Depuis deux jours, me suit une lubie. Mes pieds nus, dont je bougeais les orteils dans l’herbe extra fraiche du parc. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais j’adorais cette sensation de ne pas avoir les pieds enfermés dans des chaussures. Sentir le froid du carrelage, la douceur de l’herbe et même la douleur des cailloux. Bon, un peu moins pour le dernier, mais ça faisait partit tout de même de ma lubie. Je relevais la tête, regardant la grange qui me faisait face. Cette immense bâtisse qui ne paye pas de mine et qui pourtant, révèle de petit trésor quand on pousse ses portes. Je serrais dans mes mains ma serviette, comme si une forme extraordinaire ; une force invisible me retenait à l’extérieur et m’empêchait d’aller à l’intérieur. Dire que j’avais espéré que la grange ne soit découverte par personne d’autre que moi, dans les premiers jours de la compétition. Depuis, je n’avais même plus mit un pied à l’intérieur. C’est avec une immense joie que je poussais la porte et je courrais à l’intérieur vers un jacuzzi. Le changement de sol me fit m’arrêter dans ma course et même sourire, comme une babache. Pire que ça, j’émis une sorte de bruit indescriptible, frottant mes pieds contre le sol. Autant dire que ce spectacle devait paraître légèrement… étrange. J’aurai pu très bien rester comme ça pendant des heures, ou même courir vers l’eau et me jeter dedans pour me relaxer. Non, j’arrêtais de sourire et je tournais les talons de trois quart, pour voir que le jeune Elvis se tenait un peu plus loin, mais il me regardait tout de même. J’avais bien sentit un regard posé sur moi depuis ces quelques minutes. Je lui adressais un léger sourire. « T’as rien vu, dis ? »

Après mettre réveillé et adonné à tous mes préparatifs matinales quotidiens, une multitude d'activités s'offrent à moi. Je me décide finalement pour une petite séance détente dans la grange du château. Enroulé dans une serviette, voltigeant comme s'il s'agissait d'une cape à l'extérieur, je finis par atteindre le lieu désiré. J'entre, mon coeur oscille entre spa et jacuzzy. Alors que je suis encore soumis à toutes mes hésitations, une tornade blonde fait son entrée dans la pièce, aussi rapidement que The Mask. Je cligne des yeux, l'observant dans mon coin, tandis qu'elle se stoppe dans sa course. Un étrange bruit sort de sa gorge, alors qu'elle laisse ses pieds frotter contre le sol... Et après c'est moi qu'on traite de mec bizarre du nid ? Elle pivote et semble enfin se rendre compte de ma présence. « T’as rien vu, dis ? » me demande-t-elle avec un sourire. J'ignore s'il s'agit d'une question rhétorique ou non, donc je me tais. Ou du moins jusqu'à ce que je prenne conscience par le silence qui s'en suit qu'elle semble attendre une réponse de ma part, elle doit sûrement me prendre pour un demeuré. « Hum, si... » dis-je d'un air perplexe, répondant toujours aussi honnêtement et sérieusement aux interrogations qu'à mon habitude. En fait, il aurait même fallu être aveugle pour ne pas la voir. Mes yeux se rivent sur ses pieds, où je peux très nettement distinguer des restes de brins d'herbes coincés entre ses orteils et peut-être même de petits résidus de terre. Je remonte un regard horrifié jusqu'à son visage, mon horreur de la saleté refaisant méchamment surface. « Tu veux que je t'apporte des trucs pour... Tes pieds. » Je montre du bout de l'index dans un vague mouvement ceux-ci, en plein délit d'après toutes les règles sanitaires qui régissent un spa dans ma petite caboche.

Comme il se tenait loin de moi, j’osais espérer qu’Elvis ne m’ait pas vu. Avrez dire, s’il me demandait ce que j’étais en train de faire, je serais bien embêtée. Je ne me voyais lui dire que je prenais mon pied – sans mauvais jeu de mot – avec le sol de la grange. « Hum, si... » Je fermais les yeux, baissant la tête. En soit, ce n’était pas bien grave, mais j’avais un peu honte. Au-delà de la sensation de bien être que m’apportait mes pieds nus, ceux-ci en avait prit ‘un coup’ et étaient assez salie par la traversée du parc. Je reportais mon attention sur Elvis, qui eut une sorte de regard de dégout envers moi. Mon Dieu, que j’avais honte. Maintenant, il allait croire que j’étais une crados, alors que c’est loin d’être le cas. Je croisais mes pieds, dans le but de les cacher, tout en le suppliant intérieurement de ne plus les regarder. « Tu veux que je t'apporte des trucs pour... Tes pieds. » Voilà qu’il se mettait à les pointer du doigt. À cet instant précis, je me serais bien fait aussi petite qu’une souris et me serait faufilée vers la porte pour m’échapper. Au lieu de ça, je baissais ma tête, regardant mes orteils tout dégoûtants. Je relevais ma tête vers lui, faisant une grimace. « Je veux bien… mais avec la crasse que je traîne depuis trois jours… » Je marquais une pose, puis j’éclatais de rire devant sa mine déconfite. Finalement je préférais en rire, qu’en pleurer. « Je rigole évidemment. Mais j’sais pas ce que tu pourrais m’apporter ! »

« Je veux bien… mais avec la crasse que je traîne depuis trois jours… » J'arque l'un de mes sourcils, d'un air flottant. Evidemment, mon cerveau linéaire prend ses paroles au pied de la lettre, comme d'habitude. Je l'observe, partagé entre deux sentiments: le dégoût et la perplexité. Elle n'a réellement pas prit de douche depuis trois jours ? Si je ne m'abuse, c'est loin d'être particulièrement hygiénique, si ? Elle éclate de rire, ce qui ne fait qu'accroître ma mine déconfite. « Je rigole évidemment. Mais j’sais pas ce que tu pourrais m’apporter ! » Oh. Le terrible pouvoir de l'ironie. Il va sérieusement falloir que je commence à faire quelque chose à propos de mon capacité totale à comprendre les sarcasmes. Je jette un coup d'oeil autour de moi, comme si une serviette propre allait subitement apparaître comme par magie sous mon nez. Bien entendu, il n'en est rien, toutefois mon regard s'arrête sur la porte menant au spa du nid. « Attend moi là. » je lui ordonne. Enfin, ordonner est un bien grand, il s'agit davantage d'une petite requête à la limite de la supplication dans ce qui est de respecter ma pseudo autorité. Je m'éclipse un instant, passe le seuil de la porte et me saisit de l'une des serviettes ainsi qu'un flacon nettoyant mis à disposition sous les tables de massages pour nettoyer l'huile de massage. Je reviens auprès de la jeune femme, mon butin dans les bras d'un air de vainqueur, et je m'agenouille avec presque autant de crédibilité face à elle qu'un prince charmant... Ou plus exactement d'une mère prête à enlever le sable des pieds de son petit après une excursion à la plage.

J’avais déjà bien remarqué qu’Elvis ne comprenait pas toujours le second degré et l’ironie, ce qui m’amusait plus encore que ma seule phrase. Je me lave tous les jours et en général, même lorsque l’eau est beaucoup trop froide et insupportable. J’ai beau venir d’un quartier pauvre de Galway, on m’a appris l’hygiène autant qu’à un autre. Par contre, je ne voyais pas vraiment ce qu’il pouvait faire pour moi et mes pieds sales. À moins qu’il n’ait une solution magique, j’étais condamnée à repartir vers le château pour me nettoyer les pieds. « Attend moi là. » Je ne discutais pas, dodelinant la tête de haut en bas pour acquiescer. C’est avec un sourcil levé que je le regardais s’en aller, en direction, bah en fait je ne savais pas trop. Je fis quelques pas en avant pour pouvoir toujours le voir, mais un mur m’en empêcha. Je l’attendais bien sagement, alors que je pouvais bien m’en aller, les mains dans le dos, comme une gamine qui a fait une bêtise. J’en profitais pour réellement regarder autour de moi, le bâtiment que je n’avais vu qu’une seule fois de l’intérieur. J’esquissais un sourire, baissant ma tête, en le voyant revenir, une sorte de savon en main. Un petit rire s’échappa de mes lèvres, quand il s’agenouilla devant moi. Je le regardais d’un air étonné, prête à voir ce qu’il comptait faire… en l’occurrence, il s’apprêtait à me nettoyer les pieds. Mes mains toujours dans mon dos, je le regardais s’exécuter, quelques secondes à peine. « Tu comptes vraiment me laver les pieds ? » Dans un sens, c’était super valorisant. Jamais je n’aurais cru qu’un jour on me laverait les pieds. Genre je suis la princesse, la plus belle de tout le Royaume et tout le monde veux me laver. À moins que ce soit autre chose, qu’il me prend pour une gamine et il se sent obligé de me materner en me lavant les pieds. Ca ce n’était pas très valorisant. À moins que ce soit encore tout autre chose, qu’Elvis a horreur de la saleté et qu’il irait jusqu’à les laver pour ne plus voir ce spectacle. C’est peut-être ça son secret…

Je dois pas bien avoir l'air très intelligent, agenouillé à même le sol de la grange, mais j'ai un sérieux problème avec les microbes et autres sympathiques bactéries. Je n'irais pas jusqu'à aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'une phobie, mais je hais par-dessus tout me savoir malade avec tout un tas de virus se baladant allègrement dans mes veines. Ca m'angoisse. « Tu comptes vraiment me laver les pieds ? » Je lève la tête, pour river mon regard dans sa direction. J'hausse les épaules, avant de dire comme si la réponse tombait sous le sens: « Faut bien que quelqu'un le fasse. » Comme si j'allais la laisser plonger ses pieds cradots dans l'eau du jacuzzi, où je comptais justement élire domicile pour le reste de la matinée. Ma mère me disait toujours de me méfier de ce que l'on pouvait trouver dans l'herbe, mais il est vrai que nos voisins possédaient un énorme chien, donc... Bref. Je m'attèle à ma tâche, également parce que je suis bien trop gentil pour obliger la jeune femme à s'occuper elle-même de l'objet d'un de mes névroses. Je fais tomber une bonne dose du liquide nettoyant sur l'un de ses pieds, avant d'astiquer celui-ci avec autant de délicatesse que s'il s'agissait de vaisselle en porcelaine fragile. Je m'attaque au second, qu'elle relève docilement à mon attention. « J'espère que ce n'est pas trop foird. » je déclare pour la forme, tout en passant une dernière fois la serviette sur sa peau. Une fois avoir terminé, j'écarte mes mains, afin d'admirer mon oeuvre: magnifiquement propre et immaculée.

Je regardais Elvis avec intérêt, alors qu’il était agenouillé à mes pieds, littéralement. J’avais un léger sourire, quelque peu gêné tout de même. Il n’avait nullement besoin de le faire, enfin, je pouvais très bien me nettoyer les pieds toute seule comme une grande. J’avais bien vu que ça allait le gêner. « Faut bien que quelqu'un le fasse. » Il haussait les épaules, il s’en fichait alors de me laver les pieds. Finalement, ça ne me dérangeais pas. « J’aurai pu le faire toute seule… mais maintenant que t’es lancé ! » Je n’allais pas l’arrêter. Levant mon pied pour le laisser faire, je regardais tout de même ses moindres gestes, du liquide qu’il déposait sur mon pied, à ses mains qui me le massaient avec soin, ouai, comme une petite princesse quoi. Il ne me manquait plus qu’un transat, un cocktail et un peu de soleil. Il fit la même chose avec mon autre pied, toujours le liquide et toujours ses mains autour de mon pied pour le nettoyer. « J'espère que ce n'est pas trop froid. » J’émis une sorte de gloussement, accompagné d’un sourire. « Non, c’est parfait ! » Le rassurais-je, le laissant fignoler son travail. Quand il s’écarta, je les regardais de plus près, admirant son travail. Mes petits pieds étaient propres comme des sous neuf. Je lui adressais un nouveau sourire, le laissant se relever. « Heureusement que t’es là, je vais pouvoir aller au jacuzzi ! » J’espérais le voir m’accompagner. C’est bien de se relaxer, mais c’est bien aussi d’y être à deux ! « Dis… tu n’serais pas un peu maniaque sur les bords ? » J’avançais vers les jacuzzis, avant de me retourner. « À moins qu’tu sois un fétichiste des pieds ? » Lui demandais avec un sourire amusé, qui feignait la curiosité.

Mon travail achevé, je peux enfin me redresser sous un sourire qui me parait un brin amusé de la jeune femme. « Heureusement que t’es là, je vais pouvoir aller au jacuzzi ! » Je me demande pendant un instant si elle est sincère ou bien si elle ironise, ce qui ne serait pas si étonnant que ça quand on y réfléchit, mais personnellement je me plais à me considérer comme le défenseur des règles sanitaires du nid. Il en faut bien un. « Dis… tu n’serais pas un peu maniaque sur les bords ? » Je prends sa question en considération, en clignant les yeux. Je ne me suis jamais concrètement considéré comme tel, certes je n'aime pas la saleté, mais à peu près comme tout le monde, non ? Le mot maniaque sonne tellement péjoratif à mon oreille, que j'envisage presque pendant un instant à me sentir vexé par ses insinuations, pourtant justifiées. Cependant ce n'est pas mon genre d'être touché d'un surplus de sensibilité à propos de ce que l'on peut penser de moi, donc je me contente de hausser les épaules et de lui répondre d'un ton neutre: « J'aime seulement ce qui est carré. Et accessoirement non contaminé par tout un tas de bactéries proliférant comme jamais entre deux orteils. » Elle s'avance jusqu'au jacuzzi, tandis que je l'observe de ma place n'effectuant pas le moindre mouvement montrant un quelconque désir de la suivre pour me plonger dans l'eau chaude, avant de poursuivre: « À moins qu’tu sois un fétichiste des pieds ? » Je la regarde avec étonnement. Vous n'avez jamais trouvé que les pieds étaient dotés d'une forme particulièrement ridicule dans leurs genres ? Cinq petits boudins se dandinant allègrement, attaché on ne sait pourquoi à une sorte de grand rectangle fait de chair. Ils sont tellement disgracieux, que je peine à comprendre les raisons qui poussent certains à vénérer ces membres de l'anatomie humaine, qui regorge pourtant d'éléments bien plus intéressant. « Non. » dis-je d'un air perplexe, toujours aussi droit qu'un i.