Quelques jours venaient de passer depuis le dernier prime et mon élimination. J’étais restée dans le nid, je ne sais pas vraiment pourquoi. Pour soutenir des candidats ?... En tout cas, je ressentais le besoin de parler à Syssoï. Sur ce qui s’était passé une semaine plus tôt. De tout lui dire. Enfin, de lui dire la cause exacte de ma crise. Le trouvant dans la cuisine, je passais une main sur son épaule. « Tu peux venir aux toilettes ? J’ai quelque chose à te dire… » Oui les toilettes, parce que là-bas, nous serions tranquille. Pas de micro, ni de caméra… Assise à terre, mon dos appuyé contre le mur, je regardais Syssoï s’installer près de moi. Mes mains tremblaient, mais c’était le moment de m’expliquer. Je prenais une bonne inspiration. « Je n’aurais jamais pu être anorexique… » Je baissais mes yeux sur mes mains qui trituraient un bout de mon tee-shirt. « … J’aime trop manger ! » Je lâchais un rire, mais c’est de la que résider un peu le problème. J’avais confiance en Syssoï, il n’allait pas se moquer ou aller le raconter sur tous les toits. « Si je n’ai pas… rendu la dernière fois, c’est pour une raison. Ca peut paraître bizarre, mais j’ai peur de le faire. Quand quelqu’un est là ou même toute seule. J’en ai une peur bleu… » Je ne levais pas mes yeux de mes mains. « Je sais que beaucoup sont gêné, mais moi c’est plus que de la gêne. C’est une phobie qui me pousse à subir ce genre de crise. Je suis émétophobe.»

J’ai faim. C’est souvent le cas, en fait. Mais là, ça m’a carrément coupé en pleine lecture de Balzac alors qu’il ne me restait plus qu’une toute petite dizaine de pages. Je ne sais pas trop si j’ai envie de sucré ou de salé, mais je sais que j’aurais le temps de me décider puisqu’à cette heure, je risque de me trouver seul, ou presque seul dans la cuisine. Tout le monde est à la sieste, n’est-ce pas ? Non, visiblement non, puisque, tandis que je suis entrain de végéter devant le frigo ouvert, une main vient se pose sur mon épaule, et une voix que je connais bien me fixe rendez-vous aux toilettes. Okay, on a beau être dans un contexte un peu particulier, ce type de phrase genre “tu peux venir aux toilettes ?” ça fait toujours étrange, quand même. Je la suis, mon paquet de crackers à la main, et quand j’entre dans cette pièce exiguë dans laquelle on ne devrait jamais être plus d’un, je me retiens de lui offrir un “sympa, ton bureau”. Elle s’installe au sol, et je m’apprête à m’installer sur la cuvette fermée, avant de me rappeler de quoi il s’agit, justement, et d’opter pour le sol à mon tour. Elle n’en mène pas large en m’avouant qu’elle ne pourrait pas être anorexique, et l’espace d’un instant, à la vision de ses mains tremblantes qui triturent son tee-shirt, j’ai peur qu’elle ne souhaite me confier son secret. Bon ok, techniquement elle est sortie du jeu, mais je suis presque sûr que c’est encore interdit... Puis, je comprends qu’il n’en est rien, qu’on est juste arrivé à ce fameux moment où elle ressent le besoin de se confier sur sa crise. Elle tourne autour du pot un moment, je ne la force pas, avant de lâcher le mot qui semble lui causer tant de tourment. Emotophobe... Je ne connais pas ce terme, mais d’après ce qu’elle vient d’expliquer, j’imagine qu’il s’agit de la peur de vomir. Non, de la phobie de vomir. Cette confession la gêne au plus haut point. Je le vois bien. Aussi, je m’entends lui répondre : « Je suis claustrophobe et agoraphobe. » Je ne tente pas de rivaliser avec elle, juste de rétablir l’équilibre afin qu’elle se sente un peu moins gênée. D’ailleurs, je suis pas très à l’aise dans cette minuscule pièce, mais ça, je me garde bien de le lui dire.

Cela m’était plutôt difficile de parler de mon problème. Les seuls à qui j’en avais vraiment parlé jusque là étaient tout ces thérapeutes et psychanalystes que j’avais vu défiler jusqu’à se que j’en ai réellement marre. Mes parents étaient évidemment au courant, mais je ne leur en parlais jamais… Mais si je me livrais comme ça à Syssoï, c’est parce que j’avais entièrement confiance en lui et en sa confidentialité. Qu’il n’était pas du genre à se moquer et encore moins après m’avoir vu aussi fragile la semaine dernière. Ca m’était difficile et ça me gênait oui, mais je devais lui en parler. Pour me libérer en quelques sortes et parce qu’il avait le droit de savoir en quelques sortes. Je passais par quatre chemins, mais finalement, je ne tardais pas à lui dire que j’avais cette phobie de vomir. Chaque jour ne passe pas sans que j’aie cette peur même d’avoir une nausée. J’avais extrêmement bien réussi à le cacher jusqu’ici, avant que Syssoï ne soit confronté à ma pire réaction. « Je suis claustrophobe et agoraphobe. » Alors que j’avais toujours les yeux rivés à terre, je relevais les yeux sur lui à cette révélation. Je ne savais pas trop quoi dire et en même temps j’avais envie de continuer, de tout lui raconter. Je ne pouvais pas, mais je l’aurai bien fait. On m’a souvent pris pour une folle à cause de ça, quand j’étais gamine ou lorsque les ados puérils n’avaient rien à faire d’autre. « Au point de faire… des crises ? » Sous entendu, des crises comme j’en faisais. C’était un peu indiscret, même très et j’étais carrément gênée de le lui demander. En plus de ça, je me rendais compte finalement que les toilettes étaient une pièce confinée et qu’il ne devait pas être à l’aise assis ici. Je me frottais le visage, avant de lâcher un léger soupire contre ma stupidité. « T’es pas obligé de répondre à cette question. On devrait même peut-être s’en aller d’ici… »

« Au point de faire… des crises ? » Oui, au point de faire des crises. Pas le même type que les siennes, de crise, mais des crises de panique d’une violence assez peu avouable. Toutefois, je vais essayer, de lui avouer. Parce qu’elle le mérite, et parce que j’ai envie de donner autant que je reçois. Elle ne doit pas être la seule à se confier, ça n’aurait pas de sens sinon. Et puis je souhaite qu’elle cesse d’être mal à l’aise. Elle n’a pas à l’être, pas avec moi en tous cas. Je finis par me décaler, glissant sur le sol, jusqu’à elle, m’emparant de sa main tandis qu’elle m’offre la possibilité de ne pas répondre à sa question, et même de partir. « Ca va, là… Quand je sais que je peux sortir quand je veux, ça va. » Et c’est vrai. Cette clef à portée de vue dans la serrure, c’est mon garde-fou. Retirez-là, et je deviens totalement instable. « Je fais des crises, oui… j’ai… j’en ai fais une ici, en fait… Non, deux… deux crises… voir trois… Mais une seule compte réellement. » Parce que les autres j’ai su les gérer, alors que celle du cellier… « Dans ce genre de cas, je sombre dans une crise de panique hystérique. J’ai l’impression que les murs se rapprochent, que l’air me manque. Je suffoque, et j’ai tendance à me montrer… violent. » Rien à voir avec la petite chose chétive que j’ai eu entre les bras dans la salle de bain. En cas de crise, j’aurais plutôt tendance à être l’exact contraire. « Comment tu gères ça, toi ? » Je finis par lui demander, m’autorisant à la regarder de nouveau, tandis que mes doigts jouent avec les siens, machinalement.

Je n’aimais pas en parler… j’imaginais qu’il en était de même pour lui. J’étais alors gênée de lui demander s’il en faisait des crises, mais j’avais cette impression que, s’il me répondait par l’affirmatif, ça pourrait me rassurer. J’avais l’impression d’être une bizarre, une fille hors normes à cause de ces peurs, mais finalement, peut-être que je ne l’étais pas tant que ça. Ma tête baissée, ce n’est qu’une fois ma main dans la sienne que je comprenais qu’il s’était rapproché de moi. Je levais alors les yeux vers lui. « Ca va, là… Quand je sais que je peux sortir quand je veux, ça va. » J’acquiesçais d’un mouvement de tête. Par chance, je n’étais ni claustrophobe, ni agoraphobe. Je ne savais pas ce qui pouvait lui procurer ces sensations de peur… mais s’il m’assurait que ça allait. Mon léger sourire à son encontre remplaçait le ‘d’accord’ qui aurait été inutile de dire. Mes yeux se reportèrent finalement sur sa main qui tenait la mienne. « Je fais des crises, oui… j’ai… j’en ai fais une ici, en fait… Non, deux… deux crises… voir trois… Mais une seule compte réellement. » L’entendre le dire me fit exactement du bien. Cela pouvait paraitre bizarre, mais soudainement je me sentais comprise. Même si je ne souhaitais pas à Syssoï tout le mal que j’avais, il semblait être atteint d’une partie du même mal qui me rongeait. « Dans ce genre de cas, je sombre dans une crise de panique hystérique. J’ai l’impression que les murs se rapprochent, que l’air me manque. Je suffoque, et j’ai tendance à me montrer… violent. » Mis à part la violence, ses symptômes se rapprochaient des miens finalement. « Comment tu gères ça, toi ? » Je relevais ma tête, mes yeux croisant les siens à ce moment précis. Je fronçais les sourcils, haussant les épaules. « Même après tout ce temps, je ne fais que subir et… je prends des antidépresseurs. Je suis devenue accro à force d’en prendre, mais il n’y a que ça qui me calme… » Je marquais une pose, pour reprendre : « La crise que tu as vu… elle aurait pu durer au moins une demi-heure, si je n’en avais pas pris. » Et encore, certaines de mes plus grosses crises avait passé une heure. Une heure à croire que tu vas mourir, ou devenir complètement folle, ce qui me faisait encore plus peur. « Personnellement, je panique beaucoup et je deviens hystérique, mais intérieurement. Je tremble, je me renferme sur moi-même, mais à l’intérieur, j’ai l’impression de mourir à petit feu et je ne peux même pas le crier… et ça me rend terriblement folle… Et après je pleure… » Finissais-je, esquissant un sourire éphémère, tant je trouvais ça ridicule de pleurer après. « T'es le premier à réellement me voir dans cet état... et à t'être occupé de moi. Merci » Je lui adressais un sourire reconnaissant.

Parler fait du bien, en général. J’ai appris ça ici. Une des nombreuses choses que j’ai appris ici, en fait, et que j’ignorais totalement dans ma vie de tout les jours. Parler, ça déleste d’un poids, ça le transfert chez quelqu’un d’autre, plus à même de le porter puisque moins touché par le mal. J’ai confié différentes choses à différentes personnes, jamais les mêmes pour ne pas accabler une seule et même personne, et finalement je me sens, aujourd’hui, plus léger qu’hier. Encore un peu plus léger, grâce à Oona. Parler de ma claustrophobie c’est nouveau pour moi. J’aime pas, parce que c’est comme confier à quelqu’un une arme contre moi, une arme chargée et prête à l’usage. C’est comme un môme qui demande à ce qu’on ne le coule pas, parce qu’il a peur de l’eau, et qu’on s’empresse de jeter dans la piscine avant de lui maintenir la tête sous l’eau en riant à gorge déployée. La nature humaine à fait de l’Homme un être cruel. Avec ma danseuse, c’est différent. Déjà parce qu’elle partage quelque part ce mal en expérience, et parce que bizarrement, je lui fais confiance. Je sais qu’elle gardera ça pour elle, à jamais enfermé dans notre temple secret que sont les toilettes. C’est pas très glamour, mais ça a le mérite d’être discret. Sa main dans la mienne, je lui demande de m’expliquer comment elle fait pour gérer ça, pour gérer ces crises dont j’ai entraperçu l’ampleur. Elle ne les gère pas, en fait, elle ne fait que les subir, les jugulant mollement à l’aide d’une automédication douteuse et dangereuse. Les phobies sont encore trop peu souvent prises au sérieux par le corps médical, on ne sait pas comment les traiter. J’ai tout tenté, de mon côté, même l’hypnose régressive, afin de voir si ça ne venait pas d’une possible vie antérieure. J’ai vraiment tout tenté, avant d’opter pour la solution la plus efficace : des grands espaces, et pas de foule, jamais de foule. Elle m’explique son ressentit interne, une sensation que je ne connais que trop bien, un mélange d’émotions, de tortures physiques et psychologiques que j’ai moi-même expérimenté à plus petite échelle. Et puis, vient le “merci” que je n’estime pas mériter. « Merci de quoi ? D’être resté avec toi ? C’était totalement intéressé, tu sais ? Je pense à mon image. J’aurais eu l’air de quoi en me tirant et en te laissant derrière moi ? Non, faut que j’incite les votes en ma faveur, tu comprends ? » Je suis crédible ou pas ? Non, le sourire qui force le coin de mes lèvres à frémir prouve mon manque total de sérieux. D’ailleurs, je finis par le lâcher ce sourire, avant de cogner doucement mon front contre le sien. « N’importe qui aurait fait pareil à ma place. C’est à moi de te remercier, te remercier pour m’avoir fait confiance... » C’est nouveau pour moi aussi, ça. Habituellement, j’incite pas trop à la confidence... Enfin, faut dire que j’en laisse le temps à personne. « Maintenant, faudra juste qu’on évite de danser au milieu d’une foule souffrant de gastro, et tout ira bien... » Oui, piètre tentative de faire de l’humour, et super classe avec ça. Je trouve aussi.

« Merci de quoi ? D’être resté avec toi ? C’était totalement intéressé, tu sais ? Je pense à mon image. J’aurais eu l’air de quoi en me tirant et en te laissant derrière moi ? Non, faut que j’incite les votes en ma faveur, tu comprends ? » Il pouvait dire ce qu’il voulait, non seulement je ne le croyais pas (et pas à cause de son sourire), mais je resterais reconnaissante envers lui. Après l’avoir regarder en secouant la tête de droite à gauche, avec une petite moue, je lui adressais un sourire amusée. Dans un sens, ce n’était pas faux, il gagnerait sûrement des points à aider une pauvre jeune fille en détresse. Bien qu’il n’avait pas besoin de ça pour être apprécié. « N’importe qui aurait fait pareil à ma place. C’est à moi de te remercier, te remercier pour m’avoir fait confiance... » De nouveau je secouais la tête, un peu plus mollement, de droite à gauche. J’avais beaucoup d’expérience et jamais personne ne m’avait aidé. Je me souviens même d’avoir fait une crise dans un lieu publique : les gens passaient à côté de moi en me croyant possédée, ou folle peut-être et pourtant, sans lever un petit doigt. Je pense que tout le monde ici n’aurait peut-être pas fait l’effort ne serait-ce que de me soutenir, croyant à de la folie. « Je pense pas ; on m’aurez laissé dans un coin, comme d’habitude… » Je n’ajoutais rien d’autre sur ses remerciements, qu’un timide sourire. Je n’accorde pas beaucoup ma confiance. Syssoï est réellement quelqu’un d’exceptionnel et je ne pouvais pas, ne pas lui faire confiance. Je laissais tomber ma tête sur son épaule. « Maintenant, faudra juste qu’on évite de danser au milieu d’une foule souffrant de gastro, et tout ira bien... » Je ne pu m’empêcher de lâcher un rire amusé. Vu comme ça, c’était plutôt drôle, mais si nous étions dans cette configuration... en tout cas, ça me faisait rire. Pourtant, je finissais par avaler ma salive. « Je n’ai pas qu’une seule phobie, en fait… » Je me devais de lui dire, je ne sais pas pourquoi. Tant qu’à faire, nous étions là, autant en profiter. Je ne voulais pas qu’il me prenne en pitié ou qu’il voit simplement que j’ai plus de peurs que lui. J’avais juste ça sur le cœur, que je voulais lâcher à quelqu’un. « J’en ai environ une dizaine. Je suis un cas désespéré. Je n’ai jamais réussi à en guérir… d’aucune ! » D’où mon addiction aux antidépresseurs. J’esquissais un sourire furtif. « Ca fait du bien de parler ! »

« Je pense pas ; on m’aurait laissé dans un coin, comme d’habitude… » J’ai des doutes concernant cette affirmation. Personne ne peut abandonner quelqu’un d’autre dans ce genre de circonstances. J’étais seul dans la salle de bain avec elle, qu’aurais-je pu faire d’autre ? Enjamber son corps et refermer la porte derrière moi en sortant ? Non. Même le pire connard de cette émission serait intervenu. Peut être pas de la même manière que moi, peut être qu’il aurait été chercher Zhara ou Artie, tout deux en études de médecine, ou peut être qu’il aurait prévenu la production pour qu’elle intervienne à sa place... Moi je suis resté avec elle, simplement là pendant qu’elle traversait sa crise. Avec du recul je me dis que la solution responsable aurait été d’avertir la production et faire venir un médecin, mais sur le coup je n’ai songé qu’à la protéger du regard des autres. J’ai agi comme j’aurais aimé qu’elle le fasse pour moi, parce que, peut être qu’inconsciemment, je savais que sa crise n’était que passagère, comme les miennes. Je ne sais pas quoi répondre, alors je change de sujet, tentant une piètre touche d’humour en évoquant la foule et la gastro. Cela dit, elle n’est pas si naze que ça, ma blague, puisque Oona y va même d’un petit rire. Ce qui me fait sourire de plus belle, comme un con. En posant sa tête contre mon épaule, elle m’avoue avoir d’autres phobies. Je ne dis rien, j’attends qu’elle précise. Ce qu’elle fait à moitié, m’apprenant qu’elle en subie une dizaine, sans préciser lesquelles. Elle ébauche un sourire puis me confirme que ça fait du bien d’en parler. Je le sais déjà, j’en ai fait l’expérience moi aussi. « Tu veux m’en parler encore ? » je lui demande. Je ne la force à rien, à priori si elle ne me le confit pas d’elle-même c’est qu’elle ne souhaite pas approfondir, ce que je peux totalement comprendre. Mais je me dois de lui faire savoir que je suis là, en cas de besoin. « Quand j’ai vu mon premier psy -et j’en ai vu un paquet depuis l’enfance-, il m’a expliqué que les phobies venaient d’une expérience traumatisante... Est-ce que toi, tu sais d’où ça vient tout ça ? » Ma main libre vient s’emparer d’une longue mèche qui lui barre le visage, pour la ranger délicatement derrière son oreille.

J’avais appris à rire de mes phobies, même si j’avais toujours cette envie d’en pleurer qui me guetter. C’est tout de même quelque chose qui vous pourris la vie au quotidien ; vous n’êtes jamais tranquille en étant « atteint ». Je considère ça comme une maladie, évidemment, même si beaucoup m’on dit que tous ça n’était simplement que dans ma tête. Que j’étais folle quoi. Au final, je lui parlais du fait que je n’avais pas qu’une seule petite phobie, mais bien plus. Je n’en suis pas forcément fière et en général, j’essaye de le cacher le mieux possible. Le confinement de la pièce et sa confidentialité m’aidait aussi à parler. « Tu veux m’en parler encore ? » Je levais un peu yeux sur lui, ma tête posée toujours contre lui. Je lui adressais un sourire. Je n’avais pas forcément envie de lui raconter ce que chaque phobie m’apportait comme crise, parce que oui, je ne réagissais pas toujours de la même manière selon mes peurs. Celle qui avait vu était plus une crise interne. D’autres me rendent un peu plus hystérique extérieurement. Je jouais avec ses doigts, reposant mon regard sur ceux-ci. « Quand j’ai vu mon premier psy -et j’en ai vu un paquet depuis l’enfance-, il m’a expliqué que les phobies venaient d’une expérience traumatisante... Est-ce que toi, tu sais d’où ça vient tout ça ? » De nouveau, j’esquissais un sourire. Finalement, la confiance que j’avais en lui se transforma peu à peu à de la confiance en moi. « Je crois que niveau psy, comportementaliste et thérapeute, tu peux pas me battre. » Lâchais-je comme ça, sans réellement réfléchir, mais parce que je suis sûre que c’est vrai et parce que je ne veux pas que l’atmosphère redevienne lourde. Je secouais imperceptiblement ma tête de haut en bas. « Certaines oui, mais en majorité, elles restent inexplicables. » Commençais-je, avant de faire une petite moue de réflexion ou d’hésitation. C’était un peu plus compliqué de parler de ça ; de l’origine de ses phobies. Mais j’avais envie de lui en parler de certaine et il ne pourrait pas m’arrêter. Je pris une grande inspiration. « Par exemple, pour l’émétophobie, c’est arrivé, j’étais petite, quand un gamin m’a… dessus et personne n’a songé à me changer pendant un bon moment… » Je m’arrêtais, parce que je ne pouvais pas en dire plus. Je réfléchissais encore un peu, avant que ma bouche ne s’ouvre de nouveau : « Je suis hylophobe. J’ai peur des… forêts. Les psychologues relient ça, à un moment où j’ai failli me perdre dans une près de chez moi… » Je fis une petite grimace, avant de serrer un peu plus les doigts de Syssoï entre les miens. « Je suis aussi gérontophobe. J’ai peur des personnes âgées… » C’était vraiment bizarre comme peur et pourtant, j’avais bel et bien peur des vieux. Passé un certain âge, je ne peux pas les regarder sans être terrifiée. Evidemment, cette peur inclut la peur de vieillir. Je fermais les yeux, je pense en avoir assez dit. Je sais qu’il ne me forçais pas et c’était de bon cœur que je m’ouvrais à lui… J'esquissais un sourire. « C'est ça que j'avais à te dire. »

Elle a besoin de parler, ça se ressent jusque dans ses gestes, ou dans sa position lorsqu’elle s’abandonne contre mon épaule. Et moi, j’ai besoin de l’écouter. Toutefois, je la soupçonne d’être incapable de me parler si je ne lui en donne pas l’occasion, comme si elle avait peur de me déranger, comme si je pouvais avoir mieux à faire que de m’occuper d’elle ou de partager ce moment spécial entre nous. Alors je l’incite à le faire, à s’en ouvrir à moi concernant ses diverses phobies, enfin du moins celles dont elle voudra bien me parler. J’évoque aussi les psy que j’ai du voir, et la théorie de l’un d’entre eux pour qu’elle puisse me parler de ses expériences si elle ne souhaite pas entamer le sujet des phobies en elles-mêmes. Et c’est ce qu’elle fait, me confiant qu’elle est persuadée d’avoir plus consulté que moi. J’en doute, j’en doute très fortement, mais je ne dis rien. Je me contente d’hocher la tête pour l’inciter à poursuivre. Alors elle m’explique que son émétophobie a très certainement pour origine ce jour où un autre enfant lui aurait vomi dessus, et où on aurait tardé à la changer. Je refreine une grimace et me concentre sur ses cheveux que je triture délicatement, avant de poser mon menton sur le sommet de son crâne. Elle cite une nouvelle phobie au nom étrange, avant de m’expliquer qu’il s’agit de la peur des forêts. Mes doigts caressent un peu plus ses cheveux, mes sourcils se fronçant légèrement. Je me demande comment on peut craindre une forêt, mais je sais qu’il n’y aucune logique dans les phobies, j’ai bien une peur irrationnelle des ascenseurs, moi. Ma main dans la sienne se retrouve doucement malmenée, et c’est ainsi que j’apprends qu’elle va me confier autre chose, quelque chose de peut être encore plus délicat. Elle est gérontophobe. Je n’ai pas besoin qu’elle m’explique de quoi il s’agit pour comprendre l’étymologie du mot. Elle a peur de vieux ?! Un léger rire nerveux s’échappe d’entre mes lèvres, et je me retrouve dans l’incapacité de le réprimer. Je ne me moque pas d’elle, au contraire, il s’agit juste d’une réaction de surprise incalculée et irrépressible. « Désolé… » je m’excuse en retrouvant mon sérieux, mon menton toujours posé sur son crâne. « Je ne me moquais pas, j’essayais d’imaginer à quoi pouvait ressembler ton quotidien avec une phobie pareille… c’était un rire nerveux. » Je m’excuse platement, je ne voudrais pas qu’elle pense que je me fous d’elle alors qu’elle se confie pour la première fois. « J’ai une question… » je me lance, pas vraiment sûr de moi. « hum… quand tu es en représentation, est-ce que… est-ce que tu peux danser devant des… bah des vieux ? » A l’Opéra, 75% des spectateurs sont minimum sexagénaires, surtout pour la danse, d’où ma question, en fait. Mais peut être que c’est comme pour mon agoraphobie, tant que je ne vois pas la foule dans la salle, je parviens à l’occulter. « Et tes parents ? » je demande finalement. Quel âge ont ses parents ? A partir de quel âge devient-on vieux dans son esprit phobique ? Comment parvient-elle à vivre ainsi ? Je pose mes lèvres contre ses cheveux et y dépose un baiser, un baiser de dévotion et d’admiration. Elle est encore plus forte que je ne l’imaginais.