Le déguisement de tigre que Cupidon m’avait obligé à porter (enfin, j’avais le choix, mais je n’avais pas envie de perdre ma cagnotte et, par le même coup, perdre la possibilité de buzzer) était vraiment hideux. C’est le rembourrage au niveau du ventre qui me dérangeait plus que tout, je n’étais pas une femme grosse, loin de là et il aurait fallu que je ne le sois qu’un peu pour que, du haut de mon mètre soixante-trois, je paraisse grosse. J’avais alors décidé de… sauvagement arracher tout le rembourrage, oui, comme ça, a l’aide du paire de ciseaux j’étais assise sur mon lit enroulée dans une longue serviette. Le résultat était assez satisfaisant, je pouvais mettre un pull et un jean en dessous de la tenue maintenant, histoire de ne pas avoir froid et porter le costume sans qu’il me grossisse. Bon je n’avais pas non plus poussé le vice jusqu'à me faire des moustaches, mais on voyait quand même encore bien que je faisais un tigre. C’est après avoir enfilé le costume que je décidai de me rendre à la chapelle pour la prière quotidienne. En y entrant je constatai avec plaisir qu’elle était vide et allumai quelques bougies avant de commencer mon petit rituel.

La chapelle, mon refuge. J’ai l’impression de ne pas y avoir mit les pieds depuis un siècle. Pourtant cela ne doit faire que deux jours, trois tout au plus, mais ça m’apparaît comme une éternité, moi qui ai pour habitude de m’y rendre deux fois par jour. Aujourd’hui, je n’ai pas d’excuse, pas de batterie à plat, pas (encore) de nomination pour détourner mon attention, j’ai même eu droit à ma séance de danse. Tout va bien. J’enfile mon chaud manteau, et je prends la direction de cette vieille et désolée chapelle. D’habitude j’ai le droit à plus de faste, mais... Rien n’égale cette chapelle à mes yeux, malgré ses vitraux brisés et sa poussière accumulé, elle est tout autant sacrée qu’une basilique de Saint Denis ou une Cathédrale de Notre Dame. Comme d’habitude, j’escalade la façade pour me faufiler à travers cette vitre dont il manque un carreau, et je me laisse retomber souplement de l’autre côté, sur ce qui a du, un jour, être un marbre de grande qualité. Je remarque immédiatement que je ne suis pas seul, et m’avance avec prudence pour jeter un coup d’oeil et m’offrir l’option ‘fuite’ si la tronche de la personne ne me revient pas. Sauf que... Il s’passe quoi, là ? Un tigre est entrain d’allumer des cierges ?! Sans déconner ? Je songe à un canular avant de me souvenir de la punition de Zhara et Evey. Evey ayant refusé le défi, et ne semblant pas être très portée sur le respect des 10 commandements, j’imagine qu’il s’agit du petit cul bénit. J’avance à découvert. Je me signe en arrivant à son niveau, face au crucifix, puis je lui jette un regard oblique. «T’es censée être quoi ?» je demande, pas très convaincu par son déguisement. «Je sais que ça doit ressembler à un tigre mais...» Mais non, j’vois pas. «J’te pardonne, t’as pas du en croiser souvent.»

Je n’ai pas entendu Syssoï entrer dans la chapelle mais je sens sa présence avant qu’il n’ouvre la bouche. C’est un homme imposant, plus encore selon moi que pour les autres sans doute a cause de la différence de taille, j’ai l’impression d’être une naine a coté de lui. «T’es censée être quoi ?» me questionne-t-il, je hausse un sourcil, aurait-il oublié le prime ou… ? Bon, d’accord, on voit un peu moins ce que la combinaison représente mais il y a toujours les rayures et la teinte rousse du tigre, non ? «Je sais que ça doit ressembler à un tigre mais...» dit-il finalement, oui en fait il n’y crois pas si je comprends bien. Je lève la tête vers lui, puisque je n’ai pas d’autre choix pour le regarder et c’est là qu’il termine sa phrase «J’te pardonne, t’as pas du en croiser souvent.» un sourire amusé se dessine sur mon visage et je hausse les épaules « En effet. » dis-je simplement. « Si ce n’est au zoo lorsque j’étais enfant. » comme tout le monde en fait, ou presque.« Tu viens souvent ici ? » demandais-je, un brin curieuse mais je me doutais que cet endroit devait attiré un ou deux candidat, pas pour la religion évidemment mais pour le calme qui y régnait.

Le zoo. J’aurais du y penser... J’ai pas eu besoin de me rendre dans un de ces camps de concentration pour animaux sauvages pour en voir de près. Ce qui, du coup, rend, à mes yeux, sa version du tigre plus proche d’un tigrou approximatif que d’un réel fauve au yeux d’or. Mais je ne suis pas comme tout le monde, c’est que je me tue à chercher à leur faire comprendre... En vain. J’enfonce mes mains dans mes poches, et m’avance en direction de l’autel. Zhara, puisque c’est son prénom, a allumé quelques cierges, et j’apprécie le geste, tout comme j’apprécie la lueur mordorée qui danse sur les fresques et sur les traits constipés d’un Christ en croix. « Tu viens souvent ici ? » Finit-elle par me demander face à mon silence. Je lui jette un regard par-dessus mon épaule. « Au moins une fois par jour. » Voir plus, mais ça, elle n’a pas besoin de le savoir. Je ne tiens pas à ce qu’on se mette à tenir un agenda à jour de mes allées et venues au sein du nid. « Je ne suis certainement pas aussi ridiculement fervent que toi, mais j’ai mes croyances aussi... » dis-je, peut être un peu maladroitement, en utilisant un de ses cierges allumés pour faire grésiller la mèche d’un vieux candélabre poussiéreux. Les lèvres serrées, je marmonne quelques paroles inaudibles, avant de reposer le cierge et de reculer jusqu’à mon banc. Oui, MON banc, celui qui doit avoir prit la forme de mes fesses tant j’y passe du temps.

Le candidat s’avance vers l’autel et je le regarde faire, attendant sa réponse qu’il me donne en me lançant un regard par-dessus son épaule « Au moins une fois par jour. ». Je hoche la tête, doucement, comme moi. C’est pourtant la première fois que nous nous croisons dans ce lieu saint, j’imagine qu’il fallait bien que ça arrive un jour ou l’autre. « Je ne suis certainement pas aussi ridiculement fervent que toi, mais j’ai mes croyances aussi... » je tique sur le mot ‘ridiculement’ mais ne dis rien, cependant ça doit très certainement se lire sur mon visage, j’ai les lèvres pincées et mets quelques secondes à me détendre. Les candidats ne me comprennent pas, j’imagine qu’on a tous cette impression de ne pas être réellement compris par les autres, nous sommes tellement différents les uns des autres… « Je ne m’attends pas à ce qu’on comprenne la force de ma Foi. » dis-je doucement en m’installant sur un banc, le premier, a droite, je sors mon chapelet de ma poche et le roule entre mes doigts, la croix pend et se balance doucement de droite à gauche jusqu'à ce qu’elle s’immobilise. Mon regard, lui, est porté sur le visage du Christ peint en face de moi, derrière l’autel.

Génial ! J’ai le droit à la fille, petite-fille, arrière-petite-fille de catho pratiquant ! Je le vois dans son regard que mon «ridiculement» l’insupporte. J’ai l’impression d’être dans une rediff moisie de ‘7 à la maison’ et que le révérant ne va pas tarder à faire son entrée pour expliquer à ce charmant petit tigre qu’elle doit pardonner mon ignorance et tenter de réanimer mon âme perdue. C’est pour ça que je jette un regard à la ronde. Peut être que Benoît XVI va se joindre à la fête ? Je soupire, passe une main sur mon visage avant de la perdre dans mes cheveux. Candy est venue poser ses fesses sur le banc symétrique au mien, et sort son chapelet pour se noyer dans un flot de «je vous salue Marie». Ok. Je pourrais fermer ma gueule et profiter de cet instant de silence pour m’adonner à ma propre foi, mais j’ai l’impression d’avoir fait ça toute ma vie, d’avoir fermé les yeux face à l’ignorance des autres en me disant que de toute manière, rien ne changera la connerie de ce monde... Mais je suis là pour évoluer, non ? «Dis-moi... Tu respectes les commandements du Pape, non ?» Je souffle, fatigué à l’avance en reportant mon attention sur Tigrou. «Donc... Tu condamnes toi aussi, en ton âme et conscience, l’homosexualité et l’usage du préservatif, n’est-ce pas ? Si tu te trouvais devant une femme séropositive, malade à cause du sang contaminé dans les hôpitaux, mère de famille et épouse respectée de tous. Tu la condamnerais à l’abstinence toute sa vie, malgré les progrès de la médecine, une vie d’abstinence parce que le préservatif lui serait obligatoire pour ne pas contaminer son mari ?» Je ne la quitte pas du regard. On vit dans un château où la moitié des habitants copulent en permanence et partout, comment peut elle être si psycho-rigide ?

Le jeune homme ne dis rien lorsque je m’assied et je me surprends même a penser qu’il ne dira plus rien, qu’il sortira et que je pourrai m’adonner à me culte tranquillement. Je déteste faire ça en présence de gens qui ne comprennent pas. «Dis-moi... Tu respectes les commandements du Pape, non ?» je tourne la tête vers lui, comprenant déjà d’avance qu’il ne va pas s’arrêter là et, en effet, il continue sur sa lancée. «Donc... Tu condamnes toi aussi, en ton âme et conscience, l’homosexualité et l’usage du préservatif, n’est-ce pas ? Si tu te trouvais devant une femme séropositive, malade à cause du sang contaminé dans les hôpitaux, mère de famille et épouse respectée de tous. Tu la condamnerais à l’abstinence toute sa vie, malgré les progrès de la médecine, une vie d’abstinence parce que le préservatif lui serait obligatoire pour ne pas contaminer son mari ?» Je lâche un petit rire jaune, il ne me connait pas après tout alors autant ne pas m’offusquer tout de suite mais j’en ai déjà discuté avec Sixtine, par exemple et je m’apprête a dire la même chose au candidat. « A vrai dire, non. Je suis médecin, enfin en formation et je pense que le préservatif est un excellent moyen de contraception et surtout de protection. Les gens font ce qu’ils veulent après tout, si il veulent coucher avec le premier venu, qu’ils le fassent… Mais je prônerai toujours l’utilisation de cette protection. En ce qui concerne l’homosexualité je suis totalement en désaccord avec l’Eglise, je pense que l’amour n’a pas de sexe. » dis-je doucement, mes parents, eux, pensent comme le Pape savent que je ne suis pas d’accord, ce vieil homme n’est selon moi pas une bénédiction pour l’Eglise. Ce qui est sujet de beaucoup de disputes au sein même de ma famille.

Je l’écoute me répondre avec cette flamme dans le regard, comme si elle prenait plaisir à me donner tort. Pourtant, je ne fais que me référer à ce qu’une véritable catholique se doit de penser et d’accepter, je ne fais qu’édicter une vérité, pas un fantasme tout droit sortit de mon imagination fantasque. « Très bien... » Ma main redescend le long de ma face, avant d’être rejointe par son homologue au niveau du menton que je balance contre mes deux index tendus. Je réfléchis. « Donc tu rejettes certains préceptes de l’Eglise, mais pas l’abstinence jusqu’au mariage, d’après ce que j’ai cru comprendre, n’est-ce pas ? » Je l’interroge du regard, mais je connais déjà la réponse, ça a suffisamment fait le tour du nid. « Donc l’amour n’a pas de sexe, ok, je suis d’accord avec toi. Alors... Comment faire lorsqu’on est homosexuel et que le mariage nous est interdit ? Comment faire pour s’aimer de la seule manière possible lorsque la Bible dit que les rapports sexuels ne doivent être occasionnés que pour la reproduction de l’espèce, sachant que deux hommes entre eux, ou deux femmes entre elles, ne pourront jamais avoir d’enfants ? » C’est juste une question, absolument pas une agression. J’aimerais comprendre comment elle explique ses propres incohérences. Ça m’intrigue.

« Donc tu rejettes certains préceptes de l’Eglise, mais pas l’abstinence jusqu’au mariage, d’après ce que j’ai cru comprendre, n’est-ce pas ? » Je hausse les sourcils, me demandant où il veut en venir mais hoche la tête en signe d’affirmation. « Donc l’amour n’a pas de sexe, ok, je suis d’accord avec toi. Alors... Comment faire lorsqu’on est homosexuel et que le mariage nous est interdit ? Comment faire pour s’aimer de la seule manière possible lorsque la Bible dit que les rapports sexuels ne doivent être occasionnés que pour la reproduction de l’espèce, sachant que deux hommes entre eux, ou deux femmes entre elles, ne pourront jamais avoir d’enfants ? » Je souris, belle question, on aurait presque pu l’applaudir sauf que, encore une fois, je savais répondre. Il parait que ma mère était du même genre, a toujours avoir réponse a tout. Ca semblait parfois bien énervant mais voilà, je ne me referai pas. « Tu l’as toi-même dis, je rejettes quelques préceptes de l’Eglise et comme selon moi l’amour n’a pas de sexe je suis pour les mariages homosexuel. Au pire, ils peuvent se marier a la commune. Je sais que ça n’existe pas partout, le mariage homosexuel, je pense que c’est interdit en France mais je connais certains pays où s’est autorisé. Bref, de toute manière les gens font absolument tout ce qu’ils veulent, je pense que les gens chrétiens, pratiquants et homosexuels ne courent pas les rues, comment croire en une religion qui rejette ce qu’on est après tout… » dis-je en soupirant, c’était là le point qui m’irritait le plus sur la religion, je ne voyais tellement pas pourquoi le papa s’acharnait a refuser que l’amour puisse être homosexuel. C’était tout bonnement injuste.

Je l’écoute avec attention, sans dédain, sans sentiment de supériorité, je me contente de l’écouter, observant ses réactions, ses mimiques. Est-ce qu’elle a conscience de vivre chacun de ses mots ? C’est comme si elle avait une expression faciale particulière pour chaque phrase. Elle est tantôt fervente, tantôt déçue, souvent frustrée. Elle rejette certains préceptes, mais s’acharne à penser que même les homosexuels devraient attendre le mariage avant de s’autoriser au sexe. Sauf que ce n’était pas le sens de ma question, et qu’elle l’a délibéremment laissée de côté parce que, je suppose, elle ne peut y répondre. Puisque le sexe dans le couple n’est autorisé que dans un but reproducteur, et que les couples homosexuels, qu’ils soient hommes ou femmes, ne peuvent concevoir d’enfants, ont-ils droit au sexe selon elle ? Voilà ma véritable question, celle à laquelle elle n’a pas répondu. « Tu sais bien que le seul mariage reconnu par l’Eglise est celui consacré par un prêtre. On doit se marier devant Dieu, sinon on n’est pas considéré comme réellement unis. Les couples homosexuels, selon l’Eglise, ne sont pas unis devant Dieu, ils n’ont donc d’autre choix que de vivre dans le pêcher. Et quand bien même ils seraient autorisés à se marier à l’église, tu sais bien que le sexe ne leur serait pas autoriser puisqu’ils ne peuvent pas concevoir d’enfant par ce biais... » Elle sait tout ça, elle n’a pas besoin de moi, mais je tenais tout de même à formuler tout ça à voix haute, dans un lieu de culte, parce que finalement, je crois que je suis en colère contre ce Dieu qui tolère ça, qui tolère que des types lambda parlent en son nom pour imposer une volonté caduque et arbitraire à d’autres. « Je pense que la religion, quelle qu’elle soit, est foncièrement bonne, mais l’Homme l’a pervertit, comme tout ce qu’il touche. La religion entre les mains de l’Homme ne devient qu’une arme de pouvoir néfaste. Je crois en Dieu, mais je ne crois pas en l’Eglise. Le Pape n’a aucune légitimité à mes yeux, et ses préceptes non plus. Tu n’es pas une chrétienne niaise et soumise, je sais que tu en es arrivée aux mêmes conclusions que moi... Il ne te manque plus que la petite dose de courage nécessaire pour t’affirmer et affirmer tes opinions. » Je ne la juge pas, je la comprends, c’est différent.