Breathe. Oui, ce prénom me disait quelque chose, probablement parce que le fait de s’appeler « respire » m’avait paru quelque peu surréaliste. Une petite brune d’allure calme, dont on n’entendait pas beaucoup parler… Finalement, non, ça ne m’étonnait pas. Heureusement qu’il existait tout de même quelques personnes relativement normale dans ce casting. Je ferme les yeux tandis qu’il m’interrogeait sur la capitale française. Elle semblait le faire rêver tandis que ma dernière intervention le mettait au supplice. Il veut connaître Paris, et moi par la même occasion. Paradoxalement, ce n’est pas en lui parlant de Paris que je lui apprendrais qui je suis, mais j’accède à sa requête. « J’aime Paris. Ce sont les parisiens qui me rebutent. » J’hausse les épaules, il ne peut pas le voir, mais mon timbre nonchalant l’informe sur mon état d’esprit. « Paris est magnifique jusque dans ses défauts. Les rames de métro désuètes et malodorantes, ça sent le plastique usé, ça fait un bruit infernal, tu tombes toujours sur un joueur d’accordéon qui fait la manche en te donnant son interprétation très personnelle de « la vie en rose »… Les pavés dans les rues, où les bourgeoises tordent leurs talons sans perdre une once de cette classe toute caractéristique. L’odeur du pain chaud lorsque tu passes devant une boulangerie, les pigeons qui te toisent du haut de chaque monument, chaque statues… La tour Eiffel, évidemment, point repère de l’horizon, grande structure phallique et métallique qu’on appelle « la dame ». Et puis l’Opéra, ma deuxième maison, avec ces lourdes dorures, sa toiture verte, et ses angelots qui dansent sur chaque fronton, chaque pan de toit… Là-haut, on fait du miel, et en bas coule une rivière souterraine, et tout le monde trouve ça normal… C’est ça, Paris. C’est l’insolite… » Je repense au terme de « jungle urbaine », et trouve qu’il ne convient pas du tout à Paris… Paris, c’est la divine comédie de dante, les 7 cercles de l’enfer avec cette touche de paradis dont on ne se lasse pas. La divine comédie urbaine. Je suis toujours entrain d’y réfléchir, lorsque Lukas rompt le fil de mes pensées en me remerciant. « Pour la dernière fois. » dit-il. J’imagine qu’il parle de la soirée de défis. « De rien. » Je lâche assez bas. Ça me semblait tellement logique de lui rendre sa canne, que j’avoue ne pas comprendre son merci. Je n’allais tout de même pas le laisser déambuler, mains en avant, à la recherche d’un endroit où il aurait été en sécurité, si ? Non.

J'écoutais Syssoï me parler de Paris. Il me faisait rêver. Rêver avec ces descriptions digne de plus belles histoires romantiques. Bien que l'odeur nauséabonde décrite pour le métro parisien retirait tout ce côté "romantique" de la ville. Mais Paris restait Paris et je rêverais toujours d'y mettre les pieds parce que cette capitale avait sa réputation qui en enviait plus d'un. Savoir que Syssoï venait de là-bas lui donnait un intérêt tout autre que celui que je lui portais au début. Il était encore bien plus grand car il était parisien. J'aurais encore eu la vue, il aurait pu voir mes yeux pétillés de bonheur. Mais ce n'était pas le cas. « De rien. » Me répondit-il après que je l'ai remercié pour son action bienveillante de la semaine dernière. « Non mais vraiment. je n'ai pas l'habitude de ce genre de comportement. Même dans la maison, je suis sûr que certains n'aurait même pas pris la peine de me redonner ma canne en main propre. » L'informais-je. Il était quelqu'un de bien même s'il faisait parfois le dur et qu'il en avait le comportement. Mais pour moi, Syssoï était un homme empathique, sympathique et généreux et je pourrais le crier sur tous les toits. « Et sinon, tu faisais quoi ici ? »

Il m’a déjà remercié, mais à croire que mon «de rien» ne le satisfait pas, il insiste, comme si mon geste était ce qu’il avait connu de plus incroyable depuis Jésus lavant les pieds de Saint Pierre. Ok, je ne suis pas un saint, qu’on se rentre bien ça dans le crâne, ça commence a bien faire. J’ai pas une once de divin en moi. Et pourtant, Lukas s’est mit en tête de m’expliquer en quoi mon geste était d’une bienveillance extrême. Pour moi, c’est ne pas rendre sa canne à un aveugle qui est d’une cruauté impensable. Mais visiblement ma vision que je pensais blasée du monde, est encore trop idéaliste. Il insiste sur le fait de la lui avoir remit en main propre. «Je n’allais tout de même pas te la lancer dans la tronche en gueulant «ATTRAPE !!» ? Ce que j’ai fait n’a rien d’exceptionnel, d’autant plus que tu aurais très bien pu m’assommer avec, et me trainer jusqu’à la prison de ton équipe. Ce que tu n’as pas fait. On peut dire qu’on est quitte, non ?» Ce n’est pas vraiment une question. Je n’aime pas les remerciements, j’ai sans cesse le sentiment de ne pas les mériter, ça me met mal à l’aise, comme si la personne en face s’estimait m’être redevable. Non, je préfère qu’on soit sur un pied d’égalité. Je suppose qu’il a compris qu’il valait mieux changer de sujet, puisqu’il me demande ce que je faisais ici. «Ici où ?» je demande en haussant un sourcil. «Ici dans le jacuzzi ? Ou Ici dans le jeu ? Parce que dans le jacuzzi, je fais ce que tu fais aussi, je cherche à fuir les autres et à savourer un moment de détente... Et ici, dans le jeu, je ne sais pas trop ce que j’y fais. Et toi ?»

Il est vrai que j'aurais pu le frapper et l'emmener en prison d'un simple geste mais je ne l'avais pas fait. Et ça m'avait paru logique. Il m'avait aidé et je n'avais rien fait. Dans la logique de Syssoï nous étions quitte. Je ne l'avais pas vu de cette manière mais on pouvait dire ça. « On peut dire qu’on est quitte, non ? » J'acquiesçais d'un signe de tête. « Ici où ? Ici dans le jacuzzi ? Ou Ici dans le jeu ? Parce que dans le jacuzzi, je fais ce que tu fais aussi, je cherche à fuir les autres et à savourer un moment de détente... Et ici, dans le jeu, je ne sais pas trop ce que j’y fais. Et toi ? » Ma question était vague. Je pensais plus au jacuzzi qu'à l'émission mais puisqu'il me répondait au deux, je n'allais pas lui en vouloir. C'était toujours intéressant de connaître le pourquoi de Fake Lover. « Oui, je cherche aussi à me détendre. C'est d'ailleurs la première fois que je mets deux pieds dans ce genre de chose et c'est plutôt agréable. Sinon, j'ai fais l'émission pour sortir de ma ville, voir du monde, changer d'air et en apprendre plus sur l'amour et tout ce qui en découle. » Je restais quelques secondes silencieux. « Ça peut paraître pitoyable ou pathétique mais c'est pour ça que je suis là. »

En apprendre plus sur l’amour… Voilà quelque chose qui pourrait me faire rire si ce n’était pas triste à pleurer. L’amour c’est quoi ? Rien. Je pense que j’en ai suffisamment parlé dans ma présentation. L’amour est une illusion, un sentiment à la con qui créer l’utopique réconfort qu’on est pas seul sur Terre puisqu’il y a une connasse qui n’attend que nous, quelque part, trottinant sur ce putain de globe. Est-ce que je peux expliquer tout ça à Lukas ? Non, ce serait comme annoncer à Franckie que le père noël n’existe pas. Cruauté. Crise de larme. Suicide. J’prends pas le risque. « Ce n’est ni pitoyable, ni pathétique, c’est humain. » Ce qui revient à dire pitoyable et pathétique, mais je ferme ma gueule. « J’espère que tu n’attends pas trop de l’amour, il n’y a pas grand-chose à apprendre dessus. Par contre, la passion et le désir, ça c’est autre chose. On les prend souvent pour de l’amour, mais il n’en est rien. C’est éphémère, c’est destructeur, mais c’est tellement puissant que ça crame tout ce qui se trouve autour de toi, réduisant ton périmètre de survie à ton propre corps, et le sien, dont tu savoures chaque centimètre carré avec férocité. Et un jour, c’est plus vivable, tu dois te barrer avant qu’elle te tue, ou que tu la tues. Tu t’exiles, tu t’isoles, tu souffres le martyr, mais t’es vivant, t’es encore vivant, à moitié seulement, mais tu vas te remettre… » J’hausse les épaules, le regard perdu dans le vide, puis je me tourne vers Lukas. « C’est ça, la passion. »

L'amour. Un grand mot pour un concept que je ne connaissais pas encore. J'en avais entendu parlé. J'en avais vu qui succombait alors qu'il n'y croyait pas. Comme un être pur et innocent, j'y croyais. C'était enfantin, gamin, pitoyable et pathétique comme je l'avais dit à Syssoï.« Ce n’est ni pitoyable, ni pathétique, c’est humain. » C'était humain. Il n'avait pas tord. Mais je sentais qu'il ne me disait pas tout. J'écoutais alors son long discours sur l'amour et surtout la passion et le désir. Novice dans ce domaine, j'apprenais avec ces mots. Bien que je ne comprenais pas tout, j'espérais que ces quelques indications me permettrait en temps et en heure de ne pas être aussi ignorant que je l'étais précédemment. « C’est ça, la passion. » Je soupirais, blasé, car je savais que j'en étais encore loin. « De toute façon, qui voudrais vivre cette "passion" avec un aveugle ? » Je n'attendais pas réellement de réponse. C'était plutôt un questionnement intérieur que j'avais dit tout haut.

Je m’étais peut être un peu laissé emporter. J’aurais pas du. Mais je ne me rendais compte qu’une fois mon monologue achevé. Fondamentalement, je n’avais pas envie de parler de ça, je n’étais pas prêt, et probablement ne le serais-je jamais, mais ça avait été plus fort que moi, comme si pour ouvrir les yeux de l’aveugle, j’avais eu besoin de lui faire part de mon expérience personnelle. Stupide de ma part. Pourtant, il ne relevait pas, ou pas bien. Lorsqu’il reprend la parole, c’est pour me demander qui voudrait vivre cette passion avec un aveugle. Je ne pense pas qu’il me pose réellement la question, et je doute qu’il ait réellement compris ce que j’essayais de lui expliquer finalement. Je pourrais noyer le poisson et changer de sujet, mais je ne peux m’y résoudre. J’ai comme le besoin de lui faire comprendre. «Je ne vois pas en quoi le fait de ne pas voir avec tes yeux représente un handicap à toute passion.» Dis-je. «Tu vois avec tes mains, est-ce que tu as conscience du potentiel sensuel que ça représente pour une femme ? Ou même pour un homme, d’ailleurs. Ton handicap fait de toi un fantasme, déjà, à la base, et en plus t’es loin d’être dégueulasse à regarder. T’es plus qu’habilité a inspirer ce genre de passion.» Il va vraiment falloir que j’arrête de parler, à un moment.

Ce genre de passion ne m'était pas familier et si un jour, cette passion pointait le bout de son nez juste devant, je ne serais même pas apte à la voir. Être aveugle avait beaucoup d'inconvénients et je les subissais chaque jour de ma vie. « Tu vois avec tes mains, est-ce que tu as conscience du potentiel sensuel que ça représente pour une femme ? Ou même pour un homme, d’ailleurs. Ton handicap fait de toi un fantasme, déjà, à la base, et en plus t’es loin d’être dégueulasse à regarder. T’es plus qu’habilité a inspirer ce genre de passion. » Je ricanais. Il plaisantait, non ? Apparemment, non. Je me tus alors subitement. « Heu...Je...Merci ? » Lui dis-je alors sans réellement comprendre pourquoi. Tout ce qu'il venait de m'avouer relevait au final d'un compliment.