FRANCKIE

Me saisissant d'un gros marqueur noir, j'inscris sur la paume de main un message à l'attention de Franckie. Le sadisme des commanditeurs de notre très cher Cupidon a décrété que ce dernier et moi ne sommes pas autorisé à nous adresser ne serait-ce qu'un mot de la semaine. Je ne suis pas un garçon très loquace, mais exercer un véritable silence radio avec mon grand -littéralement, il me dépasse de quelques centimètres- compagnon me parait assez extrême. Je m'en veux. En dessinant sur les murs de la salle de musique, je pensais que la plus grande punition qu'on aurait à essuyer serait éventuellement de nettoyer les dites cloisons, pas d'être de corvée de ménage tout au long de la semaine avec en prime l'obligation de nettoyer le nid de fond en comble complètement muet. Je glisse ma main sous son nez, le laissant y lire: "J'ai sortit les produits nettoyants du cellier, on y va ?". Je patiente jusqu'à avoir jugé qu'il avait largement eu le temps de décrypter mon écriture en patte de mouche, puis glisse le feutre dans ma poche, persuadé qu'il pourra mettre de nouveau utile. Je me dirige vers l'entre du nid, le jeune homme à ma suite. Autant commencer par le plus difficile, je m'arrête devant les portes des toilettes, me retourne pour lui jeter un coup d'oeil plein d'espoir et ouvre la porte après avoir prit une grande bouffé d'oxygène. Je prie pour que Franckie soit plus coutumier que moi des tâches ménagères, parce que de mon côté je vis encore dans la même demeure familiale que quand j'étais petit, dotée de l'accessoire mère au foyer étouffante et hyperactive. En résumé, je ne touche que très rarement les manches à balais en règle générale.

Rohlala on était de corvées de ménage. Vous vous doutez à quel point j'en étais ravi. En fait j'étais tellement content que mon pas n'en était que trop lent, que mes yeux étaient boursouflés, que même un cadavre ambulant prendrait peur en me voyant. Non, plus sérieusement. M'étirant de tout mon long, je regardais Elvis passait dans la chambre et me mettais à le suivre, bêtement, comme si c'était une chose totalement naturelle. La dernière fois que j'avais suivi une fille, on m'avait pris pour un pervers doublé d'un psychopathe. Faut dire que descendre d'un bus et marcher derrière cette personne jusqu'à chez elle juste pour savoir où elle vit n'a jamais été une chose recommandée dans le domaine de la socialisation. Hormis si tu es le plus beau bonhomme du monde et que la fille te pardonne directement en voyant ton visage... Ou hormis si cette fille en question est ta belle soeur cachée et qu'en fait son père c'est le père que tu n'as jamais eu qui a eu une liaison avec ta mère qui... Mon Dieu, je regarde trop Newport Beach... J'ai sortit les produits nettoyants du cellier, on y va ? un sourire se dessina sur mon visage et d'un hochement de tête, je le suivais finalement jusqu'aux toilettes. Je prenais soin de refermer la porte derrière nous, la verrouillant même, histoire de nous éviter la honte suprême couronnée de moqueries et autres types d'abonnements que l'on avait régulièrement le droit de recevoir dans cette maison. Je plongeais ma main dans la poche du jeune homme et découvris mon poignet pour y inscrire les paroles suivantes On commence par quoi ? c'était gênant de ne pas pouvoir se parler... Attrapant une éponge qui baignait dans le produit vaisselle, je la retirais rapidement, arrosant de plein fouet le jeune homme. J'allais ouvrir la bouche quand je me rappelais de l'interdiction. Sans rien dire, j'essayais alors de frotter ma main contre son tee shirt pour chasser le produit, en vain. Une mine désolée se dessina sur mon visage.

Nous entrons avec tout notre attirail dans la petite pièce étroite. Il fait glisser le marqueur de ma poche de jeans pour s'en emparer, ce qui a pour résultat de légèrement me chatouiller le haut de la cuisse. Je l'observe, tandis qu'il inscrit sur son poignet de nouveaux mots. Je me penche pour les lire, avant de regarder autour de moi, analysant les moindres coins de la salle. Mon oeil s'arrête sur les toilettes et un léger plissement de narine dégoûté s'exécute contre mon gré mécaniquement. Celles-ci regorgent sûrement de bactéries, ce qui a tendance à me faire drôlement flipper. La semaine dernière, je me suis déjà ridiculisé auprès de Oona à propos de ma crainte des microbes, la perspective de recommencer avec Franckie ne m'enchante guère. Je désigne finalement le lavabo qui trône fièrement contre le mur. Il y a toujours des plus malins que les autres qui viennent se brosser les dents ici, afin d'éviter la queue dans la salle de bain lors des heures de pointes. Résultat, des croûtes mentholées formées à partir de dentifrice vieillit s'étalent sous le robinet créant du relief à divers endroits, comme une maladie infectieuse. Le jeune homme se saisit de l'éponge plongée dans le liquide vaisselle et m'asperge au passage de la substance. Je sursaute, surpris lorsque ma peau rentre en contact avec les tissus à présent mouillés de mes vêtements. Franckie se donne alors la mission de me donner réparation et frotte énergiquement la plaie verte qui s'étend le long de mon T-shirt, malheureusement blanc à l'origine. J'ai presque envie de me contorsionner et de rire à chaque fois que sa main passe sous mes côtes, niveau sensible de mon anatomie. J'aimerais bien l'avertir que ce n'est pas grave, après tout, ce n'est qu'un produit nettoyant il ne m'a pas aspergé d'une mixture étrange non identifiée, mais je ne suis pas autorisé à lui adresser la parole. Je me saisis donc de sa main qui continue à courir le long de mon torse et lui adresse un sourire que j'espère rassurant et amical. Face à sa mine désolée, je prends les devants en récupérant l'éponge qui se trouve dans sa seconde main et je la presse au-dessus de mon haut qui se retrouve presque totalement couvert du liquide coloré.

Je frottais vivement le tissu, tentant en vain de faire disparaitre l'affreuse tache qui semblait pourtant me résister. Je dirais même s'étaler de tout son long sur la côte du jeune homme. Ça ne servait à rien de continuer le massacre et après m'être reculé pour constater les dégâts, une mine déconfite, Elvis se saisit de mon éponge et la pressa au dessus de lui pour en mouiller tout son torse. Mes yeux d'abord écarquillés, se plissèrent finalement comme pour essayer de deviner sa soudaine action. Je parcourais du regard l'étrange tache verte qui pour le coup, avait pris des proportions que moi seul n'aurait pu atteindre. Il était fichu et c'était certainement la raison qui avait poussé le jeune homme a l'en arroser un peu plus. Au moins sa couleur était presque uniforme maintenant... Presque. Du coup je me sentais un peu mal d'avoir bousillé le vêtement du jeune homme, alors, et pour lui montrer tout mon soutien -bien entendu, je suis un gentil bonhomme haha- je saisissais la seconde éponge et la pressais au dessus de mon tee shirt à mon tour, un grand sourire niais trônant sur mon visage. Ok c'était stupide et le produit puait la mort mais c'était une façon comme une autre de s'amuser, après tout. Puis, d'une mine espiègle, je plongeais une seconde fois mon arme dans le liquide, et la plaçais au dessus de la tête du jeune homme. Mes yeux lui lançaient alors un regard du genre tu bouges t'es mort, rend toi sans ronchonner moussaillon ! Bon évidemment je n'allais pas appuyer, je n'oserais pas, d'autant plus que je me demandais si ces produits étaient toxiques ou non... Ce serait bête de tuer une des personnes que j'aimais le plus ici dans un simple jeu de arrose moi si tu l'peux.

Tout le liquide jusque là emprisonné dans l'éponge se libère en même temps que je presse peu à peu l'objet bombé. Il coule sur mon t-shirt et ose même s'infiltrer sous le tissu en glissant sur mon cou pour parcourir la peau de mon torse. Le produit dégage une odeur de substances chimiques, enrobées qui plus est de citron qui vient irriter mes narines et me fait même plisser légèrement le nez. Franckie s'empare de la seconde éponge imprégnée d'eau et d'espèce vaisselle et la presse à son tour au-dessus de son haut. J'aimerai l'arrêter, parce que j'ai presque l'impression que les effluves du liquide commencent à me brûler mes rétines, mais c'est sûrement uniquement une question psychologique. Cependant, c'est déjà trop tard, la tâche verte s'éparpille peu à peu, grandissant à vue d'oeil. Je cligne des yeux, observant l'expantion rapide de celle-ci avec étonnement. Le jeune homme plonge l'éponge en profondeur de la bassine, avant de brandir son arme menaçante au-dessus de ma tête d'un air espiègle. J'arque un sourcil, alors que des gouttes perlent pour atterrir sur le sommet de mon crâne et venir chatouiller ma nuque. Heureusement que Cupidon ne peut pas nous voir à l'intérieur des toilettes, parce que je ne suis pas sûr qu'il aurait réellement apprécié assister à notre petit jeu, alors qu'on était censé nettoyer la pièce de fond en comble. Je fais un infime mouvement pour attraper le marqueur noir et tout aussi lentement, j'approche celui-ci mine de rien entre la lèvre supérieure et le nez de l'habitant. Sans plus attendre, j'effectue dans un geste fluide une forme de moustache, qui vient s'inscrire sur sa peau grâce au bout épais du feutre lui donnant un nouveau gage de virilité.

Aussitôt, le jeune homme s'empara de son arme fatale, le stylo, défigurant mon visage en y dessinant des moustaches. Le contact froid du marqueur me fit plisser des yeux lorsqu'il entra finalement en contact avec ma peau. Finalement une mine faussement choquée se dessina sur mon visage. Pouffant légèrement tout en faisant de mon mieux pour ne pas lâcher le moindre bruit, je laissais mon éponge de côté, pour éviter d'empester un peu plus mon compagnon et lui volais une nouvelle fois son style. D'un geste habile, j'entourais son oeil et son sourcil droit d'un cercle noir, rappelant vaguement, très très vaguement un oeil au beur noir. Sauf qu'au final il n'y en avait que la démarcation, mais dans mon esprit, le tout était plutôt convainquant. L'odeur étrange commençait à remonter jusqu'à mes narines alors que je battais de la main devant mon nez pour la chasser, sans grand succès... Tant pis, ils auraient des wcs à l'odeur revivifiante de citron chimique. Je suis sûr que certains passeront pour le coup bien moins de temps dans cet endroit haha, voyons le côté positif des choses. Le stylo toujours en ma possession, plongé dans la poche droite de mon pantalon, mes mains vinrent saisir les rebords inférieurs du tee shirt du jeune homme et le soulevèrent pour lui retirer. Une partie de son torse était également mouillée ce qui me fit sourire puisque ça devait clairement être mon cas également. Ressortant le marqueur je l'avançais alors vers le jeune homme, lui dessinant un coeur -de façon anarchique, symbolique, comme une gamine de huit ans en gros- à l'endroit exact où il devait se trouver avant de lui lancer un sourire, satisfait.

Il se saisit une nouvelle fois de mon marqueur et laisse glisser celui-ci autour de mon oeil. J'essaye de m'empêcher de céder à la tentation de loucher en suivant du regard son geste qui apparait dans mon champ de vision. Le mouvement qu'il imprime au feutre me laisse penser, d'après le contact de la pointe sur ma peau, qu'il dessine un simple cercle. Cela dit, je n'ai aucun moyen d'en être sûr, ainsi je tourne légèrement la tête vers le miroir suspendu au-dessus du lavabos et peine à distinguer la marque sombre. Mais elle est là, me donnant des allures de fox terrier aux tâches bien réparties. Je n'ai pas le temps d'approfondir la contemplation de mon reflet que Franckie glisse ses mains sur les pans de mon t-shirt. Je cligne des yeux, puis lève sagement les bras vers le ciel comme un petit garçon docile, pour l'aider à me retirer mon haut. Il fait courir le feutre sur mon torse, au même endroit où ma pompe à aortique bat à l'intérieur de ma cage thoracique pour y former un dessin de coeur. Un sourire fend pendant un instant mes lèvres, avant que je ne me donne à mon tour la mission de lui retirer son t-shirt mouillé. Le tissu lui colle quelque peu à la peau, mais finalement j'y parviens sans encombre et je laisse choir le vêtement quasiment trempé sur le carrelage de la pièce. Je fais un pas sur le côté, avec un air espiègle, pour me placer derrière le jeune homme. Je glisse ma main, comme une couleuvre, pour récupérer le marqueur. Non sans un air diabolique, je note dans le bas de son dos à la naissance de son jeans un "propriété de Elvis". Voilà quelque chose qui fera les pieds à son partenaire. Pour une raison qui m'échappe, Lhoas me lance des regards noirs quand je le croise dans les couloirs depuis une bonne dizaine de jours. Je me moque de ce que l'on peut penser de moi, mais la tentation était cette fois-ci trop forte.

Un sourire plus tard et c'était à mon tee shirt de subir le même sort. Celui ci remontant le long de mon corps alors que je sentais son affreuse odeur lorsqu'il passait près de mes narines. Heurk, il était vraiment à laver. Le laisser se balader à son tour au sol sans aucun regret. Le jeune homme me contourna légèrement alors qu'un de mes sourcils s'arqua, interrogateur. Finalement je le sentais griffonner dans le bas de mon dos. La pointe me chatouilla légèrement mais je fis mine de garder mon sérieux, histoire de ne pas passer pour un douiller, ni même une chochotte. Chose que j'étais en général... Lorsque je sentais qu'il avait fini son oeuvre d'art, je tournais le dos au miroir puis ma tête pour apercevoir les inscriptions "propriété de Elvis". A mon tour, un sourire vint étirer mes lèvres alors que mes yeux se reposaient sur mon partenaire, une lumière encore inédite illuminant mes pupilles. Il me considérait donc comme sa propriété ? Il est vrai qu'au fil des semaines, nous nous étions clairement rapproché, allant même jusqu'à échanger un baiser... ou plutôt un bisou puisque celui ci n'avait rien eu d'exceptionnel. Et pourtant il comptait énormément à mes yeux. Cependant je ne savais pas réellement si j'avais le droit... Je n'avais jusqu'ici jamais été attiré par un homme, c'était clairement la première fois, car oui, Elvis ne me laissait pas insensible, première pour moi. Sans que je ne m'en rende compte, ma main droite venait de se poser sur le coin de la mâchoire du jeune homme, mon pouce débordant sur sa joue alors que l'autre venait timidement se poser sur son torse, n'osant trop s'aventurer plus loin que sa poitrine. Mes lèvres s'étaient alors déposées sur les siennes en un baiser qui se voulait cette fois plus convaincu.

Mon "oeuvre" achevée, je lui laisse tout le loisir de s'agiter devant le miroir pour examiner son reflet sous toutes les coutures à la recherche de ce que j'ai bien pu inscrire sur sa peau. J'espère qu'il ne va pas véritablement penser que je le considère comme une simple chose pouvant m'appartenir. Un stylo sur lequel on colle une étiquette ou un bétail qu'on marque au fer blanc, ce n'est pas le but de la chose. Mais il se retourne et je peux constater qu'un grand sourire s'affiche fièrement sur ses lèvres, ce qui dans un sens me rassure. Je m'en serais voulu s'il avait mal interprété ma phrase, ce qui aurait par ailleurs été parfaitement légitime. Une de ses mains vient se poser sur mon visage, tandis que l'autre s'aventure au niveau de mon torse. C'est stupide, mais je ne peux empêcher un imperceptible frémissement s'opérer dans tout mon corps comme une vague, courant de part et d'autre des endroits où notre peau est en contact. Sans avoir eu le temps de m'habituer à cette nouvelle proximité avec le jeune homme, celui-ci vient me donner un délicieux baiser. C'est sûrement bête de penser à une telle chose dans un moment pareil, mais je ne sais strictement pas quoi faire de mes mains. Avec une femme, on peut glisser ses doigts dans sa longue chevelure où encore caler ses mains sur sa taille, qui semble être faite pour accueillir celles-ci, mais avec un homme je ne sais absolument pas quoi faire. Je dois avoir l'air particulièrement niais, avec mes deux bras ballants de chaque côté de mon buste, sans endroit où aller se déposer. J'entrouve légèrement ma bouche pour donner tournure plus sensuelle à notre manière personnelle et chaste de nous embrasser. Enivré par le nouvel aspect de notre étreinte, mes mains sont guidées par un désir soudain de toucher d'un quelconque moyen mon partenaire. Elle grimpe jusqu'à sa nuque et se crispe à la naissance de ses cheveux, laissant mes ongles venir piquer sa peau.

C'était étrange, que d'embrasser un garçon. Jamais je ne l'avais fait avant Elvis, jamais même je n'avais été attiré par un avant lui. Il faut croire qu'il y avait une exception à tout et ce même dans le milieu de la religion. J'étais chrétien, et même si je me disais inlassablement que cette relation n'était pas forcement bonne, au sens moral, et ce même si je n'étais absolument pas homophobe, je n'arrivais pas à me détacher du jeune homme. Je sentais ses mains mettre difficilement du temps à bouger, et je le comprenais tout à fait. C'était nouveau pour lui, autant que pour moi. Finalement, nos langues se mettent lentement mais surement à danser un slow encore inexploité jusqu'ici. Je sens ses doigts frôler un instant ma nuque avant que ses ongles se plantent très légèrement dans ma peau. Un frisson parcouru alors mon échine. Corvée de nettoyage, n'est ce pas ? Timidement, mes doigts encore inexpérimentés vinrent longer lentement le torse du jeune homme, suivant les courbes de ses abdominaux avant de finalement enlacé sa taille pour l'attirer un peu plus contre moi. Je sentais alors son torse se coller au mien. Je mis alors fin à notre baiser, reculant de ses lèvres quelques instants pour observer de mes grands yeux bleus son visage. Un sourire se dessina alors. Je redéposais quelques instants mes lèvres sur les siennes avant de dévier sur sa mâchoire, la longeant quelque peu, puis son cou. Finalement ma tête vint se poser par dessus l'épaule du jeune homme, le serrant contre moi comme un petit garçon accroc à sa nouvelle peluche, ne voulant plus s'en séparer.