel livre je vais lire aujourd’hui’ ou encore ‘qu’est ce que je vais prendre pour le goûter’. Mouai … Ce n’était vraiment pas cérébrale, si bien que ça faisait du bien de pouvoir parler avec Keziah et de se perdre en des thèmes un peu spéciaux, mais pourtant très intéressants – tout du moins pour nous deux. Je m’arrêtais alors qu’il me le demandait, le regardant remettre sa chaussette. Je le dévisageai, un petit sourire en coin. « Moui … Tu avais surtout besoin d’une excuse pour qu’on s’arrête ! » Je lui fis à nouveau ce sourire victorieux de celui qui croit avoir tout compris. Mais je n’avais plus envie de risquer nos vies, si bien que je m’asseyais sur la roche, les jambes repliées contre mon torse. « Comme je suis super hypra méga gentil, je t’autorise à t’asseoir. » Je lui fis un clin d’œil, avant de regarder vers la mer. C’était vraiment magnifique. « Dis, tu aimes la mer ? » C’était une question affreusement simple, je le sais, mais c’était tout à fait suffisant pour maintenir une conversation.

Je ne détachais pas mon regard de ma contemplation de la mer lorsqu’il s’assit à côté de moi. A vrai dire, je me demandais même quand est-ce que je pourrais m’en détacher tellement mon obsession était grande. Je me fis la réflexion qu’il fallait que j’en profite un maximum, car une fois l’émission finit, j’avais conscience que mon retour à Dublin serait irrévocable. J’avais tout de même des études à finir. Enfin, je sentais que tout cela allait atrocement me manquer. Je m’abreuvais de la couleur bleue et verte de la mer, du miroitement du soleil, de l’horizon sans fin. Je murmurais un vague « moi aussi » lorsque j’entendis sa réponse. Je laissais mon regard glisser entre les vagues, appréciant le spectacle. La mer était calme. Et c’était si paisible, que cela me rendait profondément serein. Je respirais fortement, voulant ancrer l’effluve salée de la mer dans mes narines. Ne jamais oublier tout ça. Le graver dans ma mémoire pour toute l’éternité. « Oh tu crois vraiment ! » J’avais tout de suite tourné mon visage vers lui, étonné de ce qu’il venait de dire. Ca ne m’était jamais venu à l’esprit. Naïvement sûrement, je m’étais dit qu’il était impossible de se lasser d’un tel paysage. Mais à bien y réfléchir maintenant, il était évident qu’à trop le regarder, ça devait dénaturer toute la beauté de la chose. Elle devenait commune, et tout ce qui est commun devient bien vite soit agaçant, soit blasant, soit détestable. « Alors mieux vaut ne jamais vivre près de la mer, si ça doit lui enlever tout son charme ! » J’avais dit ça avec conviction. « Ou alors avoir une maison secondaire près de la mer et y venir tous les étés. » Je fis mine de réfléchir, mon visage s’éclairant à cette possibilité. Oui, c’était vraiment une bonne idée. Quoique les sous devaient aussi être là en conséquence. Mais j’avais une notion de l’argent assez … limitée.

Lorsqu’il annonça qu’il avait une idée, je tournais mon visage vers lui pour découvrir qu’il s’était déplacé et qu’il était maintenant tourné vers moi. Je fis de même, attendant avec impatience qu’il m’en dise plus. A peine eut-il énoncé son idée, je frappais des mains, approuvant ainsi son idée. Bon, se poser toujours la question de l’argent comme il le remarqua si bien, mais comme dit précédemment, ça ne me semblait jamais comme un problème, même si, évidemment, mon portefeuille était atrocement vide, étant un simple étudiant et ayant toujours eu la flemme de faire un petit boulot à côté – voilà comment la flemmardise vous gagne quand vos parents vous payent l’appartement et les études et le manger, et toute autre chose. Par contre, je grimaçai fortement quand il émit sa dernière solution. Mouais … Moyen quoi. « Enfin … peut-être pas, hein. C’est un peu extrême comme solution … on peut toujours mendier, non ? Et si là ça marche pas, eh ben … » Enfin, l’idée ne me plaisait toujours pas. J’essayais donc de me creuser les méninges pour en trouver une autre, moins dégradante et moins extrême. « Ou alors … Ou alors ! Tu sais cuisiner ? Nan, parce que si tu sais cuisiner, on fera des ventes de gâteau dans le monde entier, dans les rues tu vois, un euro le petit gâteau ! Et on deviendrait trop célèbres, tout le monde adorerait nos gâteaux trop bon de la mort qui tue, tu vois ! Oh ce serait génial ! » Je partais dans mon délire, m’agitant, faisant de grands gestes, un grand sourire sur les lèvres.