BAPTISTE

Ma tête passe le seuil de la porte, permettant à mes yeux de scruter les alentours à la recherche du moindre indice représentant une action suspecte. Pour ma défense, ce n'est pas comme si je fréquentais souvent la salle du sport du château. En réalité, je pense que je n'ai guère dû m'aventurer entre ces quatre murs plus de deux ou trois fois depuis le début de l'aventure et ce n'était alors clairement pas pour pratiquer une quelconque activité physique. Rien à l'horizon. La pièce est à mon plus grand soulagement strictement vide de candidats. Je fais un pas et pénètre officiellement à l'intérieur, un petit pas pour l'humanité, mais un grand pas pour Elvis, jetant des coups d'oeils soupçonneux autour de moi. Je crois qu'on peut dire, même affirmer, que le sport et moi ça fait deux. A moins que le mouvement compulsif de mes doigts sur mon clavier puisse être considéré comme tel, et dans ce cas-là je devrais donc être médaillé d'or dans cette discipline. J'analyse les alentours, avant d'arrêter mon regard sur un puching-ball qui trône fièrement, isolé du reste, dans un coin. C'est idéalement le genre d'objet qu'il me faut: la boxe a la capacité de stimuler le rythme cardiovasculaire, la rapidité, la force de frappe et la précision. Absolument parfait pour ma carrure de cure dent et ma vivacité digne d'un mollusque des mers. Je m'en approche, jauge la chose, avant d'enfiler les gros gants rouges mis à disposition des habitants. J'analyse le sac, laissant mon cerveau scanner sa structure en vue d'une prochaine attaque, puis donne un coup dedans. Une grimace se vient perturber ma face d'ange. C'est beaucoup plus lourd que ça en a l'air. Je réitère le geste, enchaînant plusieurs mouvements plutôt vagues et faibles à la suite, les pieds bêtement vissés au sol, comme s'ils y étaient collés.

Il y a des jours où on n’a pas envie de bouger, d’autres où on meurt d’envie de dévaler les magasins, certains autres pendant lesquels le chocolat se retrouve bien trop vite avalé pour le plus grand plaisir de la graisse qui squatte ton bide… Aujourd’hui j’avais juste envie de faire du sport, soulevé un peu de poids pour ne pas perdre ma force, mes muscles non plus. Je n’avais pas mangé grand-chose de gras depuis le début de l’aventure néanmoins j’avais pas mal picolé, l’alcool coulait à flot ici… Comment refuser une coupe de champagne que je n’aurais même pas les moyens de me payer dans la vie de tous les jours ? Impossible ! Après m’être gavé d’une très simple salade verte avec quelques morceaux de tomates, d’œufs et d’oignons je m’étais dirigé dans la chambre pour prendre un survêt que j’enfilais très rapidement. J’étais définitivement prêt à aller transpirer comme un porc au soleil… Bon, un porc n’avait pas besoin de soleil pour transpirer… Est-ce qu’un porc transpirait ? Bref, je stoppais mes pensées toutes plus nulles les unes que les autres. Il fallait que je me bouge, je rentrais rapidement dans la salle de sport tournant la tête pour analyser la situation. Il n’y avait qu’un petit maigrichon dans la pièce, je souriais en le voyant galérer avec le punchingball me rappelant des premières fois durant lesquelles j’avais également sué à faire bouger ce maudit sac. « Tu as besoin d’aide ? » Lui proposais-je gentiment.

Un mouvement, deux mouvements, trois mouvements et je bascule vers l'avant et encercle le sac de mes bras pour ne pas tomber face la première sur le sol. Je me donne l'impression d'être Billy Elliot, bien piètre boxeur au début du film. Tient, c'est une idée ça, je devrais peut-être contacter Oona ou Syssoï pour prendre des cours de danse. Bref, en attendant je me balance bêtement sur mes deux pieds en rythme avec le punching-ball accroché à une poutre de la pièce, lorsqu'une voix résonne jusqu'à mes oreilles. « Tu as besoin d’aide ? » Je me contorsionne de manière à parvenir à retrouver un minimum d'équilibre. Je n'ai jamais eu autant de points communs avec le réel Elvis Presley que là tout de suite, jambes écarter d'une manière insolite, comme lorsqu'il dansait sur des rythmes endiablés. Finalement, j'arrive enfin à me remettre tranquillement sur mes deux pieds et je me tourne vers mon interlocuteur en clignant des yeux. « Je pense être un cas désespéré... » je déclare à l'attention de Baptiste, une légère moue sur les lèvres. Après tout, il a eu tout le temps de constater la galère que ça a été pour moi ne serait-ce que pour me relever. Je n'ai même pas de tenue adaptée pour le sport, je me suis juste contenté d'enfiler le pantalon le plus ample que j'ai en ma possession, me permettant la plus grande panoplie possible de mouvement, ainsi qu'un marcel gris, un brin délavé. Je crois que je vais faire l'impasse sur la pratique d'une activité physique régulière. Toutefois, sa proposition me semble tellement sincère, que j'ai du mal à refuser. J'acquiesce d'un bref signe de tête. « D'accord. » dis-je de ma voix qui, comme toujours, semble privée de la moindre intonation.

Venir en aide à quelqu’un d’autre, notamment dans le domaine sportif n’était pas inhabituel pour moi, j’avais toujours envie de donner un ou deux conseils à ceux qui avaient le plus de mal pour qu’ils puissent s’améliorer, tout à fait normal quoi. Ici je n’avais pas trop eu besoin de faire ce genre de choses, les mecs ici étaient déjà bien musclés et nous le ressentions en salle de sport, personne n’avait besoin d’aide. Du coup, la présence d’Elvis me donnait envie de lui proposer mon aide, il avait une technique un peu faiblarde voir inexistante et n’était pas vraiment habillé pour suer. Lorsque je lui propose de lui donner un coup de main il tourne la tête vers moi après avoir repris l’équilibre. « Je pense être un cas désespéré... » Je souriais, m’approchant du punchingball, celui qui avait été acheté pour l’aventure n’était d’ailleurs pas le plus léger et je l’avais déjà remarqué. « Il n’y a pas de cas désespérés… Juste ceux qui essaient et ceux qui ont la flemme. » Autant dire qu’Elvis était dans la première catégorie, il essayait quitte à avoir un peu l’air con au départ et puis, ça lui ferait du bien de se dépenser. « D'accord. » Je réfléchissais une petite seconde au premier conseil que j’allais lui donner, je venais donc me placer derrière lui. « Le premier truc à faire avant de frapper s’est d’assurer ta position. »

Il parcourt la salle pour venir jusqu'au coin où je me trouve. « Il n’y a pas de cas désespérés… Juste ceux qui essaient et ceux qui ont la flemme. » Pour son bien, mieux vaut qu'il attende de me voir à l'oeuvre avant d'affirmer de telles choses, au risque de perdre toutes ses illusions. Les rares fois où j'ai pratiqué du sport au cours de ma courte vie, c'était à l'école. Ces deux heures hebdomadaires avaient hérités du rôle des pires moments de ma semaine pendant toute ma scolarité. La seule activité ayant trouvé grâce à mes yeux est la natation, qui m'a permis de me tailler une silhouette pas trop faite en format poire ou encore triangle équilatéral. Le fait est que je n'ai pas la flemme de faire fonctionner mes muscles une fois de temps en temps, mais je suis juste une catastrophe ambulante doté d'une maladresse à la limite du danger public. Si en temps normal je me cantonne parfaitement à ma condition d'handicapé des pratiques physiques, au milieu de tous les stéréotypes du vrai bonhomme qui se baladent topless dans les couloirs du château, ma foi en ma silhouette s'est trouvée très franchement ébranlée. Enfermé des semaines et des semaines dans le château, il aurait été très bête de ne pas faire la moindre approche vers la salle de sport, qui me tends pourtant avec insistance les bras à chaque fois que je passe à côté. Elvis, elvis, vient brûler des calories, semble-t-elle me clamer sans arrêt, exhibant ses machines haute-technologie à tout va. « Le premier truc à faire avant de frapper s’est d’assurer ta position. » dit-il en se mettant derrière moi, et là je comprends que les choses vont devenir sacrément sérieuse. Je fléchie les jambes et m'agite comme si j'étais sur un ressort, en tentant une imitation des boxeurs de la télévision. Un léger bond à droite, un léger bond à gauche et je fais mine d'attaquer le puching-ball. « Ca fait pas trop puce sous amphétamines, là ? »

Quelque chose dans les cas désespérés me faisait grave kiffer, j’aimais en quelque sorte les défis parce qu’il y avait toujours un immense travail à fournir et c’est de cette manière qu’on pouvait au final être fier du résultat qu’on donnait. La facilité ce n’était pas mon truc et il allait s’en rendre compte de toute manière comme tout le monde. « Ca fait pas trop puce sous amphétamines, là ? » Il vient de se secouer dans tous les sens comme s’il avait été un personnage de cartoon qui était confronté à des dizaines d’explosions, je ne me moquais pas… J’essayais tout du moins d’être discret en rigolant. Lorsqu’il se tournait vers moi je retrouvais directement ma mine de mec sérieux, le problème c’est que je n’étais pas connu pour ma sériosité. On me rappelait toujours que j’étais un mec qui avait le talent nécessaire pour faire un one man show tout en poursuivant son incroyable carrière derrière le comptoir d’un McDo… M’enfin bref, je m’égare et essaye de trouver un moyen d’aider le gringalet qui se trouve devant moi. « Non… Non je ne dirais pas ça… Ca fait plus lion qui vient de se boire un carton de bouteilles de vodka et qui essaye de bouffer une girafe… Mais bon… J’dis ça j’dis rien hein. » Je lui souriais, m’avançant pour lui montrer rapidement une méthode. « Pour frapper avec le pied, il suffit de tenir dans un premier temps en équilibre sur le second et de mettre des petits coups, ta forces s’améliorera au fur et à mesure. »

Je cligne des yeux en attendant son verdict, une mine sceptique quant à ma prestation affichée très nettement sur mon visage. Il ne rit pas, c'est déjà ça. Je ne fais pas parti de ces personnes qui s'offusquent pour un oui ou un non, prenant la mouche à la moindre moquerie à son égard, mais je suis tout de même doté d'un ego. Certes, un ego infiniment minuscule, mais il est toutefois présent au fond de moi, se sentant un brin vexé à l'entente d'une quelconque critique me concernant. Un lion... moi ? L'imberbe androgyne de service ? J'arque un sourcil étonné. Et puis, je sais pas vous, mais l'alcool a un très étrange effet sur moi. Disons que ça m'assomme méchamment plus qu'autre chose, me laissant me lancer aveuglement dans des discours longs, ennuyeux et surtout absolument flous pour ceux ne possédant aucune connaissance à propos de la culture geek. « Pour frapper avec le pied, il suffit de tenir dans un premier temps en équilibre sur le second et de mettre des petits coups, ta forces s’améliorera au fur et à mesure. » déclare-t-il en s'adonnant à une démonstration juste sous mon nez. Normal. Je me fais l'effet d'être déconnecté de la réalité, me contentant de l'observer avec deux yeux aussi ronds que des soucoupes. A-t-il seulement conscience de mon absence totale de coordination. Je m'exécute, non sans maladresse, prenant appuie sur un pied et, après avoir longuement attendu pour trouver mon équilibre, frappe le sac. Mes coups sont légers, ainsi le puching-ball ne bouge pas d'un millimètre, mais dieu merci je ne tombe pas à la renverse. Je repose ma jambe -parce que bon, je vais finir par avoir des crampes à force- et me retourne vivement vers Baptiste. « Sérieux: pas mal, hein ! » dis-je malgré la preuve irréfutable que j'ai une force de « On s'attaque à quoi maintenant ? Les crochés du droit ? » je demande avec enthousiasme en mimant le geste dans les airs. Enfin, "dans les airs", du moins jusqu'à ce que mon poing vienne par mégarde frapper la mâchoire du jeune homme. Mes yeux s'écarquillent brutalement. C'est inimaginable d'être doté d'une telle maladresse, va falloir que je pense très sérieusement à consulter.