ennio.

Une des tâches importantes de toutes installations dans un nouveau logis consistait à défaire ses valises. Je n’étais pas la fille la plus ordonnée de tout l’univers, mais s’il y avait bien un endroit où l’ordre primait, c’est dans ma penderie. Sinon, je ne m’y retrouvais tout simplement pas. Au bureau, c’était limite si un ouragan n’était pas passé tant il y avait un fouillis incroyable. Chez moi, c’était différent. J’entretenais une relation privilégiée avec mes vêtements. Si bien que j’accordais presque toute mon attention à les plier, les placés sur un cintre, les mettre en ordre de couleur… hm, d’accord, j’avais peut-être un problème d’obsession compulsive, là. Mais ça n’avait rien de néfaste, si? Bon, à voir l’état de ma valise – dans un ordre impeccable, ai-je besoin de le spécifier – il fallait peut-être légèrement s’inquiéter pour ma santé mentale. Légèrement, du moins. Loin de moi l’envie de faire un petit séjour dans un asile de fou. Ça me faisait presque mal au cœur de les défaires, d’ailleurs. J’y avais tellement passé de temps. Quelques heures… une journée ou deux peut-être même. Mais bon, j’espère que ce n’était pas en vain que je la défaisais. Parce que si on m’annonçait jeudi que je devais les refaire parce que j’étais nominée, je pense que j’éclaterais en sanglot. On n’en était pas encore rendu là. Par chance. Je m’installais donc, valises en main, juste devant l’emplacement qui m’avait été réservée, me questionnant sérieusement quand à savoir si j’aurai assez de place pour tout y mettre. Acheteuse compulsive aussi, vous devriez ajouter ça aux qualificatifs me concernant, tiens. Mes valises en étant la preuve vivante. « Bon, puisqu’il faut bien commencer quelque part… » tentais-je de me convaincre, avant d’ouvrir la plus grosse des deux, qui contenait l’essentiel de ma garde-robe. L’autre? Chaussures et accessoires en tout genre, uniquement. Je commençais par les pantalons. Puis les jupes. Les chandails suivirent peu de temps après. Ça devait faire une bonne heure que j’étais là quand je me rendis compte que je n’étais plus seule dans le dressing. Un candidat s’y trouvait aussi. Depuis combien de temps, aucune idée. « Hey, salut ! » fis-je à son intention, dès que j'eus croisé son regard. « Tu es là depuis longtemps? Si oui, bah désolé, j'suis un peu dans ma bulle quand je suis concentré sur quelque chose. » Peut-être avait-il cru que je l’ignorais volontairement. Grossière erreur. Jamais je n’aurai pu faire une chose pareille. J'étais juste un peu trop obnubiler par le contenu de mes sacs de voyage.

J’ai cette fâcheuse tendance à m’excuser pour tout et rien à la fois, même si la faute n’est pas toujours la mienne. Par habitude, peut-être. Par politesse aussi, j’imagine. Et puis, vaut mieux être prévoyante, sait-on jamais. Un petit désolé, ce n’est pas bien forçant à prononcer, surtout quand on n’a rien à se reprocher. Ça me vient presque aussi naturellement qu’un simple bonjour, maintenant. Un jour, je parie que je vais les interchanger. J’en serai bien capable. Le candidat ne semble pas trop s’en faire avec ça. Il y va même d’un commentaire que je peine à entendre. « Ça explique la tête ronde. » Tout a tellement été dit si bas, aussi, qu’à moins d’avoir des oreilles bioniques, il m’est impossible de décoder ses paroles. Je penche la tête sur le côté, affichant un air intriguée, mais j'ai plutôt l'air d'une idiote, là. Tant pis. « Ça fait depuis hier soir que je te suis, dans l’espoir de trouver le bon moment pour te faire ma déclaration, mais tu es une femme très occupée… Anabel. » D’où connait-il mon prénom? Je tique en l’entendant le prononcer ainsi, avant de me retourner, quand sa main me l’indique, vers mon casier. Et je comprends tout, quand mon regard se pose sur les lettres qui composent mon prénom, tout en haut de celui-ci. Ça n’avait rien de sorcier – par chance. Il avait seulement été plus malin que moi. Bien joué. « Tu dois être doué en filature, alors, c’est bien la première fois que je t’aperçois. » Même au prime, nous n’avions pas vraiment eu cette ‘chance’ de faire plus ample connaissance. « Et tu sais, même une femme occupée sait se libérer quand il le faut. Surtout quand il y a une affaire importante à régler. » Comme une déclaration quelconque venant d’un inconnu au bataillon. Ça méritait bien que je laisse de côté quelques instants mes valises.

« Ah, je comprends mieux pourquoi tu me faisais tant penser à Ray Charles. » Je ne suis pas tellement sûr de comprendre son allusion au chanteur, qui, de ce que j’en sais, ne me ressemble en aucun point. De un, c’est un homme, et de deux, il est noir. La différence est frappante au premier coup d’œil, franchement, je suis fauchée quant à sa remarque. Incompréhension totale. Limite, je suppose qu’il se moque de moi, et je me serais bien fait prendre à son petit jeu. Sympa. Il a péché le bon poisson pour ça, plus crédule que moi, tu meurs. « Comme un petit retour sur Terre, par exemple? » Oui, je crois qu’il s’agit bien d’un peu d’humour dans le ton de sa voix. Il se moque, c’est évident maintenant. J’hausse les épaules, affichant un léger sourire sur mes lèvres. « La Terre appelle la Lune, c’est ça? » Je rigole un petit moment alors que le candidat profite de ce moment pour s’étirer dans toute sa grandeur. Je ne suis pas très loin et j’entends presque son soupir de satisfaction lorsqu’il met fin à l’exercice. « J’plaisante. J’m’appelle Ennio. » Non, vraiment, ce nom ne me dit rien. Je n’ai pas mémoire de l’avoir entendu dans la cohue qui a suivi l’arrivée des candidats dans le nid de cher Cupidon. Il faut dire qu’à trente-six, j’ai encore du mal à mettre un nom sur tous les visages qui croise ma route. Déjà faudrait-il que j’ai eu la chance de tous les voir, ce qui est loin d’être le cas. Beaucoup de chemin à faire pour parvenir à réussir cette pénible mission. Surtout que certains candidats me semblent si difficiles d’approche. Du coup, avec mes réflexions, j’en oublie presque de me présenter… jusqu’à je me rappelle qu’il connait déjà très bien mon prénom. Bravo, Anabel! « Je suis ravi de faire ta connaissance, alors, Ennio. » Ça suffira pour l’instant, je n’ai rien de mieux à ajouter de toute façon. L’espace de quelques secondes, je le vois s’éloigner vers son propre espace de rangement et je profite de ce petit aparté pour en terminer avec ma dernière valise : les dernières paires de chaussures qui traînait vont rejoindre les autres dans ma penderie, juste à temps pour accueillir d’un sourire Ennio qui revient vers moi. « Je te proposerais bien mon aide mais j’ai l’impression que c’est le genre de trucs que tu préfères faire seule. Je vais me contenter de te regarder faire et de t’encourager. » En le voyant se la jouer pom-pom-girl, j’éclate de rire devant l’absurdité de la situation. Je lui fais signe d’arrêter de la main, parce qu’en plus de me faire de me rendre hilare, il est carrément en train de s’humilier live à la télévision. « Arrête, arrête, c’est pas nécessaire, j’ai terminé de toute façon. » De ce fait, je me relève puis remplace vite fait ma tenue, dont mon chandail qui a légèrement retroussé. « Oh fait, tu pourrais m’être utile… si tu veux toujours m’aider. » Il faut bien que je range ces valises. Le problème? Je n’étais pas assez grande pour les mettre en haut de ces étagères. Sans être naine, j’étais encore bien loin d’être une géante parmi les humains.

« À ton service. » Et ce disant, il se mit au garde-à-vous, faisant ainsi naître un sourire sur mes lèvres. Je me penche un instant pour refermer mes valises, qui sont désormais vides, et je m’apprête à lui expliquer ce pour quoi j’ai besoin de lui, quand, comme venu de nulle part, un air de musique s’élève. Je lève les yeux en l’air, scrutant les alentours comme si cela pouvait vraiment m’aider à savoir d’où proviennent ces sons. Peine perdue, on est d’accord. J’ai souvenir que Cupidon ait mentionné quelque chose au sujet de cette chanson, lors du premier prime… mais avec le malaise d’Ariana, voyez-vous, j’avais d’autres chats à fouetter. Si bien que j’ai carrément oublié ce qu’il en retournait. Je cherche du regard Ennio qui me scrute aussi, comme indécis. On est paumé si aucun de nous deux ne se souvient du pourquoi de cette intervention cupidine. Tiens, le voilà qui bouge et qui s’approche. Et ses lèvres se posent sur les miennes, comme ça, sans invitation. Et c’est là que je réalise – il était temps, d’ailleurs – que c’est exactement ce qu’attendait de nous le petit chérubin en couche. Hm. Il avait le don de forcer les rapprochements, lui. À peine venais-je de le rencontrer que j’échangeais déjà avec Ennio un baiser. Nous allions vite en affaire. « Avant que les baffes ne se perdent, dis-toi que je viens de t’éviter de perdre presque un mois de salaire. » fit-il en se reculant, et je souris en effectuant un léger signe de la tête. Aucune intention de le frapper ; de un, je n’étais pas violente, et de deux, il ne le méritait pas (contrairement à un certain autre candidat dont je tairai le nom). « Je vais devoir te remercier pour ça, alors, non? » et, taquine, j’allais déposer un bisou sur sa joue. Qu’il capte que j’étais loin de lui en vouloir. Le jeu était le jeu, et même si je ne comptais pas trop sur cet argent, je comprenais que d’autres y soient moindrement attachées. « Bon, et bien maintenant si tu veux m’aider… » relançais-je, revenant sur le vif du sujet, « j’aurais besoin de toi pour mettre mes valises là-haut, avec les autres. » J’ai pas la taille d’une naine, mais clairement, il me manque quelques longueurs de bras pour y parvenir seule.

désolé de cette médiocrité, mais j'voulais te répondre, alors