Les jours passaient et se ressemblaient, en un certain sens. Les heures, tantôt trop courtes, tantôt trop longues semblaient ne répondre qu'à leur propre loi temporelle en ses lieux. C'était frustrant. Frustrant de se sentir prise au piège, impuissante, ici plus que nul part ailleurs. Parce qu'entre ses murs, oublier son sort est impossible. Il n'y a pas assez : pas assez d'espace, pas assez de monde, de possibilités. Pour la première fois depuis le début de l'aventure, Rory se met à désirer le dehors. Elle savait que ce jour viendrait : tôt ou tard. Cette envie de voler au loin, de tout envoyer balader : le jeu, les autres, le fric : rien à foutre, basta, ciao la compagnie et à la revoyure. Sauf qu'elle tenait bon, elle devait. Elle se l'était promise, tenir le coup jusqu'à ce que ce soit le destin même qui la foute dehors. Elle n'aurait ainsi rien à regretter et doublement à profiter. Elle savait aussi qu'il y avait des choses ici, et surtout des personnes qui lui manqueraient si elle se laissait emporter par ses pulsions. Alors elle restait, oui, elel restait et canalisait son énergie : en salle de musique ou de sport, dans le parc. Comme en ce début d'après midi par exemple, elle avait couru, encore et encore dans le but s'épuiser. Elle fumait également, plus que de nature, plus que dehors. D'ailleurs, en faisant son entrée sur le balcon, un verre à la main, son regard fut attiré par un paquet et un briquet. Là abandonné sur la table de jardin très design, probablement en teck, ce bois qui fait polémique. Elle attrapa le dit paquet et en sorti une longue et fine cigarette qu'elle cala entre ses lèvres. Elle alluma le petit "baton de mort" et inhala sa première bouffée avec le plaisir qu'un toxicomane éprouverait au premier shot d'héro. Appuyée, les coudes sur la rambarde, elle laissa son regard se balader au large, se demandant vraiment ce qui pouvait bien se passer au delà de son champ de vision, là où la vie n''avait pas été mise entre parenthèse.

J’essaye de rattraper quelques unes de mes conneries de la semaine dernière, tentant de me racheter une conduite et noyer le poisson par la même occasion, je me transforme en homme serviable et attentionné, enfin aussi serviable et attentionné qu’un homme de Neandertal puisse l’être. Aussi, lorsque Gaby évoque à peine l’oubli de son paquet de Vogue sur le balcon, je me fais gentlemen et lui propose d’aller le quérir moi-même. C’est mon côté chevaleresque 2.0, je défends l’opprimé, la veuve, l’orphelin et le paquet de clopes. Soyons clair, elle ne m’a absolument rien demandé, et je la soupçonne même d’être gênée de me voir me lever et quitter le lit, mais je me fais tout de même un devoir d’accomplir cette noble quête. C’est surtout la possibilité de fuir les cancans pré-sieste d’un troupeau de candidats bruyants, qui me réjouis, et j’espère que lorsque je remonterais, ils seront tous profondément endormis, afin que, moi-même, je puisse trouver un sommeil que j’espère réparateur. Parce que là, sans déconner, je suis dans un état qui frise la mort subite. Je peux clamser à tout moment tant mon état de fatigue physique et psychologique est avancé. Ça fait des semaines que je m’interroge quand à la nécessité de faire intervenir le psy de l’émission, mais maintenant je m’attends à voir tomber une convocation d’un instant à l’autre. Je suis une bombe à retardement, sauf que mon minuteur est aveugle, histoire de bien foutre la pression. Tu sais que c’est imminent, mais t’as aucun moyen de savoir si ça va prendre quinze secondes ou quinze heures… Peut être quinze jours. Y a quelqu’un sur le balcon, je perçois son ombre fugace avant de capter sa silhouette. Rory, probablement, à en croire la chevelure et la petite taille. La raison me dicte de rebrousser chemin, puisque, à chaque fois que je la vois, ou que je l’entends, je suis pris de l’irrépressible envie de lui coller la tête dans un mur. Sauf que le paquet de Vogue, je le vois d’ici, sur la table, à me tendre les bras et m’appeler de sa petite voix suppliante. Allez, si je me démerde bien, ça ne devrait pas me prendre plus de quinze secondes. Je me lance, franchis la porte, martèle le sol du balcon de mes chaussures hors de prix, et je bondis sur le paquet. J’ai le réflexe de le secouer, pour vérifier la présence du briquet, et c’est ce seul petit geste qui déterminera tout le reste. Pas de briquet, mon regard se redresse, il tombe sur le petit objet entre les doigts de la rousse du pauvre, puis remonte jusqu’à la cigarette fine entre ses lèvres. « Evidemment que tu peux te servir, voyons… » dis-je avec sarcasme, tandis que je lui tends la main pour récupérer le briquet de Gaby, alors que le paquet est déjà entrain de déformer la poche arrière de mon jean.