zhara.

Il avait fallu que je m’attarde, l’espace de quelques secondes, à l’état des votes énoncé à la toute fin du prime pour comprendre à quel point j’avais été bien proche de me faire pointer la porte d’un signe de la main. Encore samedi, c’était moi qui sortais, qui devais dire adieu à mes plus proches camarades – qui se comptait sur les doigts d’une main. Grande chance que le prime se soit déroulé une journée plus tard… à croire que c’est ce qui avait sauvé ma peau. Je ne réalisais pas encore, d’ailleurs, la veine que j’avais eue. Je ne croyais pas en Dieu, ni même au miracle, mais il faut croire que quelqu’un là-haut avait vraiment écouté mes prières. Il fallait bien une première à tout. Aucun lien avec le fait que je me trouvais présentement dans la chapelle, vraiment. Que pure coïncidence. Enfin, peut-être pas. Je souhaitais être tranquille, et cette place m’offrait tout le confort nécessaire, loin du tumulte qui régnait en permanence dans le château. Une tasse thermos avec un bon café bien chaud m’accompagnait, installée sur les marches menant à l’autel. Je réfléchissais à tout et rien à la fois, et pour la première fois depuis mon entrée ici, je me questionnais vraiment à savoir ce qui nous m’attendait dehors. Si ce que j’étais venu chercher ici – à savoir, la notoriété – en avait valu la peine. Quand des pas résonnèrent dans le parfait silence de l’endroit, je relevais la tête pour connaître l’identité de ce visiteur. Je ne fus pas surprise de reconnaître Zhara, et je dû me mordre la langue afin de ne pas lui adresser la parole : interdiction de lui adresser la parole oblige. Je mimais néanmoins un ‘ bonjour ’ du bout des lèvres, y ajoutant un sourire au passage. C’est tout ce que je pouvais lui offrir.

Le prime de la veille avait été plutôt bon pour moi, j’avais remporté une cagnotte plutôt conséquente (peut être devrais-je remercier Franckie de m'avoir garder ça au chaud, aha !) mais en contre partie le jeune homme s'était vengé et je ne pouvais plus adresser la parole a Evey. Pour ça, je lui en voulais. A lui évidemment, pas a elle. J'avais besoin de me changer les idées et me dirigeai vers la chapelle vêtue d'une grosse veste puisque l'hiver avait décidé de refaire un come back en Europe a coup de chute de neige. En entrant dans la pièce je vis Evey assise sur les escaliers en marbre surement très froid qui menaient a l'autel. Je lui souris et fis un geste de la main, je vins m'asseoir près d'elle et posai ma tête sur son épaule pour lui signifier que j'étais contente qu'elle était restée mais nostalgique, déjà, de ne plus pouvoir lui parler.

Contre toute attente, j’étais restée. Que cela plaise ou pas à Sixtine, le public m’avait préféré à Lukas et Melissa, et ce, même si ça c’était jouer de peu de chose. Quelques votes tout au plus avait réussi à faire renverser la vapeur qui me voulait perdante au départ. Tant mieux, car j’étais encore là pour témoigner de la chance que j’avais eu. Chance qui, je me doutais bien, ne serait pas éternelle. Un jour ou l’autre, j’allais devoir partir d’ici, que ce soit lors du prochain prime, ou dans les semaines à venir. Il fallait que je me fasse à l’idée. Mais pas tout de suite. Non, pas encore. La présence rassurante de Zhara dans la pièce suffit à chasser ces idées noires qui risquaient de m’envahir si je passais trop de temps à y penser. Elle vint d’ailleurs s’installer à mes côtés, malgré la froideur du marbre – merci à mon manteau, assez long pour me protéger du froid. Sa tête vint se poser sur mon épaule, et je compris, malgré son absence de parole, qu’elle était soulagée de savoir encore de l’aventure. Cependant, cette barrière de silence qui nous séparait, je le savais, risquait d’être pénible autant pour elle que pour moi. Mon bras se libérant de sa position, j’allais le passer autour de la taille de Zhara, la serrant tout contre moi, protectrice. Je n’étais pas l’ainée – au contraire, je crois même que la brunette me devançait de quelques heures - mais j’avais toujours eu cette propension à vouloir veiller sur elle. Je savais que je l’agaçais quand j’agissais de la sorte, mais impossible de faire autrement. Ma tête, tout naturellement, vint de poser contre la sienne en soupirant. Vivement que cette semaine se termine – j’avais déjà l’impression qu’elle s’annonçait bien longue…

Une quantité de choses me passait par la tête et j’avais envie de toute les lui dire. Je me sentais stupide d’avoir répondu avant Franckie et de lui avoir pris toute sa cagnotte mais on m’avait dit de jouer puisque j’étais là pour ça. Et j’avais joué, je ne sais pas ce que les autres pensaient de notre duel mais je m’estimais grande perdante de la partie. Jamais je n’aurais cru que le garçon se serait vengé et je l’avais encore en travers de la gorge alors que, d’ordinaire, je l’aimais bien. Je sentis le bras de la jeune femme se mettre autour de ma taille et sa tête se poser contre la mienne, je restai alors dans cette position, me sentant bien pour la première fois depuis longtemps. Je ne la voyais déjà pas souvent car nous vivions vraiment loin l’une de l’autre alors avoir l’opportunité d’avoir un contact physique et pas audio, pour une fois, changeait la donne.

Elle ne refusait pas le rapprochement que je lui imposais, au contraire, j’eu même l’impression qu’elle s’était détendu sous le contact de mon bras contre sa taille. Peut-être parce que ma présence à ses côtés la rassurait, peut-être parce qu’elle réalisait que j’étais là, et que j’y resterais… au moins jusqu’à dimanche prochain. Impossible de le savoir, puisqu’ils nous étaient interdits d’échanger ne serait-ce la moindre parole. Et comme une idiote, je n’avais pas jugé utile de traîner un crayon avec moi. Comme si j’avais prévu de la croiser ici, de toute façon. Un frison parcouru mon corps et je resserrais ma prise autour de ma tasse, allant y chercher une longue gorgée, laissant couler le liquide chaud le long de ma gorge, lentement, doucement. Il me brulait la langue au passage, aussi, mais tant pis. La sacrifice en valait la peine, rien que pour un peu de chaleur. Sans un mot, je tendis le thermos à direction de Zhara. Je pense que mes intensions étaient claires, mais pour la peine, j’aurais bien aimé accompagner mon geste d’une phrase toute faite, rien que pour combler le silence qui s’insinuait entre nous deux.

La jeune femme, toujours sans un mot, porta son thermos a ses lèvres et en bus un peu avant de me le tendre, je lève la tête vers lui et la remercie du regard avant d’en boire a mon tour un peu, ce qui m’arrache un frisson car il fait froid et que le liquide est, lui, très chaud. Mais ça fait du bien. Finalement je me lève et allume quelques cierges, non seulement c’est un geste catholique mais en plus ça illumine un peu la pièce puisqu’il n’y a pas de lumière et que dehors le soleil ne brille pas. Je reste finalement debout près de l’autel, posant mes doigts dessus j’aurais voulu me retourner et dire quelque chose a Evey, n’importe quoi mais ce silence me tuait.

Elle comprit bien vite ce que je signifiais mon geste, et s’empara de la tasse en me remerciant d’un regard. Je ne sais si pas si c’est le contraste de la chaleur du café et de l’air ambiant plutôt froid de la pièce qui en fut responsable, ou autre chose, mais tout contre moi, je la sentis frissonnée. Mais puisqu’il s’agissait que d’un seul et gros frison, je n’y prêtai guère attention - ma supposition première semblait avoir beaucoup de sens. Mon bras, bien vite, retomba, libéré du contact qu’il entretenait avec son corps, alors que la jeune fille se relevait pour aller mettre un peu plus de chaleur dans la pièce – et un peu de lumière aussi. C’est qu’il commençait à faire noir. Je reste aussi un moment, l’observait agir à sa guise, mais lorsqu’elle se pose près de l’autel, je me lève à mon tour pour aller la rejoindre. Elle semble découragée, triste, et je n’aime pas ça. Me posant à ses côtés, je la force légèrement à se retourner vers moi d’un geste de la main, et je plonge mon regard dans le sien. Il semble lui demander ‘ça va?’ même si en fait, c’est simplement que je m’inquiète. À vrai dire, c’est mon lot quotidien, ça. Je suis trop surprotectrice avec elle, trop… possessive, aussi. Elle me l’a reprochée, souvent, trop souvent. Mais je n’y peux rien. C’est plus fort que moi. Si seulement elle savait, elle comprendrait peut-être… mais non. Je préfère encore garder cette part de mystère pour moi. La situation est déjà bien assez compliquée.

La jeune femme s’était levée pour venir a mes cotés, d’un mouvement de sa main elle m’oblige a me tourner vers elle et je vois bien qu’elle se demande si ça va ou pas. Je ne suis pas malheureuse, mais j’avoue qu’en ce moment je n’aime pas le silence qui nous est imposé. Je fais la moue et essaie de lui faire comprendre que sa va, alors je prends sa main et la presse doucement, un petit sourire aux coins des lèvres. Je tourne a nouveau la tête vers l’autel, mes doigts de mon autre main jouent toujours sur le marbre blanc, glacé. Le bruit de mes ongles courant dessus se faisaient entendre.

Ce silence qui nous est imposée est lourd. Nous avions passé une partie de l’aventure à devoir nous comporter comme de parfaite inconnue, et maintenant que nous pouvions enfin profiter de nos retrouvailles, voilà que la vengeance terrible de Franckie sévissait. Cette situation ne me plaisait pas, elle ne nous plaisait point en fait. Comment deux personnes aussi proches l’une de l’autre peuvent supporter de se voir sans être capable de prononcer le moindre mot, dite-moi ? Parce que des choses, j’aurais pu lui en dire des centaines, des milliers, et c’est au moment où l’on me privait de mon droit de parole que je m’en rendais compte. Ils se bousculaient dans le fond de ma gorge, et je devais réprimer mon avis de les lui faire attendre rien qu’à cause de ce stupide jeu. Je comprends Zhara, je sais ce qui la tracasse car j’ai le même problème qu’elle. Mais bon, avec ces non-dits, il est si facile de se monter des scénarios, de s’imaginer pire. Sa main vient presser la mienne dans un geste se voulant rassurant, un léger sourire se forme sur ses lèvres. Elle est jolie, lorsqu’elle sourit. Il me semble ne jamais lui avoir fait cette remarque. J’entends ces ongles se cogner au bruit du marbre et je ne peux m’empêcher de dégager ma main afin de la poser sur la fautive, étouffant ainsi le bruit. Le geste, involontairement, inconsciemment, me rapproche d’elle encore plus. Non pas que cette proximité me dérange, mais au vue de notre relation, cela rend d’autant plus la situation ambigüe. Son regard et son corps sont toujours rivé droit devant elle, je ne sais pas si c’est qu’elle m’ignore ou si sa contemplation de ce qu’on trouve derrière l’autel la fascine tellement. Je m’en fiche, en fait, parce que le mien, lui, est accroché à son profil. Je replace délicatement l’une de ses mèches de cheveux derrière son oreille. Peut-être daignera-t-elle à nouveau se retourner vers moi ? Elle ne tarde pas à le faire, d’ailleurs, son regard croisant le mien. Je détourne les yeux. Moi, intimidée? Peut-être bien. Mais bien vite, je rive à nouveau mes yeux sur son visage. Je ne sais que je ne devrais pas faire ce que je m’apprête à faire, je sais que je brave là bien des interdits que je m’étais fixée en entrant dans cette aventure – les seuls, en fait. Je m’étais pourtant promise de ne jamais passer cette barrière entre nous, de lui imposer ça. Mais c’est plus fort que moi. Ma main se pose délicatement contre sa joue, je vois dans son regard le questionnement que réveille ce simple geste. Ce sera pire lorsque mes lèvres viendront se déposer sur les siennes, doucement, tendrement. Elle ne comprendra pas, en fait, personne ne le pourra. Mon visage se rapproche du sien, et ma bouche vient à la rencontre de celle de Zhara. Elle ne me repousse pas non, mais j’imagine que le choc est trop grand pour elle, assez pour la figer. Je ne prolonge pas cet échange, en fait, je me détache bien vite en réalisant ce que je viens de faire, et que je capte l’immense galère dans laquelle je viens de nous mettre. Je recule, m’éloigne d’elle, agrandissant l’écart entre nous comme si ça pouvait changer quelque chose. C’est trop tard. Un dernier regard, un seul et je quitte les lieux. Ça vaut mieux pour moi. Pour elle. Pour nous.

Sujet terminée pour Evey.

La jeune femme fait taire le son de mes ongles sur le marbre en posant sa main sur la mienne, je pose mon regard sur nos deux mains enlacées. L'une soutenant l'autre. Notre relation a toujours été celle-ci, depuis le jour où nous avons appris que nous vivions chacun avec les parents de l'autre. Ce jour-là elle n'était alors qu'une frêle jeune fille, plus faible que moi et plus petite aussi a cause de sa maladie. Au fil des années je n'ai pas beaucoup changé mais elle si, comme un papillon après sa transformation elle était devenue somptueuse. Sentant son regard sur moi, je tournai la tête vers elle et je vis alors sa main se lever et se poser contre ma joue, je fronçai les sourcils me demandant ce qu'elle allait faire et lorsque ses lèvres se posèrent sur les miennes je gardai les yeux grands ouverts, trop choquée pour réagir. Finalement ce n'étais pas si désagréable que ça mais déjà elle se reculai, me lâchait et s'enfuyait. Je restai alors là, posant mes doigts sur mes lèvres, songeuse.