SIXTINE

Je m'ennuie. Allongé dans le lit conjugal me tournant et retournant comme une crêpe, j'essaye en vain de lire une vielle bande-dessiné Marvel déniché au fin fond d'une étagère de la bibliothèque. Cette pièce recèle de vrais trésors pour les geeks, il faudrait que j'en parle à Syssoï. Je peine toutefois à me concentrer sur les aventures des quatre fantastiques, mon esprit papillonnant sur à peu près tous les sujets possibles et imaginables. Par exemple, question particulièrement intéressante et philosophique: pourquoi obliger les ballerines à se mettre sur la pointe des pieds alors qu'il serait tout aussi simple d'en sélectionner des plus grandes, ou encore pourquoi les magasins ouverts 24h/24 sont dotés de serrures, si en théorie ils ne sont jamais fermés. Je lis pour une énième fois l'une des répliques de la femme invisible, inscrite dans une bulle, avant de laisser glisser le comics par terre d'un air las. Je baille à m'en décrocher la mâchoire, avant de rouler au milieu des couvertures pour atteindre le vide et pouvoir me lever. D'un pas traînant, je traverse le château, avant d'apercevoir de longs cheveux blonds familiers. Je rejoins rapidement ma toute nouvelle partenaire, me plantant derrière elle, tandis que je ne peux voir uniquement que son dos. « Sixtine, sixtine, sixtine... » je répète en plantant mon index successivement dans son bras dans le but ultime de réclamer un peu de son attention à mon égard. Son déguisement de Ruben me fait un peu flipper, parce que je sais qu'elle est censée se comporter comme le candidat tout au long de la semaine et que celui-ci a une tête de super-méchant -on dirait le sosie du mec qui découpe des têtes dans Heroes, c'est pas ma faute- mais peu importe. Après tout, même chez Double-face le personnage de fiction doté de multiples personnalités, le gentil Harvey Dent n'ai jamais bien loin.

Je me fais chier, sérieusement chier. J’entreprends une petite séance de maquillage, m’appliquant devant le miroir de la salle de bains. Je dois rendre le personnage de Ruben plus réaliste, c’est une exigence qui s’impose à mon esprit. Je suis bien trop blonde et bien trop sexy (sisi) pour représenter ce gorille. Je me hâte donc de remédier à mes attraits féminins, me barbouillant le visage. Puis j’enfile une chemise à carreaux dont les manches dépassent de quelques centimètres après le bout de mes doigts, serre une cravate n’importe comment, glisse mes jambes dans un pantalon délavé qui me donne le style d'un radis glissé dans la peau d'une banane. Une fois satisfaite du résultat je descends les escaliers afin de me heurter aux autres candidats et de jouer les grands singes en colère. A peine ai-je cette pensée qu’un petit doigt me pousse de façon répétée et particulièrement agaçante –du point du vue Rubinesque-. La voix qui scande mon nom appartient à mon nouveau partenaire, pauvre petit. « Eh le microbe, tu commences à me taper sur le système avec tes attouchements. » Je me retourne et il peut alors admirer le travail que je me suis évertuée à faire en ce jeudi. J’ai décidé de me peindre une fausse pilosité naissante autour de la bouche, et on notera la minutie de l’artiste, quelques rides creusant mon front. J’ai également ajouté des énormes sourcils au crayon noir, repassant par-dessus mes petits poils blonds. Pour le nez en patate, le menton proéminent et les yeux sombres, je n’ai rien trouvé. Mais j’ai quand même fait de sacrés efforts. Heureusement c’est Elvis qui m’a trouvée en premier, il ne me prendra probablement pas en photo pour poster ça sur le blog. « Puis j’en ai marre qu’on m’appelle Sixtine à la fin, je suis quand même plus sexy, non ? Moi c’est Ruben le nabot : R-U-B-E-N. » Je détache chaque syllabe pour les faire rentrer dans son cerveau de moineau. Oula, faut que j’arrête je commence à penser comme lui. Je darde sur Elvis un regard furieux, mais qui se radoucit au fil des secondes. J’ai envie de le serrer dans mes bras et de lui offrir une nouvelle araignée, mais ce ne sera pas pour aujourd'hui. « Bon qu’est-ce que tu veux, que j’te donne des conseils pour emballer Franckie ? » C’est plein de délicatesse, et je suis certaine que ça aurait pu sortir de la bouche de cet ours mal léché. Je lui tapote l’épaule de ma main avec vigueur, comme un père qui est sur le point d’apprendre à son fils à jouer au Baseball et qui en est fier comme un paon.

« Eh le microbe, tu commences à me taper sur le système avec tes attouchements. » Microbe ? Attouchement ? Je cligne des yeux en regardant la jeune femme d'un air interdit. Enfin, en l'occurence, je ne suis pas sûr que Sixtine puisse encore mériter la qualification de charmante demoiselle maintenant qu'elle est dotée de deux énormes sourcils, qui ont des allures discordes au milieu de son visage aux traits fins, et sa barbe naissante qui semble particulièrement rugueuse au touché. Je la dévisage quelques instants, laissant ensuite mon regard couler le long de sa silhouette emprisonnée dans des vêtements bien trop grands pour elle. Une chance que son jeans ne glisse pas de ses hanches pour attérir à ses chevilles. « Puis j’en ai marre qu’on m’appelle Sixtine à la fin, je suis quand même plus sexy, non ? Moi c’est Ruben le nabot : R-U-B-E-N. » continue-t-elle, jouant toujours son personnage jusqu'au bout. Enfin, tout me parait bien réel tout de même, j'hésite presque à prendre mes jambes à mon cou en captant ses yeux qui me lancent des éclairs à la figure, avant que ceux-ci ne se radoucissent. Je préfère largement ce tout nouveau Ruben lorsqu'il est couché dans le lit que nous partageons la nuit, muet. Mon cerveau n'est pas fait pour se plier à la comédie. A l'intérieur de ma petite caboche, Sixtine reste Sixtine, même si elle se fait implanter des poils sur le menton et qu'elle porte des fringues taillés pour une carrure masculine. « Hum, d'accord... » je consens toutefois à accepter d'un air quelque peu perplexe, avant qu'elle n'enchaîne: « Bon qu’est-ce que tu veux, que j’te donne des conseils pour emballer Franckie ? » Je cligne une nouvelle fois des yeux. J'hésite à lui avouer qu'en réalité je n'ai pas besoin d'aide sur ce sujet puisse que c'est déjà chose faite, même deux fois, mais avec tous ces inversements de personnalités, de rôles et tout ça, je me sens perdu. En tout cas, ce n'est pas quelque chose que je dirais à Ruben sur le même ton que si on discutait météo, donc je me tais. Je cherche quelque chose à dire, ouvrant ma bouche pour la refermer une demi-seconde plus tard. « Je, je... » dis-je en bafouillant, avant de me reprendre pour essayer d'enchaîner les mots dans une phrase un minimum correcte grammaticalement parlant: « Tu veux que je t'aide avec ta plastique ? L'un de tes sourcils commence à s'éparpiller dangereusement de droite à gauche. » Je désigne d'un bref et vague mouvement de la main le visage de la jeune femme, sur lequel elle a dû par mégarde passer sa main ou quelque chose dans le genre.

Le pauvre petit Elvis n’a pas l’air d’apprécier le nouveau Rubinou. Soyons clairs, c’est moins qui suis le plus emmerdée par toute cette mascarade. Me trimballer en costume en balançant des vannes pourries à tout bout de chant de m’emballe pas particulièrement. Je prends donc la peine de m’intéresser plus avant à la vie mouvementée du gamin, ayant noté un certain rapprochement avec Franckie. Néanmoins il ne me répond pas, et cela me met la puce à l’oreille. Cela se pourrait-il que . . . J’ouvre de grands yeux étonné. « Tu veux dire que . . . tu l’as déjà fait ? » Ben ouais, c’est assez facile de lire entre les lignes. Et moi qui suis pourtant la première –ou presque- au courant de tout dans ce château, je n’ai pas eu vent de cette rumeur. Honteux. Il faut dire les deux jeunes hommes sont relativement discrets, pas du genre à partager cette information avec quiconque. « Je suis fier de toi le geek, te voilà devenu un homme. » Je varie les surnoms, comme aime le faire Ruben, puis je lui tapote à nouveau l’épaule comme un père à qui on vient d’annoncer que son fils a pris sa première cuite. Le garçon approche sa main, ce qui me fait un peu reculer. Comment ça ma plastique n’est pas en place ? Sérieux ? J’ai du y passer une bonne heure et demi ! Je pousse un grognement rubinesque, approchant de nouveau mon visage afin qu’il puisse procéder au replacement de mes sourcils. Je lui jette un regard lascif, un petit sourire au coin des lèvres. « Et t’as l’intention d’aller plus loin ? » Je deviens très indiscrète là, mais on s’en fiche. Après tout je suis Ruben, je pourrais prétendre imaginer le gorille comme un individu mal éduqué qui harcèle les candidats dans leur vie privée. C’est le moment parfait que choisit mon pantalon pour se faire la malle, descendant sur mes genoux tandis que je reste là comme une conne, avec un calbut’ d’homme serré par-dessus ma culotte par un ruban jaune fluo. Il faut croire que Dieu a entendu les pensées de mon petit éleveur d’araignées. Oh-la-honte. Bon, faut dire que c’est comme me voir avec un short moche, donc je n’en suis pas beaucoup plus gênée, cependant je prends la peine d’attraper le vêtement afin de le remonter sur mes hanches, me rendant compte que la ceinture vient de se casser. La poisse, va falloir que j’aille me changer.

Ses yeux s'écarquillent et j'arrive à lire à l'intérieur de ceux-ci que quelque chose vient de germer dans son esprit. Quoi qu'il s'agisse, j'ai un mauvais pressentiment. « Tu veux dire que . . . tu l’as déjà fait ? » C'est au tour de mes propres yeux de se faire aussi ronds que des soucoupes. Comment a-t-elle bien pu deviner ? Je me suis gardé de faire tout commentaire au sujet de tout ce qui pouvait impliquer Franckie, moi et des lèvres. Foutue intuition féminine, faudra qu'on m'explique un de ces jours comment ce sixième sens peut fonctionner, parce que je ne vois sincèrement pas comment elle a pu relier aussi facilement les choses. Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais préféré que l'information ne s'évente pas à travers le château, mais l'allure enjouée de la jeune femme à cette nouvelle me pousse à croire qu'elle serait capable d'aller le répéter. « Je suis fier de toi le geek, te voilà devenu un homme. » Elle pose sa main sur mon épaule, ce qui me donne l'impression d'avoir exécuté un exploit. A croire que les habitants me prennent tous sans exception pour un stéréotype du geek de base, dont le plus grand contact qu'il n'ait jamais eu au sujet des relations avec autrui se trouve être les minis shorts de Lara Croft. Elle se penche et je remets en place son sourcil qui se fait la malle. Elle me lance un regard emplit de sous-entendu et une nouvelle fois je me permets d'avoir un mauvais pressentiment. « Et t’as l’intention d’aller plus loin ? » Je soupire. De préférence, je me passerais bien de cette conversation. J'imagine qu'entant que partenaire, la jeune femme est la première personne du nid qui devrait être tenue au courante de ma vie sexuelle -on pourrait mettre en place un système de roulement ou un truc dans le genre...- enfin là n'est pas la question. « Non. » je me contente de répondre avec sincérité. Le sexe sous l'oeil de plusieurs dizaines de caméra ne m'attire pas et de toute façon, ça ne m'a même pas traversé l'esprit une seule seconde. Son pantalon glisse de ses hanches et se retrouve sur le sol, révélant un caleçon masculin. Je m'écarte d'un pas, les yeux rivés bien malgré moi sur l'entre-jambe -dieu sois loué- encore vêtu de l'habitante, mes joues virant au rouge pivoine. Elle finit tout de même par daigner le remonter le long de ses jambes Je cligne des yeux, avant de réaliser pourquoi elle se contente de tenir un pan du vêtement au lieu de le boutonner. Je retire ma propre ceinture et la lui tends, regardant mes pieds d'un air géné: « Tient. »

Je crois que j’ai fait une boulette. Il ne me semble pas que le gorille soit doté d’une intuition très développée, et par conséquent il n’aurait certainement pas pu deviner aussi rapidement qu’Elvis+Franckie=bisou mouillé. M’enfin, j’espère qu’on ne m’en tiendra pas rigueur. J’ai beaucoup de mal à imiter le Rubinou, parce qu’il peut être graveleux, méchant comme un putois, mais aussi relativement sympathique. J’ai du mal à trouver un équilibre entre ces trois traits caractéristiques de l’homme poilu. Je décide cependant de poursuivre dans la même veine que mes remarques précédentes. « T’as raison, t’as aucune chance d’en sortir satisfait. Tu peux trouver mieux pour te propulser au septième ciel. » Je balance ça avec sérieux, alors que je comprends parfaitement ce qu’il veut dire. Ca ne m’enchante pas non plus de m’envoyer en l’air devant des dizaines de caméras qui zooment sur votre paire de fesses. Y’en a certains par contre, qui ne s’encombrent pas de ce genre de trucs. Mais j’aurais mal imaginé Elvis dans cette tranche de candidats. Je n’ai pas le temps de poursuivre ma réflexion, me retrouvant les jambes exposées à la vue de mon partenaire. Je note sans mal le rouge qui vient colorer ses joues, ravalant un sourire en me mordant la lèvre, ainsi que son regard qui s’égare là où il ne devrait pas. Hm, hm. Alors il est à voile et à vapeur, mais il broute aussi le gazon ? Ou alors mon déguisement est si réussi que le caleçon de Ruben fait son effet. J’observe le jeune homme d’un regard insistant, comme pour tenter de sonder son esprit tortueux et impénétrable. Ce bonhomme est un vrai mystère pour moi, je sais simplement qu’il est un nerd adorateur des insectes et autres petits animaux, et qu’il a échangé sa salive avec Franckie. Mais pour le reste, je passe mon tour. Je m’interroge plus avant sur sa vie sexuelle, m’érigeant en psychologue. Ce n’est pas un sujet qui semble lui convenir, le pauvre n’a pas forcément envie d’exhiber ces morceaux de sa vie devant des milliers de téléspectateurs. « Merci vieux ! » J’attrape la ceinture qu’il me tend avec un large sourire, le prenant dans mes bras afin de le remercier tandis que mon pantalon se fait de nouveau la malle. Je me décolle de lui en grognant, remontant le vêtement en passant la propriété d’Elvis entre les trous. Je n’ai pas besoin de beaucoup serrer, il est bien moins large que Ruben au niveau de la taille, ce qui est un véritable soulagement. Tout que j’espère, c’est que le gamin ne se retrouve pas à son tour le jean sur les jambes pour m’avoir généreusement prêté sa ceinture. « Ca veut dire que t’es comme Alix, ou plutôt comme Micah ? » Cette fois je l’interroge avec plus de subtilités, en espérant qu’il comprenne mes allusions. Alix = gay. Micah = bisexuel.

« T’as raison, t’as aucune chance d’en sortir satisfait. Tu peux trouver mieux pour te propulser au septième ciel. » J'en aurais presque levé les yeux au ciel. Presque, parce que qui à l'exception des personnages d'un soap-opéra de seconde zone pourrait être capable d'employer cette attitude avec mécanisme et naturel sans avoir l'air ridicule ? « Merci vieux ! » déclare-t-elle en essayant de se la jouer langage viril, ce qui jure complètement avec son visage aux traits délicats et féminins. Elle se saisit de ma ceinture et entreprend de me prendre dans ses bras pour me remercier. Je ne me fais déjà pas bien chaleureux dans notre étreinte, un peu mal à l'aise mine de rien,mais je me raidis encore un peu plus quand je me rends compte que son pantalon est de nouveau atterrit au sol. Je suis jeune, en proie à mes hormones qui se multiplient aussi vite qu'un rongeur peut procréer, je manque encore de nonchalance dans ce qui implique ma personne collée à un corps plus ou moins dénudés. Comme si ce n'était pas déjà assez gênant, elle tente une nouvelle approche pour en connaître davantage sur mon intimité: « Ca veut dire que t’es comme Alix, ou plutôt comme Micah ? » La subtilité, c'est loin d'être mon fort. Tout comme Syssoï la semaine précédente, la jeune femme fait des manières pour essayer de me sonder au sujet de mon orientation sexuelle, ce qu'évidemment mon cerveau a du mal à interpréter. Je cligne des yeux en la regardant d'un air fixe, plutôt perplexe. Alix ? Micah ? Je me creuse la tête pour essayer de retrouver les différences existantes au sujet des deux anciens candidats. Ce qui, étrangement, ne s'avère pas si compliqué que ça. Effectivement, je sais d'ores et déjà qu'Alix est gay, parce que sans ça je n'aurais jamais eu à, lors de la semaine des défis entre clans, embrasser Clément à moitié nu sous la neige. C'est le genre de choses qui ne s'oublie pas, croyez moi. Je suis un peu lent comme garçon, mais le lien n'est pas bien compliqué à faire. Baiser homosexuel ajouté à Alix, connu pour être gay, avec qui plus est Micah, dont ma mémoire super-sonic se souvient juste qu'il était aux dernières nouvelles autant intéressé par les femmes que par les hommes. Malgré que je sois parvenu à décrypter les paroles de la jeune femme, je continue à l'observer fixement sans rien dire. Je n'en ai pas la moindre idée. Ces dernières semaines, j'ai embrassé plus de nouvelles personnes que je ne l'avais fait au cours de ma vie entière. Soit, une seule. Je me mordille la lèvre avant de me contenter de la resasier avec la même information que j'avais donné à Syssoï, espérant que ça fera affaire: « Ma copine m'a larguée avant le début de l'émission. C'est la seule que... » J'hausse les épaules, sans terminer ma phrase. Que j'ai apprécié, connue au sens biblique du terme, la liste est trop longue pour être récitée. « Pourquoi ? » je la questionne en la zieutant d'un air presque paranoïaque.